En application de l'article 13 de la Constitution, la Commission du développement durable a entendu Mme Chantal Jouanno, dont la nomination est proposée par M. le Président de la République à la fonction de présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP).
En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution et de la loi organique du 23 juillet 2010, nous auditionnons cet après-midi Mme Chantal Jouanno, que le Président de la République a proposé, le 23 février dernier, de nommer à la présidence de la Commission nationale du débat public (CNDP), autorité administrative indépendante.
Concernant la procédure, je rappelle que le Président de la République ne peut procéder à la nomination si l'addition des votes négatifs dans chaque commission compétente de l'Assemblée nationale et du Sénat représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.
Je rappelle également que Mme Chantal Jouanno a été entendue ce matin par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat. L'audition d'aujourd'hui, qui est publique, sera donc suivie d'un vote à scrutin secret, effectué par appel nominal et hors la présence de la personne auditionnée. Aucune délégation de vote n'est possible ; des bulletins vous seront distribués à cet effet. Le dépouillement aura lieu à l'issue de l'audition, vers 18 heures.
Je rappelle enfin que conformément à la décision du Bureau de notre commission, un questionnaire, auquel ont contribué les groupes politiques, a préalablement été envoyé à Mme Chantal Jouanno. Ses réponses ont été rendues publiques sur le site internet de l'Assemblée nationale.
Madame Chantal Jouanno, c'est avec plaisir que nous vous accueillons. Le Président de la République propose de vous nommer à la présidence d'une autorité dont le rôle a récemment été renforcé, avec la ratification de l'ordonnance du 3 août 2016 portant réforme des procédures destinées à assurer l'information et la participation du public. Les attentes en matière de dialogue environnemental, et donc à l'égard de la CNDP, sont fortes.
Comment concevez-vous le rôle de celle-ci pour répondre à la demande croissante de consultation et de participation du public ? Quelles seraient vos priorités en tant que présidente de cette autorité ? Comment, selon vous, ses travaux devraient-ils ou pourraient-ils être coordonnés avec ceux d'autres instances impliquées dans les procédures consultatives ? Je pense notamment au Conseil économique, social et environnemental (CESE), dont le rôle pourrait être amené à évoluer.
Madame Jouanno, je vous donne la parole.
C'est un plaisir de retrouver ces lieux, où je vois d'ailleurs beaucoup de nouveaux visages.
Pourquoi poser ma candidature et pourquoi ce poste m'intéresse-t-il ? J'étais partie vers une autre vie lorsqu'il m'a été proposé. Mais je me suis dit que c'était un honneur qui ne se refusait pas.
Les questions du dialogue environnemental et du débat public sont consubstantielles, dès lors qu'on s'intéresse à l'environnement et à l'aménagement du territoire. On ne peut en effet imaginer conduire de grandes politiques gouvernementales impliquant des changements de comportement, de modèle de société et de mode de production sans concevoir un débat assez large où l'on peut d'abord identifier qui sont les gagnants et les perdants potentiels de ces évolutions, mais aussi quelles sont les personnes qui ne peuvent s'y adapter. Il s'agit également de faire oeuvre de pédagogie en partageant l'information sur l'ensemble des politiques environnementales. Enfin, il s'agit de prendre les décisions les plus éclairées.
Ma carrière a été assez hétéroclite, puisqu'elle m'a menée du corps préfectoral à des fonctions de ministre, en passant par des mandats d'élue locale ou des positions au sein de cabinets, y compris d'un conseil départemental. Dans ces différentes fonctions, j'ai eu à expérimenter des modalités de participation du public. Dans le département des Hauts-de-Seine, nous nous étions ainsi essayés à un exercice délicat, en consultant à la fois la population, les élus locaux et les acteurs économiques pour tenter de hiérarchiser nos priorités politiques. Nous avons, ce faisant, eu recours à de nombreux dispositifs, comme les conférences de consensus.
Cela dit, l'exercice le plus intéressant auquel j'ai participé reste celui du Grenelle de l'environnement. J'avais la chance, à l'époque, d'appartenir au cabinet du Président de la République. Tout est parti d'une idée simple : il s'agissait, avec les associations, de construire la politique environnementale. Ce choix particulier d'organisation avait pour ambition première de favoriser le dialogue, en évitant que deux camps se retrouvent face à face, d'un côté les « pour », de l'autre les « contre », mais aussi que certains, plus forts que les autres, emportent toujours la décision. Il s'agissait que soient présentes autour de la table toutes les parties prenantes – acteurs économiques, sociaux, environnementaux, élus, experts – de telle sorte que le résultat final soit le plus consensuel possible.
Le dialogue et le débat publics présentent donc un vrai intérêt. Comme nous abordons des sujets toujours plus fondamentaux, il faudra toujours être plus créatif et renouveler la méthode.
C'est pourquoi, si vous votez en faveur de ma nomination, j'assurerai avec passion la présidence de la CNDP. Son rôle a, comme vous l'avez rappelé, été considérablement renforcé par l'ordonnance d'août 2016. Elle a non seulement renforcé et approfondi ses compétences existantes, mais lui a donné, aussi, de nouveaux pouvoirs : en matière de saisine et d'initiative citoyenne, dispositions dont l'impact sur la CNDP ne saurait encore être mesuré ; dans le domaine des dispositifs de conciliation introduits dans la loi et dont l'impact sur la CNDP ne saurait lui non plus être mesuré à ce stade.
Comme vous le savez, la CNDP intervient en effet très en amont, au stade où l'on peut concevoir le projet « au point zéro », comme on parle parfois, en comptabilité, de « budget base zéro ». À ce stade, on dessine un état des lieux et on établit la cartographie des acteurs, avec leurs positions et leurs opinions, sans faire plus émerger les unes ou les autres : il importe qu'aucune opinion ne se trouve lésée ou bâillonnée, car elles ont toutes droit de cité. La CNDP intervient donc très en amont, sans plus le faire ensuite jusqu'au stade de la décision. Le débat public est en effet suivi de l'enquête publique, puis de la décision publique, qui est du ressort du pouvoir politique, des autorités administratives ou des acteurs qui en ont le pouvoir – ce qui n'est pas le cas de la CNDP. La dimension de la conciliation demeure donc nouvelle et reste à construire.
