Mission d'information sur le suivi des négociations liées au brexit et l'avenir des relations de l'union européenne et de la france avec le royaume-uni

Réunion du jeudi 15 février 2018 à 14h35

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La table ronde commence à 14 h 35.

Présidence de Mme Sabine Thillaye, vice-présidente

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je tenais tout d'abord à excuser le Président François de Rugy pour son absence à la réunion de cet après-midi.

Cette table ronde, ouverte à la presse, doit permettre de faire le point sur les effets du Brexit sur les droits et avantages des citoyens européens.

Les négociations, qui ont débouché sur le rapport conjoint du 8 décembre 2017, ont permis de constater un accord sur certains points. Les droits des citoyens européens au Royaume-Uni – dont 300 000 Français – et des citoyens britanniques dans l'Union européenne seront pour l'essentiel protégés : ils pourront continuer à résider, travailler, étudier dans les mêmes conditions que celles prévues actuellement, et conserver le bénéfice de l'ensemble de leurs prestations sociales.

Néanmoins les associations que vous représentez ne s'estiment pas totalement rassurées par ce rapport. Nous souhaiterions que vous partagiez avec nous votre analyse de ce rapport, des avancées qu'il comporte, mais aussi de ses faiblesses ou des interrogations qu'il soulève. Ce rapport doit encore être traduit dans un accord de retrait juridiquement contraignant. Il s'agira là encore d'une négociation difficile. Dans ce cadre, plusieurs points devront être précisés. Nous attendons que vous nous exposiez vos attentes à cet égard.

Parmi les sujets toujours en suspens, on peut mentionner le statut des futurs conjoints et la situation lors de la période de transition – surtout depuis que le Royaume-Uni la semaine dernière a indiqué qu'il ne souhaite pas accorder les mêmes droits aux citoyens arrivés pendant cette période de transition, une fois que celle-ci aura expiré, et à ceux arrivés avant le Brexit. La procédure administrative à suivre pour accéder au séjour, la mise en oeuvre du droit à la libre circulation après le Brexit et l'exercice des droits politiques, tels que le droit de vote et le droit d'être élu, méritent également d'être clarifiés. Pouvez-vous revenir sur ces questions que nous vous avons adressées en vue de notre réunion ?

Enfin, quel serait l'impact des divers scénarii d'accords sur la future relation sur les droits des citoyens ?

Je vous remercie chaleureusement d'avoir accepté notre invitation. Pour évoquer l'ensemble de ces sujets, nous avons le plaisir d'accueillir nos quatre intervenants : Mme Anne-Laure Donskoy, co-présidente et co-fondatrice de l'association the3million, représentant les citoyens européens au Royaume-Uni ; Mme Jane Golding, présidente, Mme Fiona Godfrey, vice-présidente, et M. Christopher Chantrey, membre de l'association British in Europe, représentant les citoyens britanniques en Europe ; Mme Elsa Bernard, professeure de droit public à l'Université Lille 2, spécialiste de droit de l'Union européenne ; Mme Agnès Fontana, directrice représentant le directeur général des étrangers en France au ministère de l'intérieur.

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Anne-Laure Donskoy, co-présidente et co-fondatrice de l'association the3million

Je vous remercie de donner aujourd'hui la parole à the3million, la plus importante association de citoyens européens vivant au Royaume-Uni, forte d'environ 35 000 membres. Nous existons depuis juillet 2016 et tout notre travail de campagne et nos revendications se concentrent vers le but unique de protéger nos droits après le Brexit. Nous avons également développé des partenariats étroits, notamment avec nos collègues de British in Europe.

Où en sommes-nous, après la publication du rapport conjoint de décembre sur l'état des négociations à la fin de la première phase ? Le Parlement européen réclame que soient inclus dans l'accord de retrait final l'ensemble des droits acquis dont jouissent actuellement les citoyens européens vivant au Royaume-Uni et en Europe. Bien que des progrès aient été accomplis en phase 1, il n'en demeure pas moins que le résultat est très décevant, si on considère toutes les promesses qui ont été faites depuis le référendum, plus particulièrement sur le dossier des droits.

Je m'attarderai sur deux points de principe.

Le futur statut de l'immigration tout d'abord. Les directives de négociation de mai 2017 ont clairement indiqué que toute documentation visant à enregistrer les citoyens européens au Royaume-Uni doit être de nature déclaratoire, en vue d'une simple confirmation des droits de la personne concernée. Or, il a été décidé dans le rapport de décembre que les États membres pourraient désormais choisir entre deux options qui changent complètement la donne, non seulement pour les citoyens européens au Royaume-Uni, mais aussi, potentiellement, pour tous les citoyens européens qui souhaiteraient s'établir dans un autre État membre.

Ces deux options sont soit un processus d'enregistrement déclaratoire, comme celui actuellement en vigueur, soit un processus conditionnel ou « constitutif », selon lequel la personne est dans l'obligation de postuler pour « des » droits. Compromis offert aux Britanniques dans un but d'apaisement, cette nouvelle option représente non seulement un accord important par rapport aux directives de négociation, allant plus loin que la législation européenne, mais va aussi avoir des conséquences négatives importantes pour l'ensemble de nos droits.

De fait, il est très regrettable que toute l'attention ait été portée, et continue de l'être, sur le mécanisme d'enregistrement proprement dit, créant ainsi un amalgame entre un soutien pour un système administratif simplifié que tout le monde appelle de ses voeux et un soutien pour le système du settled status ou statut de résident permanent, sans que personne ne se pose de question quant à la nature conceptuelle et juridique de ce nouveau statut, ni quant à ses conséquences du fait de la réduction considérable des droits qu'il entraîne automatiquement.

Afin de bien saisir le problème, il faut considérer le processus d'établissement à la lumière des politiques d'immigration pratiquées au Royaume-Uni, notamment par Mme May quand elle était ministre de l'intérieur, fortement influencées par ce qu'on appelle la doctrine de l'environnement hostile. Ces politiques consistent à rendre la vie le plus difficile possible aux migrants. Officiellement, cela s'adresse aux personnes en situation illégale, mais, dans les faits, cette politique a été étendue à tous les étrangers, à des degrés différents.

Ainsi le settled status transforme les citoyens européens en citoyens tiers, puisque tous les droits que leur confère actuellement la législation européenne disparaîtront le 29 mars 2019 à 23 heures, heure anglaise. Ils devront alors postuler pour de nouveaux droits, contrairement à ce qui est écrit dans les directives de négociation comme dans le rapport conjoint. Les demandeurs de ce statut qui ne seront pas en mesure de répondre à toutes les exigences requises pour constituer le dossier ou qui feront des erreurs, ne serait-ce que de typographie, pourront être confrontés à des conséquences graves, les projetant dans cet « environnement hostile » où ils risquent très fortement de faire l'objet de mesures d'expulsion. Certes, le gouvernement britannique a dit qu'il n'y aurait pas d'expulsion, mais nombre d'antécédents récents brossent un tableau d'une réalité très sombre.

Vous savez peut-être aussi que le gouvernement britannique a introduit une exception à la loi sur les données personnelles dans le cadre des politiques de l'immigration. Cette exception aura pour conséquence qu'une personne qui voit sa demande de settled status refusée ne sera très probablement pas en mesure de savoir sur quels critères elle l'a été, ni si les informations détenues par le ministère de l'intérieur sont erronées. Cela empêchera le demandeur, ou son avocat, de préparer correctement un appel.

Même si cette exception soit s'appliquer au cas par cas, le gouvernement britannique est bien connu pour faire d'une exception la règle générale – on le voit dans tous les domaines. Cette exception affranchit aussi le Royaume-Uni de l'obligation de traiter ces données personnelles de manière juste, transparente et proportionnée. Le danger existe aussi que cette exception soit utilisée pour desservir ceux qui voudraient aller en appel. Si elle est votée, elle sera donc contraire à toute notion de liberté civile et de droits de l'homme.

Il faut aussi savoir que le pourcentage de la part du ministère de l'intérieur est de l'ordre de 10 %. Ce pourcentage a toutes les chances de croître de manière exponentielle lorsque le système se trouvera confronté à trois millions et plus de demandes d'obtention du settled status. Pour agir dans les temps impartis, on parle de 8 000 dossiers à traiter par jour !

Les conséquences de ce pourcentage d'erreur comprennent la fermeture des comptes bancaires, sans recours possible selon des mesures très récentes, le retrait du permis de conduire, l'impossibilité de louer un logement… Cette situation est bien réelle et bien documentée. Le recrutement de personnel en cours ne changera pas grand-chose, dans la mesure où on sait déjà qu'il ne recevra qu'une formation minimale, tout en ayant tout pouvoir de décision sur chaque dossier. On a vu comment s'est comporté le ministère de l'intérieur, l'été dernier, lorsqu'il a adressé par erreur plus de cent lettres d'expulsion à des citoyens européens. Et cela continue d'arriver.

Deuxième point : la gouvernance, en particulier le contrôle juridique. Notre association nourrit de réelles inquiétudes quant à la continuation, au-delà du Brexit, des interprétations fréquemment erronées des lois européennes par le Royaume-Uni. Il sera donc nécessaire de mettre en place une approche à plusieurs volets, de contrôle, de protection et de mise en pratique de nos droits.

Au niveau international, nos droits doivent être protégés par la Cour européenne de justice de l'Union européenne (CJUE) ; nous demandons que la clause crépusculaire d'auto-abrogation au bout de huit ne soit pas appliquée. Il faut aussi absolument que la Commission européenne surveille la mise en pratique de nos droits, de sorte que le ministère de l'intérieur et les tribunaux britanniques interprètent correctement la mise en pratique et la protection de nos droits tels qu'ils seront dans l'accord de retrait, des sanctions étant mises en place en cas de violation.

Au niveau national, il faut un système transparent et efficace de responsabilisation, qui agisse dans l'intérêt des citoyens, de sorte que, si le gouvernement britannique déroge à ses obligations et maltraite nos droits, les individus concernés qui le souhaitent puissent intenter des poursuites. Cependant, le gouvernement britannique parle de la mise en place d'un simple médiateur. Nous rejetons cette proposition, qui est très faible en soi, et qui n'offre aucune garantie d'indépendance, sachant par ailleurs que les médiateurs britanniques n'ont aucun pouvoir réel.

