Jeudi 15 février 2018
Présidence de M. Gérard Longuet, sénateur, président
La séance est ouverte à 9 heures
(Compte rendu restreint)
● La sécurité des installations nucléaires après les intrusions de l'automne 2017
Audition conjointe :
– Nous avons une matinée chargée avec des intervenants de très grande qualité, je les remercie d'avoir pu se libérer pour participer à cet échange qui aura lieu à huis clos. Je voudrais remercier le premier vice-président Cédric Villani, qui était alors président et qui je l'espère sera mon successeur, et notre collègue députée Mme Émilie Cariou, pour leur initiative relative à une demande au Premier ministre de pouvoir conduire une audition sur le thème de la sécurité des centrales nucléaires. Cette demande a été suivie d'un avis très favorable du Premier ministre, et nous sommes aujourd'hui ici pour comprendre la sécurité des installations nucléaires, à l'éclairage des intrusions de l'automne 2017.
Ces intrusions n'avaient sans doute pas pour objet de déstabiliser le fonctionnement des installations nucléaires, ni de mettre en jeu la sûreté de ces installations, mais appartiennent à une forme d'expression nouvelle qui a pour objet de questionner sans cesse le thème de la sûreté et de la sécurité des installations nucléaires, entre lesquelles il est parfois difficile d'établir une frontière.
Je ne porterai pas de jugement sur cette forme d'expression. Avec mon expérience de parlementaire, j'ai une certaine résignation à l'égard de toutes les formes d'expression. Après tout, tirer un signal d'alarme peut parfois être utile. Je dois reconnaître qu'ayant eu à connaître, comme ministre de l'industrie, de la mise en oeuvre de la « loi Bataille » de décembre 1991 sur les déchets nucléaires, j'ai pu constater qu'on pouvait à la fois être exemplaire, exceptionnel et talentueux dans la réalisation d'un projet, et à la fois méconnaître tel ou tel aspect, puisque le sujet des déchets nucléaires à forte activité et à vie longue a été traité tardivement, et dans tous les cas bien après le lancement de ce programme. C'est la raison pour laquelle, indépendamment de toute conviction personnelle, je considère que ces intrusions n'auront pas été complètement inutiles si elles nous permettent d'approfondir le sujet. J'ajoute que ce sont des intrusions qui ne sont pas les risques contre lesquels luttent les acteurs de la sécurité, qui ont une mission redoutable, forte et responsable, mais qui savent faire la part des choses et ne pas traiter nécessairement de la même manière toutes les formes d'intrusion, comme la stricte application des règles aurait pu conduire à le faire.
– Je vous rappelle le contexte médiatique qui a été déclencheur de cette audition, sur des sujets que, de toute façon, nous aurions été amenés à aborder à un moment ou à un autre. De façon très médiatisée, des militants de Greenpeace France se sont introduits par voie terrestre, en octobre et novembre 2017, dans l'enceinte des centrales nucléaires de Cattenom (en Moselle) et de Cruas-Meysse (en Ardèche).
Avec Émilie Cariou, nous avons écrit, en octobre dernier, au Premier ministre, avec copie au président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), pour demander l'audition du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) « sur les risques potentiels, liés à une attaque malveillante, auxquels sont confrontés les sites nucléaires français » et pour « poser la question de la sécurité du parc nucléaire français ». Nous estimions que : « Dans une optique de transparence et d'information au public, la production d'un rapport d'inspection sur les conditions de cette intrusion, ainsi qu'un état des lieux sur les risques de malveillance auxquels sont exposées les installations nucléaires françaises, paraît aujourd'hui nécessaire. ».
Dans sa réponse du 29 novembre dernier, le Premier ministre a donné une suite favorable à notre requête, en indiquant « qu'elle s'inscrit dans une logique de transparence et d'information de la représentation nationale au travers de l'OPECST ».
Nous auditionnerons également, en deuxième partie de matinée, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l'exploitant des centrales, EDF, dans un format qui a été déterminé en accord avec le président Gérard Longuet et notre collègue Émilie Cariou, référente pour l'OPECST à l'Assemblée sur les sujets liés au nucléaire.
Il faut en effet distinguer ces deux notions de sûreté (safety), qui concerne le fonctionnement, et de sécurité (security), qui concerne les actes malveillants, selon des définitions de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Les limites entre ces deux notions sont parfois claires, parfois moins.
Sur le fond, je n'ai pas besoin de rappeler le travail continu, depuis sa création en 1983, de l'Office sur la sûreté nucléaire, avec de nombreux rapports – dont ceux de M. Christian Bataille –, auditions et auditions publiques : accident de Fukushima, cuve de l'EPR, gestion des déchets… La loi prévoit également une audition annuelle systématique de l'ASN par l'Office, sur son activité de l'année. Nous avons tenu la dernière le 30 novembre dernier. De même, la loi prévoit l'audition annuelle de la commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs (dite CNE2). Nous l'avons entendue en novembre également.
S'agissant de la sécurité nucléaire, je rappelle les précédentes auditions de l'OPECST en 2014 sur les survols des centrales nucléaires par les drones. Elles avaient consisté en une première partie confidentielle (comme ce matin), suivie immédiatement après d'une audition publique, ouverte à la presse, comprenant les autorités publiques et les principales parties prenantes : exploitant, industriels et représentant des ONG et de la société civile.
Je rappelle également que l'Assemblée nationale a créée en parallèle, le 30 janvier dernier, une commission d'enquête sur « La sûreté et la sécurité des installations nucléaires ». Le président en est M. Paul Christophe et la rapporteure Mme Barbara Pompili, par ailleurs présidente de la commission du développement durable. Certains membres de l'OPECST font aussi partie de cette commission d'enquête. Ce matin-même, cette commission d'enquête auditionne plusieurs ONG et le président de l'association nationale des comités et commissions locales d'information (ANCCLI).
La commission d'enquête permettra un focus ponctuel, sur une durée de six mois, et devrait faire en sorte « d'ouvrir le maximum d'auditions au public et à la presse », selon les déclarations de Mme Barbara Pompili à Sciences et Avenir. Elle ne pourra cependant pas traiter en principe de faits couverts par des poursuites judiciaires, ce qui est le cas des intrusions de militants de Greenpeace à l'automne 2017.
L'OPECST, quant à lui, mène une action continue et assure un suivi permanent des questions de sûreté et de sécurité et, à ce titre, est l'interlocuteur naturel des autorités et parties prenantes. En outre, et contrairement à la commission d'enquête, il ne nous est pas interdit de vous entendre sur les intrusions de l'automne 2017.
S'agissant de sécurité nucléaire, nous devons concilier la nécessaire confidentialité de certaines informations et la transparence que nos concitoyens attendent. La question de la confiance a son importance.
Les travaux de l'Office ne sont pas en général confidentiels. L'OPECST a notamment organisé, de 2011 à 2017, une vingtaine d'auditions publiques, ouvertes à la presse, traitant de questions touchant à la sûreté ou à la sécurité nucléaire. Les auditions annuelles de l'ASN sont également publiques, et la dernière audition de la CNE2 l'a également été pour la première fois à l'automne 2017, à ma demande.
Pour les auditions de ce matin, il est en revanche fait application de la disposition de la loi régissant l'OPECST selon laquelle : « Les travaux de la délégation sont confidentiels, sauf décision contraire de sa part. ». Dans l'état du monde contemporain, chacun comprendra que certaines informations confidentielles ne peuvent pas être divulguées sans précaution, en raison du risque d'être utilisées, manipulées, instrumentalisées, à de très mauvaises fins. Transparence et responsabilité doivent être conjuguées intelligemment si l'on ne veut pas donner certaines informations à des personnes mal intentionnées, qui s'en serviraient contre la démocratie.
Nous étudions par ailleurs la possibilité de poursuivre les auditions confidentielles de ce matin par une audition publique, ouverte à la presse et retransmise en vidéo : autorités, parties prenantes, société civile… et avec participation du public sous une forme restant encore à déterminer, peut-être avec la commission d'enquête. Je pars du principe qu'à chaque fois que l'on tait les faits, on alimente les soupçons.
Je vous rappelle les règles décidées par le Bureau de l'Office pour les auditions de ce matin. Nos débats sont confidentiels et seuls les personnes auditionnées, les parlementaires et les fonctionnaires de l'OPECST sont autorisés dans la salle, au demeurant de petite taille et sans dispositif de diffusion audiovisuelle. Il sera rédigé un compte rendu écrit qui sera soumis à chaque intervenant, lequel pourra en retirer tous les propos qu'il estimera ne pas devoir être portés sur la place publique. Ce compte rendu sera ensuite publié sur le site internet de l'OPECST. L'enregistrement audio est à usage exclusif pour l'établissement de ce compte rendu. J'invite instamment nos collègues parlementaires à ne communiquer que sur la base de ce qui aura été écrit dans ce compte rendu.
Ce matin, en première partie, nous souhaiterions entendre, comme convenu, le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) sur les risques liés à des actes de malveillance, auxquels sont confrontées les installations nucléaires françaises, ainsi que les dispositifs mis en place pour les contrer. Quelles sont les responsabilités des uns et des autres : SGDSN, ministère de l'écologie, ministère de l'intérieur (préfets, gendarmes, renseignement), ministère de la défense (armée de l'air, renseignement) ?
– Nous avons en effet ce matin une dimension interministérielle, représentée par M. Louis Gautier et le préfet Pascal Bolot, qui sont respectivement secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et directeur de la protection et de la sécurité de l'État (PSE) au SGDSN. Nous avons également la dimension ministérielle avec le ministère de l'intérieur et celui de la transition écologique et solidaire, chargé de l'énergie.
– Je suis très heureux d'intervenir une deuxième fois devant l'OPECST, après l'audition de 2014 sur les survols de centrales nucléaires par les drones. Je dois dire que de cette délibération et du travail qui avait suivi, avec la proposition de loi de M. de Ganay, un colloque international pour faire converger les règlementations, une nouvelle règlementation de l'usage des drones, la mise en place de démonstrateurs, l'invention d'éléments de détection – voire de destruction – des drones, déployés pour la première fois à l'occasion de l'Eurofoot 2016, ont montré que ces réflexions sont utiles et ont des débouchés concrets pour notre sécurité.
Le travail de sécurité nucléaire implique de nombreux acteurs, avec au niveau interministériel le SGDSN et sa direction de la protection et de la sécurité de l'État (PSE), au niveau ministériel l'intérieur et la transition écologique et solidaire, les opérateurs et les différentes autorités et appuis techniques de l'État. Les problématiques de sécurité et de sûreté sont disjointes mais pas autonomes. Pour sécuriser des processus, il faut connaître leur impact en matière de sûreté. Il faut étudier ce que l'affaiblissement de la sécurité induirait en matière de sûreté. C'est ainsi que la problématique de sécurité était conçue dès le départ : le risque pour la sûreté induit par un problème de sécurité. La perspective a évolué, notamment à partir de 2001, avec le 11 septembre, avec les attentats de 2004 en Europe : une réflexion interministérielle a été engagée, induisant un changement de perspective au regard des problématiques de malveillance et d'action terroriste. On est passé d'une logique de maîtrise des processus de sûreté, de risque de vol ou détournement de matière ou de technologies à une logique de réaction à des activités malveillantes ou terroristes, qui suscitent les interrogations de ce jour.
Si je mentionne la date de 2001, c'est pour montrer que l'État n'est pas pris de court, et je le rappellerai en énonçant les textes et les réformes intervenus dans ce domaine. Nous bénéficions depuis 17 ans d'un travail d'amélioration permanente de nos dispositifs règlementaires ou concrets de sécurité, notamment : en 2006, la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire ; en 2008, la finalisation de la directive nationale de sécurité précisant les menaces à prendre en compte ; en 2009, la mise en place des pelotons spécialisés de protection de la gendarmerie (PSPG) ; de 2009 à 2011 le renforcement de la règlementation sur les obligations de protection fixées aux opérateurs, contre les actes de malveillance, notamment les articles R 1333-1 et suivants du code de la défense ; en 2014, le renforcement du pouvoir des préfets en leur donnant la possibilité de réglementer la circulation et le stationnement des véhicules autour des sites nucléaires(1) ; de 2014 à 2016, le travail législatif, règlementaire et organisationnel concernant la prise en compte de la menace des drones ; en 2015, la « loi de Ganay » sur le renforcement des sanctions en cas d'intrusion ; en 2015 également, la possibilité de contraindre les opérateurs à installer des dispositifs de protection dangereux(2) ; en 2017, la création du CoSSeN et le renforcement du cadre juridique de l'armement des cadres privés ; et encore récemment un réunion interministérielle (RIM) tenue à Matignon, dont je rappellerai les principales conclusions.
Il s'agit d'une perspective longue, il ne faut pas s'en tenir aux intrusions de 2017. Nous consolidons sans relâche notre travail pour améliorer les dispositifs de sécurité. Il s'agit aussi d'une perspective large, où le SGDSN, qui n'a pas de fonction opérationnelle mais qui est architecte et intégrateur des protocoles, dispositifs et réglementations de sécurité nationale, ne travaille pas autrement sur le nucléaire que, par exemple, sur la problématique plus récente de la protection des sites Seveso en prenant en compte le retour d'expérience de l'attentat de Saint-Quentin-Fallavier. Les mêmes questions se posent dans les mêmes termes : la problématique terroriste ou de malveillance a impliqué de modifier et d'adapter une règlementation sur des établissements potentiellement dangereux en raison des risques industriels et accidentels.
Le SGDSN est notamment chargé de la mise en place d'une stratégie sur la sécurité des 294 opérateurs d'importance vitale (OIV), qui représentent 1 418 points d'importance vitale (PIV), incluant 7 opérateurs dans le sous-secteur nucléaire : CEA, EDF, Orano (ex-Areva), IRSN, ANDRA, l'Institut Laue-Langevin, ITER, soit 35 points d'importance vitale (PIV), qui sont le coeur de ce qu'il faut protéger.
Cette liste est évolutive, non pas forcément dans la définition de la catégorie des OIV, mais parce que nous intégrons la problématique du risque cyber. Celui-ci est pris en compte pour les OIV, mais il nous a semblé nécessaire de proposer la création d'une nouvelle catégorie d'opérateurs, « les opérateurs de services essentiels (OSE) », dans le cadre de la directive européenne « Network and information security » (NIS) adoptée en juillet 2016. Le risque cyber est important pour l'ensemble des OIV. En la matière, nous avons plus de certitudes s'agissant des centrales nucléaires que dans d'autres domaines, mais nous y veillons, notamment pour certains prestataires ou sous-traitants. Le champ est donc limité, mais peut être étendu au regard du risque cyber.