Premier élément à souligner : les nouveaux pouvoirs de la CNDP sont si étendus que la priorité première est sans doute de les mettre en oeuvre. Pour cela, il faut tirer les enseignements de tout ce qui a été fait. La CNDP a, depuis 1995, énormément capitalisé en termes d'expertise, tout comme d'autres acteurs qui l'accompagnent. Elle est aujourd'hui une référence à l'échelle internationale. On se tourne vers elle car, forte d'avoir expérimenté différentes méthodes, elle est capable d'apporter cette expertise à d'autres instances. C'est une grande force. Nous devons donc évaluer les débats qui ont déjà été conduits, ceux qui ont fonctionné et ceux qui n'ont pas fonctionné. Il faudra en tirer les enseignements avant de mettre en oeuvre cette réforme. Car, plus on a de pouvoir, plus on doit être exemplaire.
J'en viens au second élément à souligner. Il faut toujours renforcer les procédures existantes. Mon prédécesseur a beaucoup fait pour améliorer les exigences de la CNDP en matière de déontologie. Il convient maintenant de faire en sorte que, sur tous les débats, nous ayons une garantie d'absence de conflit d'intérêts, d'impartialité, d'objectivité totale et de transparence de la CNDP. Cette commission a en effet pour force d'être le tiers garant de l'objectivité des informations transmises au public, de l'ouverture à tous les publics et de l'inclusion de toutes les opinions, ainsi que de la transmission et de la prise en compte du résultat du débat.
La convention d'Aarhus stipule expressément qu'il faut répondre aux différentes opinions, ou du moins en tenir compte. Il sera par conséquent encore plus important à l'avenir que la CNDP soit un organisme où l'impartialité, l'objectivité, la transparence et l'absence de conflit d'intérêts soient encore plus assurées que par le passé.
S'agissant de notre coopération avec d'autres instances, il est important d'avoir en tête le continuum du débat public tel qu'il existe dans notre pays. À cet égard, évoquons tout de suite la question du CESE, puisque vous l'avez abordée, madame la présidente. Comme vous, j'ai lu que l'idée circule que le CESE puisse organiser des débats publics sur des projets qui pourraient être de grands plans nationaux ou même des projets de loi.
Mais la CNDP ne se situe pas du tout, aujourd'hui, dans la même échelle de temps ni dans la même échelle de projet. Premièrement, on ne peut organiser des débats publics nationaux sur des projets que s'ils ont un impact sur l'environnement ou sur l'aménagement du territoire. Notre champ de compétences ne couvre donc pas l'ensemble des sujets. Deuxièmement, on intervient beaucoup plus en amont, au stade où le projet est un projet « base zéro », l'objectif étant d'éclairer la décision le plus en amont possible.
Les débats publics qui seraient conduits sous l'égide du CESE, si on en croit la présentation qui en est faite, interviendraient quant à eux plus en aval, menant l'équivalent d'une enquête publique pour un projet particulier. Il recueillerait les opinions et organiserait les débats sur un projet, un plan ou une politique qui seraient beaucoup plus aboutis que le stade zéro que j'évoquais. La CNDP ayant mené de nombreux débats, elle dispose d'une expertise qu'elle peut apporter à d'autres instances. Elle le fait déjà, auprès du Gouvernement, notamment du Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP), dans le cadre de la réforme de l'organisation d'autres débats.
Chère madame Jouanno, vous allez, du moins je l'espère, être nommée présidente de la Commission nationale du débat public. Celle-ci joue un rôle essentiel. Elle garantit la possibilité pour les citoyens de participer activement à la préparation des grands projets et d'être des acteurs engagés de leurs territoires.
Depuis sa création en 1995, la CNDP a vu ses compétences et ses prérogatives renforcées. L'Assemblée a ainsi adopté, il y a quelques semaines, les ordonnances environnementales, pour lesquelles j'étais rapporteur. Ces ordonnances promeuvent la participation citoyenne en garantissant de nouveaux droits, en particulier un droit d'initiative.
Dans ce contexte, la CNDP est le garant du dialogue environnemental. Derrière ce concept repose en fait le fondement de notre démocratie, c'est-à-dire la confiance entre les citoyens et l'État. Trop longtemps, en effet, ceux-ci ont été exclus de la prise de décision sur les grands projets impactant pourtant leurs territoires et leurs vies : barrage de Sivens, Notre-Dame-des-Landes… Les exemples ne manquent pas pour illustrer la faillite du dialogue et le déficit de confiance entre les porteurs de projet, l'État et les citoyens.
En tant que présidente de la CNDP, vous aurez la responsabilité de renouer ce lien de confiance ; ces ordonnances doivent vous y aider. C'est donc une fonction technique, mais aussi hautement politique qui vous attend : responsabilité et pédagogie devront guider votre action.
Enfin, votre rôle sera aussi de vous assurer que les ordonnances environnementales répondent aux enjeux. À cet égard, je souhaiterais savoir comment vous appréhendez l'évaluation de ces ordonnances et quels critères vous souhaitez mettre en avant pour y procéder.
Dans cet esprit, je ne pourrai qu'insister sur l'importance pour la CNDP de réaliser, d'ici à deux ans, un bilan du dialogue environnemental, bilan pour lequel notre commission se tiendra à votre entière disposition.
Madame Chantal Jouanno, nous voici réunis pour examiner votre candidature à la fonction de présidente de la Commission nationale du débat public.
Vous avez un passé très politique : collaboratrice de M. Nicolas Sarkozy, puis membre du gouvernement comme secrétaire d'État chargée de l'écologie, puis ministre des sports. Vous êtes ensuite sénatrice UDI de Paris et également conseillère régionale d'Île-de-France.
Déjà lors des élections régionales de 2010, vous énonciez les « principes d'une écologie de droite » qui seraient notamment la croissance, le progrès technologique et l'utilisation de l'énergie nucléaire.
La CNDP est une autorité indépendante, transparente, qui veut une égalité de traitement dans ses dossiers et qui se place dans une pluralité pour ses positions. Ma première question, madame Jouanno, est donc la suivante : comment, avec le parcours politique que vous avez eu, appréhenderez-vous votre future mission, si votre candidature est acceptée, en respectant indépendance, transparence, égalité et pluralité ?
La CNDP étudiait des dossiers dont les budgets dépassaient 300 millions d'euros. Désormais, la Commission va examiner des projets beaucoup plus modestes. J'imagine que vous avez déjà une connaissance de ces dossiers. Quelles seront vos priorités ?
Issue de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015, la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) développe les objectifs que se donne la France en matière énergétique aux horizons 2023 et 2028. Pourriez-vous nous en parler ? Ce sont des outils de pilotage de la politique énergétique. Avez-vous d'ores et déjà connaissance d'un calendrier prévisionnel ?
