Intervention de Mathias Audit

Réunion du mercredi 14 février 2018 à 16h25
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Mathias Audit, professeur à l'École de droit de la Sorbonne (Université de Paris 1) :

Je commencerai par le dernier point qui a été évoqué, l'engagement à créer des emplois. Je n'ai jamais vu d'autorisation – peu de gens ont eu cette chance – mais il semblerait que celle-ci puisse être assortie d'engagements. Je ne sais pas s'il y a eu des engagements en matière d'emplois, mais ce qui me paraît hautement probable, c'est que le mécanisme de sanctions qui figure dans le dispositif actuel vise l'hypothèse où l'on aurait dû solliciter une autorisation et où on ne l'a pas fait. Je ne suis pas certain qu'il puisse s'appliquer au non-respect de l'autorisation, s'agissant notamment d'engagements. Mais peut-être pourrait-on prévoir un mécanisme de sanctions lorsqu'un engagement, en matière d'emplois ou autre, n'a pas été respecté ? C'est de la compétence du législateur.

Maintenant, monsieur le rapporteur, faut-il une législation large ou spécifique ? C'est un éternel débat en matière de logistique. Je peux vous donner l'exemple du règlement européen relatif aux biens à double usage, qui doit faire 400 ou 500 pages, et qui est extrêmement précis sur les technologies. La difficulté, c'est que dans ces matières, l'évolution technologique est constante, ce qui oblige à revoir et à adapter ce règlement en permanence.

Dans des matières très technologiques où l'évolution est constante, il me semble difficile d'adopter un dispositif extrêmement précis parce qu'il peut devenir assez vite obsolète. Cela nécessite un travail de mise à jour permanent, dont peut-être le législateur ou le pouvoir réglementaire n'a pas nécessairement les moyens. J'observe d'ailleurs que le pouvoir réglementaire intervient généralement a posteriori, en réaction. J'en veux pour preuve le décret Alstom, et même le décret Montebourg. Sans doute y aurait-il matière à évolution, afin que l'anticipation des évolutions futures soit mieux prise en considération.

Je pense donc que des définitions larges, avec un pouvoir d'appréciation d'une autorité, serait un meilleur système, dans la mesure où il n'implique pas une mise à jour permanente des textes.

Pour ce qui est de la législation européenne ou française, je dois avouer que le transfert de compétences des investissements directs étrangers aux institutions européennes est un peu mystérieux, notamment quant au partage des compétences entre les États membres et l'Union européenne.

S'agissant des investissements intra-européens, ce sont tout de même les institutions européennes qui ont la main – sauf peut-être sur des secteurs stratégiques de sécurité nationale. En revanche, s'agissant des investissements avec les États tiers, c'est une compétence partagée, ce qui me semble tout à fait légitime.

J'observe toutefois que sur la question des investissements européens, même le dispositif du décret doit être utilisé avec circonspection car il pourrait assez rapidement provoquer les foudres de Bruxelles. Je crois savoir qu'il y a avec l'Autriche, notamment sur une décision en matière d'investissements étrangers, un contentieux dans une affaire « Église de scientologie », qui a donné lieu à un arrêt de la Cour de Justice. Il est donc éventuellement possible, pour la Commission, de contester des décisions qui auraient été prises, notamment pour des investissements intra-européens.

Ensuite, il m'est difficile de répondre sur la participation minoritaire parce que ce n'est pas vraiment une question juridique. La participation minoritaire ne permet pas d'avoir un impact sur les décisions d'une entreprise c'est toutefois un bon moyen, pour l'État, de s'informer de ce qui se passe dans un secteur stratégique. Peut-être faudrait-il prévoir – institutionnellement, je ne sais pas comment cela se passe – des mécanismes de transmission d'informations entre l'Agence de participation de l'État et d'autres institutions de l'exécutif.

Enfin, je me permets d'aborder un point que vous n'avez pas évoqué. Le décret prévoit un certain nombre d'hypothèses où l'autorisation est déclenchée : acquisition, prise de contrôle etc. mais celle de l'échange d'actions. C'est assez technique, mais il est tout à fait possible de procéder à un échange d'actions entre deux sociétés, par exemple une société française qui détient une technologie et une société américaine. Or cet échange d'actions transfèrera le centre de gravité du groupe vers la société étrangère en dehors de l'Union européenne. Une telle hypothèse devrait pourtant être prise en considération par le décret, parce qu'elle est susceptible d'avoir un impact sur le dispositif de contrôle des investissements étrangers.

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