Le SGDSN intervient en matière de sécurité nucléaire en raison du rôle qui lui est assigné par le code de la défense. Son rôle est encadré par l'article D 1333-69 du code de la défense, qui prévoit que le SGDSN « veille à la cohérence interministérielle des mesures planifiées en cas d'accident, d'attentat ou pour prévenir les menaces d'attentat ou la malveillance, en s'assurant de la concertation des différents départements ministériels lors de l'élaboration de ces mesures et de la prise en compte d'une action coordonnée entre services concernés ».
Le rôle du SGDSN est donc bien d'être ce chef d'orchestre, cet architecte des dispositifs de sécurité, au sein d'un concert interministériel qui implique aussi très directement les opérateurs. Par ailleurs, le SGDSN est concerné par d'autres problématiques relatives au nucléaire et qui font de lui, notamment en termes d'expertise, une institution qui connaît son domaine. Avec sa direction des affaires internationales, stratégiques et technologiques, il est en charge du contrôle de la prolifération nucléaire. Nous suivons pour l'État – ministères des affaires étrangères et de la défense – les textes et les négociations dans ce domaine ; vous connaissez bien ce sujet, monsieur Longuet, en tant qu'ancien ministre de la défense. Nous sommes également chargés de la protection du patrimoine scientifique et technologique, pour laquelle nous avons eu une discussion avec vous, monsieur Villani, sur la difficulté de faire comprendre aux mathématiciens des processus administratifs de protection, les communautés scientifiques étant moins sensibles peut-être aux nécessités de protection des laboratoires qu'à la logique de l'échange intellectuel au plan international. Ce dispositif de la protection du patrimoine scientifique et technologique est absolument essentiel dans le domaine nucléaire au regard du risque de prolifération. Dans cette discussion, il me semble que nous étions arrivés à équilibrer assez bien la logique de l'échange scientifique et celle de la protection du patrimoine scientifique…
– Je ne vous force pas la main sur ce sujet. Quoi qu'il en soit, dans le domaine de la sécurité nucléaire, il est incontestable que cette logique doive s'appliquer.
Le SGDSN joue également un rôle essentiel dans le contrôle des exportations : je pense par exemple au projet d'exportations, en Chine, par Orano (ex-Areva) d'une usine de retraitement. Le SGDSN est très impliqué dans la négociation de l'accord intergouvernemental sous-jacent, pour que cette exportation soit parfaitement conforme aux spécificités ou demandes de contrôle que pourrait demander l'AIEA.
Nous avons aussi un rôle en matière d'alerte gouvernementale : je pense par exemple à cet incident qui a récemment défrayé la chronique, et dont on s'interroge encore sur les causes, cette échappée d'isotope signalée par la détection de la présence de ruthénium 106 en provenance, très probablement, de la Russie. Avec l'aide de l'IRSN, de l'ASN et du CEA, nous avons été les premiers à coordonner un travail collectif, pour informer nos autorités de la manière la plus précoce possible, pour procéder à l'évaluation des conséquences possibles sur les populations européennes, pour s'assurer de la réduction de ces risques, et en même temps, au plan international, pour poser un certain nombre de questions auxquelles toutes les réponses, notamment du côté des Russes, n'ont pas été apportées.
Ces contacts nombreux avec la famille nucléaire – je laisse de côté les problématiques liées à la dissuasion – font que nous avons une expertise du secteur qui nous permet de bien assurer ce travail de dialogue collectif avec les opérateurs et les principaux ministères, ce qui est important car il s'agit de sujets qui peuvent être très techniques.
Le dernier élément au titre duquel le SGDSN est impliqué est la problématique du terrorisme. Notre pays a été frappé depuis 2015 par une vague d'attentats terroristes, qui nous a amené à relever, dans tous les domaines, les dispositifs de sécurité, et à renforcer le travail du renseignement. Sur la sécurité nucléaire et la protection, il faut prendre de la profondeur de champ. Nous avons aussi été extrêmement attentifs et réactifs à tous les types d'évolution de la menace, notamment terroriste. Nous avons identifié le risque d'importation sur le territoire national d'un certain nombre de modes opératoires, en particulier sur le théâtre du Levant, où Daesh a notamment pu acquérir, en occupant des villes, les capacités scientifiques de certains laboratoires ou des capacités militaires.
Si certains risques étaient plus évidemment en cause, je pense à l'usage malveillant des drones, à des recherches récentes sur les explosifs, à des tentatives de fabrication de ricine, d'ypérite ou de toxines botuliques – sans que cela ne prospère beaucoup – en revanche, la problématique nucléaire n'était pas en cause. Elle l'a été en 2016 – ce qui a appelé notre vigilance très tôt – à travers des services de renseignement et d'enquête belges sur le fait que, dans un ordinateur d'un terroriste interpellé dans le cadre des affaires de Molenbeek, on a retrouvé les références d'un directeur d'un centre de recherche nucléaire. Sur ce sujet de l'évolution de la menace terroriste, dès que nous recevons la moindre alerte ou signalement, nous sommes particulièrement vigilants à nous assurer de leur prise en compte, à transmettre l'information, à faire travailler nos services. Mais je dois dire qu'autant sur les autres sujets que j'ai évoqués, en particulier les drones ou les explosifs, le préfet Bolot est bien placé pour mesurer ce que cela implique en termes de renforcement de la sécurité aérienne, de détection des explosifs, autant en matière nucléaire, à part ce signalement que j'évoquais à l'instant, nous n'avons pas eu d'autres craintes. Mais le domaine du nucléaire implique de telles questions de sécurité où, de toutes les façons, la problématique terroriste est déjà intégrée.
Quand je quitte le champ des généralités pour revenir à ce qui a été fait récemment, je suis éclairé par les travaux et recommandations de l'OPECST sur les renforcements de nos systèmes de protection, notamment la mission parlementaire que l'OPECST a menée en 2011 sur le thème de « La sécurité nucléaire, la place de la filière et son avenir », présidée par M. Claude Birraux. Avec la recommandation sur les dispositifs d'alerte et de communication, gérés au SGDSN, notamment par son bureau de veille et d'alerte, à travers la consolidation du système de veille du ministère de l'intérieur (le COGIC), et de celui du ministère de la transition écologique et solidaire (le CMVOA), les alertes sur les incidents à caractère nucléaire sont désormais complètement intégrées. Je vous annonce d'ailleurs la proposition que j'ai faite au Premier ministre de consolider encore le bureau de veille et d'alerte, au-delà du seul secteur nucléaire, pour le transformer en un véritable centre de veille et d'alerte gouvernemental, de façon à mieux traiter la question des alertes aux populations. Nous avons un travail encore devant nous sur ce point. Vous le savez, le ministère de l'intérieur a développé, à travers la direction de la protection civile, un premier système d'alerte via l'application SAIP (système d'alerte et d'information de la population) sur smartphone. Se sont aussi développées des applications de ce type, sur un mode associatif, notamment celle dénommée Qwidam. Je crois qu'il faut revenir sur ce sujet. Il y a eu un intéressant rapport du Sénat sur ce système d'alerte. Je vois que la rénovation des sirènes coûterait 52 millions d'euros, il faudrait peut-être s'interroger...
–… de signalement des incidents aux populations.
Dans vos recommandations, il y avait notamment la question de la réévaluation des plans de secours, en particulier au regard du retour d'expérience sur l'accident de Fukushima. Cela nous a amenés, encore, à prendre un certain nombre de décisions. Ainsi récemment, en 2016, celle qui peut-être a été la plus spectaculaire, la décision d'étendre le périmètre de planification réflexe de 10 à 20 kilomètres autour des centrales nucléaires, l'extension des plans particuliers d'intervention (PPI) et l'ajout d'une mesure d'évacuation immédiate à 5 kilomètres en cas de nécessité. C'est sur ces bases qu'a été joué le dernier exercice, j'y reviendrai ; nous faisons beaucoup de simulations et d'exercices et, parmi ceux-ci, pratiquement un chaque année, d'ampleur nationale ou de grande ampleur régionale. Le dernier simulait un accident possible dans l'usine de La Hague. Cet exercice mettait en oeuvre les nouvelles dispositions, notamment le plan national de réponse à un accident nucléaire ou radiologique majeur, rédigé entre 2012 et 2013, actualisé et rendu public en 2014.
Dans ce domaine nucléaire comme dans d'autres, depuis que je dirige le SDGSN, j'ai engagé un axe d'effort en faveur de la publicité autour de la planification de sécurité. Malheureusement, ainsi que les attentats terroristes l'ont montré, il ne s'agit pas seulement d'avoir, à travers Vigipirate, les signalements et vignettes, ou le meilleur plan interministériel, il faut aussi qu'un certain nombre de mesures passent dans la population, parce que chacun est acteur de sa sécurité ; notamment face à la menace terroriste, il faut avoir les bons réflexes et il est nécessaire de diffuser davantage cette culture de la précaution. Le terrorisme a été pour nous, tragiquement et en urgence, un banc d'essai de cette politique de diffusion d'une culture de la précaution. Dans le domaine nucléaire, le fait que nous ayons rendu publique une partie de ce plan national de réponse à un accident nucléaire ou radiologique majeur, sur le site internet du SGDSN comme d'autres sites gouvernementaux, participe de l'appréhension du risque, et de la réponse au risque par l'ensemble des acteurs qui seraient impliqués.
Ce plan est décliné territorialement dans toutes les zones de défense et de sécurité, j'y reviendrai, avec le rôle des préfets et des responsables de zone de défense, qui est essentiel en cas d'accident et d'implications au titre des plans de secours. Comme je le disais, ce plan fait l'objet d'une constante amélioration, il constitue une feuille de route comportant une douzaine d'actions. Ces exercices que nous conduisons régulièrement à froid sont autant d'occasions de procéder à un retour d'expérience (RETEX) et permettent systématiquement d'améliorer la dite feuille de route.
L'OPECST recommandait également que les services de sécurité civile et des exploitants précisent les modalités de formation et de mobilisation de leurs personnels, notamment à agir en cas de crise. Le SGDSN a lancé un programme de professionnalisation dans ce domaine, et là encore nous pourrons détailler, si vous le souhaitez, l'ensemble des actions conduites, notamment par les opérateurs, sous le pilotage du SDGSN, pour obtenir une meilleure formation. Je rappelle le mandat de travail qui avait été donné par le Premier ministre en 2014 à l'ASN pour qu'elle participe aussi à la formation des acteurs en cas de crise, et notamment à la gestion post-accidentelle d'une crise nucléaire. J'évoquais tout à l'heure la problématique cyber : nous avons organisé un exercice dénommé Piranet, qui nous permet d'intégrer la dimension cyber ou le risque d'un accident cyber pouvant avoir des conséquences dans le domaine de la réalité physique. Là encore, le RETEX est intégré à tous les champs des établissements qui doivent être protégés, en particulier des OIV, dans la sécurité nucléaire.
Constituée de lignes de protection multiples, la sécurité nucléaire implique, au-delà de ces plans, de la protection périmétrique des installations nucléaires, interne et externe, le rôle des 25 préfets territorialement compétents. Après l'échange prévu avec eux, je coordonnerai l'envoi à chacun d'une demande de vérification et d'actualisation de leur plan de protection, notamment des sites d'importance vitale (SIV), non pas que j'ai un quelconque doute sur le fait que ce soit bien fait, mais pour nous assurer que les actualisations, notamment après les deux deniers incidents que nous avons connus en 2017, sont prises en compte.
Des lignes de protection multiples, car dans la question de la sécurité des centrales, au-delà de la seule protection périmétrique, entre aussi la question des enquêtes d'habilitation et du criblage. Est ici présent un représentant du CoSSeN, qui pourra répondre à vos questions sur le risque de radicalisation, sur le choix des personnels qui travaillent dans les centrales nucléaires, afin de détecter la menace le plus vite possible. Sur ces questions, je laisserai s'exprimer les responsables du ministère de l'intérieur. De la même manière, je laisserai les responsables du MTES répondre à vos questions ou vous présenter la règlementation et les dispositifs de protection des installations et du transport des matières nucléaires.
J'en viens à ce qui a été à l'origine de vos interrogations et de celles de la commission d'enquête : les intrusions. Il y a eu, par rapport à des risques d'intrusions ou d'accidents, des interrogations régulières, après 2001, notamment sur la possibilité d'un accident aérien pouvant endommager une centrale. J'ai évoqué également les drones, qui renouvelaient dans la même perspective la question du périmètre de protection et des risques d'intrusion. L'organisation de la sécurité nucléaire en France avait fait l'objet, à la demande du Gouvernement, d'une étude de la part d'experts internationaux indépendants, menée par l'AIEA, qui avait reconnu la robustesse du dispositif, encore amélioré depuis lors. Nous avons été conduits à étendre la règlementation, notamment liée aux risques d'actes de malveillance ou d'intrusion. J'ai évoqué l'évolution de la règlementation de la circulation et du stationnement autour des centrales, la création d'un délit d'intrusion, avec le dispositif de la « loi de Ganay », qui alourdit les sanctions à l'égard de ceux qui chercheraient à rentrer, sans y être autorisés, dans le périmètre d'une centrale.
Depuis 15 ans, on dénombre 11 intrusions de militants de Greenpeace : une en 2003, deux en 2007, deux en 2011, une en 2012, une en 2013, deux en 2014 et deux en 2017. Elles ont déjà conduit, par le passé, à la réalisation de deux audits de la protection des sites et du renseignement diligentés par le Premier ministre et coordonnés par le SGDSN. De la même manière que nous faisons des RETEX et des exercices à froid, nous faisons aussi une analyse de la situation à chaque fois qu'il y a un cas de ce type. Là encore, je laisserai ceux qui sont plus directement en charge du contrôle de la protection des installations et des transports revenir sur ce travail. Je rappellerai les deux audits dont le premier rapport a été remis en juillet 2012 et le second en janvier 2014 : ils ont été menés conjointement par le conseil général de l'environnement et du développement durable du ministère de l'écologie, du développement durable, et de l'énergie, les inspections générales de l'administration, de la gendarmerie nationale et de la police nationale du ministère de l'intérieur et le conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies du ministère de l'économie et des finances. Ils permettent de se faire un avis sur le sujet, et les choses n'ont pas beaucoup changé depuis leurs conclusions. J'imagine que vous allez souhaiter maintenant m'interroger sur mon appréciation de ces intrusions ?
– Malgré la belle architecture présentée, une intrusion survient tout de même chaque année.