La PPE vise un certain nombre d'enjeux. Pouvez-vous nous faire un état des lieux sur le plan de la consommation et de la production d'énergie ? Connaissez-vous les moyens à mettre en place pour améliorer et atteindre les objectifs ? Quel bouquet énergétique et électrique devrions-nous avoir pour 2023 et 2028 ? Enfin, quelles sont vos propositions pour évaluer la politique énergétique française ?
La Commission nationale du débat public veut consulter un panel citoyen composé de quatre cents Français tirés au sort qui devront donner leur avis. Que pensez-vous de cette initiative ?
Le débat public impose de la concertation, une mission de conciliation, un certain nombre de recommandations. L'ampleur de la tâche est énorme. Sans doute l'avez-vous mesuré. Au nom du groupe Les Républicains, je vous remercie pour vos réponses.
Madame Jouanno, je suis ravi de vous retrouver ici en vue de votre future nomination, comme je l'espère, à la tête de la CNDP. J'aurai néanmoins plusieurs questions à vous poser, au nom du MODEM.
La programmation pluriannuelle de l'énergie est un sujet fondamental, la gestion de l'énergie étant une problématique vitale pour notre avenir. Nous en sommes tous conscients. Nous avions au demeurant déjà évoqué le sujet quand nous avions reçu la CNDP devant cette commission, il y a un mois. Quelle est votre vision de la PPE ? Comment envisagez-vous la future concertation sur cette programmation ? Quelles sont vos propositions ?
La CNDP repose sur le principe de l'inclusion. Elle veille ainsi à ce que les débats soient ouverts à tous, sans qualification préalable et sans sélection. La numérisation me semble être l'un des meilleurs outils pour permettre le respect de ce principe, voire pour pousser plus loin sa mise en oeuvre. La CNDP devrait-elle, selon vous, s'emparer de cet outil de manière plus avancée pour renforcer son accessibilité ?
Enfin, en ce qui concerne la saisine de la CNDP, pensez-vous que les différentes ordonnances dont nous avons autorisé la ratification, il y a peu, sont allées assez loin ou faut-il ajouter d'autres possibilités de saisine ?
Madame Jouanno, nous sommes très heureux de vous retrouver aujourd'hui. On ne pouvait rêver de meilleure présidente pour la CNDP qu'une personnalité qui a elle-même exercé des fonctions au ministère de l'écologie. La participation citoyenne est en effet la base de la convention d'Aarhus et du développement durable. Et à travers vos actions passées, vous vous êtes trouvée pleinement engagée dans ce type de processus.
Une nouvelle démocratie est actuellement en marche. Elle constitue une lame de fond qui va changer nos anciennes institutions par la participation citoyenne. Partout, on note une volonté d'être associé au processus de décision. Ce matin même, j'étais à Lille, dans le cadre d'un forum sur la participation citoyenne. Pendant trois jours, 700 personnes issues de toute la France se sont rassemblées, alors qu'il n'y en avait que 350, il y a un an et demi, pour les mêmes opérations. La participation citoyenne progresse ainsi partout, avec des méthodes sur lesquelles nous devons évidemment travailler ensemble.
Cette participation se révèle cependant beaucoup plus facile aux « étages inférieurs » qu'aux « étages supérieurs ». Aux étages supérieurs, on veut en effet continuer à garder le pouvoir ; on veut bien qu'une concertation ait lieu, mais on préfère qu'elle soit réduite à des sujets très précis. Dans ce contexte-là, la CNDP doit jouer un rôle particulier, fait d'indépendance complète – sujet sur lequel je n'ai aucun doute –, mais aussi d'animation de l'ensemble des acteurs.
Dans le cadre des nouvelles ordonnances, et notamment de celle du 3 août 2016, le fonctionnement de la CNDP va changer. Petite structure, elle compte aujourd'hui douze collaborateurs à temps plein. Elle repose sur un réseau de présidents de commissions particulières, qui ne sont au demeurant, à ma connaissance, pas très bien rémunérés. Un réseau de 200 à 250 garants locaux existe aussi, désormais, pour animer les débats locaux portant sur les projets représentant un investissement supérieur à cinq millions d'euros. Car on est désormais obligé d'ouvrir un débat local sur eux.
Comment allez-vous pouvoir vous engager pour que tout cela fonctionne ? Il faudra aussi entrer en relation avec les élus locaux, qui sont parfois un peu susceptibles. Comment allez-vous appréhender ces nouvelles missions territoriales ? Telles sont les questions que je souhaitais vous poser au nom du groupe UDI, Agir et Indépendants.
Madame Jouanno, vous aspirez à présider la CNDP à un moment où, du fait des ordonnances de 2016, les règles ont changé : tout le monde attend plus et mieux de cette institution. Vous traiterez de sujets d'actualité tels que la PPE ou le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs. Au cours de l'année à venir, vous serez au coeur de sujets qui intéressent pleinement les Français et les élus locaux.
Vous avez les qualités pour cela. Vous avez rappelé devant nous votre engagement au long cours sur les questions environnementales, votre expérience à la fois dans des collectivités locales et au plus haut niveau de l'État, mais aussi comme élue. Comme autre qualité essentielle, vous maîtrisez parfaitement la pratique du kata, ces principes techniques de karaté. Car c'est aussi parfois un sport de combat que de mener un débat public. Nous avons en mémoire le débat sur les nanotechnologies, qui n'a malheureusement pas pu aller jusqu'à son terme. Il faut plutôt que toutes les parties puissent s'exprimer dans le respect et l'écoute de chacun.
Vous parliez tout à l'heure de tirer tous les enseignements des débats antérieurs. À ce propos, je voudrais vous citer une anecdote qui tend à prouver que les choses, parfois, ne tournent pas rond, et qu'elles ont besoin d'évoluer. Projet datant de 2009, la nouvelle ligne Paris-Normandie a fait l'objet d'un débat public en 2010 et 2011. Imaginez un débat public qui consiste à se rendre dans les gares pour demander aux voyageurs s'ils veulent que les trains arrivent plus vite et à l'heure… Leur réponse positive se laisse facilement deviner.
Mais cette ligne n'était encore à l'époque qu'un grand trait sur les cartes. Le détail du projet n'a été connu que plus tard, soit après le débat public. Aujourd'hui, même si la concertation continue, je trouve qu'il y a mauvaise donne et que l'information n'est pas suffisamment partagée. Dans les documents de l'époque, Réseau ferré de France (RFF) indiquait que, au niveau du débat public, les effets du projet sur l'environnement ne pouvaient être examinés qu'en termes de risques d'impact potentiel, la définition du tracé ou des caractéristiques techniques relevant d'études ultérieures.
