Intervention de Pierre-Marie Abadie

Réunion du jeudi 8 mars 2018 à 10h00
Commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires

Pierre-Marie Abadie, directeur de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) :

Vous pouvez vous reporter au document que nous vous avons remis pour situer ce que sont les déchets de moyenne et haute activité à vie longue. Les déchets de haute activité sont essentiellement ceux qui sont issus du traitement des combustibles usés. La solution de référence actuelle, ce sont les combustibles vitrifiés issus du processus de retraitement, avec la perspective de la quatrième génération pour traiter les MOX usés.

Les déchets de moyenne activité à vie longue sont plus variés puisqu'ils correspondent à toute l'histoire du nucléaire : ils proviennent de la recherche, de l'enrichissement, du retraitement, et sont emprisonnés dans différentes matrices : blocs de béton, fûts, matrices en bitume.

Votre question s'est posée dès 1991. L'histoire, qui nous a amenés là où nous en sommes actuellement, a été une succession de cycles qui se sont déroulés sur le mode études, concertations, décisions. On peut dire qu'à un moment les décisions n'ont pas été le reflet exact des concertations. Le processus s'est bien déroulé tel que je viens de le décrire mais, à un moment donné, le Parlement et le Gouvernement – et non pas l'ANDRA – ont pris et assumé leurs décisions.

En 1991, on avait démarré après un échec, un blocage : il avait fallu décider un moratoire. Le Parlement avait remis les choses dans l'ordre en plusieurs temps. Le premier temps correspondait à un cycle de quinze ans, orienté autour de la recherche, durant lequel la réflexion s'est développée dans trois directions : le stockage profond, l'entreposage de longue durée, les possibilités de séparation et transmutation.

Au cours de ce premier cycle, de 1991 à 2005, un temps a été consacré à identifier des laboratoires. Après avoir envisagé quatre sites, on en a retenu un. Le cycle d'études s'est achevé par la remise d'un rapport en 2005. Après un temps de concertation, la conclusion qui se dessinait s'orientait plutôt, il est vrai, vers un stockage en surface et une absence de décision.

Le Gouvernement et le Parlement ont pris leurs responsabilités en faisant le choix du stockage profond. La raison de ce choix est tout à la fois technique et éthique.

La séparation-transmutation pouvait certes diminuer la dangerosité et le volume des déchets, mais sans résoudre totalement le problème : il restait les MA-VL et des HA déjà produits et, qui plus est, l'opération est elle-même productrice de déchets. En fait, la séparation-transmutation améliore le sujet, mais elle ne le traite pas.

L'entreposage de long terme, c'est-à-dire à l'horizon du siècle, l'ASN l'a confirmé, ne pouvait être considéré comme une solution pérenne : par définition, étant donné la durée de vie des déchets, elle implique une ré-intervention de la société au bout d'un siècle, pour refaire d'autres entreposages de longue durée. On sait faire, mais cela n'apporte pas une sûreté passive à très long terme pour ces déchets. Voilà pour l'analyse technique.

Il en a donc été déduit qu'il fallait choisir entre la géologie et la société. Faisait-on davantage confiance à la géologie ou à la société – en supposant que celle-ci ré-intervienne régulièrement sur le sujet – pour protéger l'environnement et l'homme à très long terme de ces déchets ? C'est la géologie qui a été choisie. Cette décision se doublait d'un choix éthique implicite, qui du reste n'a pas été beaucoup mis en avant : l'entreposage de longue durée revient à laisser aux générations suivantes la tâche de trouver une solution.

La solution de l'entreposage subsurface, que vous évoquez, n'apporte rien de plus sur le principe tout en présentant les défauts de chacune des autres solutions. Compte tenu de la durée de vie des déchets, ce type d'entreposage à faible profondeur n'offre pas une sûreté passive à très long terme, protégeant de l'érosion, des intrusions, etc. Il ne présente donc pas les avantages d'une option technique qui puisse devenir passive. En revanche, il présente à peu près tous les inconvénients des travaux souterrains, que ce soit durant l'exploitation ou par la suite, en termes de durabilité du stockage et de capacité à pouvoir réintervenir.

Il ne faut pas confondre le débat sur la meilleure option à choisir pour la gestion des déchets sur le très long terme et celui, tout aussi légitime, sur la qualité et la robustesse des entreposages existants. Or, lorsqu'on aborde la question de l'entreposage subsurface, on a tendance à mélanger le problème de Cigéo et celui du choix des meilleures conditions d'entreposage, en termes notamment de résistance aux agressions violentes ou aux chutes d'avions, de déchets destinés à demeurer entreposés pendant de longues années. Or le projet Cigéo a vocation à s'étaler sur cent cinquante ans, avec des enjeux de système, qui ne sont pas ceux de l'ANDRA, et sur laquelle l'ASN est très vigilante.

