Madame la présidente, madame la ministre, mesdames les présidentes de commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette résolution nous pose de nombreux problèmes. Elle est insatisfaisante, au moins à deux niveaux. Sur la forme, elle est surtout révélatrice de l'impuissance de l'Assemblée nationale. Sur le fond, elle illustre, de nouveau, la religion néolibérale qui régit l'Union européenne aujourd'hui. Cette religion a deux préceptes : une croyance béate dans l'économie de marché qui s'autorégulerait par magie là où l'État-providence contraindrait ; la conviction que la concurrence est le meilleur moyen d'harmoniser les conditions de vie et de travail au sein de l'Union européenne, et que les personnes en position de pouvoir économique veulent et connaissent mieux que tout le monde les conditions de réalisation de la paix perpétuelle.
S'agissant de la forme, tout d'abord, prendre une résolution sur ce sujet dans le contexte institutionnel actuel, c'est en réalité ne rien résoudre du tout, puisque cet objet législatif n'a aucune valeur contraignante. C'est la preuve, s'il en était encore besoin, de l'inexistence de la voix des parlements nationaux dans le processus de décision de l'Union européenne, à laquelle s'ajoute l'absence de pouvoirs du Parlement européen.
Aux termes de la résolution, l'Assemblée nationale « refuse que des normes sociales spécifiques dans le transport routier aboutissent à y appliquer des règles plus libérales que pour les autres secteurs économiques ». Nous pourrions souscrire à cette affirmation, mais comment, mes chers collègues, l'Assemblée nationale compte-t-elle s'y prendre pour refuser ? Par quel moyen juridique ? Quel recours devant quelle instance ? Quels sont les pouvoirs de l'Assemblée nationale pour s'opposer ? Elle pourrait le faire, certes, mais il faudrait à la majorité davantage de résolution et un courage qui lui manque actuellement, mais dont nous ne désespérons pas.
Imaginons donc que votre majorité et, par voie de conséquence, l'Assemblée nationale, décide de voter une loi qui va à l'encontre de la directive : ce serait un signe fort et nous pourrions soutenir cette avancée. Mais combien de temps faudrait-il pour qu'elle soit retoquée par la Cour de justice de l'Union européenne ? Quelle résistance le Conseil constitutionnel opposera-t-il aux institutions de Bruxelles ? On le voit bien, même dans ce scénario, les moyens de résister à des règles jugées problématiques et émanant des directives sont extrêmement restreints. C'est pourquoi nous sommes pour une révision totale des traités européens. En l'état, « à traités constants », adopter une résolution sur ce sujet, même quand elle contient des intentions louables et que nous saluons, ne sert à rien, si ce n'est à faire le service après-vente et « avant-vote » du Gouvernement sur le sujet européen.
Cette impuissance des parlements dans le processus de décision de l'Union européenne participe, de notre point de vue, de la crise démocratique qui fait tant de mal à la construction d'une véritable Europe des peuples. Elle pose problème car, hélas ! ce qui n'est pas contrôlé par le peuple n'est jamais fait pour le peuple. La démocratie, c'est le contrôle de la puissance de quelques-uns pour le bien de tous et toutes.
Mais puisque les seuls à pouvoir avoir une influence sur la transposition de cette directive sont en réalité les ministres de ce gouvernement, permettez-moi de leur poser quelques questions sur les problèmes de fond que cette proposition de résolution ne semble pas aborder. Le modèle néolibéral sur lequel s'est fondée l'Union européenne s'écroule, vote après vote, par manque de politique sociale et par manque de démocratie. Ce modèle s'écroule en Italie, où l'extrême droite capitalise sur l'échec d'une politique commune de protections des plus fragiles. Il s'écroule en Allemagne, où la coalition de façade qui vient de se former ne permet pas de masquer les ravages de la politique de droite initiée par Schröder et poursuivie par Merkel, qui s'est traduite par l'explosion des travailleurs et travailleuses pauvres. Il ne tient qu'à un fil aujourd'hui en France, grâce aux conquêtes sociales que votre gouvernement a malheureusement décidé de détruire peu à peu.
Face à cette situation, votre résolution s'inquiète, à juste titre, « de la flexibilité accrue donnée aux employeurs dans l'organisation du travail de leurs conducteurs grâce à l'assouplissement des règles relatives à la prise de repos réduit ». Que ferez-vous, madame la ministre, non seulement pour limiter la flexibilité, mais surtout pour garantir que l'employé ait un droit de regard sur sa prise de repos, sans devoir craindre pour son emploi ?
Les directives actuelles s'inscrivent dans la nouvelle stratégie industrielle pour l'Europe et obéissent à la sacro-sainte concurrence, qui de « libre et non faussée » serait devenue « loyale ». Elles ne remettent pas en cause le paradigme nocif pour notre environnement qui commande la législation européenne. Notre collègue Loïc Prud'homme vous fera tout à l'heure un exposé plus détaillé de nos propositions de modifications de cette résolution. Pour ma part, je tiens à rappeler ici que la soi-disant concurrence libre et non faussée enchaîne, en réalité, les travailleurs et les travailleuses à des conditions de travail toujours plus dures pour permettre aux entreprises de rester compétitives.
Votre résolution dit partager « l'ambition de la Commission européenne de faire évoluer le dispositif européen de tarification de certains axes routiers en étendant l'application du principe "utilisateur-payeur" à l'ensemble des véhicules à quatre roues ». Est-ce donc là, pour monsieur le ministre Hulot, l'étendue de la politique française en matière de lutte contre la pollution ? Ces mesurettes d'affichage permettront-elles de faire passer des mesures très fortes, alors que la réforme de la SNCF se fera par voie d'ordonnances ? Rien dans les interventions de M. le rapporteur ou de Mme la ministre n'apporte un début de réponses à ces questions. Voilà pourquoi nous voterons contre ce texte.