À madame Bassire, je dois faire part de ma confusion, car je suis incapable de répondre à une question purement agricole, qui doit être adressée à mon collègue Stéphane Travert.
Par ailleurs, vous avez raison, madame Josso, d'évoquer une double injustice sanitaire et sociale. Vous m'interrogez sur les éléments concrets pouvant être apportés à la population. Il s'agit pour nous d'accompagner cette population dans la création de jardins familiaux propres au développement de circuits courts exempts de chlordécone. Le but est d'éviter des circuits non contrôlés pour lesquels nous n'avons aucune visibilité en matière de contamination, et au sujet desquels nous ne pouvons pas aider la population à se repérer.
Il est donc impérieux à nos yeux de poursuivre cette politique à laquelle le nouveau zonage ne manquera pas de concourir, car il permettra une meilleure connaissance des sols contaminés. Ce zonage, dont Stéphane Travert a la responsabilité, devrait être achevé prochainement. L'idée est d'être au plus près des populations afin de proposer des lieux de culture sans chlordécone et des circuits courts, non contrôlés par l'État certes, mais placés au sein d'un dispositif garantissant l'absence de contamination.
Comme je l'ai indiqué, la Direction générale de la santé dispose de financements destinés à aider à la création de ces jardins familiaux. À cette fin, les intéressés doivent demander un contrôle de leur sol auprès de la Direction générale de l'alimentation (DGAL), qui peut réaliser le contrôle du sol individuel et ensuite rassurer la famille sur le fait que la culture est saine et peut être consommée par elle, voire vendue au voisinage.
Ce dispositif est encore mal connu, ce qui nous impose un devoir d'information et de développement de ces jardins familiaux.
Madame Manin m'a interrogé ce matin et cette après-midi sur l'étude Madiprostate. Il s'agissait d'une étude scientifique financée hors appel à projets, en plus des appels à projets portant sur le cancer, spécifiquement consacrée à la recherche du lien entre cancer de la prostate et chlordécone en Martinique.
Cette étude était mal construite. Comme je tenais absolument qu'elle réussisse, j'ai fait travailler un groupe d'experts la première année pour accompagner les chercheurs en rendant l'étude plus robuste sur le plan scientifique afin qu'elle puisse répondre à la question posée. Nous n'avons pas obtenu les résultats espérés.
J'ai donc demandé à un autre groupe d'experts appartenant à l'ITMO Santé publique, c'est-à-dire l'institut thématique de l'Alliance Aviesan, qui regroupe ponctuellement tous les chercheurs du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et d'autres institutions comme l'Institut Pasteur, etc., de travailler à améliorer cette étude. Il s'est avéré que cette étude n'était pas réalisable méthodologiquement, alors que l'argent était disponible et que je l'ai financée plusieurs années de suite.
Ce financement a été interrompu au bout de trois ans, car pratiquement aucun malade n'était inclus, mais surtout parce que nous savions que, in fine, nous n'obtiendrions pas de résultats scientifiques. Je comprends l'attente des populations et des élus qui réclament leur étude. Mais il ne suffit pas de mener une étude : il faut qu'elle produise des résultats. Si pendant dix ans nous effectuons des dizaines de milliers de prélèvements sans obtenir de réponse, nous n'aurons pas fait correctement notre travail.
Nous sommes prêts à financer la démarche de tout scientifique qui proposerait de monter une nouvelle étude, la difficulté que présente la chlordécone, c'est de faire le départ entre la surincidence, liée à des facteurs génétiques, du cancer de la prostate aux Antilles et des cancers de la prostate éventuellement dus à la chlordécone.
Cette surincidence des cancers de la prostate due à des facteurs génétiques était connue depuis les années 1980, avant même l'utilisation de la chlordécone. C'est aussi le cas des populations afro-américaines aux États-Unis. L'ensemble de la population antillaise étant exposé à la chlordécone, nous ne pouvons pas établir de comparaison entre des gens exposés et des gens non exposés ; c'est là que réside la difficulté scientifique de l'étude.
Encore une fois : si d'autres chercheurs sont prêts à nous aider à résoudre ce problème, ils seront les bienvenus, et nous sommes tout à fait disposés à lancer des appels à projets pour tenter de susciter des recherches. C'est une question complexe, purement scientifique.
Nous n'en avons pas moins créé des choses qui manquaient : les registres des cancers aux Antilles, qui vont permettre de comparer l'incidence des cancers aux Antilles avec d'autres populations métropolitaines, mais aussi afro-américaines de même origine. Car la question demeure celle de l'incidence de l'origine génétique de ces cancers.
J'ai rappelé ce matin que lorsque je travaillais à l'INCa, j'ai été en contact avec un professeur d'urologie sénégalais qui souhaitait s'investir et procéder à des études communes dans ce domaine à cause d'une surincidence constatée en Afrique. Nous avions même imaginé de conduire des études comparatives entre une population africaine et une population antillaise. Nous avons échoué à la mettre en place parce que l'Afrique n'est pas tout à fait équipée à l'époque pour la recherche scientifique.
Nous avons tout tenté à l'époque pour améliorer la connaissance sur ce sujet, et mon ministère s'engagera auprès de tout chercheur souhaitant le reprendre. Nous avons travaillé pendant trois ans dans le but de rendre cette étude Madiprostate réalisable.
