Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi pour une reconnaissance sociale des aidants s'attache, comme son nom le laisse entendre, à apporter de nouvelles solutions visant à soutenir ces Français, de plus en plus nombreux, placés devant la nécessité de consacrer du temps à une personne handicapée ou faisant l'objet d'une perte d'autonomie d'une particulière gravité.
Concrètement, cette proposition de loi entend renforcer deux dispositifs existants : le congé du proche aidant pour les aidants actifs, et la majoration de durée d'assurance vieillesse pour les aidants inactifs. Sur le premier volet, ce texte propose de rémunérer l'aidant pendant son congé. Nous y sommes favorables, de même que nous sommes favorables à la majoration de durée d'assurance vieillesse pour les aidants inactifs, comme le groupe Les Républicains l'a montré en votant pour ces dispositifs en commission. Toutefois, notre groupe avait précisé que ce vote positif nécessitait la confirmation d'un chiffrage affiné et d'une solution de financement viable. En effet, une action publique lisible et pérenne requiert une certaine clarté dans l'utilisation des deniers publics dont nous avons la charge.
S'agissant de l'extension de la majoration de retraite aux parents aidants d'un adulte handicapé, l'étude d'impact de la loi du 20 janvier 2014 garantissant l'avenir et la justice du système de retraites évaluait le coût de cette mesure à 1,8 milliard d'euros pour 1 600 aidants. Qu'en serait-il avec l'extension prévue par ce texte ?
J'en viens au financement de l'indemnisation du congé. Il est proposé, par exemple, d'instaurer une allocation journalière sur le modèle de l'allocation journalière de présence parentale, dont le financement serait imputé à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, la CNSA. Or, actuellement, cette caisse ne dispose pas des 250 millions d'euros de ressources que notre rapporteur Pierre Dharréville propose de flécher directement vers l'indemnisation du congé. Il faut donc trouver de nouvelles ressources.
À cette fin, il n'est pas souhaitable d'augmenter les cotisations des entreprises, car cela reviendrait à accroître durablement le coût du travail pour financer un dispositif qui ne peut que monter en puissance à moyen terme.
Sans doute serait-il plus efficace de réfléchir à un aménagement de la contribution de solidarité pour l'autonomie. Cette contribution de 0,3 %, à la charge de l'employeur et affectée à la CNSA pour financer des actions en faveur de l'autonomie des personnes âgées ou handicapées, est due dans le cadre de la journée de solidarité instaurée par Jean-Pierre Raffarin en 2004. En écho à cette mesure, pourquoi ne pas réfléchir à de nouvelles pistes comme l'instauration d'une deuxième journée ou d'une demi-journée de solidarité pour les aidants ? La crise des EHPAD et les difficultés financières rencontrées par l'ensemble du secteur médico-social agissent comme un appel à réfléchir à la création de nouvelles ressources.
Comprenons-nous bien : les réserves financières exprimées ne visent pas à minimiser la qualité ni l'importance de ce texte. Elles doivent être entendues comme un appel à intensifier nos échanges et à faire de nos différentes sensibilités une force au service du renforcement de la solidarité dans notre pays.
À nos yeux, cette solidarité ne peut se traduire par une opposition entre employeurs et salariés. En votant en commission contre l'article 3 prévoyant de se passer de l'accord de l'employeur en cas de transformation du congé en travail à temps partiel ou de fractionnement de ce congé, le groupe Les Républicains a tenu à rappeler l'importance que revêt pour lui le maintien de la qualité des relations sociales dans l'entreprise. La suppression de l'accord de l'employeur envoie en effet un mauvais signal sur une question qui ne peut se passer d'un dialogue en bonne intelligence entre employeurs et salariés. D'ailleurs, le code du travail prévoit bien que les délais de demande et de réponse de l'employeur sur le fractionnement du congé ou sa transformation en travail à temps partiel fassent partie des éléments négociés par accord.
Braquer les employeurs sur un tel sujet reviendrait à envoyer un signal d'autant plus mauvais que l'entreprise sera au coeur de la révolution culturelle que notre pays doit engager en faveur des aidants. En effet, une grande partie de ces derniers – 46 % exactement – exercent une activité professionnelle.
