Toutefois, comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, que représentent 500 000 euros en comparaison des 350 000 euros de revenus annuels engrangés pendant vingt-cinq ans, auxquels s'est ajoutée au mois de mars 2014 une indemnité de 6,7 millions d'euros, soit dix fois le prix d'acquisition du bien immobilier en 1989 ?
Est-il normal que la Ville de Paris ait dû acheter cet immeuble pour qu'il soit ensuite détruit et remplacé par des logements sociaux ? Cet exemple est emblématique. Il montre à quel point il est nécessaire de légiférer afin de consolider les outils existants. Il importe d'endiguer le phénomène des marchands de sommeil, que M. Denormandie lui-même a qualifié de fléau. Il a rappelé que de plus en plus de personnes se spécialisent dans le business de la misère et que, si 3 000 arrêtés d'insalubrité sont prononcés chaque année, seuls quatre-vingts à quatre-vingt-dix marchands de sommeil sont finalement condamnés. Il a enfin évoqué un plan inédit contre ces propriétaires voyous, qui s'inscrira dans le cadre du projet de loi logement.
Tel est précisément l'objet de la proposition de loi. Elle prévoit de durcir la disposition de la loi ALUR qui stipule que le fait de soumettre une personne, dont la vulnérabilité ou l'état de dépendance sont apparents ou connus de l'auteur, est passible d'une interdiction d'acheter un bien immobilier pour une durée de cinq ans au plus. L'article 1erde la proposition de loi prévoit de doubler cette durée en la portant à dix ans.
Vous avez objecté, monsieur le ministre, qu'une peine d'une telle durée est réservée à la sanction d'un crime et non d'un délit. Toutefois, comme l'a rappelé M. le rapporteur, il y a parfois des morts. Ces gens sont donc bien des criminels et pourraient faire l'objet de sanctions d'une durée de dix ans.
La législation actuelle prévoit également que, si un logement ne remplit pas les conditions minimales de dignité à l'issue du délai de mise en conformité prévu, l'aide au logement n'est plus versée au propriétaire et le loyer est réduit d'autant.
Néanmoins, s'agissant des conditions de vie des locataires, tant que les travaux ne sont pas réalisés, ils paient peut-être leur logement moins cher mais leurs conditions de vie ne sont pas améliorées. Par conséquent, l'article 2 du texte prévoit le versement du montant de l'aide au logement à l'État ou aux collectivités locales chargés de réaliser les travaux nécessaires.
S'agissant des travaux, l'article 4 conditionne la vente d'un bien immobilier insalubre à une obligation de travaux de rénovation, dont l'absence aboutirait à une annulation de la vente, ce qui semble frappé au coin du bon sens.
La proposition de loi permet aussi d'améliorer les moyens de recherche et d'action des collectivités locales à l'encontre des marchands de sommeil. L'article 3, s'il était voté, permettrait de connaître le nom d'un acquéreur et de savoir s'il est déjà connu ou condamné comme marchand de sommeil.
Le texte prévoit également de diminuer de 50 % la valeur marchande d'un bien immobilier appartenant à un marchand de sommeil exproprié. Dans ce cas de figure, le marchand de sommeil précédemment cité aurait tout de même obtenu plus de 3,5 millions d'euros, ce qui ne serait pas si mal si j'en crois les propos de M. Denormandie selon lesquels les marchands de sommeil devraient être traités comme des trafiquants.
À ce sujet, si nous débattons tout à l'heure de la proposition de loi, nous pourrons déterminer si elle va suffisamment loin. Vous avez affirmé, monsieur le ministre, que vous cherchez une solution afin que de telles situations ne se reproduisent plus. Nous attendons donc que vous formuliez une proposition dans le cadre de l'examen du futur projet de loi sur le logement.
Ainsi, il s'agit d'un texte clair et équilibré, qui permet de franchir un pas important dans la lutte en faveur d'un logement décent pour tous. La proposition de loi va donc dans le bon sens et nous la soutenons.
Lors de nos débats en commission, certains députés du groupe de La République en marche, ainsi que vous-même, monsieur le ministre, ont expliqué qu'il n'était pas nécessaire d'adopter la proposition de loi, la future loi sur le logement devant apporter des solutions au problème. Toutefois, les quatre articles portant sur ce sujet dans l'avant-projet de loi publié le 18 décembre 2017 ne sont pas assez précis. Nous espérons que les moyens permettant de lutter contre les marchands de sommeil seront davantage explicités dans le projet de loi, si d'aventure la proposition de loi n'était pas adoptée, ce dont je doute, étant donné sa pertinence !
Par ailleurs, l'avant-projet de loi ne renforce pas davantage le pouvoir d'information et d'action des communes. Elles sont pourtant en première ligne dans la lutte contre les marchands de sommeil.
J'aimerais en outre ouvrir une réflexion sur le rôle de l'Assemblée nationale. Même si le Gouvernement prépare un projet de loi, relatif par exemple au logement, les députés de la majorité ne doivent pas pour autant saborder les capacités d'initiative des députés de l'opposition.
Lors des précédentes législatures, il me semble que les propositions de loi issues de l'opposition étaient débattues, même si elles n'étaient pas adoptées in fine. Si celle-ci vous semble aller dans le même sens que le projet du Gouvernement, chers collègues de la majorité, pourquoi ne pas en débattre ?
Elle ouvre en outre un débat plus général sur la situation que connaît notre pays en matière d'habitat, caractérisée par un manque de logements. La crise du logement est une réalité qui touche un Français sur six. Le dernier rapport de la Fondation Abbé-Pierre montre que 4 millions de personnes sont mal logées et 12 millions touchées par la précarité du logement. Chaque année, près de 2 millions de demandes de logement en HLM restent sans réponse.
Dans ce contexte, le manque de logements, notamment de logements sociaux, incite nos concitoyens à chercher des solutions dans le parc locatif privé. Il s'agit en règle générale de personnes en situation de précarité, telles que des mères seules, des étudiants ou des travailleurs sans papiers. Les marchands de sommeil en profitent pour s'enrichir en louant des logements insalubres à des prix exorbitants.
Le phénomène des marchands de sommeil est la conséquence directe d'un système caractérisé par la pénurie et la spéculation. Si la crise du logement ne se résume pas au problème des marchands de sommeil, il n'en est pas moins nécessaire de s'y attaquer avec fermeté.
Il ne suffit pas de s'indigner : la proposition de nos collègues du groupe de la Gauche démocrate et républicaine offre une occasion de débattre et de travailler ensemble afin de construire une véritable réponse à des situations de précarité inacceptables.
Le logement est un droit. Il est nécessaire de faire de l'accès au logement une priorité, afin qu'il ne favorise pas uniquement l'enrichissement de quelques-uns.
Nous pensons que les pistes annoncées par le Gouvernement ne feront qu'aggraver la situation du logement en France. Elles prévoient plus de marché et plus de spéculation, moins de droits et moins de logements sociaux ! L'État peut être un formidable outil de relance de la construction et de garantie du droit au logement.
Or le Gouvernement semble faire le pari inverse, laissant au marché la liberté de spéculer. Le rôle de l'État n'est pas celui d'un conseiller économique qui susurrerait des demandes à l'oreille du marché, comme l'a fait Emmanuel Macron en procédant à la baisse des APL.
En conclusion, les membres du groupe de La France insoumise soutiennent la proposition de loi, qui va dans le bon sens et comporte des points de convergence avec nos propositions.