Intervention de Pierre Dharréville

Réunion du mercredi 21 février 2018 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Dharréville, rapporteur :

La proposition de loi pour une reconnaissance sociale des aidants que je vous présente aujourd'hui s'inscrit dans la continuité des travaux que j'ai menés en décembre et en janvier dernier avec certains d'entre vous, dans le cadre de la mission flash sur les aidants familiaux, dont j'étais le rapporteur et qui m'a convaincu de l'urgence de passer aux actes.

J'ai eu l'occasion de présenter, le 23 janvier dernier, une communication devant la commission des affaires sociales, sur laquelle je ne vais pas revenir dans le détail. Vous le savez, il existe en France au bas mot huit millions de proches aidants, qui apportent une aide régulière, dans un cadre non professionnel, à une personne en situation de handicap ou à une personne âgée en perte d'autonomie. Ces femmes et ces hommes fournissent un travail gratuit et informel considérable en l'absence d'une réponse publique qui n'est pas à la hauteur : c'est parce que la prise en charge par la nation des personnes en situation de handicap ou de perte d'autonomie est insuffisante que l'aide aux aidants est aujourd'hui nécessaire.

Les personnes aidantes endossent des rôles qui vont bien au-delà de la relation naturelle avec un proche. Parfois, sans s'en rendre compte, elles accomplissent tour à tour les tâches d'un aide-soignant, d'un auxiliaire de vie, d'un aide à domicile, d'un coordinateur de soins. Leur dévouement n'est pas sans conséquences sur leur santé, mais également sur leur vie familiale, leur vie amicale, et leur vie professionnelle.

Il y aurait beaucoup à faire pour aider les aidants, mais j'ai choisi d'insister plus particulièrement, dans cette proposition de loi, sur la difficile conciliation entre vie professionnelle, vie d'aidant et vie personnelle.

En effet, près d'un tiers des personnes aidantes en emploi ont dû aménager leur vie professionnelle. Si elles n'abandonnent pas leur travail, elles doivent bien souvent renoncer aux évolutions de carrière auxquelles elles pouvaient prétendre. Le rôle d'aidant représente ainsi un véritable coût pour les personnes qui l'exercent, victimes d'une forme d'inégalité que nous ne pouvons accepter.

Certes, la loi du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement a consacré la définition des proches aidants et a transformé le congé de soutien familial en congé de proche aidant, mais cela ne donne lieu qu'à des droits trop symboliques. La proposition de loi que je vous présente aujourd'hui ambitionne donc de jeter les bases d'un statut pour les proches aidants, à travers différentes mesures visant à leur accorder des droits effectifs et une reconnaissance sociale.

Elle reprend certaines des propositions que je vous avais présentées le 23 janvier dernier lors de ma communication et qui m'avaient semblé faire l'objet d'un certain consensus. Si ces propositions peuvent apparaître trop limitées au regard des enjeux, elles constitueraient néanmoins une amélioration sensible pour beaucoup de personnes aidantes comme aidées.

La première mesure consiste à indemniser le congé de proche aidant. Tout le monde en convient, l'absence d'indemnisation, qui entraîne une perte de revenu non seulement pendant le congé lui-même mais également au-delà, en raison de ses répercussions ultérieures sur la vie professionnelle, est un obstacle souvent rédhibitoire à sa mobilisation. Indemniser ce congé, comme le propose l'article 1er de la proposition de loi, permettrait donc d'atténuer cet effet et d'offrir une juste reconnaissance du travail d'aidant, effectué gratuitement.

Le coût de ce dispositif, constitue souvent l'unique argument pour repousser l'idée d'une indemnisation du congé de proche aidant. Une évaluation de l'impact financier de l'article 1er a été demandée à la Direction de la sécurité sociale. Dans l'attente de cette évaluation précise, j'ai repris les hypothèses du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge, qui estime à trente mille le nombre de bénéficiaires potentiels du congé de proche aidant indemnisé. En prenant des hypothèses réalistes et une indemnisation au niveau de l'allocation journalière de présence parentale (AJPP), j'arrive à un coût d'environ 250 millions d'euros par an.