Plus que d'assurer la conciliation entre vie d'aidant et vie professionnelle, il faut favoriser la prise en compte par les entreprises des contraintes et des apports des aidants. De la même façon que les entreprises ont su intégrer la maternité dans leur gestion des ressources humaines, elles vont devoir s'adapter à la hausse du nombre d'aidants. Ce changement d'attitude implique qu'elles développent d'abord une attitude bienveillante à l'égard des salariés confrontés à cette situation, ce qui passe naturellement par la mise en oeuvre de politiques volontaristes, tant auprès de l'ensemble des salariés que dans le soutien aux personnels concernés, et le maintien d'un dialogue social.
L'enjeu est de taille, notamment pour tous ces Français travaillant dans les PME et TPE, lesquelles ne disposent pas aujourd'hui des fonds pour internaliser un service de suivi et d'accompagnement de leurs salariés aidants, contrairement aux grands groupes au sein desquels nous pouvons déjà constater l'existence de solutions d'accompagnement internalisées visant à informer et conseiller le salarié aidant dans ses démarches.
Ce point me permet d'introduire une variable essentielle et même fondamentale : l'information. En effet, par-delà la taille et les moyens des entreprises concernées par l'enjeu des aidants, c'est la difficulté rencontrée par les services de ressources humaines pour bien identifier les dispositifs d'aide existants qui semble constituer le plus grand obstacle à l'accompagnement des salariés aidants. C'est en tout cas ce qui ressort d'une étude menée auprès de plusieurs centaines de directions des ressources humaines de groupes de tailles diverses. Selon cette étude, si 84 % des DRH pensent que des solutions d'accompagnement des aidants vont se développer dans les années à venir et 93 % pensent que ces solutions amélioreront le bien-être des salariés et donc la performance de leur entreprise, ils ne sont que 11 % à reconnaître ne pas développer de politiques internes d'aide aux salariés aidants.
Les acteurs de la protection sociale tels que les mutuelles et les complémentaires à but lucratif et non lucratif proposent aujourd'hui aux salariés tous les leviers nécessaires pour les accompagner lorsqu'ils sont aidants. Mais les Français l'ignorent, faute d'y être sensibilisés. Il est de notre devoir de veiller à la diffusion de cette information sur les droits des aidants et, plus largement, à la diffusion d'une culture du soin dans notre pays.
Ce à quoi nous nous attelons ici, à travers notre volonté d'améliorer la reconnaissance sociale des aidants, c'est à la reconnaissance des liens étroits qui donnent à la société sa cohésion d'ensemble. Nous formulons ainsi une véritable philosophie, une vision pour l'avenir de notre pays. Ce que nous défendons, au fond, c'est une éthique de la sollicitude envers son prochain confronté aux aléas de la vie, inhérents à la vulnérabilité intrinsèque de la condition humaine. Sans les réseaux et les liens qu'ils permettent de développer, le sentiment d'inutilité sociale et l'isolement s'intensifient, favorisant le mal-être des plus vulnérables que sont les personnes âgées, malades et handicapées.
Mes chers collègues, prolongeons les inspirations de ce texte et redonnons du sens à notre société ! La culture de l'État providence en France conduit trop souvent à faire à la place de l'autre, à l'assister voire à l'infantiliser. À l'inverse, la notion d'aidant, qui implique une coopération entre les personnes, permet de recentrer notre système de santé bureaucratisé autour des valeurs d'altruisme qu'incarnent si bien les aidants. En clair, s'il est nécessaire de consolider l'existant et le juste rôle de l'État, nous ne devons pas oublier les entreprises où travaillent les salariés. Je suis sûr que le groupe GDR sera favorable au fait de capitaliser sur nos échanges pour avancer dans cette voie.
« Pour les grandes tâches collectives, écrivait le Général de Gaulle, ce n'est pas assez d'avoir de l'énergie et des aptitudes. Il y faut du dévouement. Il y faut la vertu de sacrifier au but commun quelque chose de ce qu'on est, de ce qu'on a, de ce qu'on ambitionne. Il faut non l'effacement, mais l'abnégation des personnes. »
Parce que cette proposition de loi accroît la reconnaissance du dévouement et de l'abnégation des aidants, nous voterons pour les dispositifs qu'elle promeut et pour toutes les mesures qui permettront d'en compléter ou d'en renforcer le contenu et la pérennité. Comme Mme la présidente de la commission des affaires sociales, j'insiste sur un point : nous devons non seulement disposer d'un chiffrage du coût de ces dispositions, mais également engager une nouvelle réflexion sur leur financement.