Madame la présidente, monsieur le ministre de l'agriculture et de l'alimentation, monsieur le président de la commission des affaires économiques, que je remercie pour sa sollicitude et qui est aujourd'hui représenté par notre collègue Sophie Beaudouin-Hubiere, madame la présidente de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur au nom de la commission des affaires européennes, chers collègues, je veux en préambule remercier le président Ferrand et le président Fesneau, ainsi que la présidente de Sarnez et mes collègues Erwan Balanant, Jean-Pierre Pont, Paul Christophe, Jean-Luc Mélenchon et Mathilde Panot, avec qui nous travaillons sur cette question depuis un certain temps.
La pêche est un sujet qui concerne chacun d'entre nous, depuis toujours, d'où que nous venions. La pêche nous nourrit, et dans cette perspective, elle est indissociable de la notion de développement durable en coexistence avec et au sein de nos écosystèmes. La gestion intelligente des ressources halieutiques participe à la lutte contre le réchauffement climatique, qui ne s'arrête pas aux frontières nationales. La préservation de notre environnement pour les générations à venir consiste aussi à répondre à la question plus large de la conciliation entre économie et écologie, et je sais que nombre d'entre nous travaillent en pleine conscience sur ce sujet.
Ceci explique comment, personnellement, étant député des Français de l'étranger de la région de la Suisse et du Liechtenstein, pays sans façade maritime, c'est au sein même de ma circonscription que j'ai été alerté par nos concitoyens sur l'importance de faire cesser une pratique hors d'âge et dangereuse : celle de la pêche électrique. Cela explique également pourquoi j'ai choisi de m'emparer de ce sujet en rédigeant cette proposition de résolution.
Cette pratique consiste à envoyer des décharges dans les fonds marins, afin de faire sortir les poissons plats enfouis sous quelques centimètres de sable pour les pêcher plus facilement. Particulièrement nocive pour notre environnement, elle perdure pourtant au sein de l'Union européenne, qu'elle décrédibilise sur la scène internationale.
Cette proposition de résolution européenne a donc pour objet d'exprimer tout le soutien de la représentation nationale aux autorités françaises, et en particulier au ministre de l'agriculture, dans les négociations qu'il devra prochainement mener au niveau européen pour défendre l'interdiction intégrale et inconditionnelle de la pêche électrique.
Permettez-moi de rappeler le contexte dans lequel s'inscrit cette résolution.
La pêche électrique, sous toutes ses formes, est interdite par l'Union européenne depuis 1998, au même titre que d'autres techniques jugées destructrices, utilisant par exemple le poison ou les explosifs. Elle l'est, de la même manière, dans la plupart des pays du monde, notamment en Chine, aux États-Unis, ou encore au Brésil.
Pourtant, depuis 2007, l'Union européenne admet une dérogation à cette interdiction : il est en effet possible, en mer du Nord, de pêcher au moyen de chaluts à perche utilisant le courant électrique dit « impulsionnel ». Cette autorisation est, en théorie, accordée à des fins d'expérimentation, et dans la limite d'un équipement de 5 % de la flotte de pêche des États concernés. Elle concerne aujourd'hui plus de 100 chalutiers, dont plus de 80 chalutiers néerlandais. J'entends même aujourd'hui la tentation de nouveaux types de pêche au sein de l'espace européen, notamment pour exploiter certains coquillages, les couteaux, par la même technique, en les ensemençant d'abord puis en les faisant sortir de la vase au moyen du courant électrique.
La pêche électrique, telle qu'admise par la dérogation européenne, présente de nombreux risques, de plusieurs natures.
En premier lieu, la pêche électrique menace l'écosystème marin, la préservation des ressources halieutiques et la biodiversité. En envoyant des impulsions électriques de manière non sélective, elle atteint et altère sans distinction tous les organismes vivants à portée de l'impulsion, dont elle menace la reproduction.
En plus de modifier la chimie de l'eau, elle conduit ainsi à une raréfaction significative des ressources halieutiques dans la zone concernée, au moment même où la préservation de ces écosystèmes et de la biodiversité marine et océanique est indispensable à la lutte pour la préservation de l'environnement et contre le réchauffement climatique, en raison du réservoir de carbone que constituent la faune marine et certains écosystèmes des fonds marins.
En second lieu, la pêche électrique dégrade la qualité du poisson pêché, au point que plus de 250 chefs cuisiniers se sont engagés publiquement à ne pas servir de poisson pêché de cette manière.
Troisièmement, la pêche électrique introduit des distorsions de concurrence et menace l'activité économique des pêcheurs français. Alors même que les Pays-Bas ne sont autorisés à équiper que 5 % de leur flotte de filets électriques, le registre des flottes européennes indique que 28 % de la flotte néerlandaise est équipée de tels dispositifs, soit 84 bâtiments au lieu des 15 autorisés. Le rapport présenté par la commission des affaires européennes estime que « la pêche électrique menace la viabilité économique des pêcheurs de Manche et de mer du Nord à très court terme » et engendre une mise en péril généralisée de la pêche artisanale.
