Intervention de Chantal Jouanno

Réunion du mercredi 7 mars 2018 à 16h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Chantal Jouanno :

Monsieur Zulesi, vous m'avez interrogée sur l'importance de la mise en oeuvre des ordonnances et sur l'évaluation de leur impact, comme, plus généralement, sur le fonctionnement de la CNDP et du débat public.

Beaucoup de débats ont déjà eu lieu, que ce soit sur la ligne Paris-Normandie, sur l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou sur les nanotechnologies, ce dernier ayant dû être interrompu. Au sujet de ces débats compliqués, un retour d'expérience plus systématique serait intéressant, de façon qu'on puisse en tirer les enseignements en voyant ce qui a fonctionné et ce qui n'a pas fonctionné. Ces enseignements pourraient alors être réutilisés pour d'autres débats. C'est déjà fait, mais il serait bon de le faire de manière encore plus systématique et structurée.

S'agissant des ordonnances, il faudra de toute façon en faire l'évaluation dans les deux ans au plus tard, dans la mesure où elles auront un impact assez important sur le fonctionnement de la CNDP, que ce soit en termes de moyens ou de procédure : la conciliation reste encore à construire, notamment. L'évaluation devra être conduite avec les porteurs de projets et avec les élus. Il n'est pas normal, en effet, que l'utilité de la CNDP soit parfois mise en cause ou que son existence ne soit tout simplement pas connue de la population. Aussi est-il important que nous menions une évaluation pluripartite. Sa composition pluripartite fait précisément l'une des forces de la CNDP ; la représentation des différents intérêts permet d'en garantir l'indépendance.

La priorité sera donc donnée, la première année, à la mise en oeuvre des ordonnances. Dès la fin de cette première année, nous devrions pouvoir en évaluer les premiers impacts. Il conviendra ensuite, en fonction de cette évaluation, de calibrer les prévisions, ne serait-ce qu'en matière budgétaire.

Prenons l'exemple des initiatives citoyennes. Un nombre non négligeable de dispositifs ont déjà été ouverts dans le cadre de ces dernières, y compris au niveau national. Des dispositions similaires s'appliquaient déjà au CESE. Pour l'instant, il n'a été saisi que trois fois, mais nous ne savons absolument pas dire ce qu'il en sera concrètement demain. La CNDP sera-t-elle considérée par certains comme une instance de recours, ce qui serait plutôt un risque, ou, au contraire, comme l'instrument d'une démocratie beaucoup plus apaisée ?

Madame Beauvais, vous m'avez d'abord interrogée sur l'indépendance, question légitime et que je m'attendais à entendre poser en premier. J'ai en effet, au cours de ma carrière politique, pris des positions sur des sujets d'aménagement ou sur des sujets plus politiques, telle la PPE. Dès lors, comment puis-je assurer que, si j'en suis présidente, la CNDP sera un tiers garant parfaitement neutre et objectif ? En perdant neutralité et objectivité, la CNDP perdrait en effet sa crédibilité et sa raison d'être.

Premièrement, le fonctionnement même de la CNDP garantit son objectivité et son indépendance. Composée, au niveau national, de 25 membres permanents, elle compte un président et deux vice-présidents. Qu'il s'agisse d'engager, ou non, un débat public ou une concertation, toutes les décisions sont prises par cette instance collégiale, qui valide aussi les dossiers ainsi que les modalités de participation. Ses membres sont nommés de manière indépendante par les instances qu'ils représentent, qu'elles soient économiques, associatives ou sociales. Des élus sont également membres. Cette composition pluraliste garantit un équilibre et l'indépendance des décisions de la CNDP.

Deuxièmement, le président n'intervient pas directement dans un débat, car il n'est pas président d'une commission particulière de débat public. Il garantit les procédures ; il organise les délibérations de la Commission nationale du débat public, ainsi que son fonctionnement interne. Mais il n'a pas vocation à organiser lui-même des commissions particulières de débat public.

Troisièmement, il sera nécessaire de renforcer encore l'impartialité de la CNDP. M. Christian Leyrit a fait adopter une charte déontologique et l'a insérée dans le règlement intérieur de la CNDP, publié au Journal officiel. À l'avenir, la commission devra procéder à une instruction plus poussée de toutes les nominations – présidents de commissions particulières du débat public (CPDP), équipes et garants – afin de vérifier l'absence de conflits d'intérêts et leur indépendance. Elle devra également pouvoir se saisir de tout conflit d'intérêts signalé. J'insiste sur ce point, car c'est l'un des principaux écueils auquel la CNDP pourrait être confrontée demain.

