Intervention de Philippe Gosselin

Séance en hémicycle du mardi 13 mars 2018 à 15h00
Consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la nouvelle-calédonie — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Gosselin :

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, dont je tiens à saluer la présence cet après-midi, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le Premier ministre et rapporteur, chers collègues et chers amis de la Nouvelle-Calédonie, qui, même si vous ne nous écoutez sans doute pas à cette heure, découvrirez au petit matin nos débats actuels, et que je salue au travers de vos deux représentants, Philippe Dunoyer et Philippe Gomès, la présence d'un actuel et d'un ancien Premier ministre dans cet hémicycle illustre, s'il en était besoin, le grand intérêt du sujet qui nous réunit.

Le 4 novembre prochain, si la date est confirmée, à moins qu'il ne s'agisse du 28 octobre, une page importante de l'histoire et de l'avenir de la Nouvelle-Calédonie s'écrira. Le référendum, prévu depuis vingt ans maintenant par l'Accord de Nouméa, se déroulera, qui permettra, nous l'espérons, la consultation du territoire sur son accession ou non à la pleine souveraineté.

Cette page et cette date sont importantes, incontournables, car, comme l'a mentionné la présidente de la commission, elles sont gravées dans le marbre du titre XIII de la Constitution, au terme d'un processus singulier entamé il y a trente ans et auquel, il est important de le rappeler, tous les responsables politiques qui se sont succédé depuis, sont restés fidèles.

Mais rappelons aussi avec force qu'en aucun cas la vie de la Nouvelle-Calédonie ne doit et ne peut s'arrêter avec cette consultation. Quoi qu'il en soit du résultat, il restera en effet à écrire le scénario du fameux « jour d'après », comme disent les Calédoniens, et, surtout, à lui donner un contenu non pas formel, mais bien réel.

Les liens anciens et officiels entre la Nouvelle-Calédonie et ce qui sera longtemps la métropole, au sens qu'on lui donnait alors, datent de 1853, cela a été dit, quand le contre-amiral Febvrier-Despointes prend possession de l'archipel au nom de l'empereur Napoléon III et de la France. Il s'agit à cette époque de renforcer la présence de notre pays dans le Pacifique et de répondre à l'implantation anglaise en Nouvelle-Zélande. Longtemps colonie pénitentiaire, l'archipel a accueilli plusieurs milliers de communards après les événements de 1870 et 1871.

Une page singulière, glorieuse aussi, pour certains, a également été rappelée, celle de la révolte du grand chef Ataï en 1878. Mais n'oublions pas non plus celle de la participation à la Grande guerre : de l'époque de la Première guerre mondiale, datent les « sangs mêlés », au sens littéral de l'expression, dans la terre à défendre ou les mers à protéger.

Ralliée dès 1940 à la France Libre, la Nouvelle-Calédonie a servi de base arrière aux Alliés contre le Japon et incarné un esprit de résistance que l'on doit saluer, notamment dans le cadre du bataillon du Pacifique.

Sans aucun doute, chacun le sait, nos relations sont faites de hauts et de bas, d'« ombres » et de « lumière » comme le dit, à juste titre, le préambule de l'Accord de Nouméa. Nul ne peut oublier qu'il y a bien un peuple premier, dont l'histoire et la culture sont importantes, et qui, comme l'affirme la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, a des droits « inaliénables et sacrés », ni qu'une colonie de peuplement, liée aussi à l'histoire du bagne, est la source, enrichie d'autres apports depuis, d'une autre culture dont les droits me paraissent tout aussi inaliénables et sacrés. C'est cela, l'universalité française dans sa diversité.

Dans cette histoire, nul ne peut oublier le rôle des églises, notamment dans le rapport à la terre ou aux ancêtres, car c'est aussi une fierté qui s'exprime avec force sur ce territoire et que d'autres régions, d'autres territoires de la France hexagonale peuvent partager.

« Ombres » et « lumière » furent encore présentes au début de la décennie 1980, avec des tensions, des rancoeurs, si fortes qu'elles entraînèrent des blessés et, pire, des morts, de part et d'autre, mais aussi des réconciliations, des espoirs au moins, comme ceux symbolisés par la poignée de main historique et tout à fait improbable, entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur. Ceux-là ont bien à figurer au panthéon de l'archipel, pères fondateurs d'une Calédonie tournée vers l'avenir.

Le contexte à la fois local et international des années 1980 n'est plus celui d'aujourd'hui. Si la Nouvelle-Zélande et l'Australie, par exemple, voyaient alors d'un mauvais oeil la présence de la France – sans être parfois, ne soyons pas dupes, dénuées d'arrière-pensées – , les choses sont sans aucun doute aujourd'hui à la fois plus subtiles et plus contrastées.