– La problématique, c'est qu'ajouter un ou plusieurs niveaux de protection à ceux existants aujourd'hui ne changerait rien, les premiers visant à freiner, sans induire aucune conséquence létale ou de sécurité pour l'intrus. Je constate d'ailleurs que les États-Unis, qui acceptent le tir à vue dès le franchissement de la première barrière, sont moins sujets à ce type d'intrusions. Il en irait de même avec des barrières électriques ou susceptibles d'altérer la santé ou la vie d'autrui.
La même question se pose pour l'usage des armes par les forces de l'ordre. Nous avons une démarche précautionneuse vis-à-vis de la vie, y compris celle des délinquants. Nous faisons des sommations. Notre droit est protecteur de la vie humaine, à mon sens à raison, si bien que nous intégrons dans les processus de sécurité le risque de méprise ou d'accident.
Les intrusions de Greenpeace sont réalisées volontairement, mais des intrusions purement accidentelles ou involontaires, dans des zones de protection, pourraient aussi survenir. À chaque fois, les interventions se font dans les premières zones.
– Est-ce que vous pourriez rappeler les faits ? Nous ne sommes pas nécessairement au courant de l'organisation dans ces deux centrales. Vous évoquez une première zone, mais pour nous ce n'est pas suffisamment précis.
– Je suis désolé, mais je ne peux pas m'exprimer sur des affaires faisant l'objet d'enquêtes judiciaires. Notre logique de prévention fait que nous intégrons le risque pour l'intrus, afin de limiter les conséquences. La sanction est prononcée a posteriori, par le juge. Je rappelle les sanctions passées : en 1986, aucune, en 1996, 10 000 euros, en 2003, aucune, en 2007, quinze jours avec sursis, en 2011, six mois avec sursis, en 2012, six mois avec sursis, en 2013, trois mois avec sursis et, en 2014, quatre mois avec sursis.
Pour 2017, l'instruction étant en cours, je ne sais pas comment la loi « de Ganay », qui prévoit le renforcement des sanctions, sera appliquée. Face à une infraction, la justice équilibre par les sanctions qu'elle considère justifiées, en regard de la nature de l'infraction et du risque entraîné par celle-ci. Il ne m'appartient pas d'apprécier la sévérité ou l'indulgence de la justice.
– Comment faite vous la différence a priori entre une intrusion que je qualifierai de « médiatique » et une intrusion réellement malveillante ?
– Vous posez une bonne question, dans la mesure où ce type d'action vise à appeler l'attention. Je ne me prononcerai pas sur la politique de Greenpeace, ou d'une autre association, ni sur sa façon de gérer la communication, y compris à partir d'incidents. Évidemment, pour les services de sécurité harcelés, cela crée une difficulté supplémentaire, puisqu'ils se trouvent ainsi mobilisés sur des interventions. Pour éviter que l'incident soit mal interprété, Greenpeace signale généralement qu'il ne s'agit pas de terrorisme. Ils ont donc eux-mêmes pris en compte ce risque. En complément, je vous propose d'interroger les personnes directement en charge de la sécurité sur ce sujet.
– C'est une excellente idée, car il sera passionnant d'avoir le témoignage de vos opérationnels, sachant que le respect de la personne humaine représente un principe majeur, qui vous honore.
– Pour l'instant, vous avez retracé l'évolution du cadre réglementaire depuis dix-sept ans. Toutefois, il ne s'agit pas aujourd'hui d'une audition de la commission d'enquête chargée d'étudier l'intégralité des conditions de la sécurité nucléaire en France. Nous nous intéressons essentiellement aux dernières intrusions, d'octobre et novembre 2017, à l'origine des auditions de ce matin. Nous voudrions savoir ce qui s'est exactement passé. L'existence d'une enquête judiciaire est expressément opposable à la commission d'enquête, mais l'Office n'est précisément pas une commission d'enquête.
Nous souhaiterions savoir, très concrètement, comment des militants écologistes ont pu s'introduire jusqu'au mur de confinement des piscines de refroidissement. Ce qui m'intéresse également, c'est comment 22 personnes – dans des zones rurales où un tel groupe est bien visible – ont pu arriver jusqu'au site, avec un ou plusieurs véhicules, et pourquoi elles n'ont pas été arrêtées avant même d'entrer dans la zone de la centrale.
Évidemment, ne pas répondre par des tirs immédiats lorsque vous savez qu'il s'agit de militants vous honore. Dans le cas d'espèce, nous sommes rassurés. Mais qu'est-ce qui se passera le jour où une personne qui souhaite réaliser un acte malveillant utilisera les mêmes méthodes que Greenpeace, s'habillera comme un militant de Greenpeace, et appellera pour signaler qu'il s'agit d'une action de Greenpeace ? Comment parviendrez-vous à faire la différence ?
Ce qui nous intéresse, c'est le retour d'expérience que vous avez pu tirer des derniers événements, par rapport aux précédents. Quel bilan faites-vous de la loi « de Ganay », notamment quant à l'aggravation des sanctions ? En voyez-vous déjà des conséquences ? Est-ce qu'il y a déjà eu des sanctions prononcées sur le fondement de cette loi ? Sans doute non, puisqu'elle est trop récente. Qu'est-ce qui est envisagé pour les dernières intrusions ?
Un rapport confidentiel de Greenpeace sur la sécurité des réacteurs, mais aussi sur des piscines d'entreposage de combustibles en France, a été élaboré en 2015. Ses conclusions, assez alarmistes, ont été diffusées dans la presse, notamment en ce qui concerne les piscines et la prise en compte du risque terroriste. Est-ce que vous vous accordez sur les failles relevées dans ce rapport ?
Enfin, nous souhaiterions savoir si vous avez des difficultés à faire prendre en compte par l'exploitant principal vos préconisations en matière de sécurité, notamment pour la sécurisation du périmètre de sécurité autour des centrales, et si EDF a les moyens aujourd'hui de mettre ses centrales en conformité ?
– C'est une bonne chose que les parlementaires puissent poser les questions assez concrètes qui les préoccupent, de telle sorte que vos réponses soient au plus près de leurs inquiétudes.
– En complément des questions de ma collègue, je crois que, pour bien comprendre ce qui se passe chez nous, il faut comparer à ce qui se passe ailleurs. Pourriez-vous, tout en répondant aux questions de Mme Émilie Cariou, montrer aussi comment nos voisins européens traitent ce genre de problématiques ? Je soupçonne que l'administration française a une relation particulière avec Greenpeace, compte tenu de l'histoire, ce qui n'est pas forcément le cas dans les pays voisins, ce qui peut induire des variantes dans la posture face à ce type de tentatives d'intrusion.
Je voudrais m'excuser pour ce retard, mais la commission d'enquête organise également des auditions ce matin. Il est difficile de se partager entre ces initiatives, toutes deux excellentes, qui concourent à nous éclairer. Ce que j'aimerais comprendre, c'est si, au-delà des éléments de sécurité passive, il existe une stratégie et un bon niveau de dissuasion, car ce qui compte c'est la dissuasion, n'est-ce pas ? Est-ce que, pour éviter de nouvelles intrusions, le dispositif que vous avez décrit évolue à l'aune des précédentes, et dans quel sens ?
Chacun sait qu'aujourd'hui nous sommes dans un monde de communication et d'information. Ce que vous exposez, comme l'absence de tir à vue ou le signalement préalable par Greenpeace, tout le monde en est informé. Cela conduit à supposer que les personnes animées de mauvaises intentions vis-à-vis des installations nucléaires font forcément évoluer leurs propres scénarios. Comment, en terme incrémental, le prenez-vous en compte ? Avez-vous une réelle stratégie de dissuasion sur ce plan ?
– C'est un réflexe de bon sens. Le niveau de durcissement des protections et de la dangerosité, en cas de franchissement, est un élément de la dissuasion. Il est évident que la réplique n'est pas la même une fois la deuxième barrière, a fortiori ne le serait pas, la troisième, franchies.
S'agissant des aspects judiciaires, n'ayant pas accès au dossier d'instruction, je ne peux donc répondre sur la manière dont les juges-enquêteurs se sont saisis de l'affaire, et encore moins sur le résultat du jugement, puisque la nouvelle loi n'a, pour l'instant, pas encore trouvé d'application. C'est pour cette raison que je trouvais utile de vous rappeler les précédents incidents et sanctions, pour montrer que cette réitération pouvait susciter à chaque fois des interrogations. C'est exactement la même chose qui se reproduit, pour les mêmes raisons, que j'ai indiquées tout à l'heure, puisque les premières barrières ne sont destinées qu'à freiner, et que les interpellations par les gendarmes sont intervenues dans ces premières zones. Dans les éléments de dissuasion, il y a évidemment la présence des mille gendarmes qui sont, aujourd'hui, déployés pour assurer cette sécurité.
– Quel est le nombre de pelotons spécialisés de protection de la Gendarmerie (PSPG) en activité ?
– Les centrales nucléaires sont au nombre de vingt, il y a un PSPG par centrale.
– Des sites autres que les centrales sont-ils dotés de PSPG ?
– Les autres opérateurs disposent de forces locales de sécurité qui sont assimilables à des agents privés de protection mais qui sont également armés. S'agissant de la comparaison avec les voisins européens, il est vrai que la France, pour des raisons historiques, est plus directement ciblée par Greenpeace que d'autres pays. De la même façon, les survols d'installation par des drones n'ont pas été constatés ailleurs. Il n'est pas sans intérêt de se demander ce qui le justifie.
Nous avons, à l'égard de cette organisation (Greenpeace) et de l'analyse de son rapport, toujours un intérêt à étudier ce qui est écrit, même si une partie de ce qui est écrit est correct, alors qu'une autre ne peut évidemment pas tenir compte d'éléments nécessairement confidentiels et secrets, et qu'on ne divulguera à personne, parce que cela fait partie de la protection.
Ils peuvent avoir un discours alarmiste, mais dès lors qu'ils ne peuvent pas avoir accès à certaines informations, parce que ce serait un risque de compromission de la sécurité même de ces installations, les conclusions qu'ils tirent sont issues des informations rendues publiques, notamment pour permettre le secours et la protection de la population. En revanche certaines informations sont secrètes, et le resteront toujours, celles liées aux dispositifs de sécurité, pour ne pas exposer ces derniers à une quelconque vulnérabilité. Leurs conclusions sont tirées au vu d'un diagnostic forcément partiel.
– Tout d'abord, certaines questions pourraient laisser penser qu'il n'y a pas, en France, d'organisation claire de la sécurité. Tel n'est pas le cas. Il existe une autorité de sécurité, de la même façon qu'existe une Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Évidemment, cette dernière étant dans une logique de transparence, communique beaucoup plus. L'autorité de sécurité, que je représente ici, est beaucoup moins visible, pour des raisons assez évidentes.
L'autorité de sécurité nucléaire est le ministre en charge du secteur de l'énergie, à travers le haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS), dont je suis l'adjoint. D'ailleurs, Mme Régine Engström s'excuse devant vous de n'avoir pu être présente, en raison de son agenda. Elle reste, bien entendu, à votre disposition pour être auditionnée, si vous l'estimez nécessaire.
Nous sommes un service, au même niveau que l'ASN, ayant le pouvoir, d'abord d'établir des doctrines et des prescriptions, ensuite de contrôler leur exécution, par des inspections et des exercices. Il faut savoir qu'en France chaque site nucléaire fait l'objet d'au moins une inspection par an, que ces inspections comportent non seulement un contrôle des dispositifs de protection, mais aussi une mise en situation des personnes, pour vérifier qu'elles ont les bonnes réactions par rapport à la menace, et que tout ce système est évalué en permanence, pour permettre une amélioration continue. Nous avons aussi des pouvoirs d'injonction et de sanction, tout à fait équivalents à ceux de l'ASN. Nous travaillons aussi à un niveau interministériel.
Il faut comprendre qu'il y a une différence fondamentale entre sûreté et sécurité. Dans le droit, la sûreté d'une installation étant de la responsabilité de l'exploitant, l'ASN vérifie l'application des dispositions de sûreté par ce dernier. A contrario, la sécurité est une responsabilité partagée entre l'opérateur et l'État, puisque ce dernier, dans son rôle régalien, est responsable de l'exercice paisible des activités économiques. Quand on prescrit à l'exploitant un certain nombre de mesures de sécurité, tout ce qui va au-delà relève de l'État. Les directives nationales de sécurité (DNS), évoquées par le secrétaire général, ont justement pour fonction le partage entre les menaces auxquelles l'opérateur doit pouvoir faire face, et pour lesquelles il doit démontrer sa capacité à les assumer, et les menaces qui dépassent cette limite, qui sont de la responsabilité de l'État. C'est cette raison qui justifie la séparation entre une autorité de sûreté, qui travaille dans une certaine logique, et une autorité de sécurité, qui travaille dans une autre.
Pour répondre un peu plus concrètement à vos questions, il existe deux modèles de protection des installations. Le modèle du bunker, préféré par certains pays étrangers comme les États-Unis, consiste à installer une clôture et une tour d'observation, et à tirer sur toute personne essayant de traverser la clôture, parce que la législation reconnaît que toute personne essayant de la franchir est potentiellement en faute, donc susceptible d'être visée.
La logique adoptée en France est celle de la défense en profondeur, avec plusieurs barrières concentriques et des forces susceptibles d'intervenir. Les barrières n'ont pas pour but d'empêcher les gens d'entrer, mais de les retarder, pour donner à la protection active le temps d'intervenir, ce qui permet de donner le temps de réaliser une discrimination entre une intrusion « médiatique », une intrusion accidentelle – comme cela s'est déjà produit – et une intrusion véritablement hostile.
Mais cela a un effet qu'il est difficile d'expliquer au public, la défense en profondeur impliquant, par essence, que les intrus entrent dans l'installation. L'efficacité du processus ne se mesure pas à l'absence d'intrusion, mais au fait que les gens sont arrêtés avant d'avoir atteint les points vitaux de l'installation. De toute évidence, il existe un problème, surtout avec les intrusions « médiatiques ». Des gens vont franchir la première, la deuxième, ou la troisième barrière, mais les forces chargées de la protection ne vont pas tirer. Ce n'est que lorsqu'on touche à la dernière barrière, lorsqu'on est tout près des installations vitales, que les forces font vraiment les sommations et menacent de tirer.