Enfin, avec la loi de 2006, le gouvernement et le Parlement ont privilégié plutôt qu'une approche sociétale une approche géologique du problème, mais ce choix n'était pas sans certaines ambiguïtés.

À l'époque, le choix du stockage profond nous laissait le temps de poursuivre nos recherches scientifiques sur la séparation-transmutation des déchets ainsi que toutes les études techniques nécessaires à la conception du site ; du coup, il n'était pas nécessaire de nous presser, d'autant qu'à l'époque, le nucléaire, considéré comme une option, était parti pour durer très longtemps : il n'y avait donc aucune raison de se précipiter.

Aujourd'hui, le contexte a changé et le nucléaire n'est plus qu'une option parmi d'autres, ce qui me conforte dans l'idée qu'il est plus que jamais indispensable de continuer à explorer la solution du stockage profond, pour plusieurs raisons. Les opposants au stockage profond appellent à poursuivre la recherche de solutions alternatives. Cigéo est un projet qui n'exclut pas la recherche, puisqu'il est incrémental et progressif et que nous avançons de manière très précautionneuse. Pour autant, il faut mesurer ce que sont les échelles de temps dans le nucléaire, où la recherche ne s'écrit pas en décennies mais quasiment en demi-siècles : l'EPR a été imaginé dans les années quatre-vingt-dix et le réacteur Astrid de quatrième génération, dans les années soixante-dix. En d'autres termes, une idée qui n'est pas développée aujourd'hui n'a aucune chance d'aboutir à un résultat opérationnel dans cinquante ans. Partant, ralentir sur le projet Cigéo pour privilégier la recherche de solutions alternatives ne signifie rien d'autre que choisir l'option des réacteurs au sodium, sachant qu'ils n'apportent pas de solution totalement satisfaisante en matière de séparation-transmutation.

Ajoutons que si le nucléaire cesse d'apparaître dans les années à venir comme une solution de long terme, n'imaginons pas que nous serons prêts à investir dans un secteur de recherche – les déchets nucléaires – qui appartient au passé. Il est donc d'autant plus important de progresser aujourd'hui sur la solution de référence qu'est le stockage profond que nous en avons les capacités scientifiques et les capacités d'ingénierie et que nous avons une connaissance des déchets que n'auront pas nécessairement les générations suivantes.

Lorsqu'on voit les difficultés que nous avons eues avec la construction de Flamanville, dans la phase d'exécution et de fabrication du béton, simplement parce que nous avions cessé de construire des réacteurs pendant quinze ans, on imagine les risques que nous prendrions collectivement si nous sautions une génération, alors que nous sommes actuellement dans une dynamique portée par l'état actuel de nos connaissances, de notre R & D et de nos expérimentations.

Au niveau international enfin, rappelons que le stockage profond est globalement la solution de référence, celle notamment retenue dans la directive européenne. Tous les pays qui se sont sérieusement attaqués à la question des déchets en arrivent à la même orientation, ce qui a du reste un côté un peu frustrant, en laissant à penser qu'il n'y aurait pas d'autre solution. Au demeurant, je n'aime pas le mot « solution » : la première fois que j'ai été nommé au poste de directeur général de l'ANDRA, je l'avais utilisé, ce qui m'a valu cette réponse d'un parlementaire : « Mais ce n'est pas une solution ! » Cela m'avait surpris, mais il avait raison : je ne solutionne pas le problème des déchets et je ne prétends pas le faire puisque je ne les fais pas disparaître. Ce que nous cherchons à faire en revanche, c'est à offrir à notre génération et aux générations suivantes l'assurance d'une sûreté passive à long terme, ce qui n'exclut pas de maintenir la surveillance de ces déchets le plus longtemps possible, tout en nous prémunissant autant que faire se peut contre ce qui arrivera inéluctablement malgré tous nos efforts : le fait qu'un jour nous aurons perdu la mémoire de ces déchets.

Au plan international donc, sur la trentaine de pays qui utilisent des moyens électronucléaires, une quinzaine ont fait le choix du stockage profond et huit s'en approchent. La France, la Finlande et la Suède sont dans le trio de tête, et il est préférable d'être dans un trio que seul en tête, car il ne faut pas être tout seul à avancer sur ce sujet. Chacun fait avec ses contraintes géologiques, ses concepts et son histoire technique, industrielle et administrative : la Finlande a délivré l'autorisation de construction ; en Suède, la procédure d'autorisation est en cours ; nous en sommes-nous, en amont, au stade de préparation du processus d'autorisation formelle.

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