Enfin, il faut savoir que l'aide judiciaire en matière d'immigration est très rarement accordée au Royaume-Uni. Les citoyens dont les revenus sont faibles n'ont ainsi pas accès à l'expertise d'avocats spécialisés. Cela pose donc un problème significatif d'accès à la justice. Si nous n'avons vraiment pas d'autre choix que celui du statut d'établi, tout mécanisme qui y est lié doit absolument être transparent, juste et respectueux, dans la lettre et dans l'esprit, de tous nos droits. Mais, comme je l'ai dit, the3million est tout à fait opposée au settled status.

Pour résumer, l'accord commun de décembre ne pourra en aucun cas protéger nos droits, à cause de ses manquements graves, de ses lacunes et de ses ambiguïtés. Si on n'agit pas maintenant, les droits des citoyens européens risquent d'être fortement limités après le Brexit. Soyons clairs : le settled status va nous livrer aux lions et nous attirer dans le champ d'une politique hostile aux étrangers, politique qui s'étend progressivement et de manière volontariste à tous les domaines de la vie. Potentiellement, ce sont des centaines de milliers de citoyens européens qui risquent de ne pas être autorisés à rester au Royaume-Uni après le Brexit.

Enfin, souvenons-nous du principe premier en vertu duquel les négociations sur les droits des citoyens doivent être menées : il s'agit, d'abord et avant tout, de la vie de personnes, bien avant tout accord commercial, ou tout mécanisme juridique. Nous avons été exclus du vote au moment du référendum, alors que nous résidons au Royaume-Uni souvent depuis des décennies. Nous y sommes venus de bonne foi et nous y avons construit nos vies sous le couvert de la législation européenne.

Nous attendons donc des États membres qu'ils agissent rapidement afin que l'ensemble de ces droits soient, sans exception, garantis et protégés. C'est la seule façon que nous ayons de pouvoir continuer de vivre comme nous l'avons toujours fait, ainsi que le Royaume-Uni et l'Europe nous l'ont promis à maintes reprises depuis le référendum. Si l'Europe, si ses États membres, ne sont pas capables de résoudre ce dossier de manière éthique, forte et réellement protectrice de nos droits, sans se laisser tenter par les compromis, le projet européen n'aura plus de sens, puisqu'il est fondé sur une union des peuples, donc sur une union des personnes.

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Jane Golding, présidente de l'association British in Europe

Je vous remercie à mon tour de donner la parole à notre association British in Europe, établie à Paris sous le régime de la loi de 1901 et regroupant les dix principaux groupes de citoyens britanniques établis dans les pays de l'Union européenne, soit de 30 000 à 35 000 membres.

Environ 80 % des Britanniques établis dans des pays de l'Union sont en âge de travailler ou plus jeunes : presque un tiers d'entre eux ont entre 30 et 49 ans. Il faut aussi se souvenir que plus de 60 % des membres de ce groupe n'avaient pas le droit de vote lors du référendum.

Dans notre présentation, nous voulons aborder plusieurs thèmes fondamentaux, comme les négociations et la sécurisation des droits acquis des citoyens, mais aussi des questions complémentaires, telles que la transition et la gouvernance, sujets que nous réservons à la phase de questions et réponses.

Notre principe fondamental, commun avec nos collègues de the3million, est le suivant : aucun individu ne devrait souffrir d'un quelconque impact négatif de façon rétrospective en conséquence du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne. Ces citoyens avaient décidé de bonne foi d'aller vivre ailleurs dans l'Union, le retrait du Royaume-Uni ne doit absolument pas porter atteinte à l'attente légitime de ces citoyens que leurs droits soient irrévocables.

Je voudrais maintenant parler un peu des négociations. Nous avons été rassurés par la position initiale de l'UE dans ses directives de négociation. Puis, les négociations ont eu lieu, conduisant à des compromis. Toutefois nous acceptons l'idée qu'il y a eu quand même quelques progrès en 2017, mais l'accord de décembre reste simplement une vision politique commune. Malheureusement, plusieurs sujets fondamentaux restent en suspens, sujets qui auraient dû être, et qui pourraient être, rapidement définitivement réglées.

D'abord, permettez-moi quelques commentaires généraux sur le rapport conjoint. Nous avons surtout été très déçus d'y lire que nos droits étaient considérés comme des « choix de vie ». Or, tout choix de vie est fondé sur les droits, et non le contraire. On se rappellera à ce sujet les termes des directives de la négociation de départ. Il s'agissait en effet de protéger « le statut et les droits dérivés du droit européen à la date du retrait, non des « choix de vie ». Donc la question qu'on devrait se poser est la suivante : dans quelle mesure le rapport conjoint protège-t-il nos droits actuels ?

Je commencerai par les points positifs. Dans le cadre du rapport conjoint, l'accord a surtout porté sur certains points assez techniques concernant la conservation du bénéfice des prestations sociales. Cela est très positif, surtout pour les 20 % de Britanniques établis dans l'Union européenne qui ne travaillent pas. Mais c'est aller trop loin que de dire que ceux qui travaillent, ou que les jeunes, seront pour l'essentiel protégés par les principes du rapport conjoint.

Prenons comme point de départ ce que sont les droits d'un citoyen de l'Union européenne, qui forment un complexe de droits indivisibles. Cet ensemble comprend principalement le droit de résider, le droit de travailler, le droit d'étudier, le droit à l'égalité de traitement, le droit aux prestations sociales, les droits politiques, le droit à la reconnaissance des qualifications et, bien sûr, le droit à la libre circulation.

J'en viens donc à la libre circulation des personnes, problème clé, dans le rapport conjoint, pour les Britanniques établis en Europe. L'accord de décembre ne prévoit pas un droit de libre circulation à l'avenir pour les Britanniques en Europe. Aussi, dans la mesure où nos droits seront protégés – et tous ne le seront pas –, cette protection ne s'appliquera qu'au pays de résidence actuelle.

La libre circulation est un droit fondamental dont on bénéficie maintenant et dont un grand nombre de nos concitoyens dépendent pour pouvoir exercer leurs professions et leurs activités diverses. Ce sont non seulement les avocats comme moi qui en ont besoin, mais aussi un grand nombre de personnes exerçant d'autres métiers, dans les secteurs aussi variés que ceux de la restauration, la technologie, les start-ups, les transports, les cours de langue, le tourisme – par exemple les moniteurs de ski. Et il faut se rappeler qu'il n'existe pas de droit de libre circulation en dehors de la citoyenneté européenne.

Les qualifications professionnelles et les droits économiques posent également problème. Il existe toute une série de problèmes liés au fait que l'accord de décembre ne prévoit pas le droit de libre circulation pour les Britanniques. D'abord, la reconnaissance des qualifications professionnelles pour laquelle il existe deux types de difficultés : le champ d'application matérielle, d'une part, et le champ d'application territoriale de ces droits, d'autre part. Certaines qualifications ne seront plus reconnues.

En ce qui concerne les qualifications professionnelles qui seraient reconnues dans l'avenir, il s'agira seulement d'une reconnaissance dans le pays de résidence ou dans le pays qui a émis la décision de reconnaissance, donc pas partout dans l'Union européenne. Cette position concerne tous ceux qui possèdent des qualifications britanniques, y compris naturellement les citoyens de l'Union européenne à 27 ayant fait leurs études au Royaume-Uni. Ce n'est pas une question de nationalité, mais une question de l'origine des qualifications.

Et il n'existe pas de système de comparabilité pour la reconnaissance des qualifications d'origine d'États tiers.

Il y aussi de graves problèmes en ce qui concerne les droits économiques. Ces droits seront seulement garantis dans le pays de résidence : les droits de travailler en tant qu'indépendant, d'établir une société en sont exclus en dehors de ce pays. Nous pourrons vous donner des exemples pratiques.

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Christopher Chantrey, membre de l'association British in Europe

Membre de British in Europe, je suis également président de British in France, c'est-à-dire du British Community committee of France. Vous disposez de l'annuaire des cent associations qui en sont membres. Nous représentons les Britanniques en France.

À la suite de Mme Golding, je voudrais enchaîner sur cinq sujets : procédures d'enregistrement des citoyens, réunification familiale, droit d'étudier, droits politiques et période de transition.

Je commencerai par la procédure d'immatriculation. Mme Donskoy vous a bien exposé le problème de l'incompatibilité des propositions avancées avec la directive européenne concernée. Nous vivons aujourd'hui sous un régime déclaratoire, alors que l'accord de décembre voudrait imposer à tous un régime constitutif de droits : les citoyens se trouveraient ainsi en position de demandeurs de leurs droits, comme s'ils ne les avaient jamais eus : c'est très injuste.

Ce qui nous inquiète, au plan français, au sein de British in France, c'est la question de savoir comment la France va nous traiter administrativement. C'est une question pratique. Il y a non moins de 200 000 résidents britanniques en France. Or, quand on consulte le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), il apparaît que les citoyens de pays tiers doivent demander un visa de long séjour auprès d'un consulat français à l'étranger ; une fois qu'ils l'ont obtenu, ils doivent venir en France pour y demander une carte de « long séjour ». Comment imaginer envoyer 200 000 personnes, dont beaucoup sont impécunieuses – les retraités britanniques vivant en France ont déjà perdu 20 % à 25 % de leur pension à cause de la chute de la livre sterling consécutive aux résultats du référendum – faire ces démarches ?

J'ai écrit au ministre de l'intérieur le 23 janvier dernier pour lui demander son avis. Je sais donc particulièrement que son ministère se trouve ici représenté : à défaut d'obtenir une réponse aujourd'hui, nous espérons l'avoir dans les prochaines semaines.

La réunification familiale est mise en danger, car, selon l'accord de décembre, il y aura des limitations de la réunification avec les futurs conjoints. Cet accord de décembre établit ainsi une discrimination contre les jeunes.

En outre, il paraît que les droits relevant de la jurisprudence Surinder Singh ne s'appliqueront pas aux citoyens britanniques qui retourneraient au Royaume-Uni avec leurs époux non britanniques, qu'ils soient ou non citoyens de l'Union. Ce serait une dégradation importante des droits dont nous bénéficions en vertu de la jurisprudence de l'Union européenne.

J'en viens au droit d'étudier Nous recherchons en vain dans le rapport de décembre une mention ou des clarifications sur le statut des étudiants en ce qui concerne les qualifications, l'application du programme Erasmus, les frais d'inscription, et les droits de résidence de ceux qui étudient hors de leur pays de résidence au jour du retrait du Royaume-Uni, ou après la période de transition. Encore un point à régler.

