Chers collègues, je ne sais si les charmes lacustres ou les délices chocolatés m'ont inspiré (Sourires) mais je crois qu'il est des sujets qui nous concernent tous en tant que députés de la Nation tout entière, au-delà des particularités de nos circonscriptions. C'est pourquoi j'ai souhaité me saisir de ce sujet écologique.
Je suis très heureux de vous présenter cette proposition de résolution européenne relative à l'interdiction de la pêche électrique et que la commission des affaires économiques ait accepté de se saisir de ce sujet qui la concerne au premier plan.
Permettez-moi un petit rappel de contexte et quelques explications.
La pêche au moyen du courant électrique consiste à envoyer des décharges dans les fonds marins afin de faire sortir les poissons plats enfouis sous quelques centimètres de sable et, ainsi, de les pêcher plus facilement. Cette technique est déjà interdite par l'Union européenne depuis 1998, au même titre que d'autres techniques jugées destructrices, utilisant, par exemple, le poison ou les explosifs. Elle est interdite, de la même manière, dans la plupart des pays du monde, notamment en Chine, aux États-Unis, ou encore au Brésil.
Pourtant, depuis 2007, l'Union européenne admet une dérogation à cette interdiction : il est en effet possible, en mer du Nord, de pêcher au moyen de chaluts à perche utilisant le courant électrique dit « impulsionnel ». Cette autorisation est, en théorie, accordée à des fins d'expérimentation et dans la limite d'un équipement de 5 % de la flotte de pêche des États concernés. Elle concerne aujourd'hui plus de 100 chalutiers, dont plus de 80 chalutiers néerlandais.
Toutefois, la pêche électrique, telle qu'admise par la dérogation européenne, présente de nombreux risques. Le temps me manque pour les détailler tous mais je vous en décrirai quatre.
En premier lieu, la pêche électrique menace l'écosystème marin, les ressources halieutiques et la biodiversité. En envoyant des impulsions électriques de manière non sélective, elle atteint et altère sans distinction tous les organismes vivants à portée de l'impulsion, dont elle menace la reproduction ou encore la résistance aux maladies. En plus de modifier la chimie de l'eau, elle conduit à une raréfaction significative des ressources halieutiques dans la zone concernée, alors même que la préservation de ces écosystèmes et de la biodiversité marine et océanique est indispensable à la lutte contre le réchauffement climatique, en raison du réservoir de carbone que constitue la faune marine.
En deuxième lieu, la pêche électrique dégrade la qualité du poisson pêché, au point que 250 chefs cuisiniers se sont engagés publiquement à ne pas servir de poisson pêché de cette manière. Ils disent dans leur manifeste que « les poissons sont de si mauvaise qualité qu'on ne peut rien en faire ».
En troisième lieu, la pêche électrique introduit des distorsions de concurrence et menace l'activité économique des pêcheurs français. En effet, alors même que les Pays-Bas ne sont autorisés à équiper que 5 % de leur flotte de filets électriques, le registre des flottes européennes indique que 28 % de la flotte néerlandaise est équipée de tels filets – soit quatre-vingt-quatre bâtiments au lieu des quinze autorisés. Le rapport présenté par la commission des affaires européennes estime que « la pêche électrique menace la viabilité économique des pêcheurs de Manche et de mer du Nord à très court terme » et engendre une mise en péril généralisée de la pêche artisanale.
Enfin, cette technique décrédibilise l'Union européenne sur la scène internationale. Ce type de pêche est en contradiction totale avec les engagements internationaux de l'Europe mais également avec les règlements de l'Union européenne qui l'obligent à la préservation de la ressource halieutique ou à la promotion d'une pêche responsable. Une simple mise en cohérence des textes et des pratiques exige d'interdire strictement le recours à la pêche électrique car le maintien de la dérogation actuelle, dont les limites sont impunément outrepassées, interroge sur la capacité de l'Union tant à adopter des normes en cohérence avec les objectifs qu'elle se fixe qu'à faire respecter les règles qu'elle impose.