En la matière, je crois qu'il faut plutôt pouvoir donner aux citoyens toute l'information nécessaire pour être à même de juger de l'opportunité et des caractéristiques d'un projet, sans en renvoyer les caractéristiques à plus tard. Voilà les observations que je souhaitais faire au nom du groupe Nouvelle Gauche.
Monsieur Zulesi, vous m'avez interrogée sur l'importance de la mise en oeuvre des ordonnances et sur l'évaluation de leur impact, comme, plus généralement, sur le fonctionnement de la CNDP et du débat public.
Beaucoup de débats ont déjà eu lieu, que ce soit sur la ligne Paris-Normandie, sur l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou sur les nanotechnologies, ce dernier ayant dû être interrompu. Au sujet de ces débats compliqués, un retour d'expérience plus systématique serait intéressant, de façon qu'on puisse en tirer les enseignements en voyant ce qui a fonctionné et ce qui n'a pas fonctionné. Ces enseignements pourraient alors être réutilisés pour d'autres débats. C'est déjà fait, mais il serait bon de le faire de manière encore plus systématique et structurée.
S'agissant des ordonnances, il faudra de toute façon en faire l'évaluation dans les deux ans au plus tard, dans la mesure où elles auront un impact assez important sur le fonctionnement de la CNDP, que ce soit en termes de moyens ou de procédure : la conciliation reste encore à construire, notamment. L'évaluation devra être conduite avec les porteurs de projets et avec les élus. Il n'est pas normal, en effet, que l'utilité de la CNDP soit parfois mise en cause ou que son existence ne soit tout simplement pas connue de la population. Aussi est-il important que nous menions une évaluation pluripartite. Sa composition pluripartite fait précisément l'une des forces de la CNDP ; la représentation des différents intérêts permet d'en garantir l'indépendance.
La priorité sera donc donnée, la première année, à la mise en oeuvre des ordonnances. Dès la fin de cette première année, nous devrions pouvoir en évaluer les premiers impacts. Il conviendra ensuite, en fonction de cette évaluation, de calibrer les prévisions, ne serait-ce qu'en matière budgétaire.
Prenons l'exemple des initiatives citoyennes. Un nombre non négligeable de dispositifs ont déjà été ouverts dans le cadre de ces dernières, y compris au niveau national. Des dispositions similaires s'appliquaient déjà au CESE. Pour l'instant, il n'a été saisi que trois fois, mais nous ne savons absolument pas dire ce qu'il en sera concrètement demain. La CNDP sera-t-elle considérée par certains comme une instance de recours, ce qui serait plutôt un risque, ou, au contraire, comme l'instrument d'une démocratie beaucoup plus apaisée ?
Madame Beauvais, vous m'avez d'abord interrogée sur l'indépendance, question légitime et que je m'attendais à entendre poser en premier. J'ai en effet, au cours de ma carrière politique, pris des positions sur des sujets d'aménagement ou sur des sujets plus politiques, telle la PPE. Dès lors, comment puis-je assurer que, si j'en suis présidente, la CNDP sera un tiers garant parfaitement neutre et objectif ? En perdant neutralité et objectivité, la CNDP perdrait en effet sa crédibilité et sa raison d'être.
Premièrement, le fonctionnement même de la CNDP garantit son objectivité et son indépendance. Composée, au niveau national, de 25 membres permanents, elle compte un président et deux vice-présidents. Qu'il s'agisse d'engager, ou non, un débat public ou une concertation, toutes les décisions sont prises par cette instance collégiale, qui valide aussi les dossiers ainsi que les modalités de participation. Ses membres sont nommés de manière indépendante par les instances qu'ils représentent, qu'elles soient économiques, associatives ou sociales. Des élus sont également membres. Cette composition pluraliste garantit un équilibre et l'indépendance des décisions de la CNDP.
Deuxièmement, le président n'intervient pas directement dans un débat, car il n'est pas président d'une commission particulière de débat public. Il garantit les procédures ; il organise les délibérations de la Commission nationale du débat public, ainsi que son fonctionnement interne. Mais il n'a pas vocation à organiser lui-même des commissions particulières de débat public.
Troisièmement, il sera nécessaire de renforcer encore l'impartialité de la CNDP. M. Christian Leyrit a fait adopter une charte déontologique et l'a insérée dans le règlement intérieur de la CNDP, publié au Journal officiel. À l'avenir, la commission devra procéder à une instruction plus poussée de toutes les nominations – présidents de commissions particulières du débat public (CPDP), équipes et garants – afin de vérifier l'absence de conflits d'intérêts et leur indépendance. Elle devra également pouvoir se saisir de tout conflit d'intérêts signalé. J'insiste sur ce point, car c'est l'un des principaux écueils auquel la CNDP pourrait être confrontée demain.
Les projets sont systématiquement choisis collégialement. Les vingt-cinq membres de la CNDP se réunissent une fois par mois.
Les modalités d'organisation du débat concernant la révision de la PPE ont été adoptées et publiées hier soir, après la dernière réunion de la commission nationale. Quelles que soient mes opinions, je n'ai surtout pas à dire quel doit être le bouquet énergétique de demain. Je n'ai pas d'avis à exprimer sur cette question. Je n'ai pas non plus à vous dire comment évaluer la politique énergétique : c'est le rôle du Parlement et du Gouvernement.
En tout cas, les modalités du débat me semblent extrêmement pertinentes, notamment le tirage au sort de quatre cents citoyens qui vont ensuite être formés et avec lesquels nous allons organiser des débats. Nous pourrons ainsi bénéficier de leur avis éclairé sur des sujets techniques complexes et de long terme. Cet effort de pédagogie et ce travail collectif nous permettront d'intégrer dans la durée tous les enjeux du débat – énergétiques, économiques, sociaux et environnementaux.
Monsieur Millienne, la numérisation participe effectivement au principe d'inclusion : l'égale légitimité de toutes les opinions est un principe fondateur et fondamental dans le débat public et pour la CNDP. La numérisation est un des outils de débat public, de transmission d'information et de concertation. Des expériences extrêmement intéressantes sont menées en la matière par nos collègues de République Tchèque, mais également à Londres.
Pour autant, ces processus ne peuvent en aucun cas se substituer au débat public physique ou organisé par d'autres voies médiatiques car nous ne devons pas oublier que le numérique n'est pas encore parfaitement accessible à tous – la fracture numérique est une réalité. Pour le moment, c'est un outil complémentaire, et non de substitution, au débat public. Il en sera peut-être autrement demain.
