Intervention de Arnaud Leroy

Réunion du mercredi 7 mars 2018 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Arnaud Leroy :

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je suis moi aussi ravi de vous retrouver, en étant cette fois placé de l'autre côté de la table.

Vous avez raison de mentionner le contrat d'objectifs et de performance 2016-2019 signé entre l'État et l'ADEME. Je pense qu'il faut aussi rappeler le paradigme sous le signe duquel est placé ce début de législature, à savoir la transition écologique et énergétique. La France a pris dans ce domaine des engagements qu'elle soutient avec force au niveau international, afin que nous soyons en mesure de limiter la hausse de température à 2 °C, et si possible à 1,5 °C. C'est dans ce double cadre que je veux placer mon action à la tête de l'ADEME, qui m'apparaît comme l'acteur majeur de la transition écologique et énergétique en France, face à une urgence encore plus marquée qu'auparavant – ce qui justifiera, si je suis nommé à la tête de l'ADEME, que je vienne régulièrement devant votre commission afin d'évoquer les nombreux sujets qui s'y rattachent, notamment lors des discussions budgétaires. Le financement de la transition écologique et énergétique donnera lieu à l'une de ces discussions, dans le cadre de laquelle nous devrons assumer un positionnement politique.

J'ai choisi de placer humblement mes pas dans ceux de mon prédécesseur, M. Bruno Léchevin, que je salue ce matin. Il a fait « tourner la boutique » pendant cinq ans, ce qui n'était pas arrivé depuis très longtemps : cela aussi a son importance, car pour être opérationnelle, l'agence a besoin d'un minimum de long terme dans sa gouvernance.

Le contrat d'objectifs et de performance énumère certaines missions que je vais également évoquer, en commençant par sa mission historique. Créée il y a vingt-cinq ans, l'ADEME est issue de la fusion de plusieurs agences et s'est vu confier par la loi plusieurs missions, inscrites dans le code de l'environnement. Opérateur historique de la politique de prévention et de gestion des déchets, l'ADEME intervient également en matière de protection des sols et de remise en état des sites pollués, de prévention et de lutte contre la pollution de l'air – question dont chacun connaît aujourd'hui l'importance –, de réduction, d'élimination, de récupération et de valorisation des déchets, ainsi, évidemment, qu'en matière énergétique, qu'il s'agisse de la question du mix énergétique ou de celle de l'efficacité énergétique.

L'agence se livre également à des exercices de prospective sur certains sujets, notamment celui du gaspillage alimentaire, dont on a beaucoup parlé au cours du quinquennat précédent, sur d'autres liés aux sols ou à la forêt – je pense au travail entamé sur ce thème par M. Stéphane Le Foll –, ou encore sur celui de l'économie circulaire, qui prend de plus en plus d'importance.

C'est donc un véritable foisonnement de sujets qu'il faut prendre en considération quand on parle de l'ADEME. Fort heureusement, certains thèmes échappent à sa compétence : elle ne s'occupe ni du nucléaire, ni de l'eau, ni de la biodiversité – pour cette dernière, on a créé l'Agence française pour la biodiversité (AFB). Le questionnaire écrit que vous m'avez adressé évoquait la question de l'articulation entre les sujets relevant des compétences de l'ADEME et ceux relevant des compétences de l'AFB : il existe effectivement des connexions, notamment entre la dépollution des sols et la biodiversité – on sait, par exemple, que certaines espèces végétales possèdent des capacités naturelles à dépolluer les sols –, qui font que les relations entre l'ADEME et l'AFB sont appelées à se développer. Une rencontre est organisée avec l'AFB le 28 mars prochain afin d'étudier les collaborations possibles entre les services respectifs des deux agences et, si je suis nommé président de l'ADEME, je ferai en sorte qu'elle entretienne de bonnes relations avec l'AFB, afin que nous progressions dans le même sens. La question climatique et la question de la biodiversité sont extrêmement liées et si, pour des raisons historiques, on a surtout parlé de changement climatique jusqu'à présent, je pense que la question de la crise de la biodiversité est tout aussi prégnante, en tout cas pour l'avenir de cette belle espèce qu'est l'espèce humaine. C'est ainsi que je vois ma mission à la tête de l'ADEME et je m'emploierai à renforcer les synergies.

Pour ce qui est de mes priorités, je souhaite prendre un peu de temps pour procéder à un état des lieux, comme je m'y suis engagé auprès des équipes et des partenaires de l'agence. L'ADEME travaille beaucoup dans le cadre de partenariats, que ce soit avec les collectivités, les associations ou les entreprises, et ce travail collectif me paraît constituer la clé du succès de la massification de la transition écologique. Cette logique s'était imposée durant la COP21 avec l'Agenda des solutions et l'ADEME avait commencé à la mettre en oeuvre en endossant un rôle d'ensemblier pour faciliter les choses.