Dans le cas d'une installation, les militants de Greenpeace sont arrivés jusqu'au mur du bâtiment combustibles, ont commencé à l'escalader, en continuant malgré les sommations des gendarmes. Ils ne se sont arrêtés que quand les gendarmes ont armé leurs fusils. J'ai demandé au chef du peloton ce qu'il aurait fait s'ils ne s'étaient pas arrêtés. Sa réponse a été : « on ne le saura jamais ». Il avait tout à fait raison. Mettez-vous à la place d'un gendarme, à deux heures du matin, dans l'obscurité, avec des gens qui portent des banderoles Greenpeace, mais ne sont peut-être pas de Greenpeace. C'est une décision personnelle très difficile. C'est pour cela que ces intrusions nous mettent en difficulté. Les personnels chargés de la protection sont obligés de faire un choix, et feront un jour un mauvais choix.
– Vous avez raison, mais dans la période actuelle, de la même façon qu'on a donné des instructions aux primo-intervenants, y compris pour des militaires, après le Bataclan, ils tireraient.
– Je ne doute pas de la responsabilité et de l'efficacité de nos forces. Mais la question se pose, et c'est pour cela qu'il est si important de parler de dissuasion. Le problème, comme l'a rappelé le secrétaire général, c'est que nos instruments de dissuasion sont très faibles, parce que la jurisprudence montre que les tribunaux sont relativement cléments envers ceux qu'ils voient surtout comme des lanceurs d'alerte. Vous l'avez rappelé, ces intrusions permettent d'amener un débat public utile sur la protection de nos installations. Mais, en même temps, elles créent ce danger. Il y a cependant un nouvel équilibre que l'on espère avoir établi avec la loi « de Ganay ». On va voir comment elle est appliquée dans les deux affaires de l'automne 2017. Pour le moment, les peines prononcées ont toujours été extrêmement faibles et non dissuasives.
– Certaines balles ne sont pas létales. Il est aussi possible de tirer pour neutraliser, plutôt que pour tuer. C'est tout de même très grave, parce qu'au fond, vous apportez de l'eau au moulin des contestataires, qui disent que, puisqu'ils peuvent entrer facilement, et qu'on ne leur tire pas dessus, la sécurité est déficiente, et qu'il faut arrêter les centrales. Par ailleurs, pourquoi dépendez-vous du ministère chargé de l'écologie ?
– C'est historique. Précédemment, nous dépendions du ministère de l'industrie, dont le champ de compétences a été inclus dans celui du ministre chargé de l'environnement, qui est donc chargé de l'énergie.
– Sur l'usage des armes je suggère d'écouter la gendarmerie.
– Je dirige le département de la sécurité nucléaire, auprès de M. Mario Pain. La question que vous posez est fondamentale, et nous nous la sommes également posée. Nous imposons à l'opérateur de mettre en place une démonstration. Le PSPG répond à une responsabilité de l'opérateur par rapport à un référentiel de menaces qui lui a été défini.
Le choix qui a été fait, c'est d'avoir un dispositif de contre-terrorisme, pour tester la menace la plus ultime. Il faut se mettre à la place de ces gendarmes qui, à deux ou trois heures du matin, assument cette fonction. Ils ont pour mission d'arrêter des terroristes, avant qu'un équipement dont l'atteinte pourrait induire des conséquences soit touché. C'est leur seule et importante mission, pour les menaces d'un niveau inférieur, il existe d'autres moyens de protection de site que ces pelotons. Ainsi EDF fait appel à de la sous-traitance, par exemple des rondes de sécurité entre les zones, des procédures de lever de doute…
Pour répondre à la question très technique de Mme Émilie Cariou, les deux dernières intrusions se sont déroulées en quelques minutes, la première en sept minutes et trente secondes, et la deuxième en douze minutes, avec trois points d'intrusion. Imaginez-vous en maréchal des logis-chef, d'un peloton de gendarmerie doté de moyens létaux pour arrêter une menace terroriste, et qu'on vous dise qu'on va rajouter un pistolet Taser ou d'autres équipements non létaux. Or vous allez devoir décider, en moins de deux minutes, s'il s'agit d'intrus inoffensifs ou de terroristes, alors que vous n'avez aucune certitude, même si les intrus se sont annoncés en tant que militants de Greenpeace. Je crois que c'est fondamental, car c'est la menace terroriste qu'il faut traiter.
Cela pose des questions sur le plan médiatique, mais c'est le choix qui a été fait. Si on faisait un autre choix, il faudrait soit avoir différents détachements, avec des missions distinctes, soit redimensionner les personnels positionnés entre les zones. Il y a certainement des efforts à faire de ce côté-là. Mais la menace principale qu'on a voulu prendre en compte avec les PSPG est le terrorisme. Je pense que ceux-ci sont bien dimensionnés pour faire face à cette seule mission.
– Les membres de la représentation nationale aime bien disposer d'informations simples, car ils doivent expliquer à leurs concitoyens ce qui se passé sur le territoire. Je ne comprends pas pourquoi on ne peut pas s'inspirer de la logique de bunkerisation, avec des barrières plus difficiles à franchir, tout en gardant une logique de défense en profondeur. Pourquoi est-ce exclusif ?
– Si on fait le choix de tirer tout de suite, on peut mettre autour de la centrale des panneaux avertissant que dès la barrière franchie, on ouvre le feu. Mais la logique actuelle est plus conforme à la façon dont, en France, on gère l'ouverture du feu, en prévoyant des phases de retardement, de façon à ce qu'il y ait une possibilité d'intervenir par des moyens non létaux. L'ouverture de feu est déclenchée quand on est dans une zone périmétrique, où existe un risque réel qu'une installation de sûreté soit touchée.
Les premières barrières sont toujours conçues pour potentiellement créer une difficulté de franchissement et favoriser une intervention, sans mise en danger de la vie d'autrui. L'effet médiatique sera produit, mais l'effet de sécurité aussi, puisque de toute façon on n'aura ni franchi une autre barrière, ni mis en danger la vie d'autrui. Par ailleurs, quand vous intervenez dans une situation où le risque ultime auquel vous devez faire face est une intrusion terroriste, correspondant à votre mission, vous ne pouvez pas vous dire : « Je vais employer un pistolet Taser », ou un autre moyen non létal, car il existe un doute. Dans notre procédure, la levée de doute se fait par le franchissement des barrières successives par celui qui veut aller jusqu'au bout, et quand il va jusqu'au bout, on tire. Autrement, vous créez une incertitude.
– Je voudrais apporter quelques précisions sur ce qui vient d'être dit, notamment sur les propos du général Christian Riac, au sujet des PSPG. Pour que les choses soient les plus claires possible, ces unités sont bien évidemment là pour intervenir face à un acte terroriste. Mais cela va au-delà, c'est-à-dire que c'est une chaîne de contre-terrorisme de gendarmerie. Le PSPG fait partie d'une chaîne, qui comprend aussi les antennes du groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), et le GIGN lui-même, en haut du spectre. L'ensemble de cette chaîne fonctionne en interaction permanente.
Pour la formation, tout gendarme affecté en PSPG fait l'objet, dans un premier temps, d'une sélection physique et psychologique, et bénéficie d'un entraînement par des instructeurs du GIGN. Ensuite, il reçoit un entraînement régulier sur les techniques d'intervention. Quand vous progressez dans une colonne d'assaut, derrière un bouclier pare-balles, cela nécessite des techniques particulières que le commun des mortels ne peut pas appliquer, en tout cas que le gendarme territorial n'applique pas. Il s'agit d'un entraînement permanent, pour lequel des instructeurs sont spécialement formés, au cours d'un stage de quatre semaines au sein du GIGN.
Enfin, tous les deux ans, un retour de l'unité vers le GIGN vise à vérifier les modes d'action, qui correspondent à des modes d'intervention spécifiques, face à une menace particulière : la menace terroriste. Ces unités sont formées, entraînées et équipées pour un type d'intervention particulier : faire face à un acte terroriste.
En termes d'armement, le détachement d'intervention, premier à intervenir, dispose de fusils d'assaut HK 36, une arme semi-automatique, bien évidemment utilisée pour le tir létal. Il s'agit d'un tout indissociable, qui fait que lorsque le détachement intervient face à une intrusion, il est dans la configuration d'un acte terroriste. Il a, avec lui, l'armement létal, avec lequel il s'entraîne régulièrement. S'est posé tout à l'heure la question de l'armement de force intermédiaire, c'est-à-dire de lanceurs de balles de défense, qui pourrait constituer l'ultime phase avant l'ouverture du feu. Mais c'est extrêmement compliqué – l'armée de terre et toutes les unités d'intervention le confirmeront – de changer de paradigme en fonction de l'arme que vous utilisez, car à chaque arme correspond une législation particulière.
De plus, la réaction devant être rapide, il doit y avoir le moins de doute possible dans l'esprit des gendarmes. Imaginez que vous sortiez de votre véhicule, avec votre gilet pare-balles lourd, de quinze ou vingt kilos, et votre armement. Vous devez fixer quelqu'un qui arrive dans la nuit. Vous supposez qu'il s'agit d'un intrus, mais vous ne connaissez pas réellement sa qualité et ses intentions. Si on vous demande d'emmener, en plus de vos armes déjà assez lourdes, les lanceurs de balles de défense, parce que vous en aurez peut-être besoin à un moment donné, on va finir par créer un risque majeur dans l'utilisation de l'armement. En tout état de cause, on prendrait un risque s'agissant d'une unité qui n'est pas entraînée pour des situations intermédiaires, à la fois pour les personnels, et pour les intrus, parce qu'on ne pourrait plus garantir un niveau de réponse adapté.
– J'avoue une certaine frustration par rapport à l'ensemble de ces échanges. La première vient du fait que, même si l'audition a été placée sous le signe de la confidentialité, dans la configuration la plus resserrée possible, pour l'instant, il y a eu extrêmement peu d'informations dont j'ai l'impression qu'il est important qu'elles restent confidentielles, à l'exception, peut-être, de l'incident évoqué par M. Mario Pain, qui n'a pas contribué à particulièrement nous rassurer. On n'a toujours pas compris exactement ce qui s'est passé le jour de l'intrusion de Greenpeace, jusqu'où les militants sont allés, s'il y a eu une situation de mise en danger, ou pas.
Je comprends bien ce qui a été indiqué par le secrétaire général Louis Gautier. Le choix a été fait que les premières barrières servent de ralentissement, pour donner le temps nécessaire à l'intervention. Je constate que ce choix met nos vaillants gendarmes, pour lesquels j'ai une grande admiration, dans une situation extrêmement complexe, où il faut agir avec une très grande réactivité, alors qu'on ne sait pas forcément à qui l'on a à faire. Je m'inquiète également de savoir si on donne toutes les garanties à nos gendarmes. Ce que vous décrivez, le besoin d'intervenir au pied levé, à deux heures du matin, dans une situation où il y a beaucoup d'inconnues, n'est pas tellement fait pour me rassurer sur le fait que l'État donne toutes les garanties a ses forces de protection.
Ensuite il y a cette question du périmètre. Évidemment, on suppose qu'une zone de ralentissement est une zone dans laquelle il n'y a pas de possibilité de mise en danger majeure. Comme vous l'expliquez, c'est au moment où l'on arrive au coeur de l'installation que les grands moyens sont mis en oeuvre.
On a pu lire dans la presse que les militants de Greenpeace sont arrivés jusqu'au mur de confinement des piscines de refroidissement des combustibles usés. Est-ce qu'il y a un danger par rapport à cela, ou pas ? Nous aimerions bien avoir une réponse précise sur ce point.
Greenpeace a aussi annoncé que des rapports confidentiels avaient été remis aux autorités compétentes, en leur indiquant des moyens d'amélioration de leur dispositif. Qu'est-ce qu'on trouve dans ces rapports ? Est-ce du « flan » ou est-ce qu'il y a effectivement des choses importantes, et quelles mesures ont été prises dans la foulée ? Ce sont des questions simples et efficaces, pour lesquelles les représentants de la Nation attendent des réponses claires.
– Je pense que vous avez compris que notre système permet la levée de doute et d'éviter de mettre en danger inutilement la vie d'autrui. Ce qui a été très bien expliqué par le général Christian Riac, à partir du moment où il y a un risque pour la sécurité, c'est-à-dire qu'on se rapproche d'une zone à risque, il ne faut aucune hésitation sur l'emploi des moyens.
Ensuite, il y a la législation que le Parlement a votée, avec des différences que je suis obligé de relever. Pour une zone militaire, que dit la loi au travers du code de la défense ? L'article L4123-12 du code de la défense dispose : « Outre les cas de légitime défense, n'est pas pénalement responsable le militaire qui déploie, après sommations, la force armée absolument nécessaire pour empêcher ou interrompre toute intrusion dans une zone de défense hautement sensible ». Dans une zone de défense, on se rapproche donc plus de la logique du bunker.
Le code de la sécurité intérieure, réformé notamment pour tenir compte des attentats qui ont eu lieu, prévoit un élargissement de l'usage des armes au profit des militaires et de la police nationale. L'article L435-1 indique que : « dans l'exercice de leurs fonctions et revêtus de leur uniforme ou des insignes extérieurs et apparents de leur qualité, les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale peuvent, outre les cas mentionnés (…), faire usage de leurs armes en cas d'absolue nécessité et de manière strictement proportionnée (…) lorsque, après deux sommations faites à haute voix, ils ne peuvent défendre autrement les lieux qu'ils occupent ou les personnes qui leur sont confiées ».
C'est ce que dit la loi adoptée par le Parlement. Elle prévoit donc bien deux cas : celui des zones de défense, dans lesquelles la responsabilité pénale du militaire n'est pas engagée dès lors que l'intrusion est effective, et un autre cas, correspondant à cette appréciation différenciée. Mais j'insiste : quand le législateur a décidé, après réflexion, de ces évolutions du code de la sécurité nationale, il a pesé ses mots, en envisageant toute une série de situations, pas simplement celle que nous évoquons aujourd'hui. C'est ce qui fait qu'on est plus dans une logique de levée de doute, pour éviter la mise en péril de la vie d'autrui. Pour le militaire, il faut éviter l'ambiguïté de la réaction, avec un protocole prévoyant des sommations puis le tir, si le risque pour la sécurité est avéré. Je vous propose que les uns et les autres répondent plus précisément, pour décrire les incidents, les durées d'intervention et la comparaison internationale.
– Il me vient une idée : est-ce que, dans cette première zone, on ne pourrait pas procéder, tout de même, à des tirs, mais avec des armes qui pourraient ne pas blesser trop gravement ? Puisqu'il y a régulièrement des intrusions, ce serait peut-être le moyen de dissuader complètement les intrusions.
