Intervention de Dominique Minière

Réunion du jeudi 15 février 2018 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Dominique Minière, directeur exécutif du groupe EDF et membre du comité exécutif, chargé de la production nucléaire et thermique :

– Je vous remercie de nous donner l'occasion de vous exposer la manière dont, en tant qu'opérateur, nous prenons en compte la protection physique de nos centrales nucléaires, appelées aussi la sécurité des centrales, terme que j'utiliserai par la suite par commodité de langage.

Tout d'abord, je tiens à souligner que l'objectif des mesures mises en place est d'éviter tout accident grave, c'est-à-dire un acte qui pourrait entraîner des relâchements importants de radioactivité dans l'environnement. En ce sens, les mesures que nous prenons en matière de sécurité ont bien comme objectif de garantir la sûreté nucléaire de nos installations. Les deux sujets, sécurité et sûreté, sont liés : les agressions au titre de la sécurité relèvent, de par leur nature, de la défense et restent donc soumises, selon la loi, à des règles spécifiques de secret, mais elles représentent un type d'agression qui s'ajoute à des agressions potentielles au titre de la sûreté, telles que les séismes ou les inondations.

Sans entrer dans le détail des éléments relevant de la protection du secret de la défense nationale, je voudrais vous décrire aussi précisément que possible les mesures que nous prenons pour faire face aux enjeux de la sécurité nucléaire sur nos sites. La démarche de sécurité s'apparente dans sa méthodologie à la démarche de sûreté. Je vais vous l'expliquer en deux temps.

Dans un premier temps, il faut comprendre que les objectifs de sécurité à assurer sont définis par la loi, dont la dernière modification date de 2009. Elle définit les agressions à prendre en compte et, ainsi, qualifie de menace tout évènement physique, phénomène ou activité humaine potentiellement préjudiciable, susceptible de provoquer des décès ou des lésions corporelles, des dégâts matériels ou immatériels, des perturbations sociales ou économiques ou une détérioration de l'environnement. Dans le cadre de la démarche de sécurité de notre secteur d'activité, les menaces seront réputées avoir un caractère malveillant ou être de nature terroriste. Les menaces peuvent se présenter sous deux formes, soit sous la forme d'une menace externe, typiquement une intrusion, soit sous la forme d'une menace interne, comme des salariés d'EDF ou de prestataires qui commettraient, depuis l'intérieur du site, des actes de malveillance. En matière de sécurité, nous visons à garantir la sûreté nucléaire. L'objectif à respecter est d'éviter, quelle que soit la menace, tout accident grave conduisant à des rejets de radioactivité importants dans l'environnement.

Dans un second temps, le dispositif repose sur l'établissement périodique d'un plan de sécurité par l'opérateur, donc EDF. Le premier plan de sécurité d'EDF a été validé par l'État en 2012 et le dernier, datant seulement de 2017, est encore en cours de validation par les services de l'État. Ce plan se décline localement. Chaque centrale de production a réalisé un plan de protection diffusé aux autorités préfectorales en 2012, et dans lequel sont définies les mesures mises en place pour faire face aux menaces, comme la création de zones de sécurité, de règles d'organisation ou de gestion de la crise... Aujourd'hui, chaque centrale dispose de tels plans. Par ailleurs des démonstrations de sécurité sont établies, montrant qu'avec les mesures prévues dans les plans, les objectifs de sécurité sont bien atteints. Des exercices réguliers sont réalisés à plusieurs niveaux, en interne, avec les autorités locales ou nationales, et permettent de vérifier la bonne adéquation des plans et des tactiques d'intervention.

Dans un troisième et dernier temps, l'autorité de contrôle en la matière, à savoir le haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) du ministère de la transition écologique et solidaire, s'assure, avec l'appui de l'IRSN, que les démonstrations effectuées sont solides et vérifie ensuite régulièrement, via des inspections sur sites, que les dispositions décrites dans les plans sont bien en place et effectives. Au total, 24 inspections ont eu lieu en 2017 et autant sont prévues en 2018.