Quant aux droits politiques, la plupart de cette population de Britanniques établis dans un autre pays de l'Union européenne, soit plus de 60 % d'entre eux, est déjà privée par la législation britannique du droit de vote dans les consultations électorales nationales, telles que le référendum sur le Brexit. Ainsi, ils n'ont en matière de pratique démocratique que le droit de vote aux élections locales en vertu de leur citoyenneté européenne. Or ce bastion va tomber : nous perdrons le droit de voter aux élections municipales, comme de participer aux élections du Parlement, de même que nous perdrons la possibilité de siéger dans des conseils municipaux. Peut-être ignorez-vous qu'en France 800 Britanniques siègent dans des conseils municipaux, surtout dans les petits villages qui continuent à vivre grâce à la présence britannique. Ceux-là vont ainsi perdre leur siège.

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Jane Golding, présidente de l'association British in Europe

Les citoyens dont les droits sont remis en cause par la situation actuelle sont en nombre restreint. Néanmoins, si l'on veut préserver à l'avenir que la citoyenneté européenne demeure fondamentale dans le projet européen, comment peut-on envisager de refuser des droits à une catégorie de personnes qui sont directement touchées par une décision alors qu'une large majorité d'entre elles, qu'il s'agisse des citoyens européens au Royaume-Uni ou des ressortissants britanniques dans l'Union européenne, n'a pas eu la possibilité de se prononcer par un vote ? Si la citoyenneté européenne est notre statut fondamental, il doit absolument nous protéger dans cette situation sans précédent.

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Elsa Bernard, professeure de droit public à l'Université Lille

Je vous remercie pour votre invitation à m'exprimer sur la question des droits des citoyens.

J'évoquerai d'abord la situation juridique globale, car cela permettra de répondre à une partie des questions posées mais aussi de mettre en évidence l'impossibilité de se prononcer à l'heure actuelle sur de nombreux points.

Dans les orientations qui ont été adoptées au mois d'avril dernier, peu après que le Royaume-Uni a notifié sa volonté de quitter l'Union européenne, le Conseil européen a souhaité que la négociation se déroule par étapes. La première doit établir les modalités du divorce et aboutir à un accord de retrait, d'ici à la fin du mois de mars 2019, c'est-à-dire deux ans après la notification britannique, conformément à l'article 50 du traité sur l'Union européenne. La seconde étape, qui ne pourra s'ouvrir qu'en cas de « progrès suffisants » sur les modalités de retrait, selon le Conseil européen, doit aboutir à un accord sur la relation future avec le Royaume-Uni, qui deviendra un État tiers.

Dans ses directives de négociation pour la première phase, le Conseil « Affaires générales » a souhaité qu'il y ait aussi un processus par étapes dans ce cadre. La priorité a été donnée à trois sujets considérés comme strictement nécessaires pour un retrait ordonné du Royaume-Uni de l'Union européenne. L'un de ces trois sujets, qualifié de « première priorité », est relatif à la préservation des droits acquis, avant le retrait britannique, par les citoyens de l'Union européenne à raison de l'appartenance du Royaume-Uni à l'Union européenne.

Vous l'avez indiqué, madame la présidente, la première étape de la première phase s'est traduite par l'adoption d'un rapport conjoint des négociateurs de l'Union européenne et du gouvernement britannique, le 8 décembre dernier. C'est un acte non contraignant, qui n'a pas de valeur juridique, mais dont l'importance politique est grande, à l'évidence, car il doit être repris dans l'accord de retrait. Par la suite, le Conseil européen a considéré que des progrès suffisants avaient été accomplis, et il a donc autorisé la poursuite des négociations sur les points à régler pour parvenir à l'accord de retrait, l'ouverture des négociations relatives à une période de transition après le retrait britannique et l'ouverture des discussions concernant la relation future, sur la base de nouvelles orientations qui seront adoptées par le Conseil européen au mois de mars prochain.

La période de transition, dont les modalités n'ont pas été établies à ce stade, doit en quelque sorte faire le lien entre l'accord de retrait, dont tous les points n'ont pas encore été négociés, et la relation future, dont on ne sait rien à l'heure actuelle. Juridiquement parlant, nous avons donc bien peu de matière.

Si les droits des citoyens sont l'un des sujets sur lesquels les parties sont parvenues à un accord de principe, il faut garder à l'esprit deux éléments. D'abord, toutes les questions relatives à ces droits n'ont pas été réglées, comme les précédents intervenants l'ont souligné – nous pourrons y revenir si vous le souhaitez, notamment sous l'angle de la protection juridictionnelle des citoyens ; ensuite, ce qui a été réglé ne concerne que les citoyens ayant acquis des droits à la date du retrait britannique.

Sur ce dernier point, on se trouve à mon avis devant deux problèmes liés d'une part à la période de transition, qui conduit à s'interroger sur la date du retrait britannique, d'autre part à la relation future, pour laquelle se pose la question des citoyens n'ayant pas acquis de droits à la date du retrait du Royaume-Uni.

Tout d'abord, il est prévu que le futur accord de retrait donne aux citoyens européens et britanniques la garantie de pouvoir exercer de manière effective jusqu'à la fin de leur vie les droits qu'ils ont acquis dans le cadre de l'Union européenne, compte tenu des choix qu'ils ont faits jusque-là, c'est-à-dire à condition d'avoir exercé leur liberté de circulation à une « date spécifiée ». La détermination de cette date est une question essentielle, et elle pose un vrai problème dans l'hypothèse où il y aurait une période de transition. Le rapport conjoint précise qu'il s'agit de la date du retrait britannique, mais la Commission souhaite, contrairement au Royaume-Uni, que cela corresponde plutôt à la fin de la période de transition – si celle-ci existe. Elle serait a priori de deux ans, même s'il n'existe pas d'accord sur la durée, à ce stade. Les citoyens n'ayant pas encore exercé leur liberté de circulation à la date du retrait britannique pourraient le faire pendant la période de transition, ce qui leur permettrait alors d'acquérir des droits et de bénéficier ensuite des garanties prévues par l'accord de retrait, au terme de la période de la transition et jusqu'à la fin de leur vie.

Cette position s'explique par la manière dont l'Union européenne conçoit ce que doit être la période de transition – dont il faut rappeler qu'elle a été demandée par Theresa May, ce qui a politiquement son importance. Du point de vue européen, c'est une période pendant laquelle l'acquis de l'Union européenne doit continuer à s'appliquer. Autrement dit, même si le Royaume-Uni devient un État tiers, les citoyens doivent pouvoir exercer pleinement leur droit à la libre circulation pendant cette période, comme si le Royaume-Uni était encore un État membre. C'est d'autant plus difficile à accepter pour les Britanniques qu'il a été précisé, du côté de l'Union européenne, qu'il n'y aurait pas de participation du Royaume-Uni à la prise de décision durant la période de transition et que la Cour de Justice de l'Union européenne resterait compétente. Cela conduit à d'importantes difficultés au plan politique : le 30 janvier dernier, le Royaume-Uni a refusé que les garanties accordées aux citoyens s'installant sur son territoire s'appliquent jusqu'à la fin de la période de transition, comme le demandait l'Union européenne. Or celle-ci n'acceptera pas que le Royaume-Uni continue à bénéficier du marché intérieur, même pendant une période limitée, sans qu'il en accepte toutes les composantes, y compris et surtout la libre circulation des personnes – cela paraît assez clair. D'où le mécontentement exprimé par Michel Barnier : il a déclaré la semaine dernière que la période de transition n'était pas acquise.

En dernier lieu, je voudrais revenir sur la situation des citoyens n'ayant pas acquis de droits à la date du retrait britannique. Cette question relève de la relation future entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, c'est donc l'inconnu qui prévaut. Les premières orientations arrêtées par le Conseil européen, en avril dernier, se bornent à évoquer les caractéristiques générales de la relation future : elle est envisagée comme « un partenariat étroit entre l'Union européenne et le Royaume-Uni après son retrait », englobant « davantage que de simples échanges commerciaux » et comprenant un accord de libre-échange, même si celui-ci ne « saurait équivaloir à une participation à tout ou partie du marché unique ». Rien n'est dit sur les droits des citoyens européens et britanniques. On en saura sans doute davantage lorsque le Conseil européen fera connaître ses nouvelles orientations, en mars prochain.

En attendant, on peut tenter d'imaginer la relation future à partir des modèles existants, même s'il faut rester très prudent, car la situation est inédite. On peut penser en particulier à l'accord sur la libre circulation des personnes entre l'Union européenne et la Suisse, qui crée des droits dans ce domaine. Il existe néanmoins un régime juridique distinct selon que les personnes exercent une activité salariée ou indépendante ou si elles n'ont pas d'activité économique. On peut également songer à l'Espace économique européen (EEE), où les droits sont beaucoup plus étendus : la libre circulation et le droit de séjour dont bénéficient les citoyens de l'Union européenne et les membres de leur famille au titre de la directive 200438 s'étendent depuis 2007 aux ressortissants des États de l'Association européenne de libre-échange (AELE) qui sont membres de l'EEE. Mais il faut aussi envisager l'hypothèse où l'on n'arriverait pas à un accord avec les Britanniques et où l'on reviendrait aux seuls engagements pris dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Nous ne savons rien de ce que seraient alors les droits des citoyens.

En la matière, et comme sur beaucoup d'autres sujets, les responsables britanniques se trouvent vraiment dans une situation complexe. Ils doivent respecter le résultat du référendum à l'origine du Brexit, qui est largement lié au souhait d'un renforcement des contrôles aux frontières, mais le Royaume-Uni a aussi besoin d'une importante population migrante. Cela laisse augurer de longues négociations sur les droits des citoyens dans les années à venir.

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Agnès Fontana, directrice de l'accueil, de l'accompagnement des étrangers et de la nationalité

Je vous prie d'excuser Pierre-Antoine Molina, directeur général des étrangers en France, qui m'a chargée de le représenter.

Afin d'éviter les redites, ma présentation sera un peu moins structurée que je l'avais prévu : je me concentrerai surtout sur les questions qui ont été posées lors des interventions précédentes et sur les préoccupations exprimées par les représentants des associations.