– Vous avez décrit le système qui s'applique actuellement. Est-ce que vous envisagez de le modifier ? Qu'est ce qui pourrait vous amener à le faire ? Pour reprendre une réflexion du sénateur Bruno Sido, on voit bien l'impact médiatique de ces intrusions.
Est-ce que vous devez vous contenter d'affirmer que notre système fonctionne bien, car il correspond aux objectifs que nous nous sommes fixés ? La sécurité des installations nucléaires dans l'opinion publique n'étant pas assurée, est-ce qu'il ne faudrait pas changer de système, pour redonner confiance aux citoyens ?
– Cela montre que les esprits évoluent. Mais imaginez qu'il y ait eu un tir à vue sur un militant de Greenpeace cherchant à faire une démonstration. Évidemment, le ressenti évolue par rapport aux logiques de risque. Je me mets dans une situation où on envisagerait une autre logique, celle de bunker. Quelle serait la réaction ? Je l'ignore.
– Pour répondre à la demande répétée de description des faits, je répondrai en en omettant certains, parce qu'ils font partie des informations classifiées, mais j'essayerai de vous donner la vision la plus claire possible. Dans une centrale nucléaire, il existe un certain nombre de barrières successives, concentriques. La première consiste en une clôture délimitant la propriété privée de la centrale, par un grillage assez important, métallique mais non électrifié. Une deuxième clôture délimite la zone protégée. Cette zone protégée est dotée d'un certain nombre d'équipements de détection ou de prévention. Ensuite, il y a une troisième zone, délimitée par des murs en béton, des bâtiments, etc. La zone vitale est contenue dans ces murs de protection, qui constituent une défense en dur.
Les militants s'approchent en général de la clôture, à des heures convenablement choisies, et par des voies relativement discrètes, pour la découper. Comme elle n'est pas équipée, ils ne sont pas détectés immédiatement. Ils vont vers la deuxième clôture, et sont détectés dès qu'ils commencent à l'attaquer. Les services d'intervention se préparent et vont vers la zone d'intervention. Dans les deux dernières intrusions, les militants ont passé la deuxième clôture, et sont arrivés au pied de la troisième zone, avant d'être interpellés et neutralisés. Ils sont donc toujours restés à l'extérieur, et n'ont jamais eu de contact avec aucun équipement de nature nucléaire de la centrale.
– Ils sont arrivés au pied du bâtiment abritant les piscines. Mais ce sont des bâtiments durcis et protégés, non de simples murs.
– Sont-ils parvenus au pied du bâtiment lui-même, ou de l'ensemble des bâtiments ?
– Le mur extérieur du bâtiment constitue une clôture. C'est un bâtiment, avec des installations à l'intérieur.
– Cela signifie qu'on peut circuler, à partir du moment où la deuxième clôture a été franchie, entre des bâtiments abritant des installations sensibles.
– Oui, mais ces bâtiments sont bunkerisés. Ils sont en béton armé.
– Mais les militants sont en contact avec les bâtiments, ce qui, au plan médiatique, revient strictement au même. Pour l'opinion publique, ils sont dans l'espace où se trouvent les bâtiments sensibles. Pourquoi la première clôture est-elle si peu renforcée ?
– Justement, un élément sur lequel nous nous sommes focalisés est le renforcement de la première clôture, qui peut être très longue.
– Une centrale nucléaire correspond-elle bien à 30 ou 40 hectares ?
– Suivant les cas, de 30 ou 40 hectares pour une centrale, jusqu'à 170 hectares pour l'installation la plus vaste : Cadarache. Il ne faut pas oublier que les centrales ne sont pas les seules installations nucléaires.
Il s'agit donc d'une clôture très importante. Un plan de sécurisation, imposé aux opérateurs, avec des échéances bien précises de réalisation, est en cours d'exécution. L'un des éléments importants de ce plan consiste à rendre la première clôture détectrice. Même si ces clôtures sont très longues, les moyens modernes, tels que des caméras, permettent de les surveiller. À l'époque où elles ont été construites, il était difficile de surveiller une clôture aussi grande. Aujourd'hui, c'est parfaitement faisable avec l'électronique.
Le deuxième élément du plan, c'est qu'un certain nombre de dispositions adoptées récemment permettent de restreindre la circulation à l'extérieur de ces sites, et éventuellement de surveiller l'espace public immédiatement voisin de cette clôture, avec une possibilité d'interpellation immédiate, par exemple en cas d'arrêt de véhicule.
– Qu'en est-il de l'éclairage de cette zone ?
– Elle est, en grande partie, déjà éclairée, sauf, peut-être, pour les installations les plus étendues.
– Pourquoi ne pas permettre une détection dès le franchissement de la première barrière ? Sénateur représentant les français établis hors de France, je réside à Berlin, et ai vu l'opinion publique allemande basculer sur le sujet du nucléaire. L'adhésion actuelle de l'opinion publique en France pourrait être remise en cause par un événement.
– Il ne vous n'aura pas échappé que la contestation prend des formes qui se radicalisent, que ce soit les ZADistes ou à Bure, où un début d'incendie dans un hôtel aurait pu occasionner des victimes. Il faut en tenir compte. Les réponses « molles » vont bien par temps « mou », mais il va falloir maintenant prendre les choses vraiment au sérieux.
– Pour répondre à M. Herth, nous avons des échanges avec les autres régulateurs européens, et même au-delà, notamment au sein de l'ENSRA (European Nuclear Security Regulators Association). Si je prends les exemples, assez proches géographiquement, de la Belgique et de la Grande-Bretagne, notre modèle était assez en avance. La Belgique, jusqu'en 2010-2011, n'avait pas même de garde armée sur les installations, mais seulement un dispositif fondé sur des entreprises de sécurité privées. Outre le PSPG, qui est le moyen de réponse ultime, les centrales françaises ont aussi de tels dispositifs privés dans l'interzone et nous cherchons en permanence à améliorer l'ensemble de cette organisation. Et si nous ne mettons évidemment pas en place des barrières dans le but qu'elles soient franchies, il n'en demeure pas moins qu'il n'existe pas de barrière infranchissable. En revanche, en les multipliant, on retarde les intrusions, ce qui permet l'intervention.
Les Britanniques ont créé, pour leur part, la CNC (Civil Nuclear Constabulary), force de police initialement non armée. De 80 personnes en 2010, leur effectif est passé à 800 ou 900 personnes maintenant, avec la mise en place sur tous leurs sites d'un modèle s'apparentant au PSPG, y compris avec ses évolutions fortes – pour caricaturer, en dix ans, on est passé avec l'évolution des PSPG de l'ère de la « 4L et du FAMAS » à celle du contre-terrorisme. Une dimension sécurité a été introduite dans d'un accord sur l'énergie signé par MM. Cameron et Sarkozy : associé à une clause de de confidentialité, l'accord intergouvernemental institutionnalise des échanges entre les parties, et notamment entre le GIGN et son homologue britannique, sur les moyens et les méthodes, ainsi qu'entre la CNC et les PSPG.
La Belgique a pour sa part connu deux incidents : le premier à la centrale de Doel, à la suite d'une malveillance interne, quelqu'un ayant actionné une vanne, avec des conséquences lourdes en exploitation, puisque les pertes se sont élevées à quelque 350 millions d'euros du fait de l'arrêt de la production, et de la restauration de l'outil industriel ; le second, avec le cas d'un responsable du secteur nucléaire, suivi par vidéo par des islamistes. Partant d'un système privé, pas toujours armé, la Belgique est parvenue aujourd'hui à une organisation proche de celle de la CNC et des PSPG.
D'autres pays du nord de l'Europe s'interrogent encore sur l'opportunité d'armer les forces de sécurité dans les installations nucléaires.
Il faut tenir compte du fait que les sites nucléaires sont des sites d'exploitation, fréquentés par des milliers de personnes, de jour et de nuit. Nous avons évoqué trois zones : en réalité, elles sont plus nombreuses, il existe notamment des zones « magasins ».
En tout état de cause, les équipes du HFDS effectuent un travail de veille permanent, en revoyant systématiquement les modes opératoires, car aucun dispositif n'est impénétrable : cela est généralement admis en matière de cybersécurité, mais c'est également vrai dans le domaine de la sécurité physique.
– Monsieur le sénateur Sido, pour répondre à votre interpellation, depuis trois ans, je ne suis pas dans le temps « mou », mais dans le temps « dur », mes collaborateurs peuvent témoigner que je suis habité par le doute, la vigilance et la recherche de l'amélioration permanente des systèmes de sécurité. Notre dialogue me semble d'ailleurs fructueux et met en évidence que vos interrogations rencontrent notre questionnement.
Aujourd'hui, il nous faut encore améliorer les enquêtes administratives, le « criblage », assurer la montée en charge du CoSSeN, la traçabilité de la menace endogène, à laquelle nous devons faire face aujourd'hui, même si demeure le risque d'une action projetée. Il y a lieu également de renforcer les barrières périphériques – avec des coûts très importants pour les opérateurs –, au profit notamment de capteurs de détection précoce, permettant une intervention plus rapide, sans pour autant revenir sur l'équilibre que je vous ai décrit tout à l'heure, ni mettre inutilement en danger la vie d'autrui. Il s'agit de sécuriser davantage certains accès pour densifier les défenses périmétriques, de sorte à rendre les intrusions plus difficiles. Le sujet des règles et protocoles d'usage des armes est particulièrement sensible, mais la question se pose pour la protection des points d'importance vitale. Je vais consulter les 25 préfets de zone pour avoir leur sentiment sur la défense des sites nucléaires inscrits dans leur périmètre de compétence. Ces sujets concernent en priorité le ministère de l'intérieur, la gendarmerie et ses règles internes. Après les attentats du Bataclan, une réflexion avait déjà eu lieu, conduisant à des évolutions de l'article 435-1 du code de la sécurité intérieure. Elle a vocation à se poursuivre, même si je ne peux vous donner de réponse à ce stade. Se pose également la question de la redéfinition, à conduire aussi avec les préfets, de l'articulation entre les PSPG et les forces de sécurité internes, en charge de la défense périmétrique à l'extérieur de la zone la plus sécurisée.
Quoi qu'il en soit, notre travail interministériel, déjà engagé pour rehausser le niveau global de protection, se nourrira de vos conclusions.
– Nous ne parviendrons pas à épuiser le sujet aujourd'hui.
– Merci de ces premières précisions. Pour autant, comme les parlementaires sont obstinés, je me permettrai de vous reposer la question simple posée par notre collègue Émilie Cariou : dans ce rapport remis confidentiellement par Greenpeace aux autorités compétentes, qu'est-ce qu'il y a ?
– J'ajouterai, la meilleure défense étant l'attaque, la question du renseignement amont sur les opposants au nucléaire, leur mode opératoire et la prévisibilité de leurs actions.
– Ainsi que cela a été dit, ce rapport a été compilé à partir de sources publiques.
– Il y a énormément de choses accessibles au public…
– Absolument. Mais ce rapport ne nous apprend rien d'autre que ce que nos services savent depuis des années ; il signale des faiblesses que nous connaissions, que nous essayons de corriger, notamment à travers le programme de renforcement de la sécurité retenu avec les opérateurs, pour des coûts de plusieurs centaines de millions d'euros, mais rien qui nous conduise à modifier significativement ce plan.
Je souhaiterais insister sur le fait que, si notre mission, au secrétariat général ou dans nos services, consiste à réaliser une veille permanente, nous ne sommes pas pour autant très inquiets sur le niveau global de protection des installations nucléaires. Certes, le dispositif est toujours perfectible et doit évoluer, ne serait-ce que par ce que la menace change elle-même, mais nous sommes confiants dans notre capacité à faire face à une agression. À cet égard, il pourrait être intéressant qu'une délégation de l'Office se déplace pour visiter une installation sous l'angle spécifique de la sécurité.
– Nous demanderons aux gendarmes de ne pas tirer…
– Ou alors seulement sur des cibles identifiées, nous vous donnerons des noms… !
– Dans ce cas, nous ferons du tri sélectif ! Pour redevenir sérieux, je crois qu'une telle visite vous permettrait de mieux comprendre la situation et la complexité des sujets, que le temps imparti ce matin ne nous ne permet hélas pas d'analyser en détails.
– Je crois en effet, à l'issue de cette première partie des auditions de ce matin, qu'il faut équilibrer les considérations théoriques et pratiques pour ce sujet. Pour conclure provisoirement, nous sommes prêts à comprendre et à accepter que la loi s'adapte à votre mission et à ses contraintes.
● La coordination entre sécurité et sûreté nucléaires
Audition conjointe (*) :
– Nous passons maintenant à la deuxième séquence de nos auditions sur la sécurité des installations nucléaires, en présence du secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), pour aborder la question de la coordination entre sécurité et sûreté nucléaires. L'opérateur, EDF, et l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) sont représentés par plusieurs de leurs responsables, dont certains que je retrouve ici avec intérêt. Nous accueillons, pour l'ASN, Pierre-Franck Chevet, président, accompagné d'Olivier Gupta, directeur général, et de Christophe Quintin, inspecteur en chef, référent du comité exécutif pour les questions de sécurité, et du côté d'EDF, Dominique Minière, directeur exécutif du groupe et membre du comité exécutif, chargé de la production nucléaire et thermique, accompagné d'Émile Perez, directeur de la sécurité et de l'intelligence économique, et de Bertrand Le Thiec, directeur des affaires publiques.
Je rappelle, à leur intention, que ces auditions font suite à une demande de notre collègue député, premier vice-président de l'Office, Cédric Villani, alors président, épaulé dans sa démarche par notre collègue Émilie Cariou, députée de la Meuse. Nous sommes intéressés par les problématiques de sécurité et de sûreté des installations nucléaires. Nous avons des interrogations pratiques sur cette sécurité et l'amélioration des dispositifs et nous souhaitons rassurer nos collègues parlementaires ainsi que les citoyens à ce sujet. Faites-nous partager vos expériences les plus concrètes car il s'agit, pour nous, de consolider la confiance, qui parfois s'ébranle chez nos concitoyens. Nous devons être en mesure de pouvoir informer sur la sécurité de nos installations nucléaires et, tout particulièrement, de nos centrales nucléaires.
– Je vous remercie de nous donner l'occasion de vous exposer la manière dont, en tant qu'opérateur, nous prenons en compte la protection physique de nos centrales nucléaires, appelées aussi la sécurité des centrales, terme que j'utiliserai par la suite par commodité de langage.
