J'entends vous présenter un panorama des enjeux actuels et de demain. Je n'ai pas prévu d'exposé complet sur le projet de centre industriel de stockage géologique (Cigéo), à propos duquel je sais que vous avez de nombreuses questions. En effet je concentrerai mon propos liminaire sur les centres industriels existants ; mais je pourrai bien sûr revenir sur ce projet si vous le souhaitez.
Je suis accompagné de Patrice Torres, directeur des centres industriels de l'ANDRA, qui dirige les opérations industrielles – c'est donc lui, d'une certaine manière, l'exploitant –, et de M. Matthieu Denis-Vienot, responsable des relations institutionnelles de l'ANDRA.
L'ANDRA est effectivement un établissement public placé sous la tutelle directe du ministère de l'écologie. Ce choix a été fait dès 1991 lorsqu'il a été décidé que la question des déchets ne relèverait plus des producteurs – à l'époque le CEA –, mais d'un organisme indépendant.
L'ANDRA recouvre trois métiers : la recherche et développement (R & D), la conduite de projet et l'exploitation de sites industriels. C'est une originalité dans le monde des agences, notamment vis-à-vis de l'étranger, que d'avoir ainsi regroupé l'ensemble des activités ; or c'est très précieux en matière de retours d'expérience, depuis la recherche jusqu'à l'application industrielle.
La R & D et la conduite de projet se trouvent au même endroit que notre siège social. Seule une partie de la R & D se trouve au centre de Meuse-Haute-Marne (CMHM), le laboratoire souterrain. Nous avons trois sites industriels : le centre de stockage de la Manche (CSM) – le centre historique, sous surveillance, je vais y revenir – et les deux centres de l'Aube (CI2A), l'un destiné aux déchets de très faible activité et l'autre aux déchets de faible et moyenne activité. Quand on évoque l'industrie et l'activité, c'est du CSM et du CI2A qu'il s'agit ; quand on évoque la R & D, le laboratoire souterrain, la conduite de projet et les activités de siège, c'est du siège situé à Châtenay-Malabry qu'il est question.
En France, les déchets radioactifs sont classés en fonction de leur activité et de leur durée de vie. Nous avons les déchets de très faible activité (TFA), au sujet desquels on pourrait presque parler de banalisation, de faible activité (FA), de moyenne activité (MA) et de haute activité (HA), ces derniers étant issus de la production électronucléaire et des combustibles. Pour ce qui est de leur durée de vie, nous avons les déchets à vie très courte (VTC), dont la périodicité est de moins de cent jours, qui sont banalisés une fois achevée la décroissance radioactive naturelle ; viennent ensuite les déchets à vie courte (VC), d'une durée inférieure à trente et un ans, traités dans nos sites de surface ; enfin les déchets à vie longue (VL), d'une durée supérieure à trente et un an.
Nous regroupons les TFA dans le centre industriel de regroupement, d'entreposage et de stockage (CIRES). Les déchets à faible ou moyenne activité et à vie courte (FMA-VC) sont également stockés dans un centre de surface : au CSM jusqu'au début des années 1990 et, depuis, au centre de stockage de l'Aube (CSA). Les déchets de haute activité (HA) et les déchets de moyenne activité et à vie longue (MA-VL) se trouvent dans les entreposages des producteurs – Électricité de France (EDF), AREVA, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) – et ont vocation à aller au Cigéo. Une dernière petite catégorie regroupe les déchets de faible activité et à vie longue (FA-VL) qui ne diffèrent guère des FMA que, précisément, par leur durée de vie et qu'on ne peut donc pas laisser en surface ; c'est pourquoi le plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR) nous a confié la mission de travailler sur un concept intermédiaire, proportionné, qui permette de stocker ces déchets à faible profondeur du fait de leur faible dangerosité ; il s'agit de déchets « historiques », des déchets radifères issus de l'industrie, ou des graphites issus des réacteurs uranium naturel graphite gaz (UNGG).
J'en viens à la répartition du volume des déchets radioactifs. L'ANDRA s'occupe de l'ensemble des déchets radioactifs, ceux qui proviennent de la filière électronucléaire, de la recherche – notamment du CEA –, de la défense, mais également de l'industrie non électronucléaire, qu'il s'agisse de l'industrie chimique ou de tous les petits producteurs – laboratoires, firmes médicales, missions de service public –, et des déchets comme les anciens paratonnerres, les vieux réveils trouvés dans les greniers… Il faut avoir en tête que 90 % du volume des déchets, les TFA et les FMA-VC, sont déjà pris en charge dans nos sites.
En revanche, ce sont les HA qui représentent l'essentiel de la radioactivité des déchets, et les MA-VL dans une bien moindre mesure. Tous ont vocation à être stockés dans Cigéo. Il faut en outre savoir qu'une grande partie des déchets HA – 30 % – et des déchets MA-VL – 60 % – sont déjà produits – pourcentage élevé car les déchets MA-VL représentent pour beaucoup toute l'histoire du nucléaire.
