Intervention de Jean-Paul Lecoq

Séance en hémicycle du mercredi 7 mars 2018 à 15h00
Convention d'extradition avec les Émirats arabes unis — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Lecoq :

La charia punit de peine de mort, entre autres, l'adultère, l'apostasie, le meurtre ou encore le trafic de stupéfiants. Le Conseil d'État français avait d'ailleurs déjà fait remarquer en 2009 que la charia prévoit « une échelle de sanction de peines incompatibles avec les principes républicains », lorsqu'il avait été question que les militaires français stationnés sur la base d'Abu Dhabi soient placés sous le régime de la justice émirienne. Il ne faut pas oublier non plus que l'ONG Amnesty international condamne régulièrement ce pays pour des cas d'extorsion d'aveux par la torture.

Elle critique aussi les nombreuses limitations au droit d'expression, l'absence de partis politiques, la peine de mort et les discriminations faites aux femmes. J'en veux pour preuve le traitement réservé à Nasser Bin Ghaith ou à Ahmed Mansoor, deux Émiriens qui ont été condamnés à des peines très lourdes d'emprisonnement, près de dix ans, pour des commentaires critiquant le régime sur Twitter. Le système judiciaire des Émirats arabes unis est donc dangereux.

Naturellement, on pourra m'objecter qu'il n'y a pas de problème, puisque le principe de la double incrimination, qui permet une extradition uniquement dans le cas où les faits sont punis par la loi des deux parties, est posé. Mais cela reste très insuffisant, car tout repose de fait sur la confiance. Malgré cette convention, il restera possible d'extrader des personnes vers les Émirats arabes unis pour des crimes passibles là-bas de la peine de mort ou de supplices interdits en France. Le seul garde-fou consiste à demander aux Émirats arabes unis de ne pas appliquer leur propre loi. C'est léger.

Par exemple, en 2015, un ressortissant britannique homosexuel travaillant aux Émirats arabes unis a été accusé de vol par Dubaï. L'accusation était légale, puisqu'elle reposait sur le principe de la double incrimination – le vol est puni en Grande-Bretagne et aux Émirats arabes unis. Mais, en examinant le dossier, ses avocats ont estimé qu'il n'avait été accusé qu'en raison de son orientation sexuelle. Que se serait-il passé si l'extradition avait été prononcée ? Je n'ose, comme vous, l'imaginer.

Cet exemple montre la précarité d'une telle convention faite avec un pays qui ne respecte pas les fondements de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme – la CESDH – et plus largement tous les textes portant sur le respect des droits humains. Des affaires comme celle-là, impliquant un abus du principe de double incrimination, existent. Il ne faut pas l'oublier. La ratification d'une convention d'extradition avec un pays qui ne respecte pas cette convention devrait donc être couverte par de solides garanties, notamment en donnant un plus grand pouvoir au juge.

Par exemple, la convention franco-américaine n'autorise l'extradition qu'à partir du moment où le pays dans lequel le justiciable se trouve examine le dossier pénal et estime le fautif coupable. Cela donne un pouvoir considérable à l'appréciation des juges du pays et permet de faire une demande d'extradition plus respectueuse des droits de l'homme. L'absence de mention explicite d'un contrôle par le juge dans la convention que nous nous apprêtons à voter jette le doute sur la procédure et sa solidité juridique.

Je m'interroge, en outre, sur la déclaration interprétative fournie à la fin de cette convention. C'est, en effet, par une note qu'en 2012, la France a fait savoir aux Émirats arabes unis que toute extradition devrait respecter la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Une simple déclaration interprétative me paraît bien faible juridiquement pour traiter avec un pays aux moeurs judiciaires si violentes.

En conséquence, le groupe GDR et moi-même proposons d'en rester à la règle de la courtoisie internationale pour maintenir le cas par cas, qui permettra à la justice de trancher systématiquement sur le sort des ressortissants, en s'attachant au respect des articles 696 et suivants du code de procédure pénale, d'autant que cette convention porte sur des chiffres très faibles : on dénombre onze demandes d'extradition de la France et une seule pour les Émirats arabes unis en quinze ans.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.