Nous avons abordé le risque lié à l'hydrogène et le risque d'incendie dès le début dans la conception.
S'agissant d'un projet comme celui de Cigéo, il y a d'une part la démonstration de la sûreté à long terme, et d'autre part la démonstration de la sûreté en exploitation. Les travaux initiaux de recherche et de démonstration ont été essentiellement focalisés sur les enjeux de sûreté à long terme puisqu'il s'agissait de démontrer la faisabilité du concept sur un très long terme. En 2011, nous sommes entrés en phase de conception et nous avons, bien évidemment, intégré et commencé à préparer les enjeux de sûreté en exploitation. C'est un des enjeux essentiels de la conception.
Parmi les enjeux de sûreté en exploitation, on trouve bien évidemment les risques d'incendie, les risques d'hydrogène et les risques d'explosion. Chacun sait que des incidents de ce genre se sont produits sur certains sites : sur le site non radioactif de StocaMine, des déchets incompatibles avaient été descendus, provoquant un incendie. Dans une installation dédiée à des déchets nucléaires de la défense américaine, le Wipp, deux incendies se sont produits, le premier lié à un mauvais entretien des outils miniers restés au fond et qui se sont enflammés, le second à la descente de déchets conditionnés dans une matrice incompatible. Depuis le début de la conception, l'enjeu de la sûreté en exploitation des incendies et de risque de formation d'une atmosphère explosive (ATEX) est bien évidemment dans la tête de tout le monde. C'est pour cette raison que ces deux risques ont été abordés selon le principe habituel : réduction à la source, prévention et élimination du risque ; mesure et maîtrise des conséquences du risque résiduel s'il y en a un.
En fait, c'est le risque sur les bitumes qui a été pointé par l'ASN, non le risque d'hydrogène. Par construction, on peut produire de l'hydrogène : il peut y avoir des batteries, de la corrosion. L'objectif est donc de limiter la quantité de gaz que l'on descend, par exemple en limitant la capacité des colis eux-mêmes à en produire – que l'on définit au travers des spécifications d'acceptation –, ensuite en procédant à des mesures, des contrôles sur les émissions d'hydrogène et en limitant tout ce qui peut provoquer les émissions d'hydrogène. Comme on sait que des phénomènes de corrosion peuvent en produire, il faut veiller au risque de défaillance des dispositifs de ventilation et de maîtrise de l'ambiance dans une logique de défense en profondeur et de défaillances multiples : on doit être capable d'intervenir même si tous ces dispositifs ont défailli.
Pour le risque incendie, la démarche est la même : il s'agit de réduire systématiquement les risques à la source. Par exemple, il n'y a pas de combustible. Dans le Wipp, les outils miniers classiques fonctionnent au gasoil et il y a des dépôts de gasoil au fond du stockage. Pour notre part, nous avons fait le choix de ne pas utiliser de moteurs thermiques au fond, mais un funiculaire qui descend le stockage le long de la rampe, dont le moteur est situé en haut et non dans le véhicule. Il n'y a donc pas de risque d'incendie sur le véhicule qui transporte le colis jusqu'à son alvéole. Le seul endroit où il y a un moteur, c'est sur le pont stockeur dans les alvéoles de MA-VL. Là aussi, on fait en sorte de limiter les objets combustibles pour réduire le potentiel calorifique. Et il y a, en plus, des systèmes de détection et de lutte contre l'incendie.