De manière générale, alors que la pêche électrique est souvent présentée comme une innovation, elle constitue au contraire une régression et va à l'encontre d'un mouvement mondial de préservation du patrimoine océanique et marin, dont témoignent de nombreuses initiatives. C'est ainsi que des politiques ambitieuses de développement d'aires marines protégées sont mises en place dans de nombreux États côtiers et que le dialogue sous l'égide de l'ONU, dit BBNJ (Biodiversity beyond national jurisdiction), a été entamé. L'Union européenne ne saurait rester en marge de ces démarches.
Le Parlement européen a voté, le 16 janvier 2018, en faveur de l'interdiction de la pêche électrique dans le cadre de l'examen de la proposition de règlement relatif à la conservation des ressources halieutiques et à la protection des écosystèmes marins par des mesures techniques. C'est un acte de courage qu'il faut saluer d'autant plus qu'il vient largement d'une initiative française, comme l'a rappelé le président Roland Lescure. La bataille n'est toutefois pas encore gagnée. En effet, des négociations interinstitutionnelles vont désormais s'engager avec le Conseil et la Commission européenne pour trouver un compromis final. Elles promettent d'être rudes, les élus néerlandais ayant annoncé leur volonté de défendre fermement leur position.
C'est dans ce contexte que s'inscrit cette proposition de résolution européenne : il est aujourd'hui fondamental de rappeler clairement la position de la Représentation nationale dans ce débat, en amont des négociations à venir.
C'est l'objet de ce texte qui me paraît relativement équilibré. La résolution exprime au Gouvernement le soutien de l'Assemblée nationale en faveur de l'interdiction totale de la pêche électrique et demande aux autorités françaises de s'opposer à toute prorogation de la dérogation actuellement consentie en mer du Nord. Elle incite le Gouvernement à aller au-delà du statu quo qui consisterait à accepter le maintien de la dérogation actuelle sans modification dans l'attente de connaissances plus précises – qui restent hypothétiques – sur les effets réels de la technique. Seule une interdiction totale et générale peut en effet prévenir les risques de dérives difficilement contrôlables, dont les effets environnementaux et sociaux seraient potentiellement irréversibles.
La résolution rappelle que l'innocuité de cette technique sur les écosystèmes et l'environnement n'a pas été démontrée, plus encore qu'elle est contestée par la communauté scientifique. La résolution salue enfin le vote du Parlement européen.
J'ai déposé trois amendements visant, d'une part, à préciser la rédaction du dispositif et, d'autre part, à rappeler explicitement le principe, posé par l'Union européenne, de l'interdiction générale de la pêche électrique sous toutes ses formes. Il s'agit de signifier clairement que la technique de la pêche à l'aide de chaluts à perche associée à l'utilisation de courant électrique n'est actuellement autorisée qu'à titre dérogatoire et à des fins d'expérimentation et qu'il est possible – et nécessaire – de revenir sur cette dérogation.
Je conclurai en rappelant que la France, qui possède le deuxième domaine maritime mondial, a le devoir d'être exemplaire en matière de pratiques de pêche et de jouer un rôle moteur dans l'établissement d'une réglementation européenne ambitieuse pour notre environnement. Elle doit assumer le rôle de leadership que sa situation géographique lui confère. L'océan est certes une source de revenus économiques – et la viabilité de l'activité de nos pêcheurs et artisans pêcheurs est une préoccupation importante – mais c'est aussi un écosystème à protéger : la ressource halieutique doit être gérée de manière intelligente, notamment pour permettre aux générations futures de continuer à en bénéficier.
J'ajouterai, enfin, que la pêche est un sujet qui dépasse les clivages politiques. J'en ai fait l'expérience une première fois, en cosignant une tribune avec 249 collègues de tous partis politiques, fortement relayée dans les médias. Je l'ai constaté une seconde fois en voyant cette proposition de résolution être adoptée à l'unanimité le 5 février dernier par la commission des affaires européennes. Je souhaite ardemment qu'une telle unanimité se retrouve aujourd'hui au sein de la commission des affaires économiques puis dans l'hémicycle afin de donner à ce texte autant de poids politique que possible.