Les enjeux couverts sont interdépendants, ce qui doit peut-être nous conduire à travailler différemment. L'ADEME dispose de deux grands outils, à savoir, d'une part, l'outil budgétaire constitué par le Fonds « chaleur », qui permet de financer bon nombre de projets, et le Fonds « déchets », destiné à répondre aux problématiques relatives à l'économie circulaire et ayant vocation à accompagner la feuille de route que Mme Brune Poirson va sans doute vous présenter prochainement. Un troisième fonds, le Fonds « qualité de l'air et mobilité durable », créé à la suite des Assises nationales de la mobilité, est plus spécifiquement consacré au problème de la pollution due aux transports.

L'ADEME dispose de moyens relativement conséquents : 214 millions d'euros pour le Fonds « chaleur » et 160 millions pour le Fonds « déchets ». Ces fonds incitatifs servent à créer des effets de levier : ceux d'entre vous qui sont élus locaux savent comment les collectivités locales peuvent porter des projets en partenariat avec l'ADEME, afin de produire, sous forme d'énergie renouvelable, les tonnes équivalent pétrole qui nous permettent de réduire notre dépendance et les émissions de gaz à effet de serre.

J'espère que ces dotations budgétaires seront maintenues et, si je suis nommé président de l'ADEME, je me battrai pour qu'elles le soient – et même, si possible, pour qu'elles soient augmentées. Cela dit, peut-être y a-t-il également un travail à effectuer en interne pour voir si les dépenses ne pourraient pas être rationalisées en modifiant les niveaux d'intervention et en mettant en place une nouvelle stratégie d'action, basée sur une généralisation des avances remboursables créées par l'ADEME. La conjoncture ne facilite pas l'action de l'agence, notamment pour ce qui est du Fonds « chaleur », puisque les cours relativement bas du pétrole et du gaz diminuent l'efficacité des mesures incitatives en faveur de la chaleur renouvelable. Sur ce point, nous comptons beaucoup sur la mise en oeuvre et la montée en puissance de la contribution climat énergie pour préserver la capacité des incitations à créer des réseaux de chaleur renouvelable basés sur la géothermie ou les centrales biomasse.

Nous allons travailler sur tous ces sujets en partenariat avec les collectivités, avec lesquelles nous avons aussi une relation particulière à nouer. Si, afin de réaliser des économies d'échelle, on a jusqu'à présent favorisé les gros projets, notamment via le Fonds « chaleur », bon nombre de collectivités appellent désormais à réduire un peu la voilure et à travailler plutôt par « grappes ». Nous devons faire preuve d'intelligence et être à l'écoute de cette demande si nous voulons que le Fonds « chaleur » continue à jouer son rôle en matière de financement de projets, et peut-être envisager qu'il s'adresse désormais davantage à de plus petites structures disséminées sur le territoire.

La méthanisation représente un gros enjeu, dont il a beaucoup été question lors du Salon de l'agriculture. L'ADEME y participe déjà activement, et a beaucoup de projets en stock – plus que ce que lui permettent ses moyens. Le ministre de l'agriculture, M. Stéphane Travert, a annoncé un fonds de 100 millions d'euros, mais il faut préciser qu'en matière de méthanisation, le problème qui se pose est plus celui des fonds propres que celui de l'amorçage des projets, ce qui fait que l'ADEME n'est pas nécessairement dans son rôle premier. Cela dit, je n'ai pas pour autant l'intention de quitter le navire et je serai à l'écoute des ministères afin que nous puissions continuer à aider au développement de la méthanisation avec ces nouveaux partenaires que sont la Caisse des dépôts et consignations et Bpifrance, très actives, semble-t-il, dans ce secteur.

Il est important de souligner également la présence territoriale de l'ADEME, qui est un EPIC présent partout en France, y compris en outre-mer. J'attache une grande importance à l'outre-mer, notamment en matière d'autonomie énergétique et de gestion des déchets. Des contrats sont en cours de négociation sur ces questions, qui auront vocation à être intégrées à la stratégie outre-mer que j'aurai le plaisir de venir présenter prochainement à l'Assemblée nationale, notamment à la Délégation aux outre-mer. J'espère que nous atteindrons la cible visée et je m'efforcerai que ce soit le cas.

