Ne m'en veuillez pas si j'oublie de répondre à quelques questions. Si tel est le cas, nous vous transmettrons une réponse par écrit.
Le glyphosate est presque un symbole. Ce que nous réussirons ou pas sur ce produit conditionne la rationalité et la détermination sur d'autres molécules.
On est passé d'une perspective qui ne semblait pas chagriner grand monde – une nouvelle autorisation par l'Europe du glyphosate pour dix ou quinze ans sans autre prescription – à une autorisation pour cinq ans assortie de conditions afin d'essayer de mettre en phase les moyens de recherche et de méthodologie pour confirmer la dangerosité et surtout étudier les alternatives. C'est de l'intelligence et de la stratégie. Si l'on s'en était tenu à la première option, la seule chose que l'on aurait obtenue pendant ces dix ou quinze ans, c'est une liste funeste de victimes.
Nous avons inscrit dans notre Constitution le principe de précaution dont on n'a pas abusé, contrairement à ce que certains prétendent. Auparavant, on en savait moins que maintenant pour réagir face à certains scandales. L'histoire et la justice ne seront pas amnésiques. Il est donc de notre responsabilité d'appliquer un minimum ce principe de précaution.
La position qu'un ministre ou un député doit adopter par rapport au glyphosate n'est pas facile à définir parce que trois agences font trois diagnostics qui ne sont pas tout à fait concordants. Toutefois, le diagnostic du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), agence mondiale qui dépend de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), n'a jamais été pris en défaut. Il a confirmé la dangerosité probable du glyphosate – on est quasiment en haut de la graduation. Autrefois, pour vérifier la toxicité d'une molécule, on regardait ce que l'on appelle l'effet de dose et on voyait à quel moment elle devenait toxique. Aujourd'hui, la démonstration est difficile parce que deux phénomènes complémentaires se croisent, d'une part le phénomène de bioaccumulation qui fait qu'une relation de cause à effet peut s'étaler dans le temps, les méthodologies des agences n'étant pas toujours adaptées à cela, d'autre part le phénomène de l'effet cocktail, c'est-à-dire qu'une substance seule peut ne pas être dangereuse, mais le devenir lorsqu'elle est associée à un adjuvant.
Notre première responsabilité est de ne pas mettre le sujet sous le tapis : pendant longtemps, on a ajourné la question et renouveler l'autorisation pour quinze ans revenait carrément à enterrer le problème. Il ne s'agit pas non plus de céder à des peurs paniques. Je pense que nous allons entrer dans une forme de maturité. Le nouveau directeur général de l'OMS que j'ai rencontré à Genève est tout à fait d'accord avec nous : il faut d'abord fiabiliser l'expertise, ce qui n'est pas facile car, par définition, un expert a d'abord travaillé dans le domaine où il est censé exercer son expertise, ce qui le rend toujours un peu suspect. Il faut donc introduire de la rationalité pour valider les peurs, infirmer celles qui ne le sont pas et pour guider l'action publique. Cela étant, on commence à savoir un certain nombre de choses. Du reste, le vocabulaire et les postures ont changé. On est passé, y compris dans notre pays, de « ne nous enlevez pas le glyphosate, on ne sait pas faire autrement », à « laissez-nous un peu de temps ». Tous les jours, je reçois le témoignage de quelqu'un qui parvient à se passer de glyphosate grâce à la technique du semis direct ou de la culture sans labour. Je n'en fais pas une norme, je dis simplement que l'on entre dans une forme d'intelligence.
La France veut interdire le glyphosate dans trois ans – il faut bien se fixer des objectifs. On a mis en place des méthodes pour évaluer. L'Institut national de la recherche agronomique (INRA) ne découvre pas le problème, des travaux ont été effectués, des méthodes mécaniques et de biocontrôle ont été expérimentées. Nous allons maintenant entrer dans une phase opérationnelle, et c'est très important.
Est-ce que je trouve satisfaisant qu'on nourrisse notre bétail avec des tourteaux de soja en provenance d'Amérique du sud, fabriqués dans des conditions sociales et environnementales lamentables, et au détriment de la forêt amazonienne ? Bien évidemment, la réponse est dans la question : cela ne me va pas vraiment. Les États généraux de l'alimentation, et je parle là sous le contrôle de M. Dominique Potier, ont produit de l'intelligence collective, processus qu'il va falloir prolonger. Il faut qu'on aille plus loin sur le plan « protéines végétales » si l'on veut parvenir à une forme de souveraineté alimentaire en France ; sur le statut du foncier agricole, il faut aussi aller plus loin ; sur la formation des jeunes agriculteurs, et afin qu'ils puissent avoir des alternatives, il en va de même. Hier, j'ai reçu au ministère les représentants d'Interbev, la filière de la viande rouge, et je vais aller les voir au salon de l'agriculture parce qu'ils ont préparé, eux aussi, un plan d'action. Bref, tout le monde se met en marche. (Exclamation et sourires.) J'accompagne ce mouvement d'autant que la seule chose à laquelle je ne me résigne pas c'est l'immobilisme. Toutes ces démarches sont sincères – y compris à la FNSEA, les jeunes agriculteurs ont envie de changer, pour peu qu'on les y aide. C'est cette fameuse convergence que j'essaie de créer.
