Intervention de Bastien Lachaud

Séance en hémicycle du jeudi 8 mars 2018 à 15h00
Liste française des paradis fiscaux — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBastien Lachaud :

Appelons les gens que je citais par leur nom : des déserteurs fiscaux. Cessons de parler d'« exilés fiscaux », comme s'ils devaient partir en exil, fuyant un régime tyrannique, tel Victor Hugo à Guernesey. Non ! Ils vont toujours à Guernesey, certes, mais c'est en abandonnant ce qu'ils doivent à leur patrie et en refusant de contribuer, comme tout le monde, à sa prospérité.

Il est impossible de chiffrer précisément le niveau de l'évasion fiscale, mais on l'estime à 60 milliards d'euros – selon une fourchette basse – ou à 80 milliards – selon une fourchette haute – par an pour la France, soit à peu près le montant du déficit public, censé justifier toutes les mesures d'austérité. Or l'évasion fiscale transite par les paradis fiscaux. Cet argent manque cruellement à la France : ce sont autant de services publics en moins, alors que ceux-ci constituent les seuls biens des plus pauvres.

Mais l'argent de l'évasion fiscale ne disparaît pas en fumée : il transite par les paradis fiscaux et se retrouve, par exemple, en biens d'ultraluxe, qui ne servent à rien : yachts, multiples villas et voitures de luxe, mais aussi montres, manteaux de fourrure – objets cruels et inutiles. Eh oui, encore les yachts ! Cet argent sert aussi à financer des biens nettement moins ostentatoires et censément désirables. Les trafics en tout genre y font circuler leur agent sale : corruption, réseaux criminels, trafics d'armes, d'organes, de drogue, d'enfants, prostitution ou entreprises terroristes. Voilà toute l'utilité des paradis fiscaux : financer des biens qui ne servent à rien, ou ce que l'humanité invente de pire.

Il est d'urgent d'agir et de cesser de se payer de mots, avec des mesurettes ou de belles déclarations d'intention qui ne sont suivies d'aucun effet. C'est pourquoi le groupe La France insoumise soutient ce texte, qui va dans le bon sens en créant une liste sérieuse des paradis fiscaux, actualisée, sous le contrôle du peuple français et de ses représentants, fondée sur des critères objectifs.

On prétend confier à l'Union européenne la création d'une telle liste, mais celle-ci part du principe que les pays membres ne peuvent pas y figurer. Or toutes les études sérieuses, comme celle de l'association Oxfam, montrent qu'il faudrait y inscrire l'Irlande, les Pays-Bas, Malte ou le Luxembourg – pour ne citer que ces pays. En Irlande, cinq banques, dont la Société générale, ont même une rentabilité supérieure à 100 %, et dégagent plus de bénéfices qu'elles n'y font de chiffre d'affaires. Cela invite donc nettement à penser qu'y sont déclarés des bénéfices non réalisés en Irlande, surtout que le taux d'imposition y est à 2 % pour certaines banques. Pourquoi ne pas en profiter ? se disent-elles. Des pays membres de l'Union européenne sont donc des têtes de pont de l'optimisation fiscale organisée à grande échelle, sans figurer pour autant sur la liste des paradis fiscaux.

Comme les multinationales et les très riches peuvent toujours placer leur fortune dans un paradis fiscal, ils font du chantage pour faire plier les gouvernements pusillanimes. C'est immoral et abject. Ils s'engraissent sur le dos de tout le monde, et ensuite ne paient pas leur dû, menaçant d'aller ailleurs, alors que c'est grâce au travail de toutes et de tous qu'ils se sont tant enrichis.

Sarkozy, Hollande, Macron : tous se sont payés de mots jusqu'à présent. En 2009, Sarkozy, triomphal, prétendait avoir terrassé les paradis fiscaux : « Les paradis fiscaux, la fraude bancaire, c'est terminé », clamait-il. Mais la liste de 2009 reposait sur des critères de l'OCDE ; extrêmement lâches, ils permettaient aux États pointés du doigt d'en sortir rapidement. Le bilan de la précédente législature est bien maigre, lui aussi : la réforme bancaire de 2013 devait contraindre les banques à publier leurs activités dans les paradis fiscaux, c'est-à-dire une liste très restreinte de dix pays en 2013, de huit en 2014 et de six en 2015. Prodigieuse efficacité, en tout cas pour ce qui est de sortir les pays des listes ! Le scandale des Panama papers a mis au jour l'insuffisance de ce dispositif de transparence.

Et aujourd'hui, ça continue. Le ministre des finances, Bruno Le Maire, déclarait, après le scandale des Paradise papers, en novembre dernier : « L'évasion fiscale, c'est une attaque contre la démocratie, contre le consentement à l'impôt. Elle est inacceptable. » Bien vu ! Mais que se passe-t-il ? Un mois après ces révélations, l'Union européenne décidait de publier, pour la première, fois une liste noire de dix-sept paradis fiscaux. Or, dès le 23 janvier dernier, la même Union européenne retirait huit pays de cette liste, pour les placer sur une liste grise. Tout ce que les gouvernements ont réussi à faire pour lutter contre les paradis fiscaux, ce sont de belles phrases et de belles intentions : aucun acte ne les a suivies, si ce n'est celui de retirer de ces listes les pays incriminés. Belle réussite !

Nous avons appris, hier, que la Commission européenne reproche aux Pays-Bas, au Luxembourg ou encore à l'Irlande de favoriser la « planification fiscale agressive » : bel euphémisme ! C'est là, il est vrai, un bel effort déjà de la part de la Commission, quand on sait que son président n'est autre que Jean-Claude Junker, ancien dirigeant du Luxembourg, ancien responsable des Luxleaks. La Belgique, Chypre, la Hongrie, l'Irlande, le Luxembourg, Malte et les Pays-Bas auraient des pratiques qui « nuisent à l'équité, empêchent une concurrence loyale dans le marché intérieur et augmentent le fardeau des contribuables européens », a déclaré Pierre Moscovici. Si même Moscovici voit le problème, c'est que celui-ci doit être grave !

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