Intervention de Pascal Dupeyrat

Réunion du mercredi 14 février 2018 à 16h25
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Pascal Dupeyrat, représentant d'intérêts au cabinet RELIANS consulting :

Le dispositif américain, à dessein, ne définit pas la sécurité nationale, qui est la raison de la dérogation. Mais je remarque que le FINSA, le Foreing Investment and National Security Act – de 2007 avait complété la notion de sécurité nationale par celle de critical infrastructures, qu'on pourrait traduire par « infrastructures d'importance vitale », et de key ressources - ressources stratégiques ». De la même manière, le FIRRMA, qui va être déposé demain au Congrès, toujours en texte bipartisan, précisera certaines de ces notions. Il ira même plus loin en précisant dans la loi les notions de « technologie sensible » et de « technologie critique » - sur lesquelles on disposait déjà de quelques informations.

Néanmoins, dans la régulation qu'il installe, le CFIUS doit se conformer aux lignes de conduite fixées par le Congrès en matière d'instructions. Mais il est intéressant de noter que le processus qu'il doit respecter se combine avec la propre doctrine du Président des États-Unis. N'oublions pas que le CFIUS est délégataire du droit du Président des États-Unis à surveiller la sécurité nationale : ce n'est pas le CFIUS qui fait appel au Président, c'est le Président qui lui délègue sa compétence. Cela a été fait, entre autres, pour protéger l'investissement étranger. Mais c'est fondamentalement un processus de sécurité nationale.

Actuellement, le président Trump se focalise tout particulièrement sur les semi-conducteurs et c'est pour des raisons qui y sont liées que des décisions sont, soit dissuadées, soit bloquées. C'est cela, la doctrine de sécurité nationale : un peu comme si le Premier ministre ou le Président de la République établissait un enjeu de sécurité nationale et que dès lors, l'administration, dans ses rapports avec les investisseurs étrangers, appliquait cette doctrine dans le cadre de son instruction. D'où la rencontre de deux facteurs : un processus juridique très encadré, précis, dans son instruction – pas dans sa prédictibilité – et la doctrine de sécurité nationale.

Dans un livre intitulé Mondialisation et patriotisme économique, j'évoque cette notion de « technologies de souveraineté ». En effet, la notion de secteur stratégique est tellement vaste qu'on y englobe beaucoup trop de choses. D'ailleurs, les politiques confondent souvent secteur stratégique et emploi. Et on oublie parfois, au nom d'intérêts de court terme pour l'emploi, qu'on risque de brader des technologies effectivement stratégiques.

Pourquoi des technologies « de souveraineté » ? Parce que l'on doit protéger ce qui permet à une nation de se maintenir dans la compétition avec les autres États, notamment de défendre sa souveraineté. Je crois qu'en droit, il y a trois critères pour définir la souveraineté : l'intégrité du territoire, la forme du Gouvernement, et un troisième que je n'ai plus en tête. L'idée est que, rattaché à une technologie, cela fait sens.

Le patron de la DGE vous a parlé de « logique de filières ». Je vous donne un exemple : Colbert avait décidé d'installer des manufactures de cordages en Charente parce qu'à l'époque, si la France voulait être une puissance navale, il lui fallait être indépendante pour la réalisation des cordages : on pourrait très bien dire qu'à cette époque, les cordages étaient une technologie de souveraineté. Aujourd'hui, on est tout à fait capable d'identifier les filières et des technologies qui doivent absolument être préservées. Je pense même que le ministère de l'économie l'a déjà fait – il existe en effet une liste des 85 technologies clés.

Un autre exemple : le rachat de Gemplus – notre carte à puces – par TPG en 2002 est à l'origine du décret Villepin, qui a été pris en 2005. On aurait pu penser que l'État s'étant mobilisé pour défendre notre industrie de la carte à puce, celle-ci serait protégée dans les années à venir. Or, nous avons perdu deux des plus grands noms de la carte à puce – l'un en 2011, l'autre en 2015. On nous a expliqué qu'on allait créer un géant français, mais techniquement, nous avons assisté au passage sous contrôle étranger d'un fleuron industriel dont tout le monde sait qu'il est stratégique car les questions de cryptologie, de reconnaissance faciale, d'identification électronique sont bien évidemment au coeur des enjeux de sécurité nationale. On peut donc s'interroger sur un État qui prend conscience d'un problème survenu en 2002, mais qui ne réagit pas lorsqu'il est confronté au même problème dans les dix ans qui suivent.

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