Je vous remercie, madame la présidente, de nous accueillir dans votre commission.
Mes chers collègues, 216 ans : voilà le nombre d'années qui nous sépare de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, attendue à l'horizon 2234. Plus grave encore, selon les mêmes données du Forum économique mondial, la France occupe une consternante 129ème place mondiale sur 144 pays en matière d'égalité salariale.
Pourtant, l'objectif de réduction des inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes a été solennellement réaffirmé à maintes reprises depuis des décennies : pas moins de huit lois s'attaquant à ces inégalités se sont succédé en trente ans, depuis la loi Roudy de 1983.
Pourquoi alors la France, pays des droits de l'Homme, n'est-elle pas encore devenue le pays de l'égalité entre les femmes et les hommes ? Pourquoi les grandes réformes et déclarations au fil des législatures n'ont-elles pas remédié efficacement à ces inégalités devenues insupportables ? Ces questions pourraient décourager. Mais, comme elle n'est en rien une fatalité, cette situation vient au contraire renforcer notre détermination sans faille à corriger les inégalités qui marquent encore la moitié de l'humanité.
La proposition de loi que je présente aujourd'hui, au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, part d'un principe simple : les mots seront toujours trop faibles pour parler de l'inégalité entre les femmes et les hommes. Il faut donc agir concrètement en partant des situations de droit et de fait qui génèrent aujourd'hui le plus de précarité.
L'inégalité professionnelle est aujourd'hui protéiforme. Nous ne pouvons qu'être frappés de constater qu'une grande partie des inégalités professionnelles se forme avant même l'entrée sur le marché du travail, et lors des premiers mois d'activité. Ainsi, les femmes s'orientent encore majoritairement vers des filières moins rémunératrices malgré leurs meilleurs résultats scolaires. Mais même à filière égale, les femmes obtiennent des premières rémunérations inférieures dans le cadre de contrats instables et d'un accès réduit aux postes à responsabilités. Ces écarts ne cessent ensuite de se creuser tout au long de la carrière.
Le temps partiel en particulier reste l'un des principaux vecteurs de ces inégalités et génère une précarité intolérable chez les salariés qui n'ont pas d'autre choix que d'accepter ce type de contrat, souvent précaire. Le présent texte choisit donc délibérément de ne pas multiplier les points d'entrée : il apporte une réponse concrète à la question du temps de travail, devenue le point d'achoppement de l'égalité professionnelle. Aujourd'hui, le temps partiel concerne à 82 % des femmes. Loin de peser uniquement sur le salaire et le déroulement des carrières, il a des répercussions directes sur l'ensemble des droits sociaux et sur les conditions de travail des salariés. En matière de formation professionnelle par exemple, un contrat à temps partiel restreint l'accès à la formation, ne serait-ce que par l'abondement au prorata du compte personnel de formation, et lorsqu'une formation est suivie par une femme, il s'agit bien plus souvent d'adaptation au poste que d'acquisition de nouvelles qualifications.
En matière de retraite également, tout le monde le sait, la moindre cotisation des salariés à temps partiel pèse directement sur l'acquisition des droits sans que notre système de droits familiaux et conjugaux ne vienne compenser effectivement ces écarts. De nombreuses études ont par ailleurs démontré que les salariés à temps partiel ont des conditions de travail très dégradées, en raison des horaires atypiques et irréguliers qui leur sont imposés et qui vont souvent de pair avec une cadence de travail supérieure à celle demandée aux salariés à temps plein. Ce recours au temps partiel est d'autant plus préoccupant pour les femmes qu'il est croissant et subi. Croissant, car la part des femmes travaillant à temps partiel a doublé depuis les années 80 ; subi, car une proportion considérable de femmes déclarent occuper leur emploi à temps partiel faute d'avoir trouvé un emploi à temps plein, alors même qu'elles sont disponibles pour travailler à temps plein.
Les dernières réformes n'ont par la suite fait qu'aggraver cette situation qui reste le facteur d'une précarité sociale et financière pour les salariés concernés. Le contournement systématique des garanties apportées au temps partiel se constate à la fois par le droit et par les faits.
S'agissant du droit, le plancher de vingt-quatre heures dont nous allons sans doute beaucoup parler tout à l'heure, durée minimale de temps partiel hebdomadaire fixée en 2013 par les partenaires sociaux, a pris l'eau. La nouvelle hiérarchie des normes a consacré le renvoi de ce plancher à l'ordre supplétif, en faisant ainsi un principe par défaut. La possibilité pour l'accord d'entreprise de déroger à l'accord de branche en matière de garanties applicables au temps partiel se traduira par des protections encore plus inégales et aléatoires.
Plus grave encore, des évolutions législatives récentes sont venues banaliser des pratiques jusqu'alors assimilées par la Cour de cassation à de la fraude. Tel est le cas des compléments d'heures possibles dans le cadre d'un avenant individuel au contrat de travail. Jugée frauduleuse par le juge, cette pratique a été légalisée par la suite, bien qu'elle constitue un contournement clair de la durée inscrite dans le contrat.
