Chers collègues, nous recevons, aujourd'hui, Monsieur Charles Duchaine qui a été juge d'instruction à Marseille jusqu'en 2014, après avoir exercé en Corse et à Monaco. Monsieur Duchaine, vous avez consacré une grande partie votre carrière à lutter contre la criminalité organisée. Vous êtes un habitué des dossiers sensibles. Vous avez été à la tête de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) de septembre 2014 au 17 mars 2017, date à laquelle vous êtes devenu directeur de l'Agence française anticorruption (AFA).
L'Agence a été créée par la loi du 9 décembre 2016, dite loi Sapin 2. Rattachée aux ministères des finances et de la justice, elle constitue l'un des volets du triptyque anticorruption, instauré il y a cinq ans avec la création de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) puis celle du Parquet national financier.
La loi confie à l'Agence le contrôle du respect de la mise en oeuvre du programme anticorruption que doivent adopter les sociétés et les établissements publics à caractère industriel et commercial employant au moins 500 salariés et dont le chiffre d'affaires est supérieur à 100 millions d'euros, ainsi que des procédures de prévention et de détection des atteintes à la probité au sein des administrations de l'État et des collectivités territoriales.
Nous vous avons convoqué aujourd'hui pour mieux comprendre votre rôle et le fonctionnement de l'Agence, mais également pour savoir si notre dispositif législatif est suffisant, face au constat d'une surreprésentation des entreprises françaises dans les dossiers relatifs à l'application de lois anticorruption, notamment américaines. J'ai eu l'occasion de lire certains de vos déclarations. Je crois que vous avez une idée assez précise des moyens qui manquent encore à notre législation, et notamment à votre agence, pour que nous soyons réellement à armes égales.
Nous avons évidemment quelques questions à vous poser. La France a procédé à d'importantes réformes d'organisation judiciaire et de procédure pénale pour s'adapter à la nouvelle donne procédurale. La convention judiciaire d'intérêt public (CJIP), créée par la loi Sapin 2, permet ainsi au Procureur de la République de proposer à une personne morale, mise en cause pour certains délits d'atteinte à la probité, de souscrire à des engagements sous la forme d'une convention, avant toute mise en mouvement de l'action publique. C'est le pendant de ce que font les Américains dans le cadre du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA). Cette compétence est entre les mains du Parquet national financier. L'AFA participe-t-elle à la mise en oeuvre de ces dispositions transactionnelles ? Si c'est le cas, de quelle manière intervient-elle ?
La France a très tôt reconnu l'importance d'une protection spécifique des informations économiques stratégiques des entreprises. La loi dite « de blocage » du 28 juillet 1968 interdit, sous peine d'amende, la communication à des autorités étrangères de documents ou de renseignements de nature économique en dehors des cas prévus par les traités internationaux. Personnellement, j'ai un peu de mal à comprendre comment était gérée concrètement cette loi « de blocage » avant la loi Sapin 2.
Depuis l'adoption de ce dernier texte, c'est l'AFA qui en pilote le volet anticorruption. Comment parvenez-vous à filtrer les informations transmises aux autorités étrangères par les moniteurs, notamment lorsqu'il s'agit d'informations sensibles et protégées ? L'Agence gère-t-elle le dossier seule ou demande-t-elle conseil sur la façon dont elle pourrait établir un filtre ou opposer des réserves à l'autorité requérante ?
Ce matin, nous avons reçu des avocats spécialistes de ce domaine et praticiens de la justice américaine. Ils nous ont dit à quel point il était important de ne pas pénaliser les entreprises en faisant un usage excessif de cette loi, en les empêchant d'entrer trop vite et facilement en discussion avec le Department of justice (DOJ). En même temps, nous devons protéger, le cas échéant, des informations sensibles. Comment maniez-vous cet outil ?
Le principal reproche formulé par les juridictions américaines à l'égard de la loi de blocage française est son manque de caractère contraignant. En conséquence, elles n'en reconnaissent pas vraiment la valeur. Quel regard portez-vous sur cette loi ? Pensez-vous que si les condamnations étaient moins rares et plus dissuasives, cette loi pourrait être davantage reconnue par les juridictions américaines ? Avez-vous des propositions à nous faire, sachant que la prochaine loi « PACTE » (Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises) pourrait sans doute être l'occasion de réviser certaines dispositions, y compris législatives, notamment sur le contrôle des investissements étrangers en France (IEF) ? Les dispositions de la loi Sapin 2 pourraient d'ailleurs être révisées à cette occasion. Peut-être plaiderez-vous en ce sens ?
Selon vous, le système de veille et d'intelligence économique de notre pays tient-il suffisamment compte de la mise en vulnérabilité des entreprises françaises du fait des procédures de discovery comme celle que connaît aujourd'hui le groupe Airbus ? Savez-vous s'il existe, au sein de l'appareil d'État, un mécanisme de veille pour toutes les procédures juridictionnelles ouvertes à l'étranger qui concernent des entreprises françaises ? Cette centralisation de l'information – au-delà des procédures anticorruption – est-elle faite quelque part ?
Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander de prêter serment.