Des expérimentations extrêmement intéressantes d'inclusion ont été réalisées auprès de certaines personnes qui ne viendront jamais aux réunions publiques et n'iront pas sur internet : un système de bus mobile a ainsi été expérimenté au sein de quartiers sensibles ou de villages. Le débat vient ainsi parmi ceux qui ne se déplacent pas. La CNDP dispose d'une sorte de « boîte à outils » composée de nombreux dispositifs et méthodes : leur combinaison lui permet d'obtenir la participation la plus large possible.
Sommes-nous allés assez loin dans les différentes modalités de saisine de la CNDP ? Il me semble qu'il existe de nombreuses nouvelles modalités de saisine – si je me réfère à mes petites fiches. Il sera probablement intéressant de disposer d'un retour d'expérience sur l'impact des ordonnances d'ici un à deux ans.
Monsieur Pancher, vous connaissez particulièrement bien le sujet ; je ne vais donc pas vous apprendre grand-chose… Comment animer le réseau de la CNDP – présidents de commissions particulières, membres de ces commissions nommés par les présidents, garants ? Un jury a identifié et sélectionné deux cents nouveaux garants, en plus des cinquante garants historiques. Leur rôle sera particulièrement important puisqu'ils accompagneront systématiquement le dialogue après un débat public, en particulier durant la phase d'enquête publique, afin d'éviter ces fameuses ruptures – et l'absence de dialogue et d'information qui en découlent – lorsque l'enquête publique démarre dix ans après le débat !
Il est prévu de créer des délégués régionaux de la CNDP, chargés d'animer ce réseau de garants et de contribuer à leur formation : les garants ont été formés, mais les techniques de débat public et de participation évoluent en permanence.
Nous allons également nous pencher sur les conditions d'indemnisation des garants et des présidents de commissions particulières : on ne peut pas espérer que les personnes s'engagent totalement si on ne les reconnaît pas d'une manière ou d'une autre.
Monsieur Bouillon, je ne prendrai pas part au débat sur la ligne Paris-Normandie. En tant que normande, j'ai forcément un avis sur cette ligne ! Vous avez raison, sur les infrastructures linéaires, un débat public très en amont est toujours compliqué : on peut identifier ce que les personnes attendent du projet, mais quand l'infrastructure passe près de chez eux, leur avis peut devenir radicalement différent. Les garants seront précisément chargés d'assurer la continuité dans le processus de débat public, jusqu'à la décision en aval et l'enquête publique. Ils seront en mesure d'accompagner, de transmettre les informations, de remonter et de prendre en compte les opinions des uns et des autres, afin que les oppositions n'émergent pas au moment de la construction.
Madame la future présidente, la principale mission de la Commission nationale du débat public est de donner la parole aux citoyens et de la faire entendre. En ville, c'est assez simple : la parole est facilitée par un maillage administratif et associatif dense et des réseaux de communication en général performants. Mais certains territoires français sont plus isolés, moins structurés, techniquement moins bien pourvus. L'information y circule plus difficilement. Ces territoires sont parfois complètement délaissés – ou se vivent comme tels. En conséquence, la parole des citoyens concernés est peu audible. Vous l'aurez compris, je parle des territoires ruraux.
Avec quels outils et quelles méthodes comptez-vous faire en sorte que la commission soit mieux connue des territoires ruraux et que leurs citoyens puissent aussi apporter leur contribution ? Un budget y sera-t-il consacré ?
Vous connaissez bien les questions environnementales. Je vous remercie d'avoir cité le Grenelle de l'environnement. J'ajouterai que nos débats en commission cet après-midi sont également constitutionnalisés, puisque nous débattons d'un sujet relevant de l'article 7 de la Charte de l'environnement, qui régit l'association du public aux débats sur l'environnement.
Quels seront vos moyens budgétaires et humains pour accomplir la mission de la CNDP ?
Lors des débats qu'elle organise sur des sujets particuliers, est-il envisageable que la CNDP contribue à faire évoluer les contradictions entre le droit législatif et réglementaire ? En matière d'hydroélectricité, par exemple, trois ou quatre codes et textes législatifs sont applicables mais leurs dispositions peuvent être contradictoires…
Il y a quelques semaines, notre commission recevait M. Jacques Archimbaud, vice-président de la Commission nationale du débat public, en prévision de la consultation nationale sur la programmation pluriannuelle de l'énergie.
Avec certains de mes collègues, je partage le souhait d'organiser au Pays Basque une rencontre associant le grand public et les acteurs du secteur, afin de faire remonter des informations de terrain à la CNDP. Si, sur le principe, la commission s'est déclarée favorable à ces réunions locales, elle ne nous a pas encore transmis d'informations sur les modalités d'organisation de ces ateliers, qui devraient pourtant se tenir en mars ou avril de cette année. Quelles seraient les modalités d'organisation optimales d'un débat public territorial sur la PPE ? Comment les conclusions de ces rencontres seront-elles prises en compte par la CNDP ?
Le 6 octobre dernier, M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, a mis en place un groupe de travail sur l'éolien, afin d'accélérer le développement de cette énergie renouvelable dans notre pays.
Nous nous sommes fixé des objectifs ambitieux en matière de transition écologique – 32 % d'énergies renouvelables dans notre mix énergétique d'ici 2030. Nous prenons malheureusement du retard, notamment en ce qui concerne le développement de l'énergie éolienne terrestre ou marine. Le délai moyen de réalisation d'un parc excède huit ans en France, alors qu'il faut trois à quatre ans en Allemagne. Les projets ne sont souvent pas acceptés par les populations et se heurtent régulièrement à des contentieux au long cours. À titre d'exemple, en Vendée – où je suis élu –, plus précisément au large des îles d'Yeu et de Noirmoutier, un ambitieux parc de soixante-deux éoliennes doit voir le jour en 2021. Or l'enquête publique n'a toujours pas été lancée. L'acceptation du projet par la population locale s'effrite. Si l'on rajoute le coût, la lenteur des démarches administratives, ainsi que le report de notre objectif de réduction à 50 % de la part de l'électricité d'origine nucléaire, les signaux favorables s'éloignent… Dès lors, comment la CNDP – que vous allez vraisemblablement présider – peut-elle se saisir de ce type de dossiers, afin d'optimiser les concertations publiques autour de la construction des parcs éoliens ?
Monsieur Dombreval, nous disposons de différentes techniques en milieu rural. Les bus dont j'ai parlé sont une possibilité, le numérique en est une autre. Mais, en complémentarité, des réunions doivent être organisées sur place et la presse locale utilisée pour diffuser l'information.