À titre de comparaison, et pour remettre les choses en perspective, le coût pour les finances publiques serait treize fois inférieur à celui de la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), qui coûtera, selon le Gouvernement, 3,2 milliards d'euros par an. Surtout, ce coût paraît en réalité faible au regard de l'assistance que le proche apporte à la personne aidée et du service qu'il rend à la société : il est même moins élevé que celui d'une prise en charge de la personne aidée en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), sans compter le coût financier induit pour l'assurance maladie lorsque l'aidant met sa santé en jeu. Je m'insurge donc contre cet argument du coût pour une mesure, qui est une revendication forte des associations d'aidants et qui, en réalité, se solderait par un gain pour la société.

J'en viens à la deuxième avancée que comporte la proposition de loi.

Aujourd'hui, le congé de proche aidant peut être pris pour une durée de trois mois renouvelable, dans la limite d'un an sur l'ensemble de la carrière du salarié.

Cette durée est insuffisante, les aidants s'occupant de leur proche pendant une durée en moyenne bien supérieure. Ainsi certains salariés peuvent être amenés à aider plusieurs de leurs proches sur l'ensemble de leur carrière professionnelle. Une mesure de bon sens consisterait donc à fixer la durée maximale du congé de proche aidant à un an par personne aidée a minima.

Par ailleurs, les modalités de recours au congé de proche aidant manquent de souplesse, dans la mesure où un accord de l'employeur est nécessaire pour pouvoir transformer ce congé en période d'activité à temps partiel ou pour y recourir de façon fractionnée. Ce fractionnement résoudrait pourtant de nombreuses difficultés que rencontrent les proches aidants dans leur vie quotidienne, en leur permettant notamment de mieux adapter leur emploi du temps aux besoins de la personne aidée sans renoncer à leur activité et sans s'enfermer dans leur statut d'aidant. C'est chez eux une aspiration forte. J'ajoute qu'assister ponctuellement une personne avant qu'elle ait besoin d'une aide à temps plein est aussi une bonne façon de renforcer son autonomie.

C'est pourquoi, afin de favoriser ces deux modalités de recours au congé de proche aidant, l'article 3 de la proposition de loi vise à mettre fin à la nécessité, pour le salarié, d'obtenir un accord de l'employeur pour utiliser son congé à temps partiel ou pour le fractionner, tout en maintenant le délai légal d'information devant permettre à l'entreprise de s'organiser. Puisque la société compte sur cet engagement, il faut établir un droit pour la personne aidante.

Enfin, les travaux que j'ai menés dans le cadre de la mission flash m'ont permis de mettre en évidence des différences de droits entre les proches aidant une personne en situation de handicap d'une part, et les proches aidant une personne âgée dépendante d'autre part. Si les situations diffèrent, certains dispositifs gagneraient néanmoins à être étendus à tous. Ainsi, les aidants de personnes handicapées bénéficient d'une majoration de leur durée d'assurance vieillesse, à hauteur d'un trimestre par période de prise en charge de trente mois, dans la limite de huit trimestres, alors que les proches aidant une personne âgée dépendante ne bénéficient pas d'une telle majoration. L'article 4 de la proposition de loi prévoit donc de leur ouvrir ce droit.

C'est une mesure de justice indispensable, en particulier pour les femmes, dont on sait que les retraites sont amoindries par des carrières fractionnées. C'est par ailleurs une mesure consensuelle, qui s'inscrit dans la lignée de la proposition de loi de notre collègue Paul Christophe, déposée le 27 septembre 2017, et signée conjointement par des membres de la quasi-totalité des groupes parlementaires. Je ne doute donc pas que cette mesure fera aujourd'hui l'objet du même consensus.

Vous le voyez, ne figurent dans cette proposition de loi qu'une partie des nombreuses propositions que j'avais présentées il y a quelques semaines, lors de ma communication sur la mission flash. Dans un souci d'efficacité et afin que mes travaux puissent se traduire par des avancées concrètes pour les personnes aidantes, j'ai choisi ces quelques mesures simples, demandées avec force par les personnes que j'ai auditionnées. Aussi limitées soient-elles, elles ont une réelle portée et permettent d'envoyer aux personnes aidantes le signal que notre reconnaissance sociale leur est acquise.

C'est le rôle du Parlement que d'écrire la loi. Nous sommes face à une situation critique, qui appelle une action rapide. Nous pouvons agir. C'est ce que je vous propose aujourd'hui : sans attendre, faisons-le ensemble.

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