Je peux évidemment comprendre l'émotion que peut susciter ce qu'on appelle le verrou de Bercy. C'est en effet une procédure assez singulière, puisqu'il s'agit, aux termes de l'article L. 228 du livre des procédures fiscales, de subordonner la mise en mouvement de l'action publique en matière d'infractions fiscales à une plainte de l'administration, alors que la mise en mouvement de l'action publique « ordinaire » est confiée au procureur de la République.
Certains d'entre vous l'ont dit, c'est un système très ancien. Cela ne justifie pas nécessairement sa pérennisation, mais il faut bien comprendre que ce système existe depuis très longtemps. Déjà, le législateur révolutionnaire avait confié le soin de poursuivre certaines infractions fiscales, notamment en matière de contributions indirectes, à l'administration compétente.
Ce sont des arrêts de la Cour de cassation, c'est-à-dire l'institution judiciaire elle-même, qui, au XIXe siècle, ont interprété de façon exclusive ce pouvoir de l'administration, et ce n'est qu'en 1920 que le législateur a consacré ce qui deviendra le fameux verrou de Bercy, au travers de la mise en place de la commission des infractions fiscales, la CIF. C'est donc un processus très ancien, et c'est le pouvoir judiciaire qui a à un moment donné, par une interprétation qui est depuis constante, figé la manière dont il s'est construit. Je crois qu'il est important de le savoir pour en mesurer la portée.
Le Gouvernement vous invite, mesdames et messieurs les députés, à faire preuve d'une attention soutenue quant à cette disposition, et ce pour quatre raisons.
Il me semble d'abord que la technicité de la matière fiscale et les garanties apportées aux contribuables par la saisine de la commission des infractions fiscales sont des éléments qui justifient le maintien du système actuel d'engagement des poursuites sur la base d'une plainte préalable de l'administration fiscale.
En effet, pour établir la fraude, il me semble qu'il faut d'abord évaluer l'impôt, établir qu'il n'a pas été acquitté et prouver la mauvaise foi du contribuable. Or c'est le métier de l'administration fiscale et je rejoins ce que vous avez dit, monsieur le rapporteur général, à propos de l'ensemble des agents qui remplissent cette mission.
Dans la majorité des cas – c'est un élément extrêmement important à prendre en considération – , des pénalités fiscales extrêmement élevées sanctionnent les manquements des contribuables. Lorsque la fraude est grave et que le profil pénal du dossier est établi, l'administration ne transige pas et elle peut déposer plainte pour fraude fiscale.
La procédure actuelle permet ainsi – c'est aussi important – une vision nationale et homogène des dossiers qui justifient une plainte pour fraude fiscale, sous réserve de l'appréciation de la commission des infractions fiscales. Le filtre de la CIF permet de s'assurer que jamais une plainte n'est déposée pour des raisons autres que la répression de graves agissements en matière de fraude fiscale. La CIF ne doit donc pas nécessairement être analysée, comme j'ai pu l'entendre ici, comme un frein à la lutte contre la fraude fiscale : c'est aussi une garantie de la politique pénale, notamment du fait de la présence en son sein de magistrats – la composition de la CIF a été très récemment modifiée et elle compte désormais des conseillers d'État, des magistrats de l'ordre judiciaire, des membres de la Cour des comptes et des personnalités désignées par le Parlement.
Deuxièmement, il ne faut pas non plus avoir une vision fantasmée de ce verrou de Bercy. La lutte contre la fraude fiscale sous toutes ses formes est une priorité et la mise en oeuvre de cette priorité passe d'abord par l'exercice d'une collaboration très active entre la justice et l'administration fiscale. Cette collaboration est essentielle, et il me semble que la justice et l'administration fiscale ne gagneraient rien à être en concurrence.
D'ailleurs, depuis qu'une circulaire commune du 22 mai 2014 organise d'une façon claire et précise les modalités de transmission et les responsabilités respectives de la justice et de l'administration fiscale, les échanges d'informations sont devenus beaucoup plus fluides, ce qui favorise une sanction exemplaire des fraudes les plus graves.
Je vous invite donc à vous interroger sur le point de savoir si l'action de l'administration fiscale est nécessairement constitutive d'un verrou ou si elle ne doit pas plutôt être analysée comme un filtre technique qui n'entrave pas la poursuite d'une infraction connexe.