Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, en l'occurrence que l'ASN n'est pas objective. Je ne sais d'ailleurs guère ce que signifie la notion d'objectivité dans ce domaine, puisque les experts de l'ASN, comme d'autres, donnent des avis et l'ASN prend des positions. De façon générale, je préfère la notion de réfutabilité à celle d'objectivité. La zone grise, par exemple, présente un défaut de réfutabilité par rapport à un référentiel. Sur certains sujets, l'ASN produit un avis en toute honnêteté, certes, mais en s'appuyant sur un référentiel qui n'est pas assez établi pour que l'avis en question soit opposable. Or, il est indispensable que les décisions d'une autorité indépendante soient réellement opposables.
D'autre part, l'ASN n'est pas infaillible – personne ne l'est. De ce fait, l'existence d'une force de rappel dans les cas où l'ASN faillit est importante. Encore une fois, l'environnement réglementaire dans lequel l'Autorité évolue, les pratiques auxquelles elle est confrontée et la modestie de ses moyens, qui l'oblige à ne travailler que par échantillonnage et par sondage sans pouvoir tout contrôler tout le temps, constituent une source de vulnérabilité du système – même si certaines décisions sont soumises au redémarrage. J'ai évoqué le casse-siphon de la centrale de Cattenom : EDF a fait état du problème en janvier 2012, juste après – et non pendant – les évaluations complémentaires de sûreté. Autrement dit, le problème existait depuis l'origine : le casse-siphon aurait dû être installé mais personne n'a détecté qu'il ne l'était pas, y compris au cours des inspections, et même les évaluations complémentaires de sûreté, qui auraient dû permettre d'examiner précisément ce point, n'ont pas permis de l'observer. Ce n'est donc pas parce que l'ASN a des moyens et peut par exemple intervenir au Tricastin qu'elle dispose de tous les moyens. Tricastin est d'ailleurs une bonne illustration de cette dérive, puisque la question de la tenue insuffisante des digues aux séismes était connue depuis 2007 et qu'EDF a déployé des stratégies dilatoires jusqu'à ce que l'ASN, sur la base d'études enfin concluantes, prenne une décision ferme en 2017.
S'agissant de la robustesse insuffisante des piscines, là encore, je n'ai pas prédit un dénoyage ; je prétends simplement que le risque de dénoyage existe et que lors de leur conception, l'attention ayant principalement porté sur le risque d'emballement et de réaction en chaîne dans le réacteur et non sur le risque lié à la chaleur résiduelle dans les piscines, celles-ci n'ont pas été conçues avec la même robustesse que les réacteurs en termes de génie civil, de systèmes de secours et de redondance des tuyauteries. Elles s'en trouveraient intrinsèquement moins robustes dans un scénario grave, qu'il s'agisse d'un accident ou, a fortiori, d'un acte de malveillance qui chercherait à profiter de ces vulnérabilités, qui pourrait aujourd'hui conduire à un dénoyage de l'une de nos piscines.
S'agissant du Creusot, enfin, je n'ai pas sous-entendu que des pièces pouvaient ne pas avoir été vérifiées ; je l'ai affirmé. Une première vérification a porté sur les dossiers dits barrés, c'est-à-dire des dossiers dont la version remise différait de celle qui a été retrouvée dans les archives. D'autre part, une investigation est en cours sur l'ensemble des dossiers ; elle fait ressortir des centaines d'irrégularités – en moyenne plus d'une par dossier de fabrication. Voilà pour ce que l'on trouve ; quid de ce qui a pu être caché et d'autres dossiers barrés qui auraient pu disparaître définitivement ? Viendra un moment où l'on ne s'assurera que les pièces en service sont conformes aux dossiers dont on dispose qu'en allant faire des vérifications sur place.