Tout d'abord, je tiens à souligner que l'objectif des mesures mises en place est d'éviter tout accident grave, c'est-à-dire un acte qui pourrait entraîner des relâchements importants de radioactivité dans l'environnement. En ce sens, les mesures que nous prenons en matière de sécurité ont bien comme objectif de garantir la sûreté nucléaire de nos installations. Les deux sujets, sécurité et sûreté, sont liés : les agressions au titre de la sécurité relèvent, de par leur nature, de la défense et restent donc soumises, selon la loi, à des règles spécifiques de secret, mais elles représentent un type d'agression qui s'ajoute à des agressions potentielles au titre de la sûreté, telles que les séismes ou les inondations.
Sans entrer dans le détail des éléments relevant de la protection du secret de la défense nationale, je voudrais vous décrire aussi précisément que possible les mesures que nous prenons pour faire face aux enjeux de la sécurité nucléaire sur nos sites. La démarche de sécurité s'apparente dans sa méthodologie à la démarche de sûreté. Je vais vous l'expliquer en deux temps.
Dans un premier temps, il faut comprendre que les objectifs de sécurité à assurer sont définis par la loi, dont la dernière modification date de 2009. Elle définit les agressions à prendre en compte et, ainsi, qualifie de menace tout évènement physique, phénomène ou activité humaine potentiellement préjudiciable, susceptible de provoquer des décès ou des lésions corporelles, des dégâts matériels ou immatériels, des perturbations sociales ou économiques ou une détérioration de l'environnement. Dans le cadre de la démarche de sécurité de notre secteur d'activité, les menaces seront réputées avoir un caractère malveillant ou être de nature terroriste. Les menaces peuvent se présenter sous deux formes, soit sous la forme d'une menace externe, typiquement une intrusion, soit sous la forme d'une menace interne, comme des salariés d'EDF ou de prestataires qui commettraient, depuis l'intérieur du site, des actes de malveillance. En matière de sécurité, nous visons à garantir la sûreté nucléaire. L'objectif à respecter est d'éviter, quelle que soit la menace, tout accident grave conduisant à des rejets de radioactivité importants dans l'environnement.
Dans un second temps, le dispositif repose sur l'établissement périodique d'un plan de sécurité par l'opérateur, donc EDF. Le premier plan de sécurité d'EDF a été validé par l'État en 2012 et le dernier, datant seulement de 2017, est encore en cours de validation par les services de l'État. Ce plan se décline localement. Chaque centrale de production a réalisé un plan de protection diffusé aux autorités préfectorales en 2012, et dans lequel sont définies les mesures mises en place pour faire face aux menaces, comme la création de zones de sécurité, de règles d'organisation ou de gestion de la crise... Aujourd'hui, chaque centrale dispose de tels plans. Par ailleurs des démonstrations de sécurité sont établies, montrant qu'avec les mesures prévues dans les plans, les objectifs de sécurité sont bien atteints. Des exercices réguliers sont réalisés à plusieurs niveaux, en interne, avec les autorités locales ou nationales, et permettent de vérifier la bonne adéquation des plans et des tactiques d'intervention.
Dans un troisième et dernier temps, l'autorité de contrôle en la matière, à savoir le haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) du ministère de la transition écologique et solidaire, s'assure, avec l'appui de l'IRSN, que les démonstrations effectuées sont solides et vérifie ensuite régulièrement, via des inspections sur sites, que les dispositions décrites dans les plans sont bien en place et effectives. Au total, 24 inspections ont eu lieu en 2017 et autant sont prévues en 2018.
Au-delà de cette approche de la sécurité telle qu'encadrée par la loi, il est nécessaire de souligner, en prenant plus de champ, que si la définition des mesures à prendre pour faire face aux menaces et leur mise en oeuvre relèvent bien de l'opérateur, les mesures de prévention pour éviter, dans la mesure du possible, que ces menaces prennent corps relèvent, elles, de l'État. Il en est ainsi de la prévention du terrorisme, du renseignement, de l'interdiction de survol des sites sensibles tels que nos centrales, de la surveillance rapprochée des sites, etc. Toutes ces actions relèvent de l'État. La sécurité des centrales est donc, en quelque sorte, une coproduction entre l'opérateur et l'État.
Un autre élément clé relève du domaine législatif : il s'agit de la caractérisation légale d'une intrusion dans nos centrales et des sanctions pénales encourues par les contrevenants. Avant la loi du 2 juin 2015 relative au renforcement de la protection des installations civiles abritant des matières nucléaires, dite « loi de Ganay », les peines encourues pour de tels faits étaient inférieures de fait à celles encourues en cas de cambriolage chez un citoyen, ce qui ne peut que paraître choquant au vu de la gravité de tels actes. On ne saurait donc que se féliciter du fait que la représentation nationale se soit emparée de ce sujet, à travers cette proposition de loi, adoptée avec un large consensus à l'Assemblée nationale comme au Sénat. Cette loi a vocation, comme l'indiquait le Gouvernement lors des débats préalables à son adoption, à mettre fin à la confusion entre le droit à manifestation – qui est légitime – et la violation de procédures de protection anti-terroristes – qui renvoie à des actes irresponsables. Cette loi a été complétée en octobre 2015 par un décret qui définit, pour chaque centrale nucléaire, une zone dite « zone nucléaire à accès réglementé » (ZNAR), zone délimitée par un arrêté du ministre en charge de l'énergie et dont la protection est assurée par un dispositif pénal spécifique, proportionné à la gravité de l'acte qui y porterait atteinte. Tous les arrêtés ont été pris pour toutes les centrales, et les zones nucléaires à accès réglementé sont dorénavant délimitées physiquement via une clôture portant des pancartes d'affichage ad hoc. Dans une approche avant tout dissuasive, l'esprit de ces dispositions est de renforcer les interdictions d'accès aux installations nucléaires de base. C'est donc un cadre en complémentarité totale avec notre dispositif, à savoir le programme de sécurisation que nous développons. À la suite des intrusions ayant eu lieu en 2017, deux audiences judiciaires sont programmées. Nous en attendons les résultats.
En matière de réponse aux menaces externes, plusieurs modèles existent dans le monde. Ils sont tous conçus autour de trois axes : détection des intrus, retardement des intrus, et interception des intrus ; ils sont tous organisés autour de trois zones concentriques, en forme de poupées gigognes :
- en première barrière, la zone à accès contrôlé (ZAC), qui délimite la zone de propriété de la centrale ;
- à l'intérieur de celle-ci, la zone à protection renforcée (ZPR), qui délimite les bâtiments industriels ;
- et enfin à l'intérieur de celle-ci, la zone vitale (ZV), où sont situés les équipements qui, détruits, pourraient entraîner, dans certaines circonstances, des accidents graves. C'est dans cette zone que se situe l'îlot nucléaire.
Dans nos centrales, la zone nucléaire à accès réglementé (ZNAR) a été fixée, par le décret d'octobre 2015 précité, au niveau de la ZAC, c'est-à-dire la première barrière.
Les trois modèles principaux de réponse aux menaces externes sont les suivants :
- le modèle dit « bunker », qui privilégie le retardement, via la « bunkerisation » de l'îlot nucléaire, par l'interposition d'une barrière à haute résistance. C'est le modèle retenu par les centrales allemandes, avec des murs, des portes, etc. Par contre, la détection et l'interception sont peu développées, l'intervention des forces régaliennes se faisant, par exemple, seulement sous 30 minutes ;
- le modèle dit « château fort », qui privilégie plutôt l'interception, généralement au niveau de la ZPR. C'est le modèle retenu en Russie ou en Chine, ainsi qu'aux États-Unis, où tout endroit de la ZPR est sous le feu immédiat de deux miradors. Aux États-Unis, il y a également un dispositif de retardement sur les clôtures et les portes de l'îlot nucléaire, ainsi qu'un complément de force armée dans l'îlot nucléaire. Un tel modèle n'est pas sans risque de blessures, ou pire, de personnes qui n'auraient aucune intention de nuire ;
- le modèle dit de « protection active », basé sur un concept de défense en profondeur, qui privilégie la détection, associée à un retardement réparti sur la ZPR et la ZV, et qui permet la projection rapide d'une force armée locale au bon endroit et au bon moment, en interposition pour éviter une entrée dans la ZV. Ces forces se concentrent sur les cibles potentielles importantes pour la sûreté, dans les délais compatibles avec les démonstrations de sécurité. C'est le modèle retenu en France, mais aussi dans nombre de pays européens.
Plus spécifiquement, à EDF, la force armée locale retenue est la gendarmerie, sous la forme de pelotons spécialisés de protection de la gendarmerie (PSPG). Chez d'autres exploitants français, il s'agit de forces locales de sécurité (FLS), équipes internes à l'exploitant spécialisées en la matière. L'organisation globale s'appuie donc :
- d'une part, sur des équipes internes d'EDF, chargées de surveiller, de détecter et de retarder via les mesures de conception des installations et, donc, de protéger l'îlot nucléaire ;
- d'autre part, sur les PSPG, chargés d'intercepter et d'empêcher l'endommagement des cibles potentielles à l'intérieur des zones vitales.
Il est important de comprendre que les démonstrations de sécurité conduisent, en cas de détection d'une intrusion, au positionnement des PSPG pour empêcher la destruction des cibles potentielles à l'intérieur des zones vitales. Il s'agit, en même temps, de neutraliser ou de fixer la menace. En cas d'intrusion autre que terroriste, le rôle des PSPG est de restreindre la capacité de mouvement sur le site.
Par ailleurs, les interventions sont coordonnées avec les unités de gendarmerie du département. Les PSPG sont le dernier maillon interne de la réponse de l'opérateur et le premier maillon de l'État. En cas d'action malveillante visant un site, le PSPG concerné est placé sous le contrôle opérationnel du GIGN, qui peut intervenir, si nécessaire.
Comme pour la sûreté des centrales nucléaires, les grands principes en matière de sécurité nucléaire sont définis par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). L'AIEA réalise des inspections dans les différents pays. Après le Royaume-Uni, le second pays à avoir été retenu pour une telle inspection sécuritaire internationale a été la France et le premier exploitant français retenu a été EDF. Cette inspection, appelée « IPPAS » (International Physical Protections Advisory Service), a eu lieu en 2011. Ces inspections internationales partagées portent à la fois sur les dispositifs mis en place par les États et sur leur mise en oeuvre sur les sites. C'est le site de Gravelines qui avait été visité en 2011. Ayant participé directement à cette inspection, je me rappelle parfaitement du satisfecit global exprimé par l'AIEA. Bien entendu, ce type d'inspection a aussi donné lieu à quelques recommandations et suggestions, que nous avons prises en compte. Une réunion de suivi a eu lieu en septembre 2017. Ces recommandations ont conforté le modèle sécuritaire d'EDF et permettent, dans le cadre de leur prise en compte, de renforcer les aspects qui le nécessitent.
Comme pour la sûreté, la sécurité de nos centrales s'appuie sur :
- des moyens humains, constitués des équipes de protection de site EDF, en charge d'assurer la maîtrise d'ouvrage et notamment de surveiller et détecter. Ces équipes EDF sont renforcées par des équipes d'entreprises prestataires, en charge principalement du gardiennage et de l'accueil, et par plus de 1 000 gendarmes alloués à la sécurité des sites, ces gendarmes étant spécialisés dans le contre-terrorisme, formés et entraînés par le GIGN. Au total, EDF dépense plus de 250 millions d'euros par an pour ces moyens humains, ce qui couvre notamment les rémunérations et le matériel des 1 000 gendarmes, qui ne coûtent donc pas un euro au contribuable. ;
- de l'organisation, car pour progresser dans ce domaine, comme dans celui de la sûreté, chaque centrale procède à une revue annuelle de son dispositif de sécurité, challengée par la direction du parc nucléaire. Chacune procède également à des exercices et des entraînements réguliers avec son PSPG et les forces de gendarmerie locales. Plus de 500 exercices et entraînements sont organisés chaque année sur notre parc nucléaire. Par ailleurs, l'État organise chaque année un exercice « EPéES » – pour exercices de protection et d'évaluation de la sécurité – à destination des opérateurs nucléaires, en faisant intervenir le GIGN et les forces armées. Le dernier exercice EPéES s'est tenu en novembre 2017 à Penly. Chaque évènement en matière de sécurité, doit comme pour la sûreté, être déclaré auprès du HFDS et faire l'objet d'un retour d'expérience de la part de la centrale concernée. Enfin, des inspections sont régulièrement menées par le HFDS et ses équipes, et ces inspections font l'objet de lettres de suite, équivalentes aux lettres de suite de l'ASN dans le domaine de la sûreté.
Les résultats en matière de sécurité sont suivis de très près par le HFDS comme par l'opérateur. Sur le plan qualitatif, il a été noté une nette amélioration de la culture de la sécurité sur les dix dernières années et les entraînements réguliers permettent de développer de bonnes complémentarités entres les équipes de protection de site d'EDF et les PSPG. Sur le plan plus quantitatif, les exercices réalisés en 2016 sont, en termes d'objectifs de sécurité, deux fois mieux réussis que les exercices réalisés en 2013. Surtout aucune intrusion réelle n'a jamais permis aux personnes qui les ont menées de pénétrer à l'intérieur d'une zone vitale. De ce point de vue, les intrusions de Greenpeace n'ont jamais pris en défaut nos dispositifs de sécurité.. Les conditions d'interception de Greenpeace sont conformes à la logique de protection de site qui priorise la garantie de l'intégrité des cibles, tout en restreignant leur capacité de mouvement à l'intérieur du site.
En outre, il y a lieu de souligner que la loi de 2009 et la réglementation complémentaire prise en 2011 ont conduit EDF à engager un programme de renforcement en matière de conception. Parmi les principales mesures, figurent des mesures de renforcement, tant en matière de détection dès la ZAC qu'en matière de renforcement de la ZPR. Mais aussi des mesures en matière de dispositifs de détection d'explosifs et de contrôle d'accès biométrique. La mise en oeuvre de ce plan de 750 millions d'euros au total est en cours de déploiement, plus de 150 millions d'euros ayant déjà été investis.