Au-delà de cette approche de la sécurité telle qu'encadrée par la loi, il est nécessaire de souligner, en prenant plus de champ, que si la définition des mesures à prendre pour faire face aux menaces et leur mise en oeuvre relèvent bien de l'opérateur, les mesures de prévention pour éviter, dans la mesure du possible, que ces menaces prennent corps relèvent, elles, de l'État. Il en est ainsi de la prévention du terrorisme, du renseignement, de l'interdiction de survol des sites sensibles tels que nos centrales, de la surveillance rapprochée des sites, etc. Toutes ces actions relèvent de l'État. La sécurité des centrales est donc, en quelque sorte, une coproduction entre l'opérateur et l'État.

Un autre élément clé relève du domaine législatif : il s'agit de la caractérisation légale d'une intrusion dans nos centrales et des sanctions pénales encourues par les contrevenants. Avant la loi du 2 juin 2015 relative au renforcement de la protection des installations civiles abritant des matières nucléaires, dite « loi de Ganay », les peines encourues pour de tels faits étaient inférieures de fait à celles encourues en cas de cambriolage chez un citoyen, ce qui ne peut que paraître choquant au vu de la gravité de tels actes. On ne saurait donc que se féliciter du fait que la représentation nationale se soit emparée de ce sujet, à travers cette proposition de loi, adoptée avec un large consensus à l'Assemblée nationale comme au Sénat. Cette loi a vocation, comme l'indiquait le Gouvernement lors des débats préalables à son adoption, à mettre fin à la confusion entre le droit à manifestation – qui est légitime – et la violation de procédures de protection anti-terroristes – qui renvoie à des actes irresponsables. Cette loi a été complétée en octobre 2015 par un décret qui définit, pour chaque centrale nucléaire, une zone dite « zone nucléaire à accès réglementé » (ZNAR), zone délimitée par un arrêté du ministre en charge de l'énergie et dont la protection est assurée par un dispositif pénal spécifique, proportionné à la gravité de l'acte qui y porterait atteinte. Tous les arrêtés ont été pris pour toutes les centrales, et les zones nucléaires à accès réglementé sont dorénavant délimitées physiquement via une clôture portant des pancartes d'affichage ad hoc. Dans une approche avant tout dissuasive, l'esprit de ces dispositions est de renforcer les interdictions d'accès aux installations nucléaires de base. C'est donc un cadre en complémentarité totale avec notre dispositif, à savoir le programme de sécurisation que nous développons. À la suite des intrusions ayant eu lieu en 2017, deux audiences judiciaires sont programmées. Nous en attendons les résultats.

En matière de réponse aux menaces externes, plusieurs modèles existent dans le monde. Ils sont tous conçus autour de trois axes : détection des intrus, retardement des intrus, et interception des intrus ; ils sont tous organisés autour de trois zones concentriques, en forme de poupées gigognes :

- en première barrière, la zone à accès contrôlé (ZAC), qui délimite la zone de propriété de la centrale ;

- à l'intérieur de celle-ci, la zone à protection renforcée (ZPR), qui délimite les bâtiments industriels ;

- et enfin à l'intérieur de celle-ci, la zone vitale (ZV), où sont situés les équipements qui, détruits, pourraient entraîner, dans certaines circonstances, des accidents graves. C'est dans cette zone que se situe l'îlot nucléaire.

Dans nos centrales, la zone nucléaire à accès réglementé (ZNAR) a été fixée, par le décret d'octobre 2015 précité, au niveau de la ZAC, c'est-à-dire la première barrière.

Les trois modèles principaux de réponse aux menaces externes sont les suivants :

- le modèle dit « bunker », qui privilégie le retardement, via la « bunkerisation » de l'îlot nucléaire, par l'interposition d'une barrière à haute résistance. C'est le modèle retenu par les centrales allemandes, avec des murs, des portes, etc. Par contre, la détection et l'interception sont peu développées, l'intervention des forces régaliennes se faisant, par exemple, seulement sous 30 minutes ;

- le modèle dit « château fort », qui privilégie plutôt l'interception, généralement au niveau de la ZPR. C'est le modèle retenu en Russie ou en Chine, ainsi qu'aux États-Unis, où tout endroit de la ZPR est sous le feu immédiat de deux miradors. Aux États-Unis, il y a également un dispositif de retardement sur les clôtures et les portes de l'îlot nucléaire, ainsi qu'un complément de force armée dans l'îlot nucléaire. Un tel modèle n'est pas sans risque de blessures, ou pire, de personnes qui n'auraient aucune intention de nuire ;

- le modèle dit de « protection active », basé sur un concept de défense en profondeur, qui privilégie la détection, associée à un retardement réparti sur la ZPR et la ZV, et qui permet la projection rapide d'une force armée locale au bon endroit et au bon moment, en interposition pour éviter une entrée dans la ZV. Ces forces se concentrent sur les cibles potentielles importantes pour la sûreté, dans les délais compatibles avec les démonstrations de sécurité. C'est le modèle retenu en France, mais aussi dans nombre de pays européens.