Mme Bernard l'a souligné, tout est vraiment loin d'être réglé aujourd'hui en ce qui concerne le sort des citoyens britanniques présents en France et des citoyens français et européens résidant sur le sol britannique. Même si le rapport conjoint du 8 décembre dernier a permis de poser quelques jalons, l'incertitude reste la note dominante : il n'est malheureusement pas possible de répondre à toutes les questions et préoccupations.

Ce qui semble acquis est, au moins, la conservation des droits d'entrée et de séjour – et des droits liés, notamment pour les études et le travail – dont bénéficient des personnes ayant déjà résidé cinq années sur notre sol et disposant d'une carte de résident de longue durée Union européenne. Leurs droits devraient être préservés tout au long de leur vie. Il en est de même pour les conjoints qui n'auraient pas encore rejoint ces personnes, mais qui se seraient unis à elles avant la date du retrait britannique, et pour les enfants qui naîtraient de deux parents ayant le statut de résident permanent ou qui seraient confiés à la garde d'un parent en bénéficiant. La préservation de ces droits est un principe important.

Il se pourrait aussi – mais on reste là dans un état d'incertitude lié à la notion de période de transition dont Mme Bernard a fait état – que ces droits continuent à se cristalliser pendant la période de transition, si elle doit exister. Ceux qui n'auraient pas encore acquis des droits en mars 2019 pourraient continuer à le faire pendant la période de transition.

Se pose ensuite la question des personnes qui n'auraient pas encore de droit de résident permanent au titre de l'Union européenne en France et qui se trouveraient alors dans la situation des ressortissants de pays tiers. Mme Bernard a bien exposé les solutions qui pourraient être accessibles dans le cadre de l'AELE et de l'Espace économique européen. On peut aussi rappeler que la France est liée par des accords particuliers à un certain nombre d'États, avec qui elle entretient des relations particulières du fait de son histoire, notamment l'Algérie, la Tunisie et le Maroc : ces accords réservent un sort plus favorable aux résidents de ces pays qu'à ceux de pays tiers. À titre d'exemple, cela permet un accès plus rapide et plus facile à une carte de résident de longue durée, valable dix ans. Il est possible que la France choisisse de négocier avec le Royaume-Uni un accord particulier qui accorderait un sort plus favorable aux résidents britanniques.

En ce qui concerne les diplômes, nous disposons d'un centre ENIC-NARIC, comme tous les États européens. Ce centre est chargé de délivrer des attestations de comparabilité : le diplôme présenté par l'étranger est décrit selon le référentiel des diplômes français, ce qui permet à un futur employeur ou à un établissement d'enseignement de savoir à quoi cela correspond dans le système français. À proprement parler, il ne s'agit donc pas d'une équivalence, comme c'est le cas dans le système européen, mais d'une comparabilité. Néanmoins, cela peut rendre un premier niveau de service pour les diplômes acquis à l'étranger.

Pour ce qui est des droits liés à la citoyenneté, c'est-à-dire le droit de vote aux élections locales et européennes, ainsi que le droit de pétition et le droit d'occuper des postes dans la fonction publique ne correspondant pas à des fonctions régaliennes, il faut rappeler que ces droits sont attachés à la citoyenneté européenne. Celle-ci est une citoyenneté de superposition : elle n'existe pas en elle-même, mais elle se superpose aux citoyennetés des États de l'Union européenne. Cela empêche que des personnes n'ayant plus la citoyenneté européenne conservent ces droits : ils vont subir un sort distinct de celui des droits liés au séjour, qui pourront être conservés. Il est pratiquement certain que les Britanniques ne bénéficieront plus des droits liés à la citoyenneté européenne après le retrait du Royaume-Uni, même s'ils se trouvent en France sous le couvert d'un droit de séjour permanent.

Une solution est néanmoins possible à travers l'acquisition de la nationalité française. Elle est ouverte aux citoyens britanniques résidant en France, comme à tous les autres résidents. Nous avons déjà constaté une augmentation des demandes émanant des citoyens britanniques et de l'octroi de la citoyenneté française à ces derniers : entre la dernière année normale, qui est 2015, et 2017, les demandes ont été multipliées par un peu plus de 8, et l'octroi de la nationalité française par presque 5. L'écart ne signifie pas que l'on a moins accordé la nationalité française aux demandeurs britanniques : toutes les demandes ne sont pas encore parvenues au terme de leur instruction.

Je rappelle que le ministère de l'intérieur gère deux modalités principales d'accès à la nationalité française. La plus fréquente est la naturalisation par décret, qui concerne typiquement une personne installée en France depuis plus de cinq ans, qui travaille ou a des revenus autonomes et qui peut avoir constitué une famille et toute une série de liens sociaux et amicaux en France. On peut aussi accéder à la nationalité française par déclaration, essentiellement à raison d'un mariage avec un Français ou une Française.

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On peut aussi acquérir la nationalité maltaise, ce qui est plus facile, afin de pouvoir résider en France à ce titre. On n'est pas obligé d'acquérir la nationalité française.

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Agnès Fontana, directrice de l'accueil, de l'accompagnement des étrangers et de la nationalité

En effet, mais c'est quand même plus logique quand on réside en France.

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Agnès Fontana, directrice de l'accueil, de l'accompagnement des étrangers et de la nationalité

Pas tant que ça : le taux d'octroi est compris entre 70 et 80 %.

Il faut également préciser que la France accepte la double nationalité : un Britannique devenant français n'a aucune obligation d'abandonner sa nationalité d'origine. C'est un aspect important.

L'augmentation des demandes émanant de ressortissants britanniques a déjà un effet visible : cette nationalité est passée du 34e au 12e rang pour l'accès à la nationalité française entre 2016 et 2017. Même si les acquisitions de nationalité française par des Britanniques restent encore assez peu nombreuses, elles ont beaucoup augmenté par rapport à un état initial dont il faut reconnaître qu'il était assez bas.

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Les Britanniques acceptent aussi la double nationalité, n'est-ce pas ? Cela peut être une solution pour certains.

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Agnès Fontana, directrice de l'accueil, de l'accompagnement des étrangers et de la nationalité

Bien sûr.

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Jane Golding, présidente de l'association British in Europe

Pour certains, oui, mais ce n'est pas une panacée. Je pense en particulier à la question des qualifications professionnelles.

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Merci à tous pour vos interventions. Nous passons maintenant aux questions.

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Jusqu'à présent, les Européens ont été très unis vis-à-vis du Royaume-Uni, mais ce que vous nous avez dit laisse penser qu'il existe potentiellement des divergences entre les États membres. Les règles seront-elles identiques en matière de qualifications professionnelles, par exemple, ou en ce qui concerne le droit de résidence ? Pensez-vous que l'Europe va continuer à parler d'une seule voix lorsque les négociations entreront davantage dans les détails – c'est dans l'intérêt de nos compatriotes, me semble-t-il – ou bien estimez-vous qu'il y a un risque d'éclatement ?

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Ma question s'adresse à Mme Bernard : vous avez analysé d'une manière très convaincante le fait que pendant la période de transition, telle qu'elle est conçue par l'Union européenne et M. Barnier, tous les droits existants devraient logiquement être maintenus et qu'ils pourraient continuer à se constituer.

Il y a néanmoins un présupposé que les Britanniques ont refusé : cela revient à poser le principe, comme M. Barnier, donc l'Union européenne semblent le faire, que la période de transition doit s'accompagner du maintien de l'ensemble des dispositions actuelles, à l'exception de la participation à la prise de décision au sein des institutions européennes. Cela revient à préjuger de ce que sera la période de transition. On pourrait très bien imaginer, et je pense que c'est ce que font les Britanniques, que seuls certains droits soient maintenus : il y aurait déjà, au moins partiellement, un saut dans une situation nouvelle.

Il existe en réalité deux interprétations très différentes de ce que doit être la période de transition : doit-elle se caractériser par le maintien général du statu quo ou, au contraire, par l'abandon d'un certain nombre d'éléments alors que d'autres seraient provisoirement maintenus, comme l'ensemble des accords commerciaux avec les pays tiers, puisqu'il serait impossible de les remplacer tout de suite. Je le dis car nous sommes entre nous : les Britanniques n'ont pas forcément tort sur ce point. Il est assez logique de penser que la transition ne doit pas revenir exactement à la même situation qu'auparavant.

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Elsa Bernard, professeure de droit public à l'Université Lille

Il y a une considération pragmatique que vous ne prenez pas en compte, à savoir le temps : la période de transition doit être prévue par l'accord de retrait, qu'il faut conclure avant la fin du mois de mars 2019. Or, si l'on commence à négocier sur chaque point, on n'aboutira pas à un accord dans le délai imparti. C'est une réalité à laquelle on est confronté. Ensuite, du point de vue de l'Union européenne, accepter une période de transition signifie accorder une faveur au gouvernement britannique – c'est lui qui a fait la demande : ce serait donc à l'Union européenne d'imposer ses propres conditions.

Il faut tout de même nuancer un peu cette analyse. Dans le projet d'accord sur la période de transition que la Commission a fait circuler la semaine dernière, et qui constitue son point de vue, il est prévu que l'intégralité du marché intérieur serait certes maintenue, mais pas tous les droits liés à la citoyenneté. Les droits civils et politiques dont il a été question tout à l'heure – je ne partage d'ailleurs pas l'analyse de M. Chantrey sur les droits politiques, en tout cas sur le plan juridique, mais on peut en débattre – ne seraient pas maintenus pendant la période de transition.

Je le répète : le principal problème est d'ordre pratique. Les modalités de la période de transition doivent être établies à l'automne 2018. On devra connaître à ce comment-là l'essentiel de l'accord de retrait, notamment ce qui concerne la période de transition.

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Jane Golding, présidente de l'association British in Europe

Je suis tout à fait d'accord avec Mme Bernard : il y a peu de temps pour négocier – en réalité seulement six mois – et cette période est une forme de faveur. En conséquence, tout l'acquis de l'Union européenne devrait s'appliquer.

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Elsa Bernard, professeure de droit public à l'Université Lille

Vous avez raison de l'indiquer, cette période pourrait être fixée à dix ans.

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Elle est de deux ans et peut être reconduite.