La CNDP n'alloue pas de budget spécifique, les débats étant financées par les porteurs de projets. Ces financements sont affectés à un fonds spécial – un fonds de concours bien distinct – et servent ensuite à financer les débats. C'est donc dans ce cadre que le président de la commission particulière peut ensuite identifier des budgets particuliers pour les territoires ruraux et prévoir une enveloppe spécifique afin d'organiser au mieux des réunions locales. C'est évidemment une priorité : en effet, dans les débats comme dans les enquêtes publics, on a parfois le sentiment d'entendre toujours les mêmes, la participation n'étant pas assez large. Nous allons donc expérimenter toutes les méthodes pour aller au-devant de ces personnes qui ne viennent pas aux grandes réunions.
Monsieur Saddier, hors budgets spécifiques alloués par les porteurs de projet à l'organisation des débats, le budget de fonctionnement de la CNDP – masse salariale et autres dépenses de fonctionnement – s'est élevé à deux millions d'euros en 2017. Le budget 2018 est en augmentation, afin de tenir compte des nouvelles compétences et des nouvelles indemnisations : il est de près de 3,4 millions d'euros. En incluant les trois vice-présidents – à plein-temps –, dix personnes seulement travaillent à la CNDP. Il ne s'agit donc pas d'une grosse structure, mais elle dispose du soutien d'un réseau diffus, de garants et de présidents des commissions particulières.
Sur les contradictions législatives et réglementaires, nous pouvons parfois les constater et les porter à connaissance. Mais, en général, vous les connaissez déjà très bien ! En outre, il est plutôt du ressort d'un parlementaire ou du Gouvernement de les relever, même si la CNDP peut apporter un éclairage particulier, du fait des opinions qu'elle recueille ou des éléments portés au débat. Il reste que la CNDP n'est pas un organe politique. Elle ne peut, d'une manière ou d'une autre, se substituer aux politiques ou aux décideurs.
Madame Lasserre-David, vous souhaitez organiser des réunions locales sur la PPE au Pays Basque. Les modalités de leur organisation ont été votées hier soir par la CNDP. Je n'ai pas à me prononcer sur ces modalités. Vous pourrez les retrouver sur le site de la CNDP qui comporte une page dédiée à la PPE.
Monsieur Buchou, l'éolien est un vieux débat… La commission est engagée dans une concertation préalable du public sur les quatre documents stratégiques de façade, afin d'organiser un débat public sur la conciliation de ces différents enjeux. Les modalités de concertation ont été votées et publiées ; vous pouvez facilement les retrouver. Nous pouvons toujours organiser le débat public très en amont, puis nommer un garant qui suivra la procédure – notamment celle d'autorisation – afin de garantir la continuité du dialogue. Mais ce sont parfois les délais entre procédures et les divers recours qui rendent les débats plus difficiles. Sachez que nous sommes engagés sur ce dossier.
Madame Jouanno, c'est un plaisir de vous retrouver, presque dix ans jour pour jour après votre arrivée à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME). Nous avons eu le plaisir d'y travailler ensemble, en toute indépendance.
Avez-vous noté des initiatives et méthodes de participation du public intéressantes à l'étranger, qui pourraient améliorer le fonctionnement de la CNDP, notamment concernant l'inclusion des publics les plus éloignés des méthodes habituelles de concertation ?
Vous avez partiellement répondu à ma question dans vos propos introductifs. Je serai donc très bref. Le Président de la République M. Emmanuel Macron a annoncé qu'il souhaitait que le Gouvernement délègue au CESE l'organisation de consultations publiques sur tout projet de réforme. L'ordonnance d'août 2016 fait apparaître la nécessité d'une réflexion complémentaire sur l'articulation des missions de la CNDP et du CESE. En tant que future présidente de la CNDP, comment envisagez-vous cette collaboration ?
En France, le débat public, qui est inscrit dans la loi, s'ancre également dans nos moeurs, et c'est heureux car il stimule la réflexion collective. Cependant, cette forme de démocratie participative gagnerait à se développer en direction du grand public qui en demeure éloigné. C'est le cas de la jeunesse. Le débat public pourrait pourtant constituer un levier décisif dans le parcours d'émancipation des jeunes. Encourager leur participation citoyenne en leur permettant l'accès au débat public serait un moyen d'assurer le renouvellement démocratique, tout en les intéressant à la vie publique. Madame la ministre, vous qui avez eu la charge de la jeunesse et des sports et porté une attention particulière à la jeunesse, quels moyens – notamment numériques – mettrez-vous en oeuvre pour les associer aux travaux de la CNDP ? Comment pourrions-nous associer les écoles, lycées et universités aux débats ?
Vous connaissez bien la CNDP. Pour ma part, je connais le revers de la médaille. Je suis du côté des usagers et j'ai hélas souvent constaté l'absence totale de débouchés de ces débats parés de bonnes intentions. Ainsi, le projet de parc éolien au large du Tréport et de Dieppe va passer en force, alors que les deux débats publics – qui ont duré plus de douze ans – ont mis en évidence l'opposition absolue de tous les professionnels, riverains et élus locaux ! Cela démontre que la CNDP n'est malheureusement qu'un outil de communication.
Les majorités qui s'opposent dans le calme ne sont pas entendues, alors que les minorités bruyantes et anarchiques savent toujours faire capoter les grands projets voulus par la majorité, comme Notre-Dame-des-Landes. Je compte d'ailleurs en prendre acte en posant ouvertement la question de la suppression de la CNDP. Quel est votre diagnostic sur la prise en considération de ces débats par les promoteurs ? Comment comptez-vous créer les conditions d'une vraie codécision citoyenne ?
Je ne suis pas certaine que ma première question relève de la CNDP. Elle concerne les riverains des axes ferroviaires, qui sont confrontés à une problématique de bruit. Peuvent-ils saisir la CNDP ? Si oui, comment ? Les niveaux sonores actuellement pris en compte sont basés sur des moyennes, alors que les riverains subissent quarante à cinquante pics par jour. Quels sont leurs recours pour obtenir de nouvelles mesures antibruit ?
Désormais, 500 000 citoyens de l'Union européenne pétitionnaires peuvent saisir la CNDP : des saisines sont-elles déjà intervenues ?
Monsieur Orphelin, le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE), notre homologue au Québec, fonctionne un peu différemment, puisqu'il est saisi par la ministre. On trouve des méthodes assez créatives en République tchèque, qui dispose d'outils de consultation en ligne sur lesquels il est possible d'émettre des avis multiples – et non de répondre simplement à un sondage binaire. Cela peut être intéressant en termes d'ouverture du débat vers la jeunesse, pour répondre à la question de Mme Brulebois. Ces outils, qui favorisent le qualitatif, permettent une plus large expression. De même, des étudiants de l'université Queen Mary de Londres, experts des questions de débats et de participation publique, accompagnent des collectifs de citoyens ou de riverains afin de leur transmettre de bonnes méthodes de débats.