Une grande puissance mondiale est en effet très présente dans les mers du Pacifique, qui rebat les cartes, tant géographiques qu'économiques. Dans ces conditions, la Chine, puisque c'est bien d'elle qu'il s'agit, est parfois vue comme une menace. Rappelons aussi qu'après le Brexit, la Grande-Bretagne ne sera plus présente en tant qu'État membre de l'Union européenne. Demain, la France sera donc, d'une certaine façon, la porte d'entrée, le point de contact de l'Union. C'est loin d'être anodin !

Depuis trente ans, en Nouvelle-Calédonie s'opère un rééquilibrage qui, s'il est réel, reste toutefois à conforter. Rien n'est jamais acquis si l'on n'y prend garde.

Il y a un rééquilibrage des cultures : l'expression de la culture kanak, laquelle est reconnue, est désormais bien visible – j'ai pu m'en rendre compte à plusieurs reprises sur place.

Il y a un rééquilibrage économique, certes encore à parfaire. Le nickel, qui a longtemps divisé les hommes et les différentes zones des îles, est devenu davantage un facteur de développement.

Il y a un rééquilibrage social ainsi qu'en matière de santé : les équipements publics sont mieux répartis et profitent davantage à tous. Mais là aussi, pourquoi le nier, la marge de progression est encore importante, comme elle l'est en matière d'éducation, de formation et d'égalité des chances.

Il y a aussi un rééquilibrage institutionnel, avec une organisation sui generis, inscrite dans la Constitution, qui reconnaît les territoires, des compétences fortes, des règles juridiques spécifiques, avec, pour ne prendre qu'un exemple, l'existence d'un Sénat coutumier, qui n'a d'égal dans aucun autre territoire de notre République française. C'est la pleine démonstration que la France peut être indivisible sans, pour autant, quand cela est justifié, notamment par un tel éloignement géographique, être dans l'obsession de l'homogénéité des statuts. Oui, la France peut être unie dans la diversité. Cette affirmation est non seulement un acte de foi dans notre génie institutionnel – que l'on mette ou non cette expression entre guillemets – mais aussi une orientation, et même un objectif, une invitation, pour les mois et les années à venir en Nouvelle-Calédonie. Les choses sont rarement simples dans les États et les territoires. C'est sans doute encore plus vrai dans ce territoire lointain.

Quel avenir pour cet archipel et ses habitants, alors même que les incertitudes actuelles bloquent déjà la machine économique et une partie des investissements ? La réponse réside en partie dans le scrutin de l'automne prochain et dans les travaux menés actuellement, tant par le Gouvernement que les collectivités et la mission d'information sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Je salue d'ailleurs le travail de cette mission, créée lors de la précédente législature et réactivée en octobre 2017, et plus particulièrement celui de son président, Manuel Valls, qui a apporté l'autorité d'un ancien Premier ministre, sans oublier celui de son rapporteur, Christian Jacob.

La consultation qui va avoir lieu à l'automne 2018 doit être exemplaire. Elle doit être, comme le Premier ministre Édouard Philippe l'a dit, sereine, la plus sereine possible, exemplaire et convaincante. Cela suppose une forte participation. C'est une obligation, comme pour toute élection bien sûr, mais elle est encore plus forte au regard de l'Organisation des Nations unies et des observateurs qui seront présents.

L'État doit être impartial, c'est vrai. La neutralité doit prévaloir à chaque instant, à chaque étape technique de l'organisation du scrutin. Cela va de l'élaboration des listes électorales, sur laquelle nous reviendrons, à l'organisation plus générale du scrutin, en passant par la propagande électorale, au sens où on l'entend classiquement, c'est-à-dire dans les temps de parole et leur répartition.

Pour autant, si l'État doit être neutre, il n'est pas désincarné. Incarné par le Président de la République, par le Premier ministre, l'État doit s'exprimer sur ce qu'il veut pour l'avenir de ce territoire, qui est une part de la République française, une et indivisible. Je ne pense pas qu'une neutralité qui irait au point de ne pas s'exprimer soit réellement la bonne solution. Nous espérons, monsieur le Premier ministre, ainsi que le Président de la République lors de son déplacement sur place au mois de mai, vous entendre sur le sujet.

Les débats précédant le scrutin doivent éclairer cette consultation exemplaire, et non conduire à la confusion.