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Elsa Bernard, professeure de droit public à l'Université Lille

En réalité, nous n'en savons rien. D'un point de vue pratique, il serait souhaitable pour l'Union européenne qu'elle perdure jusqu'à la fin du cadre financier pluriannuel. Mais, que l'on aboutisse à cela ou aux deux ans annoncés par Theresa May, des questions pratiques se poseront de toute façon…

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Anne-Laure Donskoy, co-présidente et co-fondatrice de l'association the3million

Madame Hennion, le danger d'éclatement est bien réel… Dès le 28 mars 2017, nous l'avons évoqué lorsque nous avons rencontré M. Barnier. La situation serait alors absolument cauchemardesque, avec vingt-sept accords bilatéraux entre la Grande-Bretagne et le reste de l'Europe et, en conséquence, des droits civiques, civils et politiques à vingt-sept vitesses ! C'est inimaginable : on ne peut pas être puni deux fois. Il n'y a d'ailleurs aucune raison pour que nous soyons punis car, avant tout accord économique, politique ou juridique, il s'agit, je le répète, de nos vies !

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Je vous remercie pour ces témoignages et pour le travail de terrain que vous réalisez. En tant qu'élu de l'Europe du Nord – donc des Français qui habitent au Royaume-Uni –, je suis très sensible à votre action de défense des droits des citoyens, mais également à la pédagogie que vous déployez et au soutien que vous apportez aux Français et aux Européens qui vous font part de questions sur leur statut.

Une très grosse communauté française habite au Royaume-Uni – entre 300 000 et 400 000 personnes : disposez-vous d'éléments sur les modalités de retour en France de ceux qui font ce choix ? Dans quelles conditions s'effectue leur retour et avec quelle facilité réintègrent-ils la société française ?

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Anne-Laure Donskoy, co-présidente et co-fondatrice de l'association the3million

Votre question tombe à point nommé : je suis chercheuse de formation et j'ai fait un petit sondage auprès des adhérents de notre association il y a quelques mois, en les interrogeant sur les principaux problèmes qu'ils rencontraient dans cette situation exceptionnelle. J'ai également diffusé ce sondage sur quelques pages spécialisées de Facebook.

Un constat s'impose : les Français se sentent pris comme des lapins dans les phares des voitures… Leurs soucis sont d'ordre pratique, juridique et culturel. Ils ont très souvent un sentiment d'abandon par la France et l'impression d'un dialogue de sourds avec l'administration.

Beaucoup pensent qu'ils n'ont pas le choix car ils ne pourront pas continuer à résider en Grande-Bretagne. Ils rentrent donc à contrecoeur en France. Les principales difficultés sont liées à l'accès au logement – pratiquement impossible à résoudre dans les circonstances du Brexit. Pour accéder à un logement, il faut fournir des documents : avis d'imposition – français uniquement –, compte bancaire français, revenus supérieurs ou égaux à trois fois et demie le loyer. Or ces personnes n'ont souvent pas encore de travail – ou n'arrivent pas à en trouver. Le cercle vicieux s'enclenche alors : sans contrat de travail, ils n'ont aucune chance de trouver un logement et inversement. Dans ce contexte, il faut absolument assouplir les lois qui surprotègent les locataires et rendent les propriétaires intransigeants sur certains dossiers.

Les retraites publiques et privées soulèvent également des difficultés : comment faire valoir ses droits ? Les retraites seront-elles indexées comme en Grande-Bretagne ? De même, le transfert de certaines allocations sociales n'existe pas entre la Grande-Bretagne et la France. C'est le cas des allocations à destination des personnes handicapées : du jour au lendemain, beaucoup de parents d'enfants handicapés et personnes en situation de handicap vont ainsi se retrouver sans revenu, sans logement et sans travail en France. Le délai de carence – de trois mois – ajoute aux difficultés, d'autant plus que les informations officielles diffusées sur les sites indiquent que l'examen des dossiers peut prendre jusqu'à douze mois, voire plus ! Comment ces personnes peuvent-elles vivre dans l'intervalle ?

Le droit des conjoints britanniques – mariés ou non –, la scolarisation des enfants – qui parlent anglais et doivent s'adapter à un système sensiblement différent du système britannique – soulèvent aussi des questions. Des adaptations sont-elles possibles ?

Je ne parle pas de l'emploi, de la reconnaissance des diplômes, de l'ouverture des droits et de l'accès aux prestations sociales ou de la question des mutuelles complémentaires… Ces Français nous disent que la Sécurité sociale ne les reconnaît plus – alors que, normalement, notre numéro de sécurité sociale nous suit.

Les problèmes liés au pacte civil de solidarité (PACS) reviennent régulièrement. Les personnes se retrouvent dans des situations invraisemblables où, pacsées en Grande-Bretagne, elles ne sont pas reconnues comme telles en France : on leur demande de se « dépacser » en Grande-Bretagne et de se remarier en France ! Nous souhaitons que l'État français reconnaisse que le Brexit est une situation exceptionnelle, mettant ses ressortissants dans une situation tout aussi exceptionnelle, et que cela appelle donc des mesures exceptionnelles.

Ces Français suggèrent des améliorations – qui seraient d'ailleurs également bénéfiques pour les citoyens français : une simplification administrative, la formation des personnels des différents guichets administratifs à ces problèmes spécifiques et complexes, la mise à disposition de numéros de téléphone accessibles depuis l'étranger, une aide pragmatique en amont – dans les consulats, les agences consulaires, les ambassades –, en face-à-face et non virtuelle.

Le transport des animaux domestiques (pet transport) est aussi évoqué. J'ai une chatte ; si je dois rentrer en France, que va-t-il se passer pour elle ? En effet, Pet transport est un régime européen qui permet actuellement aux animaux domestiques de disposer d'un « passeport ». Vous le voyez, le Brexit touche absolument tous les domaines de la vie quotidienne !

Les personnes interrogées disent très souvent que la France n'a pas cette culture de la mobilité, pourtant intrinsèquement liée au projet européen. Cela se traduit par une forme de rigidité de l'administration, qui ne comprend pas ce type de parcours. Le Brexit est très mal vécu par la majorité des ressortissants français concernés : ils subissent une grande violence psychologique, qui met en en danger leur vie et celle de leur famille. Ceux qui sont rentrés se sentent souvent traités comme des parias par l'administration, qui les rend coupables d'être partis.

Pour beaucoup, notre départ de France a eu lieu il y a des décennies. Après le référendum, nous avons fait une première réunion à Bristol et, dans l'assistance, certaines personnes étaient en Grande-Bretagne depuis soixante ans – presque une vie – et n'ont pas de papiers. Nous évoquions la permanent résidence, comme s'il était évident que les gens effectuaient cette demande de résidence permanente. Mais beaucoup ne l'ont pas faite, car la législation européenne ne nous l'imposait pas. Mais, maintenant, ces personnes ne peuvent prétendre ni à la résidence permanente ni au settled status et seront très probablement expulsées. Ainsi, cela fait trente-deux ans que j'habite en Grande-Bretagne et je n'ai aucune chance d'y rester sous settled status…

Ceux qui sont nés en Grande-Bretagne n'ont même jamais vécu en France. Ils ont très souvent la double nationalité et une connaissance de la culture française par leurs parents, mais on va les arracher à un système où ils ont leurs repères – des amis, une école – pour les transférer dans un pays et un système qui leur sont inconnus…

Il conviendrait d'organiser une table ronde spécifique pour traiter de tous ces problèmes, car ils vont devenir extrêmement urgents : beaucoup de Français sont déjà partis, d'autres pensent à partir et une majorité se retrouve sans parachute… Que va faire la France ?

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Nous discuterons encore longtemps de ces sujets si nous organisons une table ronde… Il faudrait plutôt envisager un secrétariat d'État ou une mission spéciale à l'accueil des rapatriés d'Angleterre. La France a malheureusement déjà une expérience en la matière : dans les années soixante, plus d'un million de personnes sont arrivées d'Algérie. Reste à savoir quel est le volume estimé de ces retours, compte tenu de ce que vous venez de nous dire : s'agit-il de quelques centaines ou de quelques milliers de personnes, ou plutôt des 300 000 Français du Royaume-Uni ?

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Anne-Laure Donskoy, co-présidente et co-fondatrice de l'association the3million

C'est difficile à évaluer, les actualités liées au Brexit étant fluctuantes, l'évaluation de leur situation personnelle par ces ressortissants l'est tout autant… Malgré tout, les statistiques officielles du gouvernement britannique font état d'un important accroissement du nombre de citoyens européens qui ont déjà quitté la Grande-Bretagne. Ainsi, depuis le référendum, cela concerne 123 000 citoyens européens. Bien sûr, certaines personnes – sous contrat – seraient parties de toute façon, mais l'évolution reste nette par rapport aux dix années précédentes.

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Pour répondre à votre question, le rapport du mois de décembre était certainement incomplet, mais c'était la seule façon d'avancer. Si nous avions attendu que tous les problèmes soient résolus – à commencer par celui de l'Irlande –, nous y serions encore !

Le maintien des droits n'est pas viable sans réciprocité : l'Europe peut accorder des droits aux citoyens britanniques mais, juridiquement, cela ne peut être que réciproque. Plus fondamentalement, négocie-t-on au niveau bilatéral ou européen ? Peut-on déclencher des négociations bilatérales sur ces questions avant la sortie ou pas ? C'est actuellement impossible. La négociation devra initialement être européenne.

Dans ce cadre et en pratique, comment pouvons-nous vous aider ? Indépendamment du sous-secrétariat d'état aux rapatriés dont nous venons de parler, il est difficile d'imaginer qu'on puisse accorder des droits politiques à des citoyens britanniques, alors qu'on ne les accorde pas à d'autres… En la matière, je crains qu'il n'y ait pas de solutions en dehors de la naturalisation.

De la même façon, les problématiques liées au logement ou à la vie quotidienne sont celles que rencontrent les Français. Ce n'est pas parce que vous êtes français de Grande-Bretagne que l'on va vous demander moins de justificatifs pour accéder à un logement qu'un Français vivant déjà en France.

Vous devez aussi avoir conscience que nous ne sommes pas à l'origine de ce divorce. Certes, il est scandaleux que les Britanniques non-résidents n'aient pas pu voter. En tout état de cause, ce divorce coûtera cher des deux côtés ; mais j'ai peur qu'il coûte bien plus cher aux Britanniques qu'aux Européens…

Comment pouvons-nous vous aider à lancer des alertes sur un certain nombre de points raisonnables ?

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Christopher Chantrey, membre de l'association British in Europe

Les Britanniques résidant en France souhaiteraient que le ministère de l'Intérieur soit plus clair sur les questions dont j'ai parlé tout à l'heure. Nous l'avons d'ailleurs évoqué dans une lettre adressée au ministre.