La CNDP est favorable au développement de partenariats avec des équipes de recherche ou des universités : cela nous permettrait de progresser dans nos différentes méthodes, de comparer notre expertise de terrain et une expertise plus théorique. Ce serait un bon moyen d'associer la jeunesse et de former un maximum de personnes, tout en diffusant la pratique du débat et du dialogue publics.
Monsieur Bony, vous avez raison, j'ai anticipé votre question sur le CESE. Dans les déclarations, j'ai cru comprendre que le CESE interviendra sur les projets de loi ou de plan déjà établis pour identifier et organiser les avis des uns et des autres. La CNDP, quant à elle, travaille très en amont, au démarrage des projets. C'est d'ailleurs une de nos difficultés. Nous ne nous situons donc pas sur le même terrain. Pour autant, nos techniques d'organisation de débats publics constituent une expertise très riche. La CNDP devrait pouvoir apporter son appui méthodologique au CESE. Mais cela relève de décisions politiques.
Monsieur Maquet, j'ai rencontré vos collègues du Sénat qui ont présenté des amendements de suppression de la CNDP. Ce débat vous appartient. Toujours est-il qu'on souhaite confier à la CNDP des missions qui ne sont pas les siennes ; le problème vient souvent de là. Or l'arbitrage et la décision finale ne lui appartiennent pas : ils sont du ressort des autorités politiques et administratives.
Lorsqu'elle organise un débat public, la CNDP doit absolument faire en sorte que tous les arguments soient entendus – on retrouve d'ailleurs dans les comptes rendus des débats autant d'arguments pour que d'arguments contre. La CNDP y veille avec la plus grande attention, afin que les « petites » voix soient aussi audibles que les « grandes ». Tous les arguments ont la même légitimité. C'est sur cette base que nous éclairons la décision.
Mais la CNDP n'est ni un organe de décision, ni un organe de codécision. La conciliation que j'évoquais, telle qu'elle est envisagée dans les ordonnances, est une procédure radicalement nouvelle par rapport au positionnement actuel de la CNDP. Elle est là pour éclairer le débat public, faire en sorte que toutes les personnes potentiellement concernées par un projet disposent d'un maximum d'informations, objectives et transparentes.
Le fait que la CNDP ne soit pas partie prenante – car elle ne décide pas – est justement essentiel à la bonne tenue du débat public. On me le disait : un débat public de la CNDP réussi n'est pas synonyme d'abandon d'un projet, bien au contraire. Nous sommes là pour que le débat soit enrichi par nos constatations.
La CNDP a répondu à deux cent quarante saisines depuis sa création. Certains débats se passent peut-être mal, mais une grande majorité se déroule très bien et est extrêmement productive. Quand cela se passe mal, il est intéressant de procéder à un retour d'expérience, afin de comprendre pourquoi.
Madame Auconie, la question du bruit n'est pas de la compétence de la CNDP. Vous avez raison, il y a un vieux débat – aux impacts budgétaires assez conséquents – sur l'élaboration des cartes de bruit et le financement des plans antibruit.
La procédure de saisine par 500 000 ressortissants européens majeurs est nouvelle et n'a pas encore été actionnée auprès de la CNDP. Cela ne touche que l'organisation de débats publics nationaux concernant des politiques publiques ayant un impact majeur sur l'environnement ou l'aménagement du territoire. Le CESE bénéficie aussi de ce type de disposition. Il n'a été saisi que trois fois et ces saisines n'ont jamais abouti. Le CESE a également procédé à des autosaisines – ce que la CNDP ne peut pas faire.
Madame Jouanno, comme chacun le sait, les grands projets susceptibles de faire l'objet de débats publics sont des projets d'intérêt national qui peuvent avoir des répercussions sur l'environnement et qui présentent de forts enjeux socio-économiques. Aujourd'hui, les citoyens sont de plus en plus nombreux, et je m'en réjouis, à souhaiter que l'impact environnemental de tout projet d'infrastructure de transport ou d'installation industrielle soit le plus réduit possible. Sur ce plan, nous sommes véritablement entrés dans une ère d'exigence. Le débat public qui précède les prises de décision est un moment privilégié pendant lequel chacun peut s'exprimer.
Comment associer mieux et plus nos compatriotes à ces débats ? Comment peut-on, en particulier, mieux associer nos chercheurs, et peut-être même ceux des autres pays européens, quel que soit leur domaine de recherche ?
Chacun a pu constater, au cours de ces derniers mois, qu'un certain nombre de projets ont fait l'objet de décisions qui ne répondaient pas toujours à l'opinion majoritaire des élus ou à l'expression publique du plus grand nombre.
Pour ma part, je ne proposerai pas la suppression de la commission et je vous poserai la question suivante : envisagez-vous des actions particulières pour renforcer la confiance de celles et ceux qui seraient disposés à participer à ce débat, qui doivent y participer mais qui pourraient craindre de ne pas être entendus in fine ?
Comment la CNDP est-elle accompagnée sur le déploiement de la conciliation ? Est-il possible d'ouvrir un nouveau débat sur les projets intégrant des éléments non connus lors du premier débat ?
Je n'avais pas prévu d'intervenir mais au vu des témoignages particulièrement sévères que j'ai entendus, je veux attester que dans mon département, le débat public a été très réussi. Des réunions ont eu lieu dans tous les bourgs-centres le long du tracé du futur canal à grand gabarit entre Bray et Nogent-sur-Seine. À chaque réunion, beaucoup de gens participaient, le public était très concerné. Sur le plan technique, tous les éléments ont été donnés s'agissant du tracé, du coût et de l'impact environnemental. Je peux donc témoigner qu'il existe des débats publics réussis, et j'espère que la nouvelle méthode ne sera pas moins bonne que l'ancienne.
Madame Jouanno, lors du Comité de haut niveau (CHN) sur le projet de centre industriel de stockage géologique de déchets nucléaires (Cigéo) qui a eu lieu cet après-midi, M. Sébastien Lecornu a annoncé le lancement d'un débat national sur la gestion des déchets nucléaires sous l'égide de la CNDP pour la fin de l'année 2018. Quelles sont les suites à donner aux conclusions qui avaient été arrêtées lors du débat de 2005 sur ce sujet ? Comment cette concertation sur la réversibilité et l'insertion sociale et environnementale du projet porté par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs sera-t-elle organisée ?