Pendant longtemps, il a été difficile de parvenir à un accord sur la composition du corps électoral qui participerait à cette grande consultation. Nous y sommes enfin parvenus. Réuni le 2 novembre 2017 à Paris, le XVIe Comité des signataires a trouvé un équilibre sur cette composition, non sans que ne demeurent quelques difficultés fragilités, reconnaissons-le. C'est à cet accord, qui fait déjà loi entre les parties, que nous nous allons donner toute la force d'une loi de la République.

Sans aucune allusion à une actualité récente avec l'éventuelle limitation du droit d'amendement, je dois dire que l'initiative parlementaire dans une telle situation ne peut qu'être étroite. Soyons clairs, elle est même ici inexistante ! Il s'agit, en réalité, de fixer la photo qui a été prise lors de la dernière réunion du Comité des signataires. Aucun amendement ne doit la rendre floue. L'angle de prise de vue est fixe et ne saurait être modifié. Cela conduit donc à voter conforme le texte adopté par le Sénat.

Dans ce projet de loi organique, il s'agit concrètement de déterminer la composition de la liste électorale qui permettra aux citoyens de Nouvelle-Calédonie de se prononcer sur l'avenir du territoire. Sans entrer dans les détails, il s'agit d'aller plus loin dans un processus d'inscription d'office sur les listes et de tenter de n'oublier personne. D'après les estimations, 10 900 personnes environ seraient concernées.

Le texte prévoit, tout d'abord, que les inscriptions d'office sur la liste électorale générale pourront être faites pour tous les Français majeurs domiciliés depuis au moins six mois en Nouvelle-Calédonie : il est nécessaire de figurer sur la liste générale pour, ensuite, pouvoir intégrer la liste dite spéciale, celle du référendum. Cette distinction est très importante, même si elle peut sembler un peu compliquée aux continentaux que nous sommes.

Ensuite, il sera aussi possible d'inscrire d'office sur la liste spéciale des Calédoniens dont le centre des intérêts matériels et moraux sera présumé se trouver en Nouvelle-Calédonie du fait, d'une part, qu'ils y sont nés et, d'autre part, qu'ils y ont été domiciliés de manière continue pendant trois ans.

Sont prévues, de plus, des possibilités de restriction à l'établissement de procurations de vote, en contrepartie de l'installation à Nouméa, de bureaux de vote décentralisés pour les communes de Bélep, Lifou, Maré, Ouvéa et de l'Île des Pins. Les électeurs concernés pourront voter plus facilement sans avoir à se rendre dans leur bureau insulaire d'origine. Le but est d'obtenir une participation la plus large possible.

Enfin, sans entrer dans les détails, le projet de loi organique contient des dispositions sur le remboursement des dépenses de campagne et la répartition des temps d'expression dans les médias pendant la campagne officielle.

Ce texte, nous pouvons l'espérer, permettra d'avancer plus sereinement vers le référendum, sur une voie parsemée du moins d'embûches possible.

Sur place, en ce moment, il n'est pas excessif de dire que souffle comme un petit vent frais. Il ne faudrait pas que celui-ci prenne de l'ampleur. C'est ce qui a conduit hier le territoire à adopter un plan territorial de sécurité et de prévention de la délinquance. Ce n'est pas tout à fait par hasard si celui-ci décline en 138 points des mesures et politiques publiques contre les violences, les addictions mais aussi en faveur de l'accompagnement des jeunes vers la réussite. Soyons très prudents. Nul besoin que quelques braises bien chaudes viennent embraser non seulement la brousse, mais aussi des territoires plus urbains. Nous manierons l'image et la litote comme nous le souhaitons, mais nous demeurons très attentifs et prudents.

Espérons aussi, avec force, que le résultat du scrutin, quel qu'il soit, puisse être accepté par toutes les forces calédoniennes.

En conclusion, la République est grande quand elle sait reconnaître la diversité. Nouméa n'est pas Paris. « Unie dans la diversité », devise de l'Union européenne, semble aussi particulièrement adaptée à la Nouvelle-Calédonie.

Si le passé – pour reprendre, après Manuel Valls, les termes du préambule de l'Accord de Nouméa – a bien été le temps de la colonisation, avec ses difficultés, sans aucun doute, parfois ses heurs et ses malheurs, des joies et des peines mêlées, le présent est celui, n'en doutons pas, du partage et du rééquilibrage, même s'ils sont à parfaire. Souhaitons alors, toujours dans l'esprit du préambule de l'Accord de Nouméa, que le futur soit effectivement le temps du destin commun, à écrire, assurément, à plusieurs mains ; un destin qui unit, dans les valeurs de la République et autour de l'État de droit.

Au-delà de cela – ce sera ma conclusion ultime – , n'oublions jamais que ce qui nous unit, en réalité, nous grandit.

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