La présence territoriale est un modèle qu'il faut absolument défendre car, en plus de permettre d'être au plus près du terrain, elle constitue également un moyen de partager les bonnes pratiques, grâce aux contacts très forts qui s'établissent entre l'ADEME et les collectivités, via les contrats de plan État-région qui permettent des financements croisés. Le budget de 540 millions d'euros de l'ADEME lui permet une action allant bien au-delà du simple fonctionnement ; il faut maintenir cette capacité, cette capillarité régionale et parfois infrarégionale, qui permet de massifier la transition écologique et énergétique. Je crois sincèrement qu'une telle mission est impossible à accomplir depuis Paris : quelle que soit la détermination de l'ADEME à agir, elle se trouverait certainement freinée par des injonctions politiques au point de ne pas dépasser le périphérique… L'ADEME doit donc continuer à développer ses relations avec les antennes de l'AFB et les services des régions, afin de pouvoir continuer à être l'animateur des choix de politique publique nationale pour la formation – notamment des élus – et la rencontre des entreprises. C'est cette présence, ce côté « renifleur », qui permettra à l'ADEME de jouer ce rôle de multiplicateur de la transition énergétique.

Pour ce qui est des programmes d'investissements d'avenir, vous savez que l'ADEME est historiquement l'un des animateurs des investissements d'avenir, qui ont désormais atteint un stade avancé. Il reste un peu d'argent dans les caisses, et le PIA 3 prévoit encore un peu plus de 1 milliard d'euros pour l'ADEME sur des sujets décidés en commun – quelques appels à projets ont été lancés au mois de février. Il me semble important que l'agence conserve la maîtrise de tout ce qui est relatif à la transition écologique et aux technologies liées à l'environnement si elle veut continuer à aller de l'avant dans ces domaines.

Je compte affiner les choses au cours des prochains mois, et établir une relation privilégiée avec les deux ministères de tutelle, celui de la transition écologique et solidaire et celui de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. L'ADEME comprend un conseil scientifique, mais aussi une direction « recherche et prospective » qui finance des thèses et est partie prenante de programmes un peu plus conséquents. Sur ce dernier point, je pense qu'elle doit pouvoir travailler plus finement avec le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. Ainsi, en matière d'énergie renouvelable, la stratégie nationale sur le stockage de l'énergie, qui soulève la question de l'intermittence et celle des réseaux électriques intelligents (smart grids), a une importance qui justifie que l'on renforce le pôle correspondant, au besoin en l'alimentant par le biais d'appels à projets.

Je serai toujours à votre disposition pour venir discuter de ces questions avec vous. L'ADEME a beau être un EPIC, elle n'en est pas moins un outil commun et il me semble important que la représentation nationale puisse rester en contact direct avec elle, afin d'être à même de comprendre au mieux les choix faits par l'agence dans le cadre de l'indépendance et de la neutralité qui sont les siennes et qu'il convient, plus que jamais, de préserver. Au moment où l'on constate que la parole scientifique peut se trouver au service d'intérêts privés, l'État doit être en mesure d'entendre une parole neutre et indépendante, en l'occurrence celle de l'ADEME. L'indépendance de l'agence doit aussi pouvoir s'exercer vis-à-vis de ses deux ministères de tutelle ; elle possède les capacités internes pour qu'il en soit ainsi, y compris quand on aborde les questions relatives aux scénarios énergétiques.

Il y aura, dans les semaines et les mois à venir, en prévision de la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), quelques discussions un peu serrées dans le cadre desquelles vous serez amenés à vous prononcer sur la révision de la stratégie nationale bas carbone. En résumé, l'agence doit être au service de la transition énergétique et poursuivre un but, consistant à permettre à notre pays de tenir ses engagements internes. Pour ce qui est des émissions de gaz à effet de serre, nous ne pouvons exclure que la baisse observée au cours des dernières années puisse être liée à la baisse d'activité dans notre pays ; la reprise de l'activité doit nous inciter à faire preuve de vigilance. Il faut que nous soyons à même d'assurer le fameux découplage réclamé depuis longtemps : c'est une question de crédibilité au niveau européen, mais aussi au niveau international. Compte tenu de mon parcours, il me paraît important de rappeler que l'ADEME fait partie d'un écosystème européen où chaque État membre est doté d'une agence équivalente – même si l'agence française est unique en termes de multiplicité de ses champs d'action. J'espère contribuer à ce que l'ADEME joue un rôle important au sein de ce réseau et puisse travailler en étroite concertation avec la Commission européenne, notamment dans le cadre de la législature 2019-2024, qui constituera une occasion essentielle de restaurer le leadership européen sur la question climatique et de se battre pour que le budget européen consacré à la transition écologique soit fermement maintenu. Enfin, l'ADEME a également vocation à apporter son appui à la diplomatie française lorsque c'est nécessaire, comme ce sera le cas le week-end prochain en Inde, sur les questions liées à la mise en oeuvre de la COP21 qui doit continuer à être notre feuille de route.

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