Madame Fontana, vous avez évoqué les ressortissants britanniques déjà en possession de la carte de séjour. Mais beaucoup ne l'ont pas. Je recommande à nos membres de demander la carte de résident permanent. Ainsi, le jour venu, avec cette carte, si un système d'échange est mis en place, l'échange sera facile – cela existe déjà pour les permis de conduire. Je ne vous demande pas une réponse instantanée, mais peut-on disposer d'une information officielle, émanant du ministère ? Quelle serait votre recommandation concernant les cartes de séjour pour les résidents britanniques en France ?

Serait-il également possible, en parallèle, d'envoyer des instructions aux préfectures afin qu'elles comprennent mieux ces procédures spécifiques : après le référendum, des ressortissants britanniques n'ont parfois pas pu obtenir de cartes de séjour, car des préfectures mal informées estimaient que le Royaume-Uni n'était plus membre de l'Union européenne…

S'agissant des naturalisations, les demandes augmentent – il fallait s'y attendre. Des ressources supplémentaires peuvent-elles être déployées ? J'ai bien conscience que le Brexit implique pour les autres États membres des dépenses qu'ils n'auraient pas eu à effectuer sans cet événement. Mais je ne suis pas le représentant officiel de mon pays, je représente les citoyens britanniques établis en France.

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Agnès Fontana, directrice de l'accueil, de l'accompagnement des étrangers et de la nationalité

L'esprit du rapport commun, mais aussi celui de la France, est simplement de constater qu'une personne avait acquis des droits avant le retrait et qu'elle pourra les conserver. Il s'agira donc d'un simple échange entre la carte de résident permanent de l'Union européenne et le titre qui prendra sa suite.

Vous avez raison, on ne peut que recommander aux personnes qui ne se sont pas encore procuré ce titre de résident permanent Union européenne d'essayer de l'obtenir car cela facilitera l'échange. Pour les autres, rien n'est perdu. Nous n'exigerons pas qu'ils disposent formellement du titre de résident permanent Union européenne , mais simplement qu'ils en remplissent les conditions.

Ainsi, même après le retrait, une personne ayant effectivement résidé en France pendant cinq ans pourra toujours le prouver et obtenir le même titre que son voisin qui disposait d'une carte de résident permanent Union européenne . Ce sera simplement moins facile puisqu'on va inévitablement lui demander plus de documents et qu'il nous faudra reprendre l'instruction du titre depuis le début. Pour autant, celui qui remplissait les conditions pour obtenir ce titre de résident permanent pourra continuer à bénéficier des mêmes droits.

Allons-nous engager des moyens supplémentaires pour faire face à la vague de demandes de naturalisation émanant des citoyens britanniques ? Vous le savez, ce n'est pas dans l'air du temps en France, bien au contraire… Nous ne recruterons donc probablement pas de personnels supplémentaires pour les plateformes de naturalisation.

Malgré tout, ces plateformes ont engagé un important chantier d'amélioration de leur efficience, de leur organisation et de l'accessibilité de la procédure : dans un avenir proche, il sera plus facile de les contacter et de prendre un rendez-vous. Ainsi, tout le monde – et pas seulement les Britanniques – pourra disposer d'une réponse dans un délai plus satisfaisant. Le droit de la nationalité ne va pas changer profondément dans les prochaines années, mais nous nous sommes engagés dans cet important chantier d'amélioration des structures, des processus et de l'organisation, afin que la procédure soit plus fluide pour tout le monde, et par voie de conséquence pour les demandeurs britanniques.

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Vous avez dit qu'il ne fallait qu'aucun individu ne souffre des conséquences du Brexit : vous avez absolument raison. En vous entendant les uns, les unes et les autres, je pense que le Parlement a l'obligation d'approfondir ces questions liées au retour de nos concitoyens, mais surtout de travailler à l'aide à apporter à nos concitoyens, quels que soient les négociations, la période de transition et le partenariat futur. Nous devons faire pression sur le Gouvernement afin qu'il améliore la présence et la mobilisation administratives, et forme l'administration aux difficultés de nos concitoyens ou d'autres types de demandeurs, car tout le monde va se poser de grandes questions – les petites et moyennes entreprises par exemple. Au-delà de la gestion des questions institutionnelles, l'administration française doit se mobiliser, prendre en compte l'ensemble de ces problématiques et les résoudre. Si elle n'est ni mobilisée ni formée, un parcours du combattant ou de la combattante attend les demandeurs : ce n'est pas admissible.

Notre Parlement doit rapidement travailler en ce sens, afin que le Gouvernement français et son administration soient au rendez-vous. Une cellule interministérielle proactive, efficace et pertinente devrait déjà avoir été mise en place, disposant d'un droit de regard sur le fonctionnement des administrations et de la capacité d'émettre des instructions. Des moyens conséquents doivent être dégagés. C'est absolument vital ! Or, cette mobilisation ne me semble pas au rendez-vous pour le moment.

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Certes, mais notre Parlement doit contribuer à la prise de conscience, c'est son rôle. Ce premier point est, me semble-t-il, le plus important car il touche aux droits de nos concitoyens. Effectivement, personne ne doit avoir à souffrir de décisions qui ont été prises par d'autres. Il est toujours compliqué d'assumer les conséquences de choix faits par d'autres…

Concernant la période de transition, vous avez répondu à Jean-Louis Bourlanges que le calendrier jouait contre nous car il fallait aller vite. Je le comprends, mais comme la période de transition – de deux ans normalement – doit permettre de négocier le futur statut, on nous répondra exactement la même chose à ce moment-là. Deux ans pour penser les relations entre la Grande-Bretagne et l'Union européenne, c'est très court…

Par ailleurs, l'accord de retrait est censé comprendre une référence non seulement à la période de transition, mais également à la relation future, qui doit être mentionnée en parallèle de l'accord de retrait et à laquelle on doit travailler le plus rapidement possible.

Quand il y a un divorce, on prévoit toujours l'avenir : qui va s'occuper des enfants, qui va payer quoi et comment on va gérer la relation. Nous divorçons à la demande du peuple britannique : même si cela m'attriste, c'est son choix souverain. Réfléchir ensemble et dès maintenant à notre relation future est une exigence.

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Elsa Bernard, professeure de droit public à l'Université Lille

Madame de Sarnez, il ne s'agit pas de mon avis, mais d'une question juridique : les traités prévoient clairement que l'accord de retrait doit être signé en tenant compte de la relation future. Les négociations commencent en parallèle. Vous avez raison, nous sommes autorisés à négocier sur la relation future. En revanche, l'accord de retrait doit être signé avant le 29 mars 2019. Dans le cas contraire, il n'y aura pas d'accord de retrait du tout. Pour la relation future, en revanche, il n'y a aucune limitation dans le temps.

En ce moment, on parle beaucoup du modèle du traité avec le Canada, le Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA), en oubliant qu'il a fallu des années de négociations pour aboutir ! Il est évident qu'il n'est dans l'intérêt de personne qu'il n'y ait pas d'accord sur la relation future mais, au plan juridique, même si la relation future est négociée en parallèle, l'accord de retrait prévoira la période de transition, mais ne dira rien de la relation future…

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La mention de la relation future ne figurera pas dans l'accord de retrait mais en parallèle.

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Vous serez d'accord pour dire, madame Bernard, que l'article est rédigé de manière incompréhensible. Il suppose que pour négocier un accord de retrait, on ait une idée globale de la relation future, dont il est prévu qu'elle soit négociée postérieurement à l'accord de retrait. C'est un degré de complexité temporelle que même les romans les plus audacieux de Faulkner n'ont pas atteint.

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Jane Golding, présidente de l'association British in Europe

Le point que vous soulignez est très important, madame de Sarnez. La question n'est pas seulement de savoir quand l'accord de retrait sera signé mais comment il sera mis en oeuvre.

En tant que spécialiste du droit européen, je constate qu'il y a des différences dans l'application de ce droit dans chaque pays membre, au niveau local, au niveau régional. Comme on dit en anglais : « Le diable est dans le détail ».

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J'aimerais revenir sur le regroupement familial. Le rapport conjoint des négociateurs de l'Union européenne et du Royaume-Uni énumère les membres de la famille pouvant faire l'objet d'un regroupement familial. Le point 13 spécifie que les États membres et le Royaume-Uni s'engagent à faciliter l'entrée et le séjour des partenaires qui sont dans une relation dite stable. Mais le champ d'application ne couvre que les relations qui existent avant le Brexit ou le jour du Brexit et qui sont stables. Cela ouvre des problèmes d'interprétation sur ce qui permet de déterminer qu'une relation existe et qu'elle est stable. Comment en apporter la preuve ? Par ailleurs, cette disposition exclut du regroupement familial les couples formés après le retrait du Royaume-Uni.

J'aimerais connaître votre position aux uns et aux autres sur ce point . Comment envisagez-vous de négocier pour éviter qu'on en arrive à une situation kafkaïenne ?

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Jane Golding, présidente de l'association British in Europe

Il reste six mois d'ici à la signature de l'accord de retrait et nous voudrions mettre à profit cette période pour que les négociations avancent sur les questions qui restent encore ouvertes comme celles du regroupement familial. Se posera un problème de discrimination à l'égard des générations plus jeunes et pour les personnes divorcées qui se remarieront.

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Député de Savoie, j'aimerais appeler votre attention sur la situation des nombreux citoyens britanniques qui vivent dans ce département. Je confirme que certains d'entre eux ont déposé des demandes de naturalisation, demandes tout à fait légitimes car ils sont parfaitement intégrés et sont parfois même élus municipaux.

Certains d'entre eux sont moniteurs de ski. Pour avoir le droit d'exercer cette profession, il faut passer l'Eurotest aux termes d'un accord liant l'Autriche, la France, l'Allemagne et l'Italie. Le Royaume-Uni n'en fait pas partie. En quoi le Brexit modifiera la possibilité pour un citoyen britannique d'enseigner le ski en France ou dans un autre pays membre de l'Union européenne ?

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Christopher Chantrey, membre de l'association British in Europe

Nous avons été contactés par plusieurs entreprises de tourisme dont certaines de moniteurs de ski. Le problème plus général qui se pose est de savoir comment une personne peut exercer une activité dans plusieurs pays européens : en France ou en Espagne en hiver en tant que moniteur de ski, en Grèce pendant l'été pour d'autres activités, par exemple. Il y va de la survie de ces entreprises.