Les projets sont systématiquement choisis collégialement. Les vingt-cinq membres de la CNDP se réunissent une fois par mois.

Les modalités d'organisation du débat concernant la révision de la PPE ont été adoptées et publiées hier soir, après la dernière réunion de la commission nationale. Quelles que soient mes opinions, je n'ai surtout pas à dire quel doit être le bouquet énergétique de demain. Je n'ai pas d'avis à exprimer sur cette question. Je n'ai pas non plus à vous dire comment évaluer la politique énergétique : c'est le rôle du Parlement et du Gouvernement.

En tout cas, les modalités du débat me semblent extrêmement pertinentes, notamment le tirage au sort de quatre cents citoyens qui vont ensuite être formés et avec lesquels nous allons organiser des débats. Nous pourrons ainsi bénéficier de leur avis éclairé sur des sujets techniques complexes et de long terme. Cet effort de pédagogie et ce travail collectif nous permettront d'intégrer dans la durée tous les enjeux du débat – énergétiques, économiques, sociaux et environnementaux.

Monsieur Millienne, la numérisation participe effectivement au principe d'inclusion : l'égale légitimité de toutes les opinions est un principe fondateur et fondamental dans le débat public et pour la CNDP. La numérisation est un des outils de débat public, de transmission d'information et de concertation. Des expériences extrêmement intéressantes sont menées en la matière par nos collègues de République Tchèque, mais également à Londres.

Pour autant, ces processus ne peuvent en aucun cas se substituer au débat public physique ou organisé par d'autres voies médiatiques car nous ne devons pas oublier que le numérique n'est pas encore parfaitement accessible à tous – la fracture numérique est une réalité. Pour le moment, c'est un outil complémentaire, et non de substitution, au débat public. Il en sera peut-être autrement demain.

Des expérimentations extrêmement intéressantes d'inclusion ont été réalisées auprès de certaines personnes qui ne viendront jamais aux réunions publiques et n'iront pas sur internet : un système de bus mobile a ainsi été expérimenté au sein de quartiers sensibles ou de villages. Le débat vient ainsi parmi ceux qui ne se déplacent pas. La CNDP dispose d'une sorte de « boîte à outils » composée de nombreux dispositifs et méthodes : leur combinaison lui permet d'obtenir la participation la plus large possible.

Sommes-nous allés assez loin dans les différentes modalités de saisine de la CNDP ? Il me semble qu'il existe de nombreuses nouvelles modalités de saisine – si je me réfère à mes petites fiches. Il sera probablement intéressant de disposer d'un retour d'expérience sur l'impact des ordonnances d'ici un à deux ans.

Monsieur Pancher, vous connaissez particulièrement bien le sujet ; je ne vais donc pas vous apprendre grand-chose… Comment animer le réseau de la CNDP – présidents de commissions particulières, membres de ces commissions nommés par les présidents, garants ? Un jury a identifié et sélectionné deux cents nouveaux garants, en plus des cinquante garants historiques. Leur rôle sera particulièrement important puisqu'ils accompagneront systématiquement le dialogue après un débat public, en particulier durant la phase d'enquête publique, afin d'éviter ces fameuses ruptures – et l'absence de dialogue et d'information qui en découlent – lorsque l'enquête publique démarre dix ans après le débat !

Il est prévu de créer des délégués régionaux de la CNDP, chargés d'animer ce réseau de garants et de contribuer à leur formation : les garants ont été formés, mais les techniques de débat public et de participation évoluent en permanence.

Nous allons également nous pencher sur les conditions d'indemnisation des garants et des présidents de commissions particulières : on ne peut pas espérer que les personnes s'engagent totalement si on ne les reconnaît pas d'une manière ou d'une autre.

Monsieur Bouillon, je ne prendrai pas part au débat sur la ligne Paris-Normandie. En tant que normande, j'ai forcément un avis sur cette ligne ! Vous avez raison, sur les infrastructures linéaires, un débat public très en amont est toujours compliqué : on peut identifier ce que les personnes attendent du projet, mais quand l'infrastructure passe près de chez eux, leur avis peut devenir radicalement différent. Les garants seront précisément chargés d'assurer la continuité dans le processus de débat public, jusqu'à la décision en aval et l'enquête publique. Ils seront en mesure d'accompagner, de transmettre les informations, de remonter et de prendre en compte les opinions des uns et des autres, afin que les oppositions n'émergent pas au moment de la construction.

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