L'ANDRA et le CEA ont réalisé un travail de caractérisation des fûts de bitume et de leur comportement. Ces fûts dits de bitume sont des déchets qui ont été mis dans une matrice au début des années soixante jusqu'au début des années quatre-vingt-dix. Cette matrice a beaucoup de qualités : nos prédécesseurs n'avaient pas fait n'importe quoi. Elle est extrêmement stable, y compris sur le plan thermique. Aujourd'hui, ces fûts de bitume sont dans des casemates à Marcoule, et alors qu'ils connaissent des amplitudes thermiques élevées, on n'a relevé aucune difficulté particulière. Tous les travaux de caractérisation ont montré que ces bitumes se comportent plutôt correctement et que le risque de reprise de réaction exothermique et d'emballement d'un colis à l'autre est extrêmement faible. D'ailleurs, nous avons fait des essais, notamment au Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), pour voir s'il y avait un risque que l'intérieur du colis monte en température en cas d'incendie à l'extérieur du colis. Voilà pour le comportement normal du fût normal dans des conditions normales.
Nous avons donc fait une analyse, dans la droite ligne de la thèse de Leny Patinaux, expliqué ce que nous retenions ou pas, et nous l'avons soumise à l'IRSN puis à l'ASN. Nous voulions que ce sujet soit débattu. L'IRSN a considéré que nous avions fait beaucoup de progrès sur la connaissance des bitumes, de leur comportement, et obtenu un certain nombre de résultats ; mais il nous a demandé si nous pouvions exclure définitivement le risque de reprise d'une relation exothermique dans les colis et d'un emballement. Or ces bitumes ont été produits durant une époque assez longue avec une variabilité importante, et ils peuvent évoluer dans le temps. La réponse est donc probablement techniquement et scientifiquement difficile à apporter.
Pour renforcer la logique de défense en profondeur, deux logiques sont possibles : ou bien on élimine le risque en traitant en surface ces fûts bitumés, par exemple dans un processus de vitrification, ou bien on fait en sorte, une fois ces fûts descendus, d'améliorer la robustesse de la conception d'alvéoles dédiées pour les bitumes, ce qui augmente notre capacité à prévenir, intervenir et limiter les conséquences. Ce sont bien les deux voies que l'on nous demande d'analyser, et nous devons le faire de manière complète, rigoureuse et exhaustive parce que chaque solution comporte bien évidemment des avantages et des inconvénients. On pourrait estimer que le traitement en surface, c'est-à-dire la vitrification, résout le problème, mais on imagine bien quel serait l'impact en termes d'environnement, d'exposition, etc., si l'on devait reprendre 60 000 fûts. Reste l'autre solution : les descendre en l'état, mais dans des alvéoles renforcées. Nous devrons donc répondre à cette question le moment venu pour savoir quelle est la meilleure des solutions. Cela dit, cette question dépasse l'ANDRA car son métier n'est pas d'aller faire de la vitrification de déchets ; elle concerne toute la filière. C'est pourquoi, comme l'a annoncé hier le secrétaire d'État, l'ASN va demander l'organisation d'une revue internationale à laquelle nous travaillons déjà, et qui mobilise des enjeux scientifiques propres au nucléaire, des enjeux de doctrine de sûreté, mais également des compétences dans d'autres domaines, comme la pyrotechnie.
En attendant, parce que le choix ultime nécessitera peut-être un certain temps, que fait-on ? Premièrement, ces fûts de bitume ne seront descendus que le jour où l'ANDRA et l'ensemble des évaluateurs et des contrôles seront convaincus que les conditions robustes et rigoureuses de sûreté sont remplies. En attendant, ils resteront en surface. Lorsque l'on aura décidé quelle est la meilleure manière de les descendre, on mettra en oeuvre l'option retenue. Cela signifie notamment que nous ne mettrons pas de bitumes dans la phase industrielle pilote, contrairement à ce qui avait été prévu initialement. C'est une bonne illustration de ce à quoi va servir cette phase pilote : ce temps nous permettra de prendre en main l'installation, d'acquérir des éléments qui confirment, confortent, complètent les éléments de démonstration, et des informations complémentaires afin de prendre ultérieurement les décisions qui s'imposent sur l'élargissement du spectre de déchets ou la manière de descendre les bitumes le moment venu. En attendant, ils resteront en surface dans leurs installations d'entreposage dans le cadre d'un processus de reprise et de reconditionnement que mène le CEA.