Intervention de Anne-Laure Donskoy

Réunion du jeudi 15 février 2018 à 14h35
Mission d'information sur le suivi des négociations liées au brexit et l'avenir des relations de l'union européenne et de la france avec le royaume-uni

Anne-Laure Donskoy, co-présidente et co-fondatrice de l'association the3million :

Je parlerai non pas du sort des citoyens britanniques dans les pays membres mais de celui des citoyens européens au Royaume-Uni. Le gouvernement britannique fait comme si les problèmes des citoyens européens étaient maintenant réglés. Cela apparaît très clairement dans les discussions que nous avons avec le Home Office et le Department for Exiting the European Union (DExEU). Les autorités ont mis au point un processus pour obtenir un settled status qui est un véritable cauchemar. Il marque le passage d'un régime déclaratif à un régime constitutif.

Tout le monde pense que les citoyens européens au Royaume-Uni vont pouvoir garder leurs droits alors que ce n'est absolument pas le cas. Il faut le dire et le répéter.

Le gouvernement aime à parler d'une procédure légère accessible en ligne mais elle n'est aisée que pour les personnes dont les situations sont extrêmement carrées, celles ayant travaillé pendant au moins cinq ans sans interruption. Or, la plupart des situations sont beaucoup plus complexes. Certaines personnes ne savent même pas se servir d'un ordinateur, n'ont pas accès à internet, voire sont illettrées – je pense aux communautés de gens du voyage.

L'aide pratique qu'entendent mettre en place les autorités est tout à fait inadéquate. On parle d'installer des ordinateurs dans les bibliothèques municipales alors qu'elles ferment à tour de bras. Rien n'est prévu pour Londres. Ceux dont le dossier est compliqué ne bénéficieront pas d'aide indépendante car le ministère de l'intérieur entend clairement garder la mainmise sur le processus. Le Gouvernement britannique a aussi la fâcheuse habitude de ne pas communiquer dans un langage clair à la portée du commun des mortels.

Dans un document disponible sur le site de notre association, j'ai recensé les difficultés rencontrées par les citoyens européens. Il faut dire que le Royaume-Uni a le système d'enregistrement des citoyens européens le plus complexe, le plus long et le plus cher qui soit. Le formulaire compte pas moins de quatre-vingt-cinq pages et comporte des exigences invraisemblables. Jusqu'à l'année dernière, il fallait fournir tous ses billets de transport depuis le jour d'arrivée sur le sol britannique en guise de justificatif or, certains ressortissants européens résident au Royaume-Uni depuis plus de cinquante ans.

Les autorités disent qu'elles nous facilitent les choses en recherchant des renseignements complémentaires auprès des administrations des impôts ou de la Sécurité sociale, mais celles-ci détiennent bien souvent des données personnelles erronées. C'est ainsi que l'organisme qui s'occupe de délivrer les permis de conduire a retiré leur permis à près de 8 000 personnes en 2016, sur la base d'informations inexactes transmises par le ministère de l'intérieur. Et cela peut conduire à déclarer illégal le séjour de certaines personnes.

En outre, la procédure comprendra des vérifications d'antécédents criminels qui auront un caractère systématique, ce qui va à l'encontre de la législation européenne.

Le gouvernement anglais, qui commence à s'inquiéter du temps qui file, compte mettre en oeuvre son système d'enregistrement de manière anticipée. Nous y sommes totalement opposés car nous considérons qu'il n'y a aucun sens à introduire une telle procédure avant la ratification de l'accord final de retrait qui interviendra plusieurs mois plus tard.

Si une personne se voit refuser le statut de résident dans la période qui précède le retrait définitif, que se passera-t-il ? Dans le meilleur des cas, ce sera le statu quo puisque la législation européenne s'appliquera encore. Toutefois, une personne ayant déjà essuyé un refus sera moins encline à postuler à nouveau de peur de recevoir une deportation letter qui lui donne un mois pour quitter le territoire sachant que si elle n'obtempère pas, elle s'expose à une arrestation, une détention en centre de rétention et une expulsion, des mois voire des années plus tard.

Depuis le référendum, 6 000 citoyens européens ont été expulsés contre 242 en 2010. Une grande partie de ces personnes sont sans domicile fixe. Le Royaume-Uni a été condamné mais cela n'a pas changé grand-chose : l'appel n'est possible qu'après l'expulsion et il est très difficile de revenir dans le pays pour assister à l'audience.

Autrement dit, il y a un très fort risque pour qu'un grand nombre d'individus et de communautés soient laissés pour compte. Cela tient à deux raisons principales.

La première est juridique et concerne les parents de citoyens britanniques revenant au Royaume-Uni après le Brexit, les personnes absentes du pays de manière temporaire le jour du Brexit, par exemple, les accompagnants de personnes en situation de handicap.

La deuxième tient à la procédure d'obtention du settled status et concerne les personnes âgées, les personnes en situation de handicap ou en longue maladie, les enfants, les enfants sous tutelle de l'État, les victimes de trafic, les sans-abri, certaines communautés ayant de grandes difficultés à prouver qu'elles sont dans une situation de résidence légale.

On a trop tendance à prendre pour argent comptant les déclarations selon lesquelles il suffit de faire une demande de résidence permanente. Il faut avoir à l'esprit que c'est un processus très difficile qui laisse de côté de nombreuses personnes, qui auront encore moins de chances d'obtenir le settled status, donc de pouvoir rester au Royaume-Uni après le Brexit.

Le ministère de l'intérieur n'inspire aucune confiance. Il n'est absolument pas certain que la procédure sera équitable, non-discriminatoire, facile et transparente, bref, de nature à assurer une protection réelle de nos droits.

Notre association, the3million, a fait une proposition alternative au settled status, qui montre qu'il est possible de travailler de façon plus juste. Elle repose sur une procédure déclarative, qui est plus simple et plus flexible pour mener à bien l'enregistrement des quelque 3 millions de citoyens européens vivant au Royaume-Uni. Nous souhaitons respecter l'esprit et la lettre de la législation européenne, donc des directives de négociation, afin de conserver tous nos droits.

Cette décision d'adopter un settled status est aussi une décision politique. Elle permet d'opérer un partage entre Britanniques et étrangers, formule toxique revenant à désigner l'étranger comme étant l'autre.

C'est une tendance que nous vivons dans notre vie quotidienne de plus en plus difficilement. Nous voyons ainsi apparaître un nombre croissant d'offres d'emploi dont le libellé – illégal bien sûr – indique qu'elles sont réservées aux Britanniques. Nous avons constitué un dossier que nous avons transmis au ministère de l'intérieur mais celui-ci fait la sourde oreille.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.