De quelles matières nucléaires parle-t-on notamment pour ce qui est de la sécurité et du contrôle ? Dès lors que nous entreposons ou stockons des déchets FMA, nous sommes soumis à un certain nombre d'autorisations, tandis que les déchets FA ou issus du traitement des déchets non électronucléaires sont seulement soumis à une déclaration de contrôle matières.
En ce qui concerne le suivi, la France prévoit trois catégories de matières. La catégorie I correspond aux quantités de matières les plus importantes et nécessitant le maximum de protection et la catégorie III aux quantités de matières les moins importantes nécessitant un niveau de protection moindre. Il faut avoir bien présent à l'esprit que les déchets que nous manipulons – c'est vrai au CSA, au CIRES et ce le sera au Cigéo – ne présentent que des traces difficilement récupérables d'activité par le fait qu'ils sont emprisonnés dans des matrices cimentaires, dans des matrices bitumées, dans des matrices de verre et l'on se trouve donc ici au plus bas sur l'échelle du contrôle des matières. Cela signifie qu'il n'y a pas d'enjeu de détournement de matières, même si les questions de malveillance, de sûreté, d'intrusion ne sont pas réglées pour autant ; mais c'est ce qui explique qu'ils soient le plus bas dans la chaîne en termes de contrôle matière stricto sensu.
Le centre de stockage de la Manche a été exploité de 1969 à 1994. Cette installation nucléaire de base (INB) est en phase de fermeture et sous surveillance. Sa sécurité est assurée par une clôture lourde, un gardiennage permanent, des vidéos, mais les déchets ne sont plus accessibles.
Le centre de stockage de l'Aube est également une INB, mise en place en 1992. Il est rempli à hauteur d'environ 30 % et est suffisant pour traiter l'ensemble des déchets FMA-VC de la filière existante. Vous êtes les bienvenus pour visiter ces installations sur site. Le CSA est composé de casemates en béton, des bâtiments d'accueil, de transit, d'une unité de compactage qui permet le conditionnement des déchets. Aucun processus n'est prévu sur ce site hormis le compactage : les déchets nous parviennent déjà conditionnés de la part des producteurs. Le CSA est un point d'importance vitale (PIV) depuis 2011 ; avant même qu'il soit classé comme tel, un plan particulier de protection (PPP) avait été défini. Nous avons également un protocole d'usage avec la police via le commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire (COSSEN) pour tout ce qui concerne les enquêtes sur les demandes d'accès. Ces installations sont suivies par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) qui a donné un avis positif sur l'exploitation du CSA. Ainsi, en 2017, nous n'avons eu, en tout et pour tout, que trois événements de niveau zéro sur l'échelle INES (Échelle internationale de classement des événements nucléaires — International Nuclear Event Scale), donc sans conséquences sur la sûreté. Le dispositif de sécurité du CSA est classique : clôture lourde, surveillance vidéo, détection anti-intrusion, postes de garde et de sécurité vingt-quatre heures sur vingt-quatre, contrôle d'accès sanctuarisant les points névralgiques, plan d'urgence interne (PUI).
Le Centre industriel de regroupement, d'entreposage et de stockage (CIRES), situé lui aussi dans l'Aube, qui accueille les déchets de très faible activité, est une installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE), soit un dispositif très proche d'une installation de stockage de déchets dangereux classiques (ISDD), qu'on appelait autrefois les centres d'enfouissement technique (CET) de classe 1, à ceci près que nous y avons ajouté un toit mobile pour protéger les alvéoles des pluies. Le CIRES a été mis en service en 2003 et 54 % du volume autorisé a été atteint en 2017. Nous avons des perspectives d'extension de capacité. Cette installation accueille des déchets avec des restes d'activité et des déchets issus des zonages nucléaires mais avec des activités quasi-nulles. Le CIRES est une installation classée, surveillée par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). Depuis 2012, on y entrepose des déchets collectés issus d'activités non électronucléaires, comme les paratonnerres, et pour lesquels il n'a pas encore été mis en place de filière définitive. On a ajouté en 2016 l'activité de tri et de traitement des déchets issus d'activités non électronucléaires – notamment des petites fioles provenant de la filière médicale. Ici aussi l'installation est pourvue de moyens de sécurité : clôture lourde autour du bâtiment d'entreposage – soumis à autorisation spécifique de détention de matières nucléaires – surveillance vidéo et autres dispositifs classiques.
Le centre de Meuse-Haute-Marne enfin est une ICPE sans matière radioactive – je tiens à le souligner pour couper court aux allégations selon lesquelles ce serait le début du stockage et qu'il s'y trouverait déjà des déchets… C'est tout à la fois un laboratoire souterrain, un espace technologique et une écothèque. De 150 à 170 personnels de l'ANDRA y travaillent soit la moitié du total des personnels. Cette ICPE est située dans les communes de Bure dans la Meuse et de Saudron en Haute-Marne. Le coeur du laboratoire bénéficie d'une sécurisation renforcée avec une structure lourde.
Au total, vous constatez donc que nous traitons 90 % des déchets sur plusieurs sites avec un niveau de risque faible au regard des matières que nous manipulons.