Intervention de Elsa Bernard

Réunion du jeudi 15 février 2018 à 14h35
Mission d'information sur le suivi des négociations liées au brexit et l'avenir des relations de l'union européenne et de la france avec le royaume-uni

Elsa Bernard, professeure de droit public à l'Université Lille :

Je vous remercie pour votre invitation à m'exprimer sur la question des droits des citoyens.

J'évoquerai d'abord la situation juridique globale, car cela permettra de répondre à une partie des questions posées mais aussi de mettre en évidence l'impossibilité de se prononcer à l'heure actuelle sur de nombreux points.

Dans les orientations qui ont été adoptées au mois d'avril dernier, peu après que le Royaume-Uni a notifié sa volonté de quitter l'Union européenne, le Conseil européen a souhaité que la négociation se déroule par étapes. La première doit établir les modalités du divorce et aboutir à un accord de retrait, d'ici à la fin du mois de mars 2019, c'est-à-dire deux ans après la notification britannique, conformément à l'article 50 du traité sur l'Union européenne. La seconde étape, qui ne pourra s'ouvrir qu'en cas de « progrès suffisants » sur les modalités de retrait, selon le Conseil européen, doit aboutir à un accord sur la relation future avec le Royaume-Uni, qui deviendra un État tiers.

Dans ses directives de négociation pour la première phase, le Conseil « Affaires générales » a souhaité qu'il y ait aussi un processus par étapes dans ce cadre. La priorité a été donnée à trois sujets considérés comme strictement nécessaires pour un retrait ordonné du Royaume-Uni de l'Union européenne. L'un de ces trois sujets, qualifié de « première priorité », est relatif à la préservation des droits acquis, avant le retrait britannique, par les citoyens de l'Union européenne à raison de l'appartenance du Royaume-Uni à l'Union européenne.

Vous l'avez indiqué, madame la présidente, la première étape de la première phase s'est traduite par l'adoption d'un rapport conjoint des négociateurs de l'Union européenne et du gouvernement britannique, le 8 décembre dernier. C'est un acte non contraignant, qui n'a pas de valeur juridique, mais dont l'importance politique est grande, à l'évidence, car il doit être repris dans l'accord de retrait. Par la suite, le Conseil européen a considéré que des progrès suffisants avaient été accomplis, et il a donc autorisé la poursuite des négociations sur les points à régler pour parvenir à l'accord de retrait, l'ouverture des négociations relatives à une période de transition après le retrait britannique et l'ouverture des discussions concernant la relation future, sur la base de nouvelles orientations qui seront adoptées par le Conseil européen au mois de mars prochain.

La période de transition, dont les modalités n'ont pas été établies à ce stade, doit en quelque sorte faire le lien entre l'accord de retrait, dont tous les points n'ont pas encore été négociés, et la relation future, dont on ne sait rien à l'heure actuelle. Juridiquement parlant, nous avons donc bien peu de matière.

Si les droits des citoyens sont l'un des sujets sur lesquels les parties sont parvenues à un accord de principe, il faut garder à l'esprit deux éléments. D'abord, toutes les questions relatives à ces droits n'ont pas été réglées, comme les précédents intervenants l'ont souligné – nous pourrons y revenir si vous le souhaitez, notamment sous l'angle de la protection juridictionnelle des citoyens ; ensuite, ce qui a été réglé ne concerne que les citoyens ayant acquis des droits à la date du retrait britannique.

Sur ce dernier point, on se trouve à mon avis devant deux problèmes liés d'une part à la période de transition, qui conduit à s'interroger sur la date du retrait britannique, d'autre part à la relation future, pour laquelle se pose la question des citoyens n'ayant pas acquis de droits à la date du retrait du Royaume-Uni.