La pêche électrique décrédibilise l'Union européenne sur la scène internationale. En effet, ce type de pêche est en contradiction totale avec les engagements internationaux de l'Europe, mais également avec les règlements de l'Union européenne, qui l'obligent à la préservation de la ressource halieutique ou à la promotion d'une pêche responsable. Une simple mise en cohérence des textes et des pratiques exige d'interdire strictement le recours à cette technique, car le maintien de la dérogation actuelle, dont les limites sont impunément outrepassées, interroge sur la capacité de l'Union tant à adopter des normes en cohérence avec les objectifs qu'elle se fixe qu'à faire respecter les règles qu'elle impose. En outre, quelle autorité aura l'Union européenne demain lorsqu'elle défendra une gestion durable des ressources halieutiques face à des États moins coopérants si elle persiste à être laxiste avec certains de ses États membres ?
En définitive, et contrairement aux arguments avancés par ses défenseurs, rien ne peut justifier la dérogation accordée à la pêche à l'aide de chaluts à perche associée à l'utilisation de courant électrique impulsionnel.
Tout d'abord, cette pratique ne peut pas être justifiée au nom de l'innovation : elle constitue, au contraire, une régression par rapport au mouvement international de protection des océans et de développement d'une pêche responsable et durable. Le simple fait d'utiliser du courant électrique n'en fait pas une technique moderne : l'électricité, telle que nous la connaissons, existe depuis plus de deux siècles !
En second lieu, elle ne peut être justifiée au nom des « bonnes pratiques », le raclement du sol ou les économies de carburant prétendument réalisées étant largement annihilés par les multiples dommages causés sur les écosystèmes marins par l'utilisation du courant électrique.
Enfin, la pratique ne peut pas être davantage justifiée au nom de l'expérimentation : elle est en effet devenue bien plus commerciale qu'expérimentale, comme en témoigne le lobbying intense dont nous avons fait l'objet pour tenter d'entraver notre demande d'interdiction. J'irais plus loin encore : quand on fait une expérimentation scientifique, on éprouve une même méthode avec des techniques standardisées, en contrôlant tous les facteurs pour que ladite expérience soit renouvelable et accumule des données scientifiques selon les mêmes critères. Or, non seulement nous n'avons pas de rapport sur une pratique à visée expérimentale, mais en termes de réglementation, seule la tension efficace, donc moyenne, est régulée à 15 volts, ce qui conduit par l'utilisation d'une forme d'onde par impulsion à des tensions de crête bien plus hautes, jusqu'à 60 volts. L'intensité n'est par ailleurs pas régulée, et la puissance n'est limitée qu'en fonction de la taille de la perche – le coefficient est de 1,25 par rapport à la taille de la perche. Même la comparaison avec le Taser faite par certains collègues est un peu hasardeuse, car celui-ci est moins dangereux : si les tensions peuvent être élevées, l'intensité reste faible, d'où une relative innocuité.
Oui, il est indispensable de revenir sur cette dérogation ! Le Parlement européen a voté le 16 janvier 2018 en faveur de l'interdiction de cette technique dans le cadre de l'examen de la proposition de règlement relatif à la conservation des ressources et à la protection des écosystèmes marins par des mesures techniques. C'est un acte de courage qu'il faut saluer, d'autant plus qu'il est largement issu d'une initiative française et d'une mobilisation de nos opinions publiques, lesquelles se sont émues et ont réagi avec aversion, mais en conscience et responsabilité.
La bataille n'est toutefois pas encore gagnée. Les négociations interinstitutionnelles vont désormais s'engager avec le Conseil européen et la Commission européenne pour trouver un compromis final sur cette proposition de règlement. Elles promettent d'être rudes, les élus néerlandais ayant annoncé leur volonté de défendre fermement leur position. Du reste, nous connaissons la virulence d'une partie du lobbying des intérêts de ce type de pêche.
Cette proposition de résolution européenne vise à rappeler clairement et fermement la position de la représentation nationale française dans ce débat, en amont desdites négociations. Il est également indispensable que l'Assemblée nationale exprime au Gouvernement son soutien massif en faveur de l'interdiction totale de la pêche électrique et qu'elle demande aux autorités françaises de s'opposer à toute prorogation de la dérogation actuellement consentie en mer du Nord.
Il s'agit notamment d'inciter notre Gouvernement à défendre une position qui aille au-delà du statu quo consistant à accepter le maintien de la dérogation actuelle, sans modification, dans l'attente de connaissances plus précises sur les effets réels de la technique, comme le voudrait la Commission européenne. Une telle attente reste fortement douteuse, sinon fallacieuse au vu des méthodes et de l'absence de rapport tangible à ce stade – si ce n'est, au contraire, des démonstrations de la dangerosité de la technique.
Je conclurai en rappelant que la France, qui possède le second domaine maritime mondial, a le devoir d'être exemplaire en matière de pratiques de pêche et doit jouer un rôle moteur dans l'établissement d'une réglementation européenne ambitieuse pour notre environnement. Elle doit assumer le rôle de leadership que sa situation géographique lui confère.