La CNDP a mené une concertation dans le cadre du projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Le Gouvernement a décidé, au mois de janvier dernier, le réaménagement de l'aéroport Nantes-Atlantique. Il veut également aménager et surtout améliorer les dessertes TGV vers les aéroports parisiens. Êtes-vous favorable à l'organisation d'une nouvelle concertation ?
Monsieur Fugit, l'objectif des réformes et des ordonnances vise à mieux associer nos compatriotes. La mise en oeuvre de ces dispositions devrait donc constituer normalement un grand progrès. J'ai évoqué toutes les nouvelles techniques qui existent pour aller chercher les personnes sur le terrain, dans les territoires ruraux, les quartiers. On peut, par exemple, associer la jeunesse via le numérique ou des partenariats avec des universités. Le partenariat avec des chercheurs est effectivement une piste à développer davantage à l'avenir. À cet égard, l'exemple de l'université Queen Mary à Londres est très probant. Il serait extrêmement intéressant pour la CNDP de pouvoir s'appuyer sur un réseau de chercheurs et d'étudiants pour démultiplier son action. Cela permettrait également de créer des générations de débatteurs publics. On a donc tout intérêt à le faire.
Monsieur Descoeur, vous proposez de renforcer la confiance, pour rassurer ceux qui craignent de ne pas être entendus. C'est tout le problème des débats publics en général. C'est en cela que la CNDP a un rôle central de tiers garant. Elle garantit en effet ce principe d'inclusion qu'évoquait M. Bruno Millienne tout à l'heure : tous les arguments ont la même légitimité et ils sont tous repris dans un document final. Tous les arguments ont vocation à être entendus et une suite doit leur être donnée. C'est pour cela que l'indépendance et l'impartialité de la CNDP sont le fondement même de sa légitimité. On ne doit pas être accusé d'en oublier certains ou de donner plus de poids à certains avis qu'à d'autres.
Le président actuel élabore par exemple des documents dans lesquels figurent dix arguments pour et dix contre. On peut aussi imaginer une sorte de cartographie des arguments et des opinions entre les « très contre » et les « très pour », avec toutes les différentes subtilités et nuances qu'il peut y avoir entre ces arguments. Cela permettrait d'éviter cette crainte de ne pas être entendus, parce que nous sommes tous confrontés au problème de participation dans les débats publics.
Madame Kerbarh, il est encore un peu tôt pour vous répondre sur le dispositif de conciliation. Vous avez raison, il faudra que la CNDP soit bien accompagnée pour avoir des procédures irréprochables en termes de conciliation, et être bien positionnée dans le cadre du processus de décision. C'est l'une des priorités de l'année à venir.
Vous demandez si l'on peut intégrer de nouvelles données en cas de débats successifs : c'est tout le rôle des garants qui seront demain systématiquement désignés à l'issue d'un débat public ou d'une concertation et qui devront accompagner le dialogue jusqu'à la réalisation du projet. Ils auront justement pour fonction première d'intégrer les données au débat, de veiller à ce que celles-ci soient objectives, de demander parfois des expertises alternatives et de faire en sorte que la transparence la plus totale soit faite sur le projet et sur les données qui concernent le projet.
Monsieur Menuel, vous me demandez si mon intention est de faire moins bien. A priori non. (Sourires.) De nombreux progrès ont été réalisés, sur lesquels la CNDP a capitalisé année après année. Le but est précisément de tirer les enseignements pour faire toujours mieux.
Madame Abba, le débat sur le projet de Cigéo fait effectivement partie des obligations de la CNDP. Mais je ne prendrai pas position et je ne vous en dirai pas plus, sinon vous pourriez m'accuser d'avoir des idées arrêtées sur le sujet. Or un dialogue devra avoir lieu entre les vingt-cinq membres de la CNDP sur ce point.
Madame Josso, faut-il organiser un nouveau débat public ou une nouvelle concertation s'agissant de Nantes ? La CNDP n'a aucune capacité d'autosaisine. Seuls les décideurs publics, les acteurs politiques, les parlementaires, le Gouvernement ou les citoyens peuvent nous demander de procéder à l'organisation d'une nouvelle concertation ou d'un débat public.
Merci beaucoup, madame Jouanno, pour ces échanges très intéressants. Je crois pouvoir dire, au nom de tous mes collègues, que nous avons apprécié vos réponses très directes et très concrètes.
Après le départ de Mme Chantal Jouanno, il est procédé au vote sur la nomination par appel nominal à la tribune et à bulletins secrets, les scrutateurs d'âge étant M. Jean-Marc Zulesi et Mme Laurianne Rossi.
Les résultats du scrutin qui a suivi l'audition sont les suivants :
Nombre de votants | 36 |
Bulletins blancs ou nuls | 0 |
Abstention | 4 |
Suffrages exprimés | 32 |
Pour | 28 |
Contre | 4 |
——²——²——
Membres présents ou excusés
Réunion du mercredi 7 mars 2018 à 16 h 30
Présents. - Mme Bérangère Abba, Mme Sophie Auconie, Mme Valérie Beauvais, M. Jean-Yves Bony, M. Christophe Bouillon, Mme Pascale Boyer, M. Guy Bricout, Mme Danielle Brulebois, M. Stéphane Buchou, M. Lionel Causse, M. Jean-Charles Colas-Roy, M. Vincent Descoeur, M. Jean-Baptiste Djebbari, M. Loïc Dombreval, M. Bruno Duvergé, M. Jean-Luc Fugit, Mme Sandrine Josso, Mme Stéphanie Kerbarh, M. François-Michel Lambert, Mme Florence Lasserre-David, M. Jean-Claude Leclabart, Mme Sandrine Le Feur, Mme Aude Luquet, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, M. Emmanuel Maquet, Mme Sandra Marsaud, M. Gérard Menuel, M. Bruno Millienne, M. Matthieu Orphelin, M. Jimmy Pahun, M. Bertrand Pancher, Mme Zivka Park, Mme Barbara Pompili, Mme Véronique Riotton, Mme Laurianne Rossi, M. Martial Saddier, M. Gabriel Serville, M. Vincent Thiébaut, Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon, M. Jean-Marc Zulesi
Excusés. - Mme Nathalie Bassire, Mme Bérangère Couillard, M. Yannick Haury, M. David Lorion, M. Damien Pichereau, M. Loïc Prud'homme, M. Thierry Robert, M. Jean-Marie Sermier
Assistait également à la réunion. - M. Belkhir Belhaddad