Plus spécifiquement, à EDF, la force armée locale retenue est la gendarmerie, sous la forme de pelotons spécialisés de protection de la gendarmerie (PSPG). Chez d'autres exploitants français, il s'agit de forces locales de sécurité (FLS), équipes internes à l'exploitant spécialisées en la matière. L'organisation globale s'appuie donc :

- d'une part, sur des équipes internes d'EDF, chargées de surveiller, de détecter et de retarder via les mesures de conception des installations et, donc, de protéger l'îlot nucléaire ;

- d'autre part, sur les PSPG, chargés d'intercepter et d'empêcher l'endommagement des cibles potentielles à l'intérieur des zones vitales.

Il est important de comprendre que les démonstrations de sécurité conduisent, en cas de détection d'une intrusion, au positionnement des PSPG pour empêcher la destruction des cibles potentielles à l'intérieur des zones vitales. Il s'agit, en même temps, de neutraliser ou de fixer la menace. En cas d'intrusion autre que terroriste, le rôle des PSPG est de restreindre la capacité de mouvement sur le site.

Par ailleurs, les interventions sont coordonnées avec les unités de gendarmerie du département. Les PSPG sont le dernier maillon interne de la réponse de l'opérateur et le premier maillon de l'État. En cas d'action malveillante visant un site, le PSPG concerné est placé sous le contrôle opérationnel du GIGN, qui peut intervenir, si nécessaire.

Comme pour la sûreté des centrales nucléaires, les grands principes en matière de sécurité nucléaire sont définis par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). L'AIEA réalise des inspections dans les différents pays. Après le Royaume-Uni, le second pays à avoir été retenu pour une telle inspection sécuritaire internationale a été la France et le premier exploitant français retenu a été EDF. Cette inspection, appelée « IPPAS » (International Physical Protections Advisory Service), a eu lieu en 2011. Ces inspections internationales partagées portent à la fois sur les dispositifs mis en place par les États et sur leur mise en oeuvre sur les sites. C'est le site de Gravelines qui avait été visité en 2011. Ayant participé directement à cette inspection, je me rappelle parfaitement du satisfecit global exprimé par l'AIEA. Bien entendu, ce type d'inspection a aussi donné lieu à quelques recommandations et suggestions, que nous avons prises en compte. Une réunion de suivi a eu lieu en septembre 2017. Ces recommandations ont conforté le modèle sécuritaire d'EDF et permettent, dans le cadre de leur prise en compte, de renforcer les aspects qui le nécessitent.

Comme pour la sûreté, la sécurité de nos centrales s'appuie sur :

- des moyens humains, constitués des équipes de protection de site EDF, en charge d'assurer la maîtrise d'ouvrage et notamment de surveiller et détecter. Ces équipes EDF sont renforcées par des équipes d'entreprises prestataires, en charge principalement du gardiennage et de l'accueil, et par plus de 1 000 gendarmes alloués à la sécurité des sites, ces gendarmes étant spécialisés dans le contre-terrorisme, formés et entraînés par le GIGN. Au total, EDF dépense plus de 250 millions d'euros par an pour ces moyens humains, ce qui couvre notamment les rémunérations et le matériel des 1 000 gendarmes, qui ne coûtent donc pas un euro au contribuable. ;

