Non, cela ne nous apportait rien.
Avant de répondre à la question de la mémoire, évoquée à juste titre par Mme Abba, je veux revenir sur le concept de solution passive. Depuis que des réflexions portant sur le stockage en couches profondes ont été engagées, le concept de solution passive est parfois interprété comme une volonté d'oublier les déchets en les cachant sous le tapis. Peut-être sommes-nous tous un peu responsables de cette situation : en insistant sur le fait que c'est la seule option technique de nature à fournir une sûreté passive à long terme pour ces déchets, on a aussi nourri l'idée que l'objectif était de les oublier. Or un important effort est accompli pour en conserver la mémoire, même s'il viendra forcément un moment où on la perdra : d'où la nécessité d'une sûreté passive. Mais cela ne signifie pas que l'on enfouit les déchets le plus profondément possible afin de les oublier.
Depuis le début, nous avons donc entrepris un travail sur la conservation de la mémoire de nos sites : cela sera fait pour Cigéo, comme c'est déjà le cas pour le centre de stockage de la Manche et pour le CSA. La conservation de la mémoire recouvre des actions extrêmement pratiques, à savoir conserver les archives, les enregistrer sur des supports de long terme, faire des archives plus synthétiques en rendant la mémoire de synthèse plus accessible, etc. Pour cela, nous travaillons avec des archivistes, en passant en revue les différents supports possibles, mais aussi en effectuant des recherches relevant davantage du domaine des sciences humaines et sociales, centrées sur le concept des supports culturels de la mémoire à très long terme – en nous interrogeant, par exemple, sur les notions de rites et de monuments. Ces questions suscitent d'ailleurs un débat au niveau international, certains estimant que le fait de préserver la mémoire pourrait aussi susciter l'envie d'aller voir de plus près ce qui se cache sous la terre… Cela peut aller jusqu'à des travaux universitaires dans le domaine de la sémiotique, portant sur les signaux qui, sur le très long terme, permettent de garder la mémoire.
Il ne s'agit pas seulement de créer des panneaux d'avertissement à très long terme. Sur le plan philosophique – j'ai eu une discussion avec une philosophe sur ce point il y a quelques jours –, prendre soin des déchets ne consiste pas à s'en débarrasser, mais à trouver une solution pour leur conservation. C'est aussi privilégier une approche d'ordre patrimonial, nous faire les gardiens de ces déchets qui constitueront une trace de la période nucléaire par laquelle l'humanité est passée – et, en ce sens, on peut considérer que la connaissance du fait que nous avons produit des déchets fait partie du patrimoine collectif de l'humanité.
Comme on le voit, les questions portant sur la sécurité passive ne sont pas seulement techniques : elles soulèvent des interrogations d'ordre éthique et philosophique, ce qui montre que notre société ne cherche pas à se soustraire à ses responsabilités en faisant le choix de la sûreté passive, mais qu'elle les prend, au contraire, en faisant en sorte que l'humanité en garde le souvenir, avec tout ce que cela implique – que l'aventure nucléaire ait vocation à s'arrêter ou à continuer.