Nous avons rencontré les Américains et leur avons fait part de notre intention d'entrer dans ce jeu, et de ne pas regarder passivement, les bras ballants, ce qui se passe. Nous leur avons également fait part de notre intention d'intervenir selon des modalités restant à définir dans la mise en oeuvre des monitorings sur notre territoire. À ce sujet, nous avons eu des échanges beaucoup plus fournis avec la Banque mondiale.
Pour l'instant, ce serait mentir que d'affirmer que nous avons trouvé des accords ; à cette heure aucune position officielle ne nous a été communiquée. Dans très peu de temps, nous recevrons un représentant du DOJ ainsi qu'un représentant du Serious Fraud Office. Naturellement, nous allons poser ces questions.
Notre devoir, en tant qu'Agence française anticorruption – et c'est notre rôle auquel nous ne pouvons que nous conformer –, est de ne donner à personne le sentiment que nous voudrions protéger les fauteurs de corruption. Il est donc très important de ne pas perdre de vue notre mission, et de réaffirmer très solennellement que nous ne sommes pas là pour protéger les corrupteurs ou les corrompus.
Cependant, et je m'appuie sur mon expérience passée, il est impossible de ne pas constater que les dossiers ne sont pas traités de la même façon selon qu'ils sont impécunieux, comme diraient les avocats, ou sont susceptibles de rapporter de l'argent. Nous devons impérativement nous imposer dans le traitement de ces dossiers et, surtout, imposer le respect des règles élémentaires que tous les pays observent.
Ainsi, le principe non bis in idem que vous évoquiez est habituellement appliqué, y compris de manière instinctive par les tribus primitives : on ne punit pas deux fois pour la même chose. Nous considérons donc qu'il n'y a aucune raison de ne pas reconnaître les décisions qui seraient rendues par la France. Cela suppose que de notre côté nous fassions preuve d'une certaine lucidité ; et nous ne pouvons pas considérer que le principe est satisfait si nous condamnons à moitié, si nous ne condamnons pas ou faisons preuve de complaisance, etc.
C'est pourquoi nous disons aux entreprises que nous sommes à leur écoute, que nous tâchons de les aider, de les immuniser contre des poursuites à l'extérieur, en leur forçant quelque peu la main pour qu'elles adoptent des plans de conformité qui leur permettent de développer leurs activités à l'étranger sans prendre le risque de se faire épingler par la justice. Mais nous leur disons aussi que si elles se font attraper, nous ferons preuve de compréhension si des efforts ont été faits – comme le font tous les pays étrangers –, sans pour autant faire preuve de complaisance, car sinon elles s'exposent à être jugées ailleurs pour la même chose.
Lorsque je m'en occupais, j'ai découvert que certains pays étaient beaucoup plus engagés dans la lutte contre la criminalité lorsqu'il y avait des saisies et des confiscations à réaliser que lorsqu'il n'y en avait pas. Pour résumer mon propos de façon quelque peu humoristique, je dirais que la justice française est restée dans la notion de bien et de mal, alors que certaines justices étrangères sont passées à la notion de crédit et de débit.
En un mot, il est des justices qui n'engagent des actions qu'après avoir réalisé une sorte d'étude d'impact estimant le rapport coûtavantage ; ce qui au fond est parfaitement intelligent. Cela ne concerne évidemment pas les atteintes aux personnes, mais dans les affaires purement économiques, le traitement pénal est purement économique : qu'est-ce que cela va coûter, qu'est-ce que cela va rapporter, y aura-t-il un résultat à la fin ? Et, le cas échéant, ce résultat peut-il être partagé avec d'autres ?
C'est aussi simple que cela, en France nous demeurons – ce dont je me réjouis, car c'est à l'honneur de notre démocratie – dans la notion de bien et de mal, peut-être pourrions-nous parfois introduire celle de créditdébit : nous serions alors mieux compris et plus crédibles.