- de l'organisation, car pour progresser dans ce domaine, comme dans celui de la sûreté, chaque centrale procède à une revue annuelle de son dispositif de sécurité, challengée par la direction du parc nucléaire. Chacune procède également à des exercices et des entraînements réguliers avec son PSPG et les forces de gendarmerie locales. Plus de 500 exercices et entraînements sont organisés chaque année sur notre parc nucléaire. Par ailleurs, l'État organise chaque année un exercice « EPéES » – pour exercices de protection et d'évaluation de la sécurité – à destination des opérateurs nucléaires, en faisant intervenir le GIGN et les forces armées. Le dernier exercice EPéES s'est tenu en novembre 2017 à Penly. Chaque évènement en matière de sécurité, doit comme pour la sûreté, être déclaré auprès du HFDS et faire l'objet d'un retour d'expérience de la part de la centrale concernée. Enfin, des inspections sont régulièrement menées par le HFDS et ses équipes, et ces inspections font l'objet de lettres de suite, équivalentes aux lettres de suite de l'ASN dans le domaine de la sûreté.

Les résultats en matière de sécurité sont suivis de très près par le HFDS comme par l'opérateur. Sur le plan qualitatif, il a été noté une nette amélioration de la culture de la sécurité sur les dix dernières années et les entraînements réguliers permettent de développer de bonnes complémentarités entres les équipes de protection de site d'EDF et les PSPG. Sur le plan plus quantitatif, les exercices réalisés en 2016 sont, en termes d'objectifs de sécurité, deux fois mieux réussis que les exercices réalisés en 2013. Surtout aucune intrusion réelle n'a jamais permis aux personnes qui les ont menées de pénétrer à l'intérieur d'une zone vitale. De ce point de vue, les intrusions de Greenpeace n'ont jamais pris en défaut nos dispositifs de sécurité.. Les conditions d'interception de Greenpeace sont conformes à la logique de protection de site qui priorise la garantie de l'intégrité des cibles, tout en restreignant leur capacité de mouvement à l'intérieur du site.

En outre, il y a lieu de souligner que la loi de 2009 et la réglementation complémentaire prise en 2011 ont conduit EDF à engager un programme de renforcement en matière de conception. Parmi les principales mesures, figurent des mesures de renforcement, tant en matière de détection dès la ZAC qu'en matière de renforcement de la ZPR. Mais aussi des mesures en matière de dispositifs de détection d'explosifs et de contrôle d'accès biométrique. La mise en oeuvre de ce plan de 750 millions d'euros au total est en cours de déploiement, plus de 150 millions d'euros ayant déjà été investis.

Concernant la menace externe, je souhaiterais terminer mes propos par un zoom sur le sujet des piscines du bâtiment combustible, là où sont entreposés nos assemblages usés avant évacuation à La Hague. La fonction de sûreté à garantir pour ces assemblages est très simple : il s'agit d'assurer le refroidissement des assemblages dans la mesure où ils émettent toujours un peu de puissance résiduelle et, en tout état de cause, éviter tout découvrement des assemblages usés. Même si je ne connais aucun cas dans le monde d'incidents ou d'accidents graves de découvrement d'assemblages, un tel phénomène ayant été, certes, suspecté à Fukushima, mais ne s'étant, de fait, pas produit, j'ai bien noté que Greenpeace et d'autres pointaient régulièrement du doigt ce sujet. Il est nécessaire de souligner que les assemblages de combustible sont déposés dans des racks spéciaux au fond des piscines, sous sept à huit mètres d'eau. En conséquence, comme vous pouvez le constater sur le schéma qui vous a été remis, les éléments clés pour assurer le refroidissement des assemblages ne sont donc pas les parties au-dessus de la piscine, comme les murs du bâtiment au-dessus de la piscine, ou la toiture, mais bien :

- l'épaisseur des parois de la piscine proprement dite, c'est-à-dire de la partie chargée de retenir l'eau. Ces parois sont en béton, d'une épaisseur cumulée supérieure à celle des bâtiments réacteur. Des tests, que je ne détaillerai pas, ont montré l'absence de risque de conséquences en matière de sûreté, même face à des armes modernes telles que celles dont pourraient disposer des terroristes particulièrement équipés. Les personnes qui ont évoqué le 8 novembre 2017, devant la commission du développement durable de l'Assemblée nationale, des murs de « 30 cm d'épaisseur » ne parlent pas des parois chargées de retenir l'eau des piscines ;

- les dispositions prises pour s'assurer de disposer en permanence d'une fonction de refroidissement. Celle-ci est aujourd'hui assurée par deux circuits indépendants, mais au titre du renforcement, nous étudions des moyens complémentaires.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.