S'agissant des faits ensuite, le bilan de la négociation collective dressé chaque année par le ministère du travail fait état d'un contournement systématique du socle minimal de vingt-quatre heures, seule une branche ayant choisi de ne pas l'abaisser. Chaque année, les publications de la Direction générale du travail montrent ainsi le nombre croissant de branches dérogeant au socle des vingt-quatre heures dans des proportions insoutenables. Exemple paradigmatique, la branche des acteurs du lien social et familial permet la conclusion de contrats à temps partiel pour une durée d'une heure hebdomadaire seulement. Par ailleurs, six branches autorisent aujourd'hui des contrats d'une durée minimale de deux heures.
Les garanties que le législateur avait souhaité apporter au temps partiel semblent donc largement dévoyées, au point que le recours à ces contrats constitue aujourd'hui dans de nombreux cas ce que l'on appelle une discrimination indirecte. Les auditions que j'ai menées dans le cadre de la présente proposition de loi ont permis de faire émerger ce concept qui se définit comme la mise en oeuvre d'une norme ou d'une pratique qui peut apparaître neutre pour l'entreprise mais qui aura en réalité un impact discriminatoire.
Nous constatons aujourd'hui que le code du travail produit de la discrimination indirecte à l'encontre des salariés à temps partiel en général, et des femmes en particulier. Cela place la France dans une situation clairement contraire au droit de l'Union européenne. Je présenterai donc un amendement visant à inscrire dans le code du travail ce principe d'illégalité des discriminations indirectes qui trouvera particulièrement à s'appliquer dans le cadre du temps partiel.
Le dévoiement du temps partiel laisse émerger un second constat tout aussi dramatique : l'autorégulation du recours au temps partiel par les partenaires sociaux s'est faite au détriment des femmes. Qu'il s'agisse de la fixation d'un socle minimal ou de la majoration des compléments d'heures, la négociation de branche n'a pas offert aux salariés les plus précaires des garanties pourtant largement reconnues comme indispensables.
Comprenons-nous bien : l'enjeu n'est pas de revenir ici sur la confiance faite à la négociation collective, qui reste bien sûr fondamentale pour prendre en compte les réalités économiques et sociales d'un secteur. Il s'agit uniquement de restaurer des filets de sécurité lorsque les protections apportées aux salariés à temps partiel s'effondrent. Seules des garanties effectives permettront d'apporter une réponse adaptée à la précarité des petits temps partiels encore largement subis.
Pour y répondre, quatre propositions concrètes sont formulées dans cette proposition de loi. Il s'agit de quitter les déclarations de principe ou les batteries de mesures législatives et réglementaires qui ne s'appliquent pas. Dans l'attente d'un plan d'action, annoncé par le Gouvernement, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir, il faut marquer dès aujourd'hui notre engagement le plus complet à lutter contre la précarité professionnelle des femmes.
Quatre leviers sont actionnés dans le cadre des contrats à temps partiel.
Le premier volet de la proposition vise non pas à pénaliser mais à dissuader les entreprises de recourir de manière structurelle au travail à temps partiel, comme c'est devenu le cas dans certains secteurs d'activité, par exemple dans les entreprises de propreté et la grande distribution. C'est ainsi que l'article 1er propose de diminuer de 20 % le montant de la réduction de cotisations sur les bas salaires prévue par le code de la sécurité sociale.
Le deuxième volet de la proposition vise à refaire du socle minimal de vingt-quatre heures hebdomadaires le principe du temps partiel, sans revenir sur la possibilité accordée à la négociation de branche d'y déroger. L'article 2 prévoit ainsi la majoration des heures effectuées lorsque la durée de travail à temps partiel est inférieure au plancher de vingt-quatre heures.
Le troisième volet de la proposition s'attaque aux discriminations indirectes que constituent la faible majoration des heures complémentaires et l'absence de majoration systématique des compléments d'heures prévus par avenant.
L'article 3 propose de revaloriser de 10 à 25 % le taux de majoration minimum de chaque heure complémentaire effectuée par un salarié à temps partiel dès la première heure, tout en rendant obligatoire le principe d'une majoration des heures effectuées par un salarié à temps partiel dans le cadre d'un avenant à son contrat de travail.
Le quatrième et dernier volet de la proposition tire directement les conséquences de la précarité particulièrement forte subie par les salariés exerçant leur temps partiel dans le cadre d'un contrat à durée déterminée. Pour ce faire, l'article 4 prévoit de doubler le montant de la prime de précarité versée aux salariés à l'issue de son contrat à durée déterminée (CDD) lorsque ce dernier est à temps partiel.
En conclusion, mes chers collègues, je vous invite à soutenir la lutte contre la précarité professionnelle des femmes en votant ce texte. Je renouvellerai évidemment cette invitation à agir concrètement contre les inégalités entre les femmes et les hommes à l'occasion de l'examen de ce texte le 8 mars, journée internationale des femmes. Vous le savez, nous croisons tous les jours dans les couloirs de l'Assemblée des personnes qui travaillent dix-neuf heures, quinze heures. Ce sont des personnes, pas des ombres. Voilà pourquoi nous devons légiférer, nous devons nous occuper de ce bataillon de femmes qui occupent 82 % des emplois à temps partiel.