De surcroît, le contexte est favorable puisqu'il y a une demande des consommateurs. Le marché est là, et il n'est pas couvert. Cela étant, le bio ne doit pas nécessairement être l'alimentation et le mode de production exclusifs, les bonnes pratiques pouvant parfois produire, elles aussi, des effets sur les productions non certifiées « bio ». Cela fait une semaine que, chaque jour, on me parle du sulfate de cuivre utilisé en agriculture biologique. Je ne sais pas ce qui se passe et je ne suis pas capable de vous répondre. Nous allons examiner cela. L'un d'entre vous a demandé si le remède des technologies vertes n'était pas pire que le mal. Rien n'est parfait, il y a toujours un effet pervers, un effet induit. Effectivement, les éoliennes ne tombent pas du ciel, et nombre de technologies utilisent des métaux rares – les Chinois l'ont bien compris puisqu'ils ont fait en sorte d'en avoir la quasi-exclusivité.
Je ne peux pas néanmoins admettre ce qui a été dit sur les énergies fossiles : elles mettent en effet en péril l'humanité car elles sont principalement – pas exclusivement puisque les gaz à effet de serre sont multiples – la cause du changement climatique. Soit on est climato-sceptique, et on ne les met pas en cause, soit on se range derrière l'avis partagé de la science, et on ne peut pas les placer au même niveau de dangerosité – éventuelle – que d'autres technologies. Je vous indique au passage, même sans invoquer le changement climatique, ce que j'ai du mal à faire, que l'utilisation des énergies fossiles coûte chaque année à la collectivité mondiale 5 000 milliards de dollars en termes environnemental et sanitaire. Ce chiffre ne provient pas de mon ministère mais de l'OMS, de la Banque mondiale et des Nations Unies.
On a donc tout intérêt à sortir des énergies fossiles. Cela étant, vous avez raison, il faut examiner les choses au cas par cas car nous buterons, de toute façon, sur la raréfaction des ressources. C'est pour cela que l'économie circulaire devra venir en complément : à un moment ou un autre, il faudra que chaque substance utilisée puisse rentrer dans un cycle.
Je veux rassurer M. Damien Adam : le nombre de bornes électriques augmente. Nous mettons les moyens et conservons les objectifs que nous nous sommes fixés, car ils conditionnent le plan climat. Un décret impose la compatibilité des prises et le projet de loi sur la mobilité devrait prévoir le droit à la prise.
Les négociations liées au Mercosur ne sont pas terminées. Les conditions françaises, que le Président de la République a rappelées récemment, ne sont toujours pas remplies, notamment pour la viande.
Monsieur Martial Saddier m'a interrogé sur les Assises de l'eau, qui constitueront, avec la PPE, les deux grands sujets de l'année. Ces assises porteront sur l'état des réseaux, qui est, je dois dire, assez inquiétant. Des milliers de kilomètres de réseau ont été remplacés par du Polychlorure de vinyle (PVC) première génération, ce qui n'est pas rassurant sur le plan sanitaire. En outre, le réseau est émaillé d'importantes fuites.
Les assises seront aussi l'occasion de s'interroger sur la ressource en eau. Des préfets m'ont alerté : dans plusieurs départements, la courbe démographique, ascendante, croise celle de la ressource en eau, en chute. C'est un sujet qu'il convient de regarder de façon non dogmatique, en associant, à tous les niveaux territoriaux, l'ensemble des acteurs. Les agriculteurs, notamment, réclament à cor et à cri des retenues collinaires, mais cela suppose aussi de s'interroger sur le type de cultures envisageables aujourd'hui, compte tenu de la raréfaction de l'eau et des changements climatiques.
Je finirai en répondant à M. Dominique Potier. J'ai en charge l'économie sociale et solidaire, dont je découvre la diversité et l'importance dans le tissu économique, notamment en termes d'emplois – une donnée que j'avais jusque-là sous-estimée. Lire dans le code civil, en 2018, que l'objet de l'entreprise est le profit ne me satisfait pas, en effet. Il me semble que tout a été dit lorsque, après la première guerre mondiale, on a fondé l'Organisation internationale du travail et défini le rôle de l'économie et celui des entreprises. Sans doute a-t-on perdu de ce sens au fil du temps.
Si l'on veut confirmer la réconciliation des Français avec leurs entreprises, dont ils sont souvent fiers, la consultation publique dans le cadre de la concertation sur la future loi PACTE est une démarche intéressante. Elle est menée par des personnes de divers horizons. Lorsque nous avons lancé cette concertation, avec Mme Muriel Pénicaud et M. Bruno Le Maire, j'ai demandé qu'il n'y ait pas de tabous, que rien ne soit occulté. Il faut aussi écouter les responsables des entreprises pour ne pas, dans une bonne intention, ouvrir la boîte de Pandore.