Concernant la menace externe, je souhaiterais terminer mes propos par un zoom sur le sujet des piscines du bâtiment combustible, là où sont entreposés nos assemblages usés avant évacuation à La Hague. La fonction de sûreté à garantir pour ces assemblages est très simple : il s'agit d'assurer le refroidissement des assemblages dans la mesure où ils émettent toujours un peu de puissance résiduelle et, en tout état de cause, éviter tout découvrement des assemblages usés. Même si je ne connais aucun cas dans le monde d'incidents ou d'accidents graves de découvrement d'assemblages, un tel phénomène ayant été, certes, suspecté à Fukushima, mais ne s'étant, de fait, pas produit, j'ai bien noté que Greenpeace et d'autres pointaient régulièrement du doigt ce sujet. Il est nécessaire de souligner que les assemblages de combustible sont déposés dans des racks spéciaux au fond des piscines, sous sept à huit mètres d'eau. En conséquence, comme vous pouvez le constater sur le schéma qui vous a été remis, les éléments clés pour assurer le refroidissement des assemblages ne sont donc pas les parties au-dessus de la piscine, comme les murs du bâtiment au-dessus de la piscine, ou la toiture, mais bien :
- l'épaisseur des parois de la piscine proprement dite, c'est-à-dire de la partie chargée de retenir l'eau. Ces parois sont en béton, d'une épaisseur cumulée supérieure à celle des bâtiments réacteur. Des tests, que je ne détaillerai pas, ont montré l'absence de risque de conséquences en matière de sûreté, même face à des armes modernes telles que celles dont pourraient disposer des terroristes particulièrement équipés. Les personnes qui ont évoqué le 8 novembre 2017, devant la commission du développement durable de l'Assemblée nationale, des murs de « 30 cm d'épaisseur » ne parlent pas des parois chargées de retenir l'eau des piscines ;
- les dispositions prises pour s'assurer de disposer en permanence d'une fonction de refroidissement. Celle-ci est aujourd'hui assurée par deux circuits indépendants, mais au titre du renforcement, nous étudions des moyens complémentaires.
– L'eau qui circule est-elle chargée en radioactivité ?
– L'eau qui circule est chargée en chaleur, mais vraiment très peu en radioactivité. Et le circuit de traitement limite cette charge.
Je voudrais terminer en disant quelques mots de la menace dite « interne », c'est-à-dire celle qui pourrait être amenée par des personnels mal intentionnés d'EDF ou de ses prestataires. Dans un contexte de montée de la radicalisation que l'on constate également chez certains de nos personnels, il est indispensable de disposer de moyens de prévention et de détection efficaces. La procédure d'accès sur nos sites est, aujourd'hui, en cours de renforcement. Nous passons d'enquêtes administratives avant toute délivrance de badge d'accès faites par les préfectures des départements où sont implantées nos centrales, à un dispositif d'enquêtes préalables recentré sur un dispositif unique, le CoSSeN, pour commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire. La périodicité des enquêtes est, de plus, en train d'être renforcée pour notre propre personnel, passant de trois ans à un an. Par ailleurs, nous avons formé notre personnel à une démarche de sécurité et, dans ce cadre, à nous signaler tout indice révélant un écart potentiel en matière de sécurité y compris une quelconque radicalisation. Au titre de premier responsable de la sûreté, la sécurité est un élément déterminant pour nous.
– Il s'agit décidément d'une audition passionnante. Vous avez présenté, ce qui a attiré mon attention, trois modèles principaux de sécurité des installations, dont le troisième est dit « modèle EDF ». Cela signifie-t-il que lorsque vous partez exploiter en Chine, vous demandez à la Chine d'appliquer le « modèle EDF » ?
– Non, clairement.
– Par ailleurs, nous examinons ce matin la robustesse des dispositifs garantissant la sécurité des installations nucléaires, or nous devons savoir sur quels leviers agir, à commencer par notre cadre législatif. Qui peut vraiment nous aider dans cette mission ? Faut-il d'abord écouter l'exploitant ou l'administration, ou celui qui applique la loi, le juge ? Quel regard portez-vous sur les décisions de justice prises avant la loi du 2 juin 2015 relative au renforcement de la protection des installations civiles abritant des matières nucléaires, dite « loi de Ganay », du nom de notre collègue à son origine ?
– Des dispositifs de sécurité des installations nucléaires spécifiques ont été pris « post-11 septembre », c'est-à-dire après les attentats du 11 septembre 2001, je pense en particulier au renforcement des bâtiments et des piscines de stockage des combustibles, comme dans le cas des EPR (European Pressurized Reactor ou réacteur pressurisé européen), à l'image de ce qu'a fait Areva à Flamanville. Mais les réacteurs traditionnels ne disposent pas encore, à notre connaissance, de coques de piscines dotées de la capacité à absorber le choc d'un avion à réaction de ligne qui viendrait frapper le bâtiment. Quelle est la faisabilité technique de la mise à niveau des piscines de stockage des combustibles dans les centrales traditionnelles ? Quel serait le coût d'une telle mesure ? Avez-vous des projets de ce type ? Par ailleurs, face à une montée forte de température dans les piscines en cas de rupture de l'alimentation en eau, que faites-vous, sachant que les circuits témoignent d'une certaine fragilité, comme l'a montré le cas de l'accident nucléaire de Fukushima en 2011 et comme le soulignent souvent les ONG ? Quels sont les circuits secondaires et de secours qui sont prévus en cas de difficultés ?
– Je donne maintenant la parole à notre collègue député Christophe Bouillon, qui, comme vous le savez, préside le conseil d'administration de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA).
– Nos systèmes de sécurité sont robustes mais a-t-on pensé à toutes les éventualités ? Pourrait-on s'inspirer des logiques d'essais de choc (crash tests) ? Par exemple, dans le cas où une intrusion extérieure se combinerait avec un évènement interne ? Avez-vous imaginé le pire ? L'accident de Fukushima a montré qu'il n'était pas absurde de faire appel à des scénaristes, y compris de fiction. Que pensez-vous du risque d'une cyberattaque ? Et peut-on imaginer un cas de cumul entre une intrusion extérieure, un évènement interne et une cyberattaque ?
– Pour faciliter les réponses, je rappelle que le compte rendu de la présente audition sera soumis à chacun des intervenants et qu'il n'y aura communication que sur la base des éléments contenus dans ce compte-rendu. Je souhaiterais pour ma part évoquer le sujet, dont il était fait de nouveau état dans les médias il y a quelques jours, du projet d'une grande piscine de stockage des combustibles dans le Cher. La taille de ce genre de projets peut-elle en faire une cible privilégiée pour des actes malveillants ?
– La loi du 2 juin 2015 relative au renforcement de la protection des installations civiles abritant des matières nucléaires, dite « loi de Ganay », prévoit des peines plus sévères pour les auteurs d'intrusion dans les centrales, mais elle n'a pas encore été appliquée. Nous suivrons avec intérêt les jugements qui concluront les deux instructions en cours. En théorie, les peines devraient être plus sévères. Mais il y a la loi et il y a les juges… Ce qui est sûr, c'est qu'avant 2015, il n'y avait quasiment pas de sanctions. Quelques amendes et quelques peines avec sursis sont les seules condamnations qui ont été prononcées, donc pas de quoi décourager les actes de type intrusion. Ces actes sont graves car ils perturbent les missions des PSPG, mais ne démontrent rien car leurs auteurs ne rentrent pas dans les zones vitales. Je rappelle que les PSPG ne sont pas là pour faire du maintien de l'ordre face à des manifestants, mais pour assurer la sécurité de sites sensibles. Entretenir la confusion par des intrusions dans le but de communiquer sur la faiblesse de nos dispositifs de sécurité est irresponsable. Cela rend crédible, dans l'esprit de personnes malveillantes, que nos centrales seraient des cibles faciles. Ce type de message est donc particulièrement irresponsable en ce moment.
Sur les coques dotées de la capacité à absorber le choc d'avions de ligne, j'observe qu'il nous est demandé par l'ASN de rapprocher nos réacteurs des conditions offertes par les réacteurs de troisième génération, au-delà même du quatrième examen de sûreté de nos installations, au moins en termes d'objectifs de sûreté à atteindre, pas en matière de méthodes. L'objectif est de renforcer la capacité de refroidissement des piscines.
Depuis l'accident nucléaire de Fukushima, nous cherchons à identifier différents points d'alimentation en eau, y compris pour refroidir les piscines. Par exemple, l'alimentation par des réserves d'eau situées en haut de falaise pour des installations situées en bas de falaise ou, encore, l'accès aux nappes phréatiques par des puits capables d'aller y pomper en cas de situation critique. Fukushima nous a également conduits à mettre en place une « force de réaction rapide nucléaire » (FARN), qui nous garantit d'avoir, sous 24 heures, le rétablissement de la fourniture en eau et en électricité sur nos sites. Cette force nouvelle est constituée d'environ 400 à 500 professionnels d'EDF. Nous avons, par exemple, prévu de pouvoir déployer la FARN dans les cas où le besoin de fourniture en eau est nécessaire au refroidissement d'une piscine. Je rappelle que nos piscines disposent toujours de deux circuits de refroidissement, l'un pouvant être en panne ou en maintenance. Je me rappelle de cas où les deux circuits étaient défaillants, mais le volume d'eau est tel que l'on dispose de nombreuses heures, voire de journées, avant que l'eau ne rentre en ébullition. En bref à ce sujet, le fait de renforcer notre capacité de refroidissement par des sources variées est une de nos priorités et nous en discutons avec l'ASN.
Pour ce qui concerne les scénarios, nous n'envisageons que les scénarios de menaces définis par l'État. Je parle ici des questions de sécurité, car, même s'il existe un parallèle, nous travaillons avec l'ASN en matière de dispositifs de sûreté face aux risques tels que des séismes ou des inondations. Il ne s'agit pas, pour nous, d'imaginer toutes sortes de scénarios. La bonne réponse aux menaces ne passe pas par des lignes Maginot, mais par une organisation et des hommes, ce qui implique des personnels formés, comme les PSPG, qui savent se positionner sur les cibles clés face aux menaces potentielles.
Sur le sujet de la cybersécurité, je précise que nous avons des réseaux indépendants les uns des autres : le contrôle commande de nos centrales n'est pas accessible par des réseaux connectés à internet. Nous sommes protégés par rapport au risque de cybersécurité et nous avions d'ailleurs fait des vérifications avec l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), à la suite de l'accident nucléaire de Fukushima.
Le projet de grande piscine de stockage des combustibles, pour lequel je ne reviens pas dans le détail des circonstances qui ont amené à faire ce choix avec l'ASN et diverses associations dans le cadre du plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR), permet de répondre à la question de la saturation des capacités de nos piscines à horizon 2030. Il s'agit d'un entreposage temporaire, pas d'un stockage définitif des assemblages combustibles. Nous allons réaliser cette grande piscine avec un référentiel de sûreté de troisième génération. Dès le stade de sa conception, elle requerra donc des exigences élevées, dans le but de pouvoir résister à des agressions sévères, telles que des chutes d'avions. Après le 11 septembre 2001, nous avons étudié la résistance des dispositions permettant de faire face à des « chutes d'avion », ce qui nous a conduits à réévaluer certaines d'entre elles. Nous avons également pris des mesures organisationnelles permettant de faire face à ce genre de risques.
–Je vous remercie et je vais maintenant laisser la parole à Pierre-Franck Chevet, président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
L'Office vous a entendu le 30 novembre dernier pour la présentation du rapport annuel de l'ASN. Les sujets à aborder étaient nombreux. Nous avons beaucoup parlé de sûreté mais peu de sécurité. Aujourd'hui, nous souhaitons approfondir avec vous cette question de la sécurité des installations nucléaires.
– Merci de nous entendre, même si l'ASN est très minoritairement concernée aujourd'hui par le sujet de la sécurité. Je suis accompagné par Olivier Gupta, directeur général, et Christophe Quintin, inspecteur en chef, référent du comité exécutif pour les questions de sécurité, précédemment haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) adjoint du ministère de la transition écologique et solidaire.
En matière de sécurité, l'ASN n'a qu'une seule responsabilité, qui lui a été confiée par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, celle du contrôle des sources radioactives. Cette nouvelle mission était indispensable car le sujet était orphelin en matière de sécurité. Or, on trouve des sources radioactives de haute activité sur certains chantiers industriels et dans le domaine médical. Des précautions professionnelles existent afin d'assurer un niveau de sûreté normale, tant pour la protection des personnes que de l'environnement. Mais certaines sources actives sont potentiellement très dangereuses, surtout si elles sont capturées par des personnes malveillantes car elles peuvent être petites et très irradiantes. Le cadre réglementaire a été établi et des inspections adaptées seront mises en oeuvre dès le premier semestre 2018 pour assurer cette nouvelle responsabilité. C'est un premier pas dans le domaine de la sécurité.
En revanche, l'ASN n'a pas de compétence sur la sécurité des grandes installations, notamment les centrales nucléaires d'EDF. Or, dans la plupart des grands pays, l'autorité de sûreté est également en charge de la sécurité, pour la partie technique. C'est le cas aussi bien aux États-Unis qu'au Royaume-Uni.
À chaque fois, l'organisation administrative suit une même logique. La définition de la menace est assurée par l'État, notamment avec l'aide de ses services de renseignement. De même, l'intervention des forces publiques est toujours de la responsabilité de l'État, jamais de l'autorité de sûreté. Mais lorsque la menace est définie, qu'elle soit malveillante ou non, la question de la sécurité, par exemple pour définir l'épaisseur des murs en béton, est un sujet technique dont les autorités de sûreté ont la charge. Ces deux objectifs répondent à une même problématique : il s'agit de protéger les personnes et l'environnement.
Dans l'organisation française, que ce soit pour les sujets de sûreté ou de sécurité, il y a un seul expert, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).
Quelques mots sur les piscines. On m'a attribué des propos sur une épaisseur des murs de 30 cm mais je ne l'ai certainement pas dit, c'est une association qui l'a mentionné en le mettant par erreur dans ma bouche. La confusion vient sans doute du fait que 30 cm est l'épaisseur des voiles des murs au-dessus des piscines.
– Je ne citerai pas le parlementaire qui m'a fait dire cela. Mais le propos a été repris et a fait florès. Malheureusement, le compte rendu d'aujourd'hui est confidentiel.
– Ici aussi le compte rendu est confidentiel mais il y aura après, selon des modalités à définir, une audition publique qui permettra plus de transparences car le sujet est important. Dans cette bataille médiatique, nous ne pouvons pas nous contenter de dire au public « nous sommes informés, faites-nous confiance ».
– Sur les piscines, la discussion technique est en cours. La question est de savoir comment se rapprocher des piscines de type EPR, qui sont sous une coque de protection et ont des circuits redondants d'alimentation en eau. L'enjeu est de maintenir suffisamment d'eau au-dessus des assemblages pour qu'il n'y ait pas de problème. L'autorité a demandé à EDF de faire des propositions pour ajouter des circuits diversifiés. Les solutions qui seront trouvées au titre de la sûreté iront aussi dans le sens de la sécurité.
