J'ai dit tout à l'heure que la France était mauvaise élève à certains égards. Sur ce sujet, non seulement elle n'est pas mauvaise élève, mais elle est victime – pas la seule – de la concurrence fiscale déloyale d'un certain nombre de nos partenaires. Il y a, dans l'Union européenne, des pays qui volent de la matière fiscale à d'autres. Il y a quelques années, lors de la crise financière, l'Irlande avait demandé l'aide de ses partenaires de la zone euro, et le président Sarkozy avait tempêté contre le taux de l'impôt sur les sociétés en Irlande – 12,5 % – qu'il trouvait trop bas. Mais la réalité est qu'Apple, fiscalement basé en Irlande, paie 0,5 % ! Ce n'est même pas du dumping fiscal, c'est du vol. Il a fallu les scandales Offshore Leaks, Luxleaks, Paradise Papers, pour faire prendre conscience à l'ensemble des citoyens de l'Union européenne que le problème de la fiscalité des entreprises n'est pas un problème d'experts, technique et compliqué ; c'est un problème politique fondamental. Les contribuables doivent payer des impôts, mais certains se débrouillent pour ne pas le faire, notamment les plus puissants économiquement. Ce n'est uniquement vrai des GAFA, c'est aussi le cas de nombreuses multinationales, y compris européennes et françaises.
Il faut relever deux bonnes nouvelles sur ce sujet.
Tout d'abord, au sein du Parlement européen, mais également, j'en suis sûr, au sein de l'Assemblée nationale et des États membres, nous obtiendrons un très large consensus politique.
Ensuite, sous la pression de l'opinion publique – ces scandales sont malheureux, mais tirons-en profit –, des progrès ont été engagés, et ils seront irréversibles. Nous avons déjà adopté le texte obligeant les administrations fiscales à s'informer mutuellement du régime fiscal dont elles font bénéficier les multinationales basées chez elles : les rulings, ou rescrits fiscaux. Nous avons transposé les quinze recommandations du Base Erosion and Profit Shifting (BEPS) Action Plan, le plan d'action de l'OCDE concernant l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices. Nous avons obtenu que certains de nos partenaires suppriment les législations ou les pratiques fiscales particulièrement critiquables : je pense, entre autres, au Dutch sandwich ou au double Irish, et nous étions à Dublin il y a quinze jours avec Paul Tang pour le vérifier.
Il faut maintenant se mettre d'accord sur une même définition du bénéfice imposable dans tous les pays de l'Union européenne, et pas seulement dans la zone euro. C'est l'acronyme français ACCIS, ou CCCTB en anglais. Nous y travaillons, la Commission européenne a fait une proposition, les ministres y travaillent également de leur côté. Nous partageons les positions prises par les autorités françaises sur ce sujet. Les grands pays – France, Allemagne, Italie et Espagne – se coordonnent bien, car ce sont les principales victimes.
Il faut saisir l'occasion offerte par cette définition du bénéfice imposable pour traiter une fois pour toutes le problème de l'activité numérique, notamment des plateformes numériques. Prenons un seul exemple : Facebook a 30 millions d'abonnés en France, mais n'y paie pas un euro d'impôt, car le critère, pour être imposé dans un pays donné, est l'existence d'un établissement permanent stable, c'est-à-dire, de façon sous-entendue, physique. Et le tribunal administratif de Paris a annulé le redressement fiscal de 1 milliard d'euros que le Trésor français voulait faire payer à Google, au motif que cette société n'a pas d'établissement permanent stable en France.
Nous proposons d'amender le texte ACCIS en y introduisant la définition de l'établissement permanent numérique, qui serait établi par le fait, pour une entreprise, de collecter et traiter des données personnelles numériques à des fins commerciales dans un pays donné. Si nous retenons cette définition, Facebook, Google et Amazon paieront des impôts en France.
Comme le propose le président Woerth, nous aurions intérêt à consacrer une séance particulière à ce sujet. La France a fait un certain nombre de propositions, avec une approche différente de la fiscalisation du numérique, qui relève plus de l'imposition indirecte que de l'imposition directe. Ce n'est pas forcément une mauvaise mesure, elle pourrait s'appliquer à titre provisoire, mais il ne faut pas perdre de vue que la véritable solution durable devrait passer par l'imposition directe.
Nous aurions intérêt à échanger sur cette question pour bénéficier du point de vue et de la valeur ajoutée que pourrait apporter la commission des finances de l'Assemblée nationale.