Intervention de Chantal Jouanno

Réunion du mercredi 7 mars 2018 à 16h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Chantal Jouanno :

C'est un plaisir de retrouver ces lieux, où je vois d'ailleurs beaucoup de nouveaux visages.

Pourquoi poser ma candidature et pourquoi ce poste m'intéresse-t-il ? J'étais partie vers une autre vie lorsqu'il m'a été proposé. Mais je me suis dit que c'était un honneur qui ne se refusait pas.

Les questions du dialogue environnemental et du débat public sont consubstantielles, dès lors qu'on s'intéresse à l'environnement et à l'aménagement du territoire. On ne peut en effet imaginer conduire de grandes politiques gouvernementales impliquant des changements de comportement, de modèle de société et de mode de production sans concevoir un débat assez large où l'on peut d'abord identifier qui sont les gagnants et les perdants potentiels de ces évolutions, mais aussi quelles sont les personnes qui ne peuvent s'y adapter. Il s'agit également de faire oeuvre de pédagogie en partageant l'information sur l'ensemble des politiques environnementales. Enfin, il s'agit de prendre les décisions les plus éclairées.

Ma carrière a été assez hétéroclite, puisqu'elle m'a menée du corps préfectoral à des fonctions de ministre, en passant par des mandats d'élue locale ou des positions au sein de cabinets, y compris d'un conseil départemental. Dans ces différentes fonctions, j'ai eu à expérimenter des modalités de participation du public. Dans le département des Hauts-de-Seine, nous nous étions ainsi essayés à un exercice délicat, en consultant à la fois la population, les élus locaux et les acteurs économiques pour tenter de hiérarchiser nos priorités politiques. Nous avons, ce faisant, eu recours à de nombreux dispositifs, comme les conférences de consensus.

Cela dit, l'exercice le plus intéressant auquel j'ai participé reste celui du Grenelle de l'environnement. J'avais la chance, à l'époque, d'appartenir au cabinet du Président de la République. Tout est parti d'une idée simple : il s'agissait, avec les associations, de construire la politique environnementale. Ce choix particulier d'organisation avait pour ambition première de favoriser le dialogue, en évitant que deux camps se retrouvent face à face, d'un côté les « pour », de l'autre les « contre », mais aussi que certains, plus forts que les autres, emportent toujours la décision. Il s'agissait que soient présentes autour de la table toutes les parties prenantes – acteurs économiques, sociaux, environnementaux, élus, experts – de telle sorte que le résultat final soit le plus consensuel possible.

Le dialogue et le débat publics présentent donc un vrai intérêt. Comme nous abordons des sujets toujours plus fondamentaux, il faudra toujours être plus créatif et renouveler la méthode.

C'est pourquoi, si vous votez en faveur de ma nomination, j'assurerai avec passion la présidence de la CNDP. Son rôle a, comme vous l'avez rappelé, été considérablement renforcé par l'ordonnance d'août 2016. Elle a non seulement renforcé et approfondi ses compétences existantes, mais lui a donné, aussi, de nouveaux pouvoirs : en matière de saisine et d'initiative citoyenne, dispositions dont l'impact sur la CNDP ne saurait encore être mesuré ; dans le domaine des dispositifs de conciliation introduits dans la loi et dont l'impact sur la CNDP ne saurait lui non plus être mesuré à ce stade.

Comme vous le savez, la CNDP intervient en effet très en amont, au stade où l'on peut concevoir le projet « au point zéro », comme on parle parfois, en comptabilité, de « budget base zéro ». À ce stade, on dessine un état des lieux et on établit la cartographie des acteurs, avec leurs positions et leurs opinions, sans faire plus émerger les unes ou les autres : il importe qu'aucune opinion ne se trouve lésée ou bâillonnée, car elles ont toutes droit de cité. La CNDP intervient donc très en amont, sans plus le faire ensuite jusqu'au stade de la décision. Le débat public est en effet suivi de l'enquête publique, puis de la décision publique, qui est du ressort du pouvoir politique, des autorités administratives ou des acteurs qui en ont le pouvoir – ce qui n'est pas le cas de la CNDP. La dimension de la conciliation demeure donc nouvelle et reste à construire.

Premier élément à souligner : les nouveaux pouvoirs de la CNDP sont si étendus que la priorité première est sans doute de les mettre en oeuvre. Pour cela, il faut tirer les enseignements de tout ce qui a été fait. La CNDP a, depuis 1995, énormément capitalisé en termes d'expertise, tout comme d'autres acteurs qui l'accompagnent. Elle est aujourd'hui une référence à l'échelle internationale. On se tourne vers elle car, forte d'avoir expérimenté différentes méthodes, elle est capable d'apporter cette expertise à d'autres instances. C'est une grande force. Nous devons donc évaluer les débats qui ont déjà été conduits, ceux qui ont fonctionné et ceux qui n'ont pas fonctionné. Il faudra en tirer les enseignements avant de mettre en oeuvre cette réforme. Car, plus on a de pouvoir, plus on doit être exemplaire.

J'en viens au second élément à souligner. Il faut toujours renforcer les procédures existantes. Mon prédécesseur a beaucoup fait pour améliorer les exigences de la CNDP en matière de déontologie. Il convient maintenant de faire en sorte que, sur tous les débats, nous ayons une garantie d'absence de conflit d'intérêts, d'impartialité, d'objectivité totale et de transparence de la CNDP. Cette commission a en effet pour force d'être le tiers garant de l'objectivité des informations transmises au public, de l'ouverture à tous les publics et de l'inclusion de toutes les opinions, ainsi que de la transmission et de la prise en compte du résultat du débat.

La convention d'Aarhus stipule expressément qu'il faut répondre aux différentes opinions, ou du moins en tenir compte. Il sera par conséquent encore plus important à l'avenir que la CNDP soit un organisme où l'impartialité, l'objectivité, la transparence et l'absence de conflit d'intérêts soient encore plus assurées que par le passé.

S'agissant de notre coopération avec d'autres instances, il est important d'avoir en tête le continuum du débat public tel qu'il existe dans notre pays. À cet égard, évoquons tout de suite la question du CESE, puisque vous l'avez abordée, madame la présidente. Comme vous, j'ai lu que l'idée circule que le CESE puisse organiser des débats publics sur des projets qui pourraient être de grands plans nationaux ou même des projets de loi.

Mais la CNDP ne se situe pas du tout, aujourd'hui, dans la même échelle de temps ni dans la même échelle de projet. Premièrement, on ne peut organiser des débats publics nationaux sur des projets que s'ils ont un impact sur l'environnement ou sur l'aménagement du territoire. Notre champ de compétences ne couvre donc pas l'ensemble des sujets. Deuxièmement, on intervient beaucoup plus en amont, au stade où le projet est un projet « base zéro », l'objectif étant d'éclairer la décision le plus en amont possible.

Les débats publics qui seraient conduits sous l'égide du CESE, si on en croit la présentation qui en est faite, interviendraient quant à eux plus en aval, menant l'équivalent d'une enquête publique pour un projet particulier. Il recueillerait les opinions et organiserait les débats sur un projet, un plan ou une politique qui seraient beaucoup plus aboutis que le stade zéro que j'évoquais. La CNDP ayant mené de nombreux débats, elle dispose d'une expertise qu'elle peut apporter à d'autres instances. Elle le fait déjà, auprès du Gouvernement, notamment du Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP), dans le cadre de la réforme de l'organisation d'autres débats.

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