L'idée de construire une piscine centralisée pour entreposer les assemblages de combustible n'est pas nouvelle. C'est ce qui est fait à La Hague, où les installations devraient cependant atteindre leur saturation à horizon 2030. C'est pourquoi une réflexion est aujourd'hui engagée sur un entreposage complémentaire avec une grande piscine moderne, équipée de circuits d'eau multiples pour le refroidissement, qui est un enjeu majeur. Un dossier d'options de sûreté est en cours de discussion.
Beaucoup de débats ont lieu sur les bons niveaux de sécurité. Par exemple, au début de la réflexion sur l'EPR dans les années 1990, lorsque le projet était encore franco-allemand, avait été retenu le principe selon lequel le bâtiment du réacteur devait pouvoir résister à la chute d'un Starfighter américain, plusieurs accidents ayant eu lieu avec ces avions au cours des années précédentes en Allemagne. C'est ce qui explique le caractère très bunkérisé de l'EPR. C'était objectivement un très bon choix et la conception de ce nouveau réacteur est apparue de fait adaptée après les attentats du 11 septembre.
La sécurité des installations nucléaires suscite beaucoup de questions dans l'opinion, mais il est évidemment difficile d'aller plus loin dans la démonstration. Aussi, peut-être serait-il judicieux de créer une commission du Parlement plurielle, habilitée à entendre plus en détails ces sujets. Cela améliorerait la réponse de la puissance publique sur ces questions. Une telle commission, qui poserait des questions précises, constituerait un relais auprès de l'opinion publique et permettrait de franchir collectivement une nouvelle étape.
– Cette idée est complètement soutenue par EDF car la communication sur la sécurité des installations nucléaires est difficile. La création d'une telle structure serait un atout.
– La même idée est défendue par notre collègue Guillaume Larrivé pour la sécurité nationale, pour le contrôle de fichiers sensibles. C'est, on le voit, un sujet qui intéresse des responsables politiques de bords variés.
– La sagesse accumulée par l'OPECST le désigne pour remplir cette mission, quitte à nommer un comité restreint en son sein à cet effet. Sa déontologie n'a jusqu'à présent pas été prise en défaut.
Quelle stratégie est mise en place pour assurer la sécurité de la centrale nucléaire de Hinkley Point, dont EDF est maître d'ouvrage ? Quels modèles de sécurité sont retenus par nos partenaires chinois pour leurs installations nucléaires ?
Sécurité et sûreté se rejoignent aussi sur le problème du transport de combustibles à forte activité et à vie longue. C'est un sujet difficile car le transport est un moment vulnérable. Des dispositions ont été prises pour rendre très coûteuse la mise en place d'obstacles à la circulation. Quelle leçon peut-on tirer de ce dispositif, de nature contraventionnelle il me semble, pour les centrales ?
– Pour les projets internationaux, c'est la législation nationale qui s'applique et donc la loi britannique pour Hinkley Point. Il en est de même pour les installations chinoises.
Sur l'EPR, la zone vitale est plus bunkerisée que pour les autres centrales.
– La zone vitale des centrales est-elle organisée sous forme d'îlot ou plutôt d'archipel ?
– Globalement, cette zone est sous forme d'îlot. Mais en tout cas, jamais aucune intrusion ne s'est produite dans une zone vitale.
Les modèles européens de centrales et de réglementation ne sont pas très différents les uns des autres. En Chine, en Russie et aux États-Unis, c'est le modèle « château-fort » avec possibilité de tir dès franchissement du périmètre de la zone de protection renforcée, ce qui empêche toute intrusion, du moins à ma connaissance.
Le transport de combustibles est effectivement très encadré. Il faut environ dix ans pour qualifier un « château », nom donné à ce qui sert à transporter les assemblages.
– Pour ceux qui s'opposent à la circulation de ces convois, les conséquences en termes de dommages et intérêts sont lourdes et dissuasives.
– En théorie oui, mais les condamnations sont relativement rares et les juges ont un regard bienveillant.
M. Gérard Longuet,, sénateur, président de l'Office. – Même au civil ?
– Areva a eu des difficultés sur un transport vers le Japon et a obtenu des dommages si importants que les actions ont cessé.
– Y a-t-il eu des intrusions dans des centrales par une autre organisation que Greenpeace ?
– Une fois, par l'association Robin des Bois, en 1986. C'est donc une seule sur 14 intrusions en 30 ans. Le survol des centrales par les drones n'a, lui, jamais été attribué, même si des doutes existent.
– Dans beaucoup de pays, les autorités de sûreté sont aussi des autorités en charge des questions techniques de sécurité, les deux compétences étant parfois difficiles à distinguer, par exemple lorsqu'il s'agit de faire face à des chutes d'avion. L'évolution des périmètres et des pratiques est possible et parfois souhaitable. Quelle est la réaction du SGDSN à une éventuelle extension des compétences de l'ASN à la sécurité ?
– Tout peut effectivement être étudié, mais comparaison n'est pas toujours raison.
En France, la réglementation sur les opérateurs d'importance vitale (OIV), qui nous est enviée par beaucoup d'autres pays, notamment pour résister aux attaques terroristes, permet une vision globale de la sécurité qui va jusqu'à la cybersécurité, par exemple.
L'organisation des pouvoirs publics est très différente aux États-Unis et en France.
Sur la sûreté, l'ASN a un pouvoir impératif et prescriptif. Sur la sécurité, le système est plus complexe, avec de nombreuses responsabilités. La recherche de compromis pourrait aboutir à contester les observations de l'Autorité. Or, le caractère absolu de la sûreté doit être préservé. Il ne faudrait pas régresser sous couvert de progrès. J'y serai vigilant et j'appelle votre attention sur le sujet.
Comment qualifier la cybersécurité ? Est-ce un sujet technique ? L'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), rattachée au SGDSN, en est l'expert public. Le modèle nucléaire a le premier parfaitement distingué, comme l'a dit M. Minière, les systèmes d'information liés au processus de commandement et de contrôle et l'ensemble des autres systèmes d'information, de gestion ou d'administration, qui doivent être d'une étanchéité totale entre eux. C'est d'ailleurs ce que préconise la revue stratégique cyberdéfense pour d'autres secteurs comme les aéroports ou les lignes automatisées de la RATP. L'expertise développée est très technique, mais elle comporte aussi des protocoles humains, tels que fouilles et criblages d'individus. Les problématiques d'étanchéité, de résilience, de redondance des systèmes d'information sont communes. La revue stratégique éclaire la menace cyber, qui mobilise des acteurs différents, y compris dans le champ public de la sûreté.
– Sur les sujets de sécurité, la temporalité diffère entre les acteurs : l'interministérialité peut être mise en oeuvre rapidement. Elle s'appuie sur une colonne hiérarchique autour de 25 préfets de départements et de zones de défense. La valeur ajoutée du système actuel est sa rapidité, on parvient très vite à des réunions de très haut niveau. Des tests, par exemple, ont été faits dans ce cadre sur des tirs tendus. Les décisions sont prises dans des circuits courts.
L'indépendance de l'autorité de sûreté a une vertu en matière de communication mais, en ajoutant un niveau, elle risque d'augmenter le temps nécessaire à la prise en compte d'évènements et de diminuer l'efficacité du processus de décision qui peut mobiliser de nombreux acteurs, allant du renseignement à l'opérateur.
– La fusion des deux compétences sûreté et sécurité n'est pas intéressante pour plusieurs raisons. La première est que la sûreté est de la responsabilité de l'exploitant, que l'autorité de sûreté contrôle, alors que la sécurité est une responsabilité partagée entre l'État et l'exploitant. Cela mettrait l'autorité de sûreté et de sécurité, autorité administrative indépendante, dans la position d'émettre des injonctions à l'égard de l'État sur des sujets régaliens.
Il est ensuite important de protéger l'autorité de sûreté dont le travail s'effectue en toute transparence, ce qui est une priorité aujourd'hui. Cette même transparence serait difficilement applicable en matière de sécurité, ce qui créerait, pour une autorité unifiée, des suspicions sur le fait que tout ne serait pas montré.
En outre, les besoins de sûreté et de sécurité peuvent s'avérer contradictoires. De manière générale, la sûreté veut que les portes soient ouvertes, la sécurité qu'elles soient fermées, la sûreté veut qu'on ait des diagrammes clairs, accessibles, partagés par tous, alors que la sécurité veut des informations parcellisées, accessibles à quelques-uns seulement. Dans une autorité unifiée, ces arbitrages sont internes à l'organisation, et cela aboutit à une perte de pouvoir du Gouvernement et du Parlement. Mieux vaut un système où la sécurité et la sûreté sont portées par des acteurs différents, permettant un arbitrage politique.
Enfin, il y a d'autres opérateurs d'importance vitale (OIV) suivis par les services du HFDS pour lesquels existent des synergies avec le secteur nucléaire. Confier la sécurité à l'ASN, ce serait perdre ces synergies, et reviendrait à enfermer le secteur nucléaire sur lui-même, alors que l'idée est plutôt, depuis une quinzaine d'années, de le faire évoluer vers le droit commun.
Mais la discussion va se poursuivre avec l'ASN, avec laquelle les relations sont très bonnes.
– Dans 95 % des autorités homologues de pays démocratiques, le sujet de la sécurité est traité par ces autorités indépendantes. C'est une question de transparence. L'expérience montre que cela marche ailleurs !
S'agissant de la rapidité d'exécution, un centre de crise existerait. Il s'agirait seulement de substituer un dispositif à un autre, en conservant le cadre interministériel, comme cela est le cas pour les exercices que l'on fait à une fréquence élevée.
Pour les arbitrages, ceux-ci sont déjà fréquents en interne. L'ASN ne fait pas ce qu'elle veut, elle applique les lois et les textes réglementaires du Gouvernement dans le cadre desquels une homogénéisation est possible et même normale.
Le débat continue sur cette question, mais mon sentiment est que, compte tenu de ce qui se passe à l'étranger, l'évolution est inéluctable à terme.
– Mon intervention vous surprendra peut-être mais il me semble qu'on est un peu hors sujet. La démarche d'intrusion de Greenpeace ne vise pas vraiment à soulever un problème de sécurité, elle vise surtout à attaquer la confiance des Français dans le nucléaire. Il s'agit de mener une bataille de communication dans l'opinion. La réunion de l'Office de ce matin n'y répond pas. Nous répondons sur le plan de la sécurité, pas vraiment remise en cause, alors qu'il faudrait répondre sur le plan de la confiance des citoyens.
– Certes, mon cher collègue, mais le sujet est abordé lorsqu'on indique que toutes les intrusions sauf une ont été le fait d'une seule organisation…
– Je partage en partie cette observation. Il faudra aborder en face cette question de la communication et réfléchir, entre nous, à une suite publique pour cette audition, où on explique clairement les choses.
Une réponse technique ne peut constituer une réponse à une question de communication. Sur ces enjeux, il faut traiter du fond, mais aussi de communication, de médiation.
La volonté de conserver des secrets alimente le soupçon de nos compatriotes et fait le jeu de ceux qui veulent saper la confiance.
– Les agressions sont de nature fondamentalement différentes : celles médiatiques de la part d'associations qui portent un combat contre le nucléaire en général et cherchent à créer des événements sans véritable dangerosité, et celles, de type militaire, qui ont une perspective de destruction ou de dommage irréversible. Dans un cas, il s'agit d'affaiblir une image, dans l'autre de détruire. La situation est donc difficile car l'on ne peut pas être dur avec ceux qui attaquent l'image.
– Il y a deux types de personnels dans les centrales. Comment s'effectue la répartition des rôles entre les équipes de l'opérateur et le PSPG ?
– Le rôle de l'opérateur est, d'une part, de détecter et de retarder les intrusions, d'autre part, d'appeler le PSPG pour qu'il vienne se positionner sur les cibles potentielles. Le PSPG n'a pas pour rôle de chasser les intrus. Greenpeace perturbe ce dispositif car le modèle vise bien à défendre la sûreté des installations nucléaires.
Des moyens de détection de plus en plus efficaces sont déployés avec le plan de renforcement de 750 millions d'euros dont j'ai parlé.
– Tout cela n'est pas facile à expliquer en termes de communication. Le grand public pense que celui qui peut le plus peut le moins. Dans le cas présent, c'est l'inverse : qui peut le plus ne peut pas le moins !
À titre personnel, comme ministre de la défense, j'ai toujours été très réservé sur les patrouilles de militaires armés en ville. Un militaire est fait pour tuer l'adversaire, ce n'est pas le métier de celui qui assure l'ordre public. Je suis sous-préfet à l'origine…
– Sur la stratégie de communication, l'État est mal à l'aise dans cette sorte de tête-à-tête avec une organisation.
Sur l'ASN, toutes les propositions d'évolution sont sur la table. On regardera les comparaisons internationales. Mais la sûreté est une compétence qui nécessite de la transparence et un pouvoir prescriptif sur les opérateurs. La sécurité est une compétence différente. L'autorité ne peut être prescriptive envers l'État, elle ne peut que faire des préconisations, sur ce sujet qui ne peut être totalement transparent.
Il y a certainement, comme cela a été dit, des voies à explorer pour améliorer la détection et le renseignement ou augmenter les obstacles.
– Je vous remercie d'avoir consacré ce temps pour améliorer l'information des élus du peuple.
La séance est levée à 13 heures
Membres présents ou excusés
Réunion du jeudi 15 février 2018 à 9 heures
Députés
Présents. - M. Christophe Bouillon, Mme Émilie Cariou, M. Pierre Henriet, M. Antoine Herth, Mme Huguette Tiegna, M. Cédric Villani
Excusés. - M. Julien Aubert, M. Didier Baichère, M. Philippe Bolo, M. Jean-Luc Fugit, M. Claude de Ganay, M. Thomas Gassilloud, Mme Anne Genetet, M. Patrick Hetzel, Mme Célia de Lavergne, M. Jean-Paul Lecoq, M. Loïc Prud'homme
Sénateurs
Présents. - M. Jean-Marie Janssens, M. Ronan Le Gleut, M. Gérard Longuet, M. Stéphane Piednoir, Mme Angèle Préville, Mme Catherine Procaccia, M. Bruno Sido
Excusés. - M. Michel Amiel, Mme Annie Delmont-Koropoulis, Mme Véronique Guillotin, M. Pierre Ouzoulias
1 () Ordonnance n° 2014-792 du 10 juillet 2014 créant l'article L. 2215-10 du code des collectivités territoriales.
2 () Arrêté du 15 septembre 2015 modifiant l'arrêté du 10 juin 2011 relatif à la protection physique des installations abritant des matières nucléaires dont la détention relève d'une autorisation.