Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la vice-présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, Georges Pompidou, dont nous devons garder à l'esprit la clarté de vue disait : « La fraude est à l'impôt ce que l'ombre est à l'homme. » Il avait en effet parfaitement compris les ravages que peut causer la fraude fiscale. Nous ne pouvons pas nier, en effet, les conséquences désastreuses de la fraude ou de l'évasion fiscales : elles plombent les recettes de l'État, minent nos finances publiques et ébranlent notre pacte républicain, tout en pénalisant toutes celles et tous ceux qui consentent à l'impôt.
Nous déplorons également les stratégies de contournement de l'impôt : bien qu'elles soient souvent légales, elles sont parfois poussées à leur paroxysme et se révèlent tout aussi préjudiciables à notre économie. Certains cabinets fiscaux, on l'a vu récemment, déploient en effet de véritables trésors d'ingéniosité afin de permettre à leurs clients de payer le moins d'impôts possible dans leur pays d'origine.
Les dégâts de la fraude et de l'évasion fiscales sont donc considérables pour les pays européens : si le manque à gagner fiscal pour les États membres de l'Union européenne est estimé à près de 1 000 milliards d'euros, il s'élèverait, pour la France, à près de 60 milliards d'euros. Ces chiffres sont évidemment vertigineux, alors que notre déficit et notre dette publics atteignent des montants colossaux et font peser sur les générations futures un risque considérable.
Nous ne pouvons donc pas rester les bras croisés : nous avons la responsabilité de trouver les voies et moyens qui permettraient de mettre fin à ces comportements inadmissibles. Néanmoins, cette proposition de loi de nos collègues du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, aussi louable soit-elle dans son intention, nous semble, hélas, manquer sa cible.
Selon ses auteurs, notamment Fabien Roussel, ce texte devrait permettre de faire émerger une liste française recensant les États ou les territoires non coopératifs en matière fiscale plus juste que la liste européenne. Or une liste nationale n'est pas une solution adaptée : en effet, une initiative isolée risquerait de s'avérer inefficace et d'aggraver la confusion existant entre les différentes listes de paradis fiscaux. Elle pourrait même se révéler contre-productive en pénalisant les seules banques ou établissements de crédit français, tandis que leurs concurrents étrangers, parfois beaucoup moins vertueux, s'en tireraient à bon compte.
En effet, il existe déjà un grand nombre de listes de paradis fiscaux, aux contours et aux critères d'applications variables. On peut même parler à ce propos d'une véritable concurrence entre listes existantes. Celles-ci répondent d'ailleurs à des logiques bien différentes, ce que nous pouvons regretter. Si la liste française actuelle est fondée sur des critères objectifs, celle établie par l'OCDE utilise des critères qualitatifs. Enfin, la liste de la Commission européenne a surtout pour but d'exercer une pression politique sur certains pays, afin de faire évoluer leurs comportements en matière de fiscalité. À ces listes s'en ajoutent d'autres, comme les listes indépendantes établies par certaines organisations non gouvernementales, certaines associations ou des organismes de recherche.
Un tel éparpillement nuit à leur lisibilité, à leur légitimité, à leur efficacité comme à leur crédibilité : une liste supplémentaire – puisque c'est ce que vous proposez, cher collègue – , établie en fonction de critères en partie subjectifs, ne ferait qu'accentuer l'éparpillement et le manque de lisibilité actuels.
Plutôt que de chercher à dresser une nouvelle liste, sur l'initiative du Parlement, il serait préférable d'unifier les listes existantes, d'en établir une seule au niveau international : c'est la seule issue pour lutter efficacement contre la fraude fiscale et éviter ainsi de pénaliser les États qui seraient les seuls à suivre des règles vertueuses. Établir une liste fiable, internationalement reconnue et l'assortir de sanctions nécessitera, bien sûr, un grand volontarisme de la part de France comme de celle de l'Europe si elles veulent convaincre l'ensemble de leurs partenaires.
La France a souvent été à l'avant-garde dans ce domaine. Je veux, à cet égard, saluer le courage dont ont fait preuve en 2009 Éric Woerth et le gouvernement de François Fillon…