Je n'avais pas connaissance de l'accord que vous citez. Comme le Royaume-Uni n'en est pas signataire, j'imagine que le problème que vous pointez subsistera.

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La profession de moniteur de ski est réglementée. Pour pouvoir l'exercer, il faut satisfaire à certaines aptitudes et se soumettre à un test, selon les termes de l'accord que j'ai cité. Les citoyens britanniques doivent le passer pour être en mesure de pratiquer leur métier.

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Christopher Chantrey, membre de l'association British in Europe

Derrière votre question, j'imagine qu'il y a l'espoir que la clientèle britannique va continuer à passer ses vacances en Savoie.

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Anne-Laure Donskoy, co-présidente et co-fondatrice de l'association the3million

Il y a aussi un problème dont on ne parle pas du tout : les citoyens européens vivant au Royaume-Uni vont perdre nombre d'avantages liés à la liberté de circulation. À cet égard, il est extrêmement regrettable que le rapport conjoint ne mentionne pas que nos choix de vie reposent d'abord et avant tout sur la législation.

Beaucoup de questions se posent au sujet de la reconnaissance future des qualifications professionnelles et universitaires après le Brexit. Comment les travailleurs européens qui vivent aujourd'hui au Royaume-Uni et qui travaillent aussi en Europe vont-ils pouvoir continuer à gagner leur vie ? Il est possible que le Royaume-Uni rejoigne le Processus de Bologne et mette en place un dispositif de reconnaissance des diplômes comme l'a fait la France mais que va-t-il se passer en attendant ?

Nombre d'avantages liés à la liberté de mouvement dépendent du pays de résidence et non de la nationalité. Après le Brexit, les citoyens européens vivant au Royaume-Uni n'auront plus accès à certaines organisations lorsque celles-ci sont financées par l'Union européenne. Je vous donnerai un exemple concret : je ne pourrai plus travailler dans l'organisation non gouvernementale située à Bruxelles pour laquelle j'étais engagée sous contrat car celle-ci est financée par l'Union européenne et que je réside au Royaume-Uni, qui sera considéré comme un pays tiers. Le président de cette ONG va devoir se démettre de ses fonctions car il est écossais.

Nous demandons que les citoyens européens puissent bénéficier d'un droit de retour à vie au Royaume-Uni, sans perte de droits, s'ils s'absentent pendant plus de cinq ans de leur lieu de résidence habituel.

Beaucoup pensent que parce que nous sommes des Européens vivant en Grande-Bretagne, nous allons continuer à pouvoir vivre comme avant. Ce n'est absolument pas le cas.

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Les droits politiques sont essentiels pour l'intégration d'un individu dans une communauté. Or, avec le Brexit, ces droits seront perdus. Ne versons pas dans l'angélisme. La France a déjà du mal à accorder le droit de vote à des étrangers qui résident sur son sol depuis des années, je ne vois pas comment il pourrait en être autrement.

Nous ne sommes pas animés d'un esprit punitif. C'est au contraire une attitude bienveillante qu'il faut adopter et j'espère qu'elle est partagée par tous ici aujourd'hui. Vice-président du groupe d'amitié France-Royaume-Uni, je trouve triste ce qui est en train de se produire. Cela dit, il faut peut-être faire de ce divorce une chance pour rénover et approfondir la citoyenneté européenne. Nous pourrions réfléchir à un statut européen qui serait maintenu même en cas de retrait d'un pays de l'Union.

Cela renvoie aussi à la double nationalité, qui avait suscité des débats homériques à l'Assemblée nationale lorsqu'il avait été question de la supprimer.

Enfin, à la suite de Marielle de Sarnez et de Jacques Marilossian, j'adhère à l'idée de créer une structure administrative dédiée à la problématique du Brexit, qu'il s'agisse d'un secrétariat d'État ou d'une entité interministérielle.

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Elsa Bernard, professeure de droit public à l'Université Lille

À la citoyenneté européenne s'attachent des droits de libre circulation et de séjour des personnes mais aussi des droits politiques et des droits civils.

Ces droits politiques s'exercent à travers l'élection du Parlement européen – il n'y aura plus de parlementaires britanniques –, l'initiative citoyenne européenne destinée à inciter la Commission européenne à proposer tel ou tel acte de l'Union européenne – les Britanniques ne feront plus partie des instances décisionnelles –, enfin, le droit de vote aux élections locales dans un autre pays membre.

Lorsque ce droit a été intégré au Traité de Maastricht, c'était pour favoriser l'intégration. Le Brexit crée une situation de désintégration. Il n'y a plus de logique à ce qu'il perdure. Cela dit, rien n'empêche les pays membres de prendre chacun l'initiative d'accorder ce droit de vote aux résidents étrangers de longue durée, comme l'Italie l'a fait.

L'article 20 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne évoque tous les droits liés à la citoyenneté européenne : droits politiques, droits civils, droits aux droits en quelque sorte. Cet article 20 ne s'appliquera pas à l'accord de retrait mais l'article 21, relatif à la liberté de circulation et de séjour, si.

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Je parlais bien des droits politiques, donc du droit de vote qui me paraît fondamental pour s'intégrer à une communauté. À partir du moment où il y a divorce, ces droits sont perdus. Libre ensuite à chaque nation d'accorder ou non le droit de vote aux étrangers, comme vous le dites. Cela met notre pays face à ses propres responsabilités et à sa volonté d'intégrer les étrangers qui résident sur son sol.

De nombreuses questions sont posées à la France mais aussi à l'Europe. Pour la première fois, un pays membre se sépare de l'Union européenne. Que fait-on en tant qu'Européens ? Ne doit-on pas aller plus loin dans les statuts attachés à la citoyenneté européenne ? Si nous voulons maintenir un lien avec nos cousins britanniques, ne devrait-on pas s'efforcer d'inventer quelque chose de nouveau en matière de citoyenneté européenne ?

La force de l'Europe est d'être en construction perpétuelle, animée qu'elle est en permanence de flux entrants et de flux sortants. Cette architecture demande à chaque fois d'être repensée et d'explorer des voies nouvelles.

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Fiona Godfrey

Habitant le Luxembourg, j'ai la chance de voir mes droits politiques maintenus car toute personne étrangère a le droit de voter aux élections locales dès lors qu'elle peut justifier de cinq années de résidence. Dans un pays où près de 50 % de la population est née dans un autre État, c'est une manière d'encourager l'intégration.

Comme le soulignait Christopher Chantrey, beaucoup de Britanniques sont très bien intégrés à la vie de la commune où ils résident, surtout dans la France profonde : ils se présentent aux élections locales et sont élus locaux. Il est très important pour nous de pouvoir garder nos droits.

Je suis d'accord, monsieur Bouyx, avec votre idée de créer un nouveau statut de citoyenneté. C'est l'une des revendications de notre association dans les campagnes que nous menons à Bruxelles, à Londres et dans les États membres.

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La problématique de la citoyenneté se pose à différents niveaux : avec le Brexit mais aussi avec les migrants qui arrivent en Europe et qui, pour certains, ont perdu leur nationalité. La notion d'identité est donc au coeur de l'actualité de l'Europe. Elle doit interpeler la totalité des pays européens. C'est une question d'humanité et de bienveillance.

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J'aimerais remercier les différents intervenants, en particulier Mme Bernard qui, avec un exposé extrêmement clair, a tout compliqué dans ma tête…

Le Brexit est la séparation non pas du Royaume-Uni et de la France mais du Royaume-Uni et de l'Union européenne et j'aimerais savoir quelles en sont les conséquences pour les citoyens britanniques dans les autres pays membres. Est-ce aussi compliqué qu'en France ?

Par ailleurs, ne pensez-vous pas que la plupart des cas se régleront d'eux-mêmes progressivement dans les deux ans à venir ? Je conçois que ma question est un peu provocatrice.

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Anne-Laure Donskoy, co-présidente et co-fondatrice de l'association the3million

Je parlerai non pas du sort des citoyens britanniques dans les pays membres mais de celui des citoyens européens au Royaume-Uni. Le gouvernement britannique fait comme si les problèmes des citoyens européens étaient maintenant réglés. Cela apparaît très clairement dans les discussions que nous avons avec le Home Office et le Department for Exiting the European Union (DExEU). Les autorités ont mis au point un processus pour obtenir un settled status qui est un véritable cauchemar. Il marque le passage d'un régime déclaratif à un régime constitutif.

Tout le monde pense que les citoyens européens au Royaume-Uni vont pouvoir garder leurs droits alors que ce n'est absolument pas le cas. Il faut le dire et le répéter.

Le gouvernement aime à parler d'une procédure légère accessible en ligne mais elle n'est aisée que pour les personnes dont les situations sont extrêmement carrées, celles ayant travaillé pendant au moins cinq ans sans interruption. Or, la plupart des situations sont beaucoup plus complexes. Certaines personnes ne savent même pas se servir d'un ordinateur, n'ont pas accès à internet, voire sont illettrées – je pense aux communautés de gens du voyage.

L'aide pratique qu'entendent mettre en place les autorités est tout à fait inadéquate. On parle d'installer des ordinateurs dans les bibliothèques municipales alors qu'elles ferment à tour de bras. Rien n'est prévu pour Londres. Ceux dont le dossier est compliqué ne bénéficieront pas d'aide indépendante car le ministère de l'intérieur entend clairement garder la mainmise sur le processus. Le Gouvernement britannique a aussi la fâcheuse habitude de ne pas communiquer dans un langage clair à la portée du commun des mortels.

Dans un document disponible sur le site de notre association, j'ai recensé les difficultés rencontrées par les citoyens européens. Il faut dire que le Royaume-Uni a le système d'enregistrement des citoyens européens le plus complexe, le plus long et le plus cher qui soit. Le formulaire compte pas moins de quatre-vingt-cinq pages et comporte des exigences invraisemblables. Jusqu'à l'année dernière, il fallait fournir tous ses billets de transport depuis le jour d'arrivée sur le sol britannique en guise de justificatif or, certains ressortissants européens résident au Royaume-Uni depuis plus de cinquante ans.

Les autorités disent qu'elles nous facilitent les choses en recherchant des renseignements complémentaires auprès des administrations des impôts ou de la Sécurité sociale, mais celles-ci détiennent bien souvent des données personnelles erronées. C'est ainsi que l'organisme qui s'occupe de délivrer les permis de conduire a retiré leur permis à près de 8 000 personnes en 2016, sur la base d'informations inexactes transmises par le ministère de l'intérieur. Et cela peut conduire à déclarer illégal le séjour de certaines personnes.

