Intervention de Yves Marignac

Réunion du jeudi 15 février 2018 à 9h00
Commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires

Yves Marignac, directeur de WISE-Paris :

Votre première question est très vaste car le sujet est diffus et passe par le dialogue entre l'exploitant et l'ASN, avec l'IRSN dans un rôle d'évaluateur. Ce fonctionnement reste en pratique celui qui a été mis en place dès le début du nucléaire, dans le contexte d'un intérêt commun des acteurs à travailler dans la même direction. On n'a pas pris la mesure, dans les années 2000, de la portée profonde des évolutions. L'entrée de l'actionnariat privé dans EDF a sorti cette société de son rôle de bras armé de la politique du nucléaire national, en y faisant entrer des intérêts privés de court terme qui ne sont pas forcément compatibles avec la priorité donnée en permanence à la sûreté. En même temps, on a fait de l'ASN une autorité indépendante, disjointe des services du Gouvernement. L'intérêt industriel et l'intérêt de la sûreté étant liés dans le système, on mesure, dans le contexte de crise où se trouve l'industrie aujourd'hui, la différenciation.

En pratique, quand l'ASN émet des préconisations aux exploitants, quand un dossier est instruit et passe devant les groupes permanents, la discussion technique se solde par des engagements pris par l'exploitant. Seuls les points les plus durs ou ceux sur lesquels le désaccord est le plus grand font l'objet de prescriptions rendues publiques. Tous ces engagements ne sont pas tracés publiquement et ce que l'on observe, c'est que, de plus en plus, les engagements ne sont pas tenus dans les délais et pas avec la qualité attendue, parfois de bonne foi mais parfois aussi en jouant de ce système.

L'ASN est relativement démunie vis-à-vis de cela. Il faut sans doute lui donner plus de moyens, mais j'évoquais aussi dans ma conclusion le problème de la zone grise, c'est-à-dire d'une réglementation insuffisamment précise sur laquelle l'ASN s'appuie pour prendre des décisions. Je prends pour exemple le remplacement des évaporateurs de produits de fission à La Hague. Leur corrosion implique de les remplacer à court terme. Areva, aujourd'hui Orano, a proposé un programme d'investissement pour les remplacer. Chacun de ces évaporateurs, s'il n'était pas dans La Hague, serait une installation nucléaire de base (INB) à lui tout seul, et il y en a six. L'ASN a jugé que ce n'était pas une modification suffisamment importante pour nécessiter une enquête publique. Je conteste sur le fond cette décision mais il n'y a pas vraiment de texte qui dise ce qu'est une modification suffisamment importante pour pouvoir débattre. L'ASN prend des décisions dans cette zone grise ; cela arrange en partie le système mais je pense que cela affaiblit énormément l'ASN et, à travers elle, l'ensemble du système.

Au-delà des dispositions de sécurité visant à détecter et intercepter des actes de malveillance, donc de la sécurité classique, rendre les systèmes passifs de sûreté, le génie civil, les systèmes de secours, plus robustes à des actes de malveillance n'est pas vraiment pris en charge institutionnellement, ni par l'ASN, qui n'en a pas la compétence, ni par les autorités compétentes. Je ne sais pas si l'ASN devrait avoir seule la compétence mais en tout cas la question ne peut être traitée sans qu'elle ait un mot à dire sur la question.

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