… voilà le lot quotidien des habitations qui ne devraient pas en être ! Nous estimons que plus de 600 000 personnes vivent aujourd'hui dans ces conditions indignes, en particulier autour de Paris, dans les métropoles régionales et dans les villes moyennes. Alors que le phénomène touchait particulièrement les grandes copropriétés dégradées, il s'est étendu aux zones pavillonnaires moins attractives, touchées par le morcellement de pavillons devenus difficilement vendables, ces divisions clandestines étant bien entendu difficiles à détecter de l'extérieur.
Tous les maires et les élus locaux confrontés à cette situation le disent : cette densification de fait, cette concentration non maîtrisée de la difficulté sociale, ces refuges de fortune qui font celle de propriétaires sans empathie sont aujourd'hui autant de freins à un développement durable et solidaire de la ville. La suroccupation et l'absence de comptabilisation de certains logements entraînent une surconsommation non programmée de l'espace et des équipements publics ; le stationnement sauvage envahit les zones pavillonnaires, les dépôts sauvages perturbent les circuits de collecte des déchets, les centres communaux d'action sociale sont débordés et les écoles craquent. Le sujet n'est pas neuf, mais sa recrudescence est évidente.
Notre groupe politique attache une importance particulière à la lutte contre les marchands de sommeil. Dès 2009, la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion traitait explicitement de l'habitat indigne en lui donnant une définition précise. En 2010, notre collègue Sébastien Huyghe proposait une loi renforçant les pouvoirs du maire et du préfet, qui prévoyait également de soumettre les propriétaires non consentants à des astreintes, en réaffectant d'ailleurs les sommes collectées à la rénovation urbaine.
En 2014, la loi ALUR a repris les idées de cette proposition de loi. Outre la création d'astreintes alimentant un fonds pour l'ANAH, dont nous reparlerons car elles sont si peu appliquées qu'il est bon d'en rappeler l'importance, la loi interdisait alors à tout marchand de sommeil condamné d'acheter un bien, étendait le droit de préemption de la commune et mettait l'hébergement provisoire des occupants à la charge des propriétaires inquiétés.
Malgré ces outils juridiques, il faut passer à la vitesse supérieure pour mettre en cohérence notre droit et doter la police de la salubrité publique de véritables moyens opérationnels. La loi ALUR avait peut-être de grandes ambitions en la matière, mais elle est manifestement insuffisante, l'application des astreintes n'étant pas assez rapide ni systématique.
Il faut noter quand même que tout ne se réglera pas par la loi, et que les moyens dont se doteront ensemble les collectivités territoriales et l'État local pour repérer, diagnostiquer, identifier, obliger, faire payer, déférer, voire faire condamner les différents types de marchands de sommeil, seront importants. Derrière ce terme générique de « marchand de sommeil » se cachent des bailleurs aux profils différents, du simple propriétaire qui ne peut plus faire face aux charges de copropriété et de travaux et se laisse aller à la facilité de la suroccupation, au multipossédant dont les revenus issus de l'activité sont indétectables, en passant par le chef de filière d'immigration clandestine.
L'objectif du texte qui nous est proposé ce soir est louable. Son examen, qui se conclura sans aucun doute par un rejet en bloc de la part de la majorité, peu encline à accepter les bonnes idées des autres, sera néanmoins utile pour alimenter nos travaux et notre débat en vue de la prochaine loi sur le logement. L'unanimité politique qui semble entourer la lutte contre les marchands de sommeil, et que nous avons déjà constatée en commission, montre qu'il n'est pas forcément nécessaire de se retrouver dans un même parti pour être d'accord.
Néanmoins, la proposition de loi n'aborde qu'une partie du problème. Comme vous, monsieur le rapporteur, je tiens à ce que nous luttions d'abord contre les individus qui se livrent à cette pratique et qui restent trop souvent impunis. C'est pourquoi il faudrait au préalable prévoir dans la loi la création du délit même de marchand de sommeil. Une proposition de loi que j'ai rédigée sur ce sujet et dont j'ai extrait quelques amendements allait en ce sens. Malgré l'approbation de M. le rapporteur en commission, mon amendement visant à créer cette définition préalable de marchand de sommeil, qui aurait utilement enrichi la proposition de loi du groupe GDR, n'a pas été accepté, et je regrette cette entrave à un texte d'intérêt général.
Le Gouvernement et sa majorité veulent attendre le projet de loi sur le logement. Soit ! Mais celui-ci devra aborder toutes les facettes du problème. Les maires ou les présidents d'intercommunalité compétents doivent avoir les moyens suffisants pour éviter la prolifération de l'habitat indigne. Cela passe par un durcissement des règles d'urbanisme, notamment pour les divisions pavillonnaires qui doivent être traitées au même titre que les dossiers d'extension des surfaces habitables. Il faut aussi réfléchir à un autre permis de louer, qui relève d'une simple déclaration dans les périmètres de surveillance délibérés par les collectivités locales : le permis de louer ne prend pas en compte la qualité du logement, mais seulement celle du bailleur, et il conviendra de mettre fin à cet angle mort de la loi ALUR.
Nous devons également rendre plus dures et plus effectives les sanctions prévues par la loi ALUR pour les marchands de sommeil condamnés. L'interdiction d'achat et d'exploitation de biens immobiliers doit devenir systématique et la durée doit être allongée en cas de récidive.
Enfin, il faut dépasser le strict cadre de la loi pour faire appliquer réellement le droit sur le terrain. La structuration des services de l'État pourrait s'articuler autour d'un représentant dédié à la lutte contre l'habitat indigne, sur le même modèle que le préfet délégué à l'égalité des chances, dans les départements qui présentent une forte proportion d'habitat dégradé. Les collectivités locales, et en particulier les communes, doivent être accompagnées dans la professionnalisation des services de lutte contre l'habitat insalubre. Les équipes techniques des collectivités manquent souvent de formation et ne maîtrisent pas toujours le cadre juridique. La technocratisation des interventions, qui mélange collectivités locales, agences régionales de santé et préfectures, est aussi un frein très lourd à la bonne application du droit. Des référents uniques, identifiés et formés sont donc indispensables.
Pour toutes ces raisons, nous abordons la discussion de ce texte avec grand intérêt, les Républicains ayant partout en France le souci de lutter contre le mal-logement et d'aider ceux qui se trouvent exclus des parcours locatifs à vivre dignement avec leur famille. La majorité se grandirait, après une journée d'examen de textes moins consensuels, à accepter que l'initiative parlementaire puisse parfois dépasser le rythme centralisateur et quelquefois hégémonique du Gouvernement.
Cette proposition de loi ouvre aussi plus largement le thème du logement. La politique du logement ne peut pas se résumer au seul choc d'offre, que ce soit à l'échelle du Grand Paris ou ailleurs sur le territoire. Entasser des logements sans réfléchir aux équipements publics, aux réseaux de transports, à un développement équilibré du territoire, et monopoliser les quelques fonciers disponibles pour une clientèle aisée, c'est prendre aussi le risque de multiplier les mal-logés, qui ne pourront pas accéder à des logements aux prix de vente ou de mise en location excessifs. La loi sur le logement devra parler des habitants et non des habitations, et elle devra prendre en compte les innovations sociales et technologiques, qui font des logements des étapes de vie et non plus des valeurs figées. C'est aussi cela qui fera demain un parc de logements plus moderne, plus accessible et plus humain.