En outre, la procédure comprendra des vérifications d'antécédents criminels qui auront un caractère systématique, ce qui va à l'encontre de la législation européenne.

Le gouvernement anglais, qui commence à s'inquiéter du temps qui file, compte mettre en oeuvre son système d'enregistrement de manière anticipée. Nous y sommes totalement opposés car nous considérons qu'il n'y a aucun sens à introduire une telle procédure avant la ratification de l'accord final de retrait qui interviendra plusieurs mois plus tard.

Si une personne se voit refuser le statut de résident dans la période qui précède le retrait définitif, que se passera-t-il ? Dans le meilleur des cas, ce sera le statu quo puisque la législation européenne s'appliquera encore. Toutefois, une personne ayant déjà essuyé un refus sera moins encline à postuler à nouveau de peur de recevoir une deportation letter qui lui donne un mois pour quitter le territoire sachant que si elle n'obtempère pas, elle s'expose à une arrestation, une détention en centre de rétention et une expulsion, des mois voire des années plus tard.

Depuis le référendum, 6 000 citoyens européens ont été expulsés contre 242 en 2010. Une grande partie de ces personnes sont sans domicile fixe. Le Royaume-Uni a été condamné mais cela n'a pas changé grand-chose : l'appel n'est possible qu'après l'expulsion et il est très difficile de revenir dans le pays pour assister à l'audience.

Autrement dit, il y a un très fort risque pour qu'un grand nombre d'individus et de communautés soient laissés pour compte. Cela tient à deux raisons principales.

La première est juridique et concerne les parents de citoyens britanniques revenant au Royaume-Uni après le Brexit, les personnes absentes du pays de manière temporaire le jour du Brexit, par exemple, les accompagnants de personnes en situation de handicap.

La deuxième tient à la procédure d'obtention du settled status et concerne les personnes âgées, les personnes en situation de handicap ou en longue maladie, les enfants, les enfants sous tutelle de l'État, les victimes de trafic, les sans-abri, certaines communautés ayant de grandes difficultés à prouver qu'elles sont dans une situation de résidence légale.

On a trop tendance à prendre pour argent comptant les déclarations selon lesquelles il suffit de faire une demande de résidence permanente. Il faut avoir à l'esprit que c'est un processus très difficile qui laisse de côté de nombreuses personnes, qui auront encore moins de chances d'obtenir le settled status, donc de pouvoir rester au Royaume-Uni après le Brexit.

Le ministère de l'intérieur n'inspire aucune confiance. Il n'est absolument pas certain que la procédure sera équitable, non-discriminatoire, facile et transparente, bref, de nature à assurer une protection réelle de nos droits.

Notre association, the3million, a fait une proposition alternative au settled status, qui montre qu'il est possible de travailler de façon plus juste. Elle repose sur une procédure déclarative, qui est plus simple et plus flexible pour mener à bien l'enregistrement des quelque 3 millions de citoyens européens vivant au Royaume-Uni. Nous souhaitons respecter l'esprit et la lettre de la législation européenne, donc des directives de négociation, afin de conserver tous nos droits.

Cette décision d'adopter un settled status est aussi une décision politique. Elle permet d'opérer un partage entre Britanniques et étrangers, formule toxique revenant à désigner l'étranger comme étant l'autre.

C'est une tendance que nous vivons dans notre vie quotidienne de plus en plus difficilement. Nous voyons ainsi apparaître un nombre croissant d'offres d'emploi dont le libellé – illégal bien sûr – indique qu'elles sont réservées aux Britanniques. Nous avons constitué un dossier que nous avons transmis au ministère de l'intérieur mais celui-ci fait la sourde oreille.

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Ce sont effectivement des éléments inquiétants qui touchent à l'État de droit. Les Britanniques ont affirmé qu'ils allaient créer une autorité indépendante de contrôle, assurée, du côté européen, par la Commission européenne. Quelles sont vos attentes vis-à-vis de cette autorité ?

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Anne-Laure Donskoy, co-présidente et co-fondatrice de l'association the3million

La solution retenue par le gouvernement britannique est effectivement d'instituer un médiateur mais il n'aura pas de pouvoirs réels car les médiateurs au Royaume-Uni n'ont bien souvent d'indépendance que théorique.

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Jane Golding, présidente de l'association British in Europe

Je voudrais revenir sur la question du statut des citoyens britanniques dans les pays de l'Union. Deux types de problèmes se poseront au niveau national. Il y aura, d'une part, la question du régime des citoyens britanniques qui est en train d'être négociée et qui sera traitée dans l'accord de retrait. Il est possible que l'application de ce régime au plan national diffère d'un État membre à l'autre. Il y aura, d'autre part, des problématiques spécifiques à chaque pays. Par exemple, tous les pays européens ont un système d'enregistrement. Il va donc être difficile à la population de faire la preuve de sa résidence pendant un certain temps. En Allemagne, où je vis, les personnes qui souhaitent acquérir la double nationalité ne peuvent le faire que si leur autre nationalité est celle d'un État membre. Après le Brexit, les Britanniques ne pourront donc plus acquérir la double nationalité en Allemagne, ni d'ailleurs aux Pays-Bas, dans les pays baltes et en Autriche.

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Vous avez parlé de personnes en difficulté : combien sont concernées ?

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Anne-Laure Donskoy, co-présidente et co-fondatrice de l'association the3million

Les citoyens européens en situation de handicap, par exemple, représentent à peu près 10 % de la population en situation de handicap au Royaume-Uni, soit à peu près 100 000 personnes. Il y a aussi des enfants sous tutelle de l'État.

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Peut-on vraiment raisonner en pourcentage de la population totale du Royaume-Uni ? Parmi les ressortissants européens qui sont au Royaume-Uni, il y a par exemple une forte proportion d'étudiants.

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Anne-Laure Donskoy, co-présidente et co-fondatrice de l'association the3million

Les chiffres sont assez constants. Appartenant aussi à des réseaux d'organismes à but non lucratif qui s'occupent des migrants, nous estimons à environ un demi-million le nombre de personnes qui risquent de ne pas pouvoir rester au Royaume-Uni. C'est beaucoup. La procédure permettant d'obtenir un titre de résident permanent est extrêmement difficile et comporte des aspects illégaux, tels que l'exigence pour les mères au foyer et les étudiants de souscrire une assurance santé privée. Une procédure en violation du droit européen est d'ailleurs en cours auprès de la Commission européenne : elle est sans résultat mais le fait même que le Royaume-Uni ait renoncé à cette exigence est bien le signe qu'il en reconnaît l'illégalité. Sauf que pour le moment, il s'assied sur les règles applicables en matière d'obtention du titre de résident permanent si bien que beaucoup de gens se voient refuser ce statut.

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Le chiffre de 500 000 est vraiment impressionnant. Nous devons assurer dans les semaines et les mois qui viennent un suivi de cette situation. Si des personnes déjà en difficulté se retrouvent à en cumuler d'autres, nous avons la responsabilité de prendre en compte le problème dès maintenant. Nous pourrions notamment lancer une mission d'information pour approfondir la question et voir quelles solutions la France peut proposer, soit dans le cadre des négociations si c'est encore possible, soit en prenant des mesures d'accompagnement substantielles.

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Anne-Laure Donskoy, co-présidente et co-fondatrice de l'association the3million

Les négociateurs sont parfaitement au courant du problème. Nous avons vu MM. Barnier et Verhofstadt deux fois et présenté nos dossiers au Parlement européen. Nous rédigeons très régulièrement des articles qui sont diffusés et publiés sur notre site internet et sur celui de British Future. Nous discutons avec les équipes de M. Barnier et essayons de faire la même chose de l'autre côté mais c'est plus difficile. On nous dit souvent que nous n'avons qu'à acquérir la nationalité britannique mais c'est extrêmement difficile et cela coûte très cher : 1 600 livres au total – contre 55 euros en France – car aux 1 200 livres s'ajoutent les frais liés au test de vie au Royaume-Uni et au test de langue. Il existe des publications à mon nom puisque j'ai écrit en anglais des chapitres entiers de livres mais cela n'est absolument pas pris en compte par les autorités qui m'obligent à passer ce test de langue pour pouvoir m'extorquer 150 livres. Beaucoup de gens ont besoin d'un avocat spécialisé pour pouvoir monter leur dossier, ce qui coûte à peu près 1 200 livres hors taxe en dehors de Londres et entre 2 000 et 7 000 livres à Londres. C'est un nouveau marché extrêmement lucratif. Les personnes qui ont besoin d'aide peuvent se retrouver à la merci de certains avocats et finir par se retrouver sans aide aucune. Un organisme comme the3million n'est pas en mesure – et n'a pas le droit – de donner des conseils juridiques. Nous ne pouvons qu'orienter les gens. C'est pourquoi nous nous concentrons sur les questions de fond. Nous y travaillons près de vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Nous y avons laissé beaucoup de plumes sur le plan professionnel car nous n'avons plus le temps de travailler, ce qui nous met d'ailleurs en porte-à-faux avec la législation européenne mais nous ne lâcherons pas le morceau tant que la situation ne sera pas réglée. C'est urgent : il faut qu'elle le soit avant octobre. Il faut beaucoup de volonté politique pour y arriver car c'est de la vie de milliers de personnes qu'il s'agit.

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Je rejoins ma collègue Marielle de Sarnez : nous pourrions effectivement proposer de suivre le droit des citoyens européens et britanniques de plus près. Je vous remercie d'avoir appelé notre attention sur le fait que le sort de milliers de vies humaines dépend de ces décisions politiques. Je remercie tous les intervenants à cette table ronde.

La séance est levée à 16 h 45.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Jean-Louis Bourlanges, M. Bertrand Bouyx, M. Alain David, M. Éric Girardin, Mme Olivia Gregoire, M. Alexandre Holroyd, Mme Marietta Karamanli, Mme Marie Lebec, Mme Constance Le Grip, M. Jacques Marilossian, M. Xavier Paluszkiewicz, M. Jean-Pierre Pont, M. Vincent Rolland, Mme Marielle de Sarnez, Mme Liliana Tanguy, Mme Sabine Thillaye

Excusés. - M. Alexis Corbière, Mme Christelle Dubos, M. Pierre-Henri Dumont, M. François de Rugy