M. Letchimy a posé la question de la limite maximale de résidus. Il s'agit là encore d'un sujet mieux connu par le ministre de l'agriculture ; aussi ne voudrais-je pas dire de bêtises.
Je sais, en revanche, que l'État n'a pas modifié sa façon de contrôler, et que les résultats obtenus malgré le changement de la norme européenne sont totalement conformes aux taux que nous utilisions auparavant comme seuils maximums tolérés. Ainsi, nonobstant cette directive européenne, aucune évolution n'est intervenue dans les seuils de résidus tolérés dans les viandes en France.
Je m'étais engagée, ce dont j'ai fait part au Parlement, à demander la modification de cette directive ou à tout le moins d'en débattre. Mais je préférerais que Stéphane Travert réponde précisément sur la circulaire de son ministère, car je ne la connais pas.
Ma seule certitude est que la modification du seuil de tolérance décidée à l'échelon européen a été sans incidence sur la réglementation française.
Vous posez, monsieur Furst, une excellente question et vous faites part de votre étonnement devant le peu d'attention accordée à ce sujet en métropole. J'ai éprouvé le même sentiment lors de l'incendie du Centre hospitalier universitaire (CHU) de la Guadeloupe, qui a constitué un drame absolu. L'île de Guadeloupe n'a plus d'hôpital, des centaines de lits ont été évacuées, et il n'y a plus de malade. Or les médias métropolitains sont pratiquement restés muets ; je pense que si le CHU de Nice ou de Tours avait brûlé, cela aurait fait la une des journaux télévisés métropolitains.
Il est vrai qu'il y a un problème d'intérêt de la Métropole pour les sujets ultramarins. C'est à nous, élus et politiques, qu'il revient de rappeler que ces territoires sont des territoires français. Ce n'est toutefois pas parce que la contamination par la chlordécone n'est pas un sujet pour le public Métropolitain qu'elle n'en est pas moins un pour la ministre de la santé.
Vous demandez par ailleurs si nous sommes sûrs que toutes les données sont connues : bien sûr que non ! Car la France est le seul pays à essayer d'obtenir des données sur la chlordécone. Ce produit a été utilisé dans d'autres pays européens, comme, me semble-t-il, la Pologne, mais le sujet n'a pas soulevé l'intérêt et les études sont rares, et sont quasi exclusivement françaises.
Comme pour toute recherche scientifique, la connaissance évolue, elle s'accumule avec le temps, et si nous disposions de toutes les connaissances nécessaires sur la chlordécone, j'en serais ravie. Mais tel n'est pas le cas, ainsi ne connaissons-nous pas les effets à long terme. C'est pourquoi nous posions la question du risque de cancer, notamment hormonaux dépendant, puisqu'il s'agit d'un perturbateur endocrinien. Nous connaissons bien, en revanche, les effets à court terme, dus à des expositions massives de travailleurs qui ont développé des troubles neurologiques aigus régressifs, notamment aux États-Unis.
Nous disposons de données portant sur les petits enfants qui peuvent développer des troubles neurologiques régressifs.
Aussi, toutes les études financées aujourd'hui portent-elles sur les effets à long terme afin d'accumuler de la donnée et des connaissances.
Vous demandez encore s'il serait possible d'établir une synthèse des études, c'est ce que j'ai évoqué dans mon propos liminaire, en proposant de réunir les trois grandes alliances de recherche scientifique, qui sont constituées de l'ensemble des organismes de recherche français. Nous allons leur demander la rédaction d'une synthèse de l'état des connaissances nationales et internationales actuelles sur la chlordécone, de façon à les rendre publiques.
Il est préférable que ce travail soit réalisé par les alliances qui sont constituées de chercheurs plutôt que par le ministère, et on peut espérer que les intéressés auront soin de rendre la synthèse compréhensible par le grand public.
Vous évoquez ensuite une politique ancrée dans les territoires et le fait que des hauts fonctionnaires se rendant sur place ne régleront pas le problème, et vous avez raison. En effet, en dix ans j'ai pu mesurer l'incongruité qu'il peut y avoir à envoyer un directeur général de la santé faire des conférences.
Il n'en demeure pas moins que la volonté de transparence existe, et que la population a besoin qu'on lui montre que nous sommes prêts à répondre aux questions, et que nous sommes là pour rendre compte, pas pour cacher des choses.
À cet effet, il me semble qu'envoyer le directeur de la santé ou d'autres responsables publics à une population inquiète constitue un moyen de montrer que l'État est présent, et ne se défile pas.
Certes, cela ne règle pas le sujet de long terme, qui relève d'une politique interministérielle ancrée dont la responsabilité revient au préfet. Les deux préfets de la Martinique et de la Guadeloupe sont en responsabilité des plans chlordécone. Il me semble que ce pilotage doit être redynamisé, et un exercice de pédagogie reste à mener au sujet de l'action de l'État sur place et en métropole afin de rassurer la population.
Les divers ministres concernés pourraient demander à ces préfets un plan d'action local susceptible de rendre compte de cette politique interministérielle ancrée dans les territoires.