Intervention de Anne-Laure Donskoy

Réunion du jeudi 15 février 2018 à 14h35
Mission d'information sur le suivi des négociations liées au brexit et l'avenir des relations de l'union européenne et de la france avec le royaume-uni

Anne-Laure Donskoy, co-présidente et co-fondatrice de l'association the3million :

Votre question tombe à point nommé : je suis chercheuse de formation et j'ai fait un petit sondage auprès des adhérents de notre association il y a quelques mois, en les interrogeant sur les principaux problèmes qu'ils rencontraient dans cette situation exceptionnelle. J'ai également diffusé ce sondage sur quelques pages spécialisées de Facebook.

Un constat s'impose : les Français se sentent pris comme des lapins dans les phares des voitures… Leurs soucis sont d'ordre pratique, juridique et culturel. Ils ont très souvent un sentiment d'abandon par la France et l'impression d'un dialogue de sourds avec l'administration.

Beaucoup pensent qu'ils n'ont pas le choix car ils ne pourront pas continuer à résider en Grande-Bretagne. Ils rentrent donc à contrecoeur en France. Les principales difficultés sont liées à l'accès au logement – pratiquement impossible à résoudre dans les circonstances du Brexit. Pour accéder à un logement, il faut fournir des documents : avis d'imposition – français uniquement –, compte bancaire français, revenus supérieurs ou égaux à trois fois et demie le loyer. Or ces personnes n'ont souvent pas encore de travail – ou n'arrivent pas à en trouver. Le cercle vicieux s'enclenche alors : sans contrat de travail, ils n'ont aucune chance de trouver un logement et inversement. Dans ce contexte, il faut absolument assouplir les lois qui surprotègent les locataires et rendent les propriétaires intransigeants sur certains dossiers.

Les retraites publiques et privées soulèvent également des difficultés : comment faire valoir ses droits ? Les retraites seront-elles indexées comme en Grande-Bretagne ? De même, le transfert de certaines allocations sociales n'existe pas entre la Grande-Bretagne et la France. C'est le cas des allocations à destination des personnes handicapées : du jour au lendemain, beaucoup de parents d'enfants handicapés et personnes en situation de handicap vont ainsi se retrouver sans revenu, sans logement et sans travail en France. Le délai de carence – de trois mois – ajoute aux difficultés, d'autant plus que les informations officielles diffusées sur les sites indiquent que l'examen des dossiers peut prendre jusqu'à douze mois, voire plus ! Comment ces personnes peuvent-elles vivre dans l'intervalle ?

Le droit des conjoints britanniques – mariés ou non –, la scolarisation des enfants – qui parlent anglais et doivent s'adapter à un système sensiblement différent du système britannique – soulèvent aussi des questions. Des adaptations sont-elles possibles ?

Je ne parle pas de l'emploi, de la reconnaissance des diplômes, de l'ouverture des droits et de l'accès aux prestations sociales ou de la question des mutuelles complémentaires… Ces Français nous disent que la Sécurité sociale ne les reconnaît plus – alors que, normalement, notre numéro de sécurité sociale nous suit.

Les problèmes liés au pacte civil de solidarité (PACS) reviennent régulièrement. Les personnes se retrouvent dans des situations invraisemblables où, pacsées en Grande-Bretagne, elles ne sont pas reconnues comme telles en France : on leur demande de se « dépacser » en Grande-Bretagne et de se remarier en France ! Nous souhaitons que l'État français reconnaisse que le Brexit est une situation exceptionnelle, mettant ses ressortissants dans une situation tout aussi exceptionnelle, et que cela appelle donc des mesures exceptionnelles.

Ces Français suggèrent des améliorations – qui seraient d'ailleurs également bénéfiques pour les citoyens français : une simplification administrative, la formation des personnels des différents guichets administratifs à ces problèmes spécifiques et complexes, la mise à disposition de numéros de téléphone accessibles depuis l'étranger, une aide pragmatique en amont – dans les consulats, les agences consulaires, les ambassades –, en face-à-face et non virtuelle.

Le transport des animaux domestiques (pet transport) est aussi évoqué. J'ai une chatte ; si je dois rentrer en France, que va-t-il se passer pour elle ? En effet, Pet transport est un régime européen qui permet actuellement aux animaux domestiques de disposer d'un « passeport ». Vous le voyez, le Brexit touche absolument tous les domaines de la vie quotidienne !

Les personnes interrogées disent très souvent que la France n'a pas cette culture de la mobilité, pourtant intrinsèquement liée au projet européen. Cela se traduit par une forme de rigidité de l'administration, qui ne comprend pas ce type de parcours. Le Brexit est très mal vécu par la majorité des ressortissants français concernés : ils subissent une grande violence psychologique, qui met en en danger leur vie et celle de leur famille. Ceux qui sont rentrés se sentent souvent traités comme des parias par l'administration, qui les rend coupables d'être partis.

Pour beaucoup, notre départ de France a eu lieu il y a des décennies. Après le référendum, nous avons fait une première réunion à Bristol et, dans l'assistance, certaines personnes étaient en Grande-Bretagne depuis soixante ans – presque une vie – et n'ont pas de papiers. Nous évoquions la permanent résidence, comme s'il était évident que les gens effectuaient cette demande de résidence permanente. Mais beaucoup ne l'ont pas faite, car la législation européenne ne nous l'imposait pas. Mais, maintenant, ces personnes ne peuvent prétendre ni à la résidence permanente ni au settled status et seront très probablement expulsées. Ainsi, cela fait trente-deux ans que j'habite en Grande-Bretagne et je n'ai aucune chance d'y rester sous settled status…

Ceux qui sont nés en Grande-Bretagne n'ont même jamais vécu en France. Ils ont très souvent la double nationalité et une connaissance de la culture française par leurs parents, mais on va les arracher à un système où ils ont leurs repères – des amis, une école – pour les transférer dans un pays et un système qui leur sont inconnus…

Il conviendrait d'organiser une table ronde spécifique pour traiter de tous ces problèmes, car ils vont devenir extrêmement urgents : beaucoup de Français sont déjà partis, d'autres pensent à partir et une majorité se retrouve sans parachute… Que va faire la France ?

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.