Tout d'abord, il est prévu que le futur accord de retrait donne aux citoyens européens et britanniques la garantie de pouvoir exercer de manière effective jusqu'à la fin de leur vie les droits qu'ils ont acquis dans le cadre de l'Union européenne, compte tenu des choix qu'ils ont faits jusque-là, c'est-à-dire à condition d'avoir exercé leur liberté de circulation à une « date spécifiée ». La détermination de cette date est une question essentielle, et elle pose un vrai problème dans l'hypothèse où il y aurait une période de transition. Le rapport conjoint précise qu'il s'agit de la date du retrait britannique, mais la Commission souhaite, contrairement au Royaume-Uni, que cela corresponde plutôt à la fin de la période de transition – si celle-ci existe. Elle serait a priori de deux ans, même s'il n'existe pas d'accord sur la durée, à ce stade. Les citoyens n'ayant pas encore exercé leur liberté de circulation à la date du retrait britannique pourraient le faire pendant la période de transition, ce qui leur permettrait alors d'acquérir des droits et de bénéficier ensuite des garanties prévues par l'accord de retrait, au terme de la période de la transition et jusqu'à la fin de leur vie.

Cette position s'explique par la manière dont l'Union européenne conçoit ce que doit être la période de transition – dont il faut rappeler qu'elle a été demandée par Theresa May, ce qui a politiquement son importance. Du point de vue européen, c'est une période pendant laquelle l'acquis de l'Union européenne doit continuer à s'appliquer. Autrement dit, même si le Royaume-Uni devient un État tiers, les citoyens doivent pouvoir exercer pleinement leur droit à la libre circulation pendant cette période, comme si le Royaume-Uni était encore un État membre. C'est d'autant plus difficile à accepter pour les Britanniques qu'il a été précisé, du côté de l'Union européenne, qu'il n'y aurait pas de participation du Royaume-Uni à la prise de décision durant la période de transition et que la Cour de Justice de l'Union européenne resterait compétente. Cela conduit à d'importantes difficultés au plan politique : le 30 janvier dernier, le Royaume-Uni a refusé que les garanties accordées aux citoyens s'installant sur son territoire s'appliquent jusqu'à la fin de la période de transition, comme le demandait l'Union européenne. Or celle-ci n'acceptera pas que le Royaume-Uni continue à bénéficier du marché intérieur, même pendant une période limitée, sans qu'il en accepte toutes les composantes, y compris et surtout la libre circulation des personnes – cela paraît assez clair. D'où le mécontentement exprimé par Michel Barnier : il a déclaré la semaine dernière que la période de transition n'était pas acquise.

En dernier lieu, je voudrais revenir sur la situation des citoyens n'ayant pas acquis de droits à la date du retrait britannique. Cette question relève de la relation future entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, c'est donc l'inconnu qui prévaut. Les premières orientations arrêtées par le Conseil européen, en avril dernier, se bornent à évoquer les caractéristiques générales de la relation future : elle est envisagée comme « un partenariat étroit entre l'Union européenne et le Royaume-Uni après son retrait », englobant « davantage que de simples échanges commerciaux » et comprenant un accord de libre-échange, même si celui-ci ne « saurait équivaloir à une participation à tout ou partie du marché unique ». Rien n'est dit sur les droits des citoyens européens et britanniques. On en saura sans doute davantage lorsque le Conseil européen fera connaître ses nouvelles orientations, en mars prochain.

En attendant, on peut tenter d'imaginer la relation future à partir des modèles existants, même s'il faut rester très prudent, car la situation est inédite. On peut penser en particulier à l'accord sur la libre circulation des personnes entre l'Union européenne et la Suisse, qui crée des droits dans ce domaine. Il existe néanmoins un régime juridique distinct selon que les personnes exercent une activité salariée ou indépendante ou si elles n'ont pas d'activité économique. On peut également songer à l'Espace économique européen (EEE), où les droits sont beaucoup plus étendus : la libre circulation et le droit de séjour dont bénéficient les citoyens de l'Union européenne et les membres de leur famille au titre de la directive 200438 s'étendent depuis 2007 aux ressortissants des États de l'Association européenne de libre-échange (AELE) qui sont membres de l'EEE. Mais il faut aussi envisager l'hypothèse où l'on n'arriverait pas à un accord avec les Britanniques et où l'on reviendrait aux seuls engagements pris dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Nous ne savons rien de ce que seraient alors les droits des citoyens.

En la matière, et comme sur beaucoup d'autres sujets, les responsables britanniques se trouvent vraiment dans une situation complexe. Ils doivent respecter le résultat du référendum à l'origine du Brexit, qui est largement lié au souhait d'un renforcement des contrôles aux frontières, mais le Royaume-Uni a aussi besoin d'une importante population migrante. Cela laisse augurer de longues négociations sur les droits des citoyens dans les années à venir.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.