Ma présentation sera plus synthétique dans l'hémicycle. Je me focaliserai aujourd'hui sur quelques points de ce projet de loi de programmation militaire, qui me paraissent réclamer votre attention.
Je commencerai par le volet budgétaire. Je m'interroge tout d'abord sur l'objectif des 2 % du PIB. Sans audit préalable de l'ensemble des besoins des armées, on ne sait pas en effet si elles sont sous-financées ou se rendent, au contraire, coupables de gabegie. Sorti du chapeau, ce chiffre de 2 % marque surtout la perte d'indépendance de défense la France, du fait de son intégration toujours plus poussée dans l'OTAN.
Sur la provision des OPEX, un premier pas est fait avec cette montée en charge de la provision budgétaire prévue sur le budget de la défense. Pour faire simple : aujourd'hui, cette provision de charge est de 650 millions d'euros, alors que le coût total des OPEX pour 2017 a été de 1,47 milliard d'euros. Tendre vers la fin de ce mécanisme injuste et grevant l'ensemble des ministères est une bonne chose.
Deuxièmement, j'aborderai la question du personnel des armées. Globalement, le projet de loi vise à prendre à bras-le-corps la question sociale des militaires, dans un contexte de suractivité et de plusieurs suicides de soldats en activité. On peut toutefois s'interroger sur la pertinence d'un recrutement extrêmement massif, surtout concentré dans des postes n'impliquant pas des militaires de carrière, alors qu'il est à espérer une baisse de l'intensité des opérations suite à la chute de Daech. Notamment, l'ensemble des mesures tendant à grossir les rangs de la réserve opérationnelle interroge, d'autant qu'on peut se demander si on est encore réserviste lorsqu'on est en activité 210 jours par an…
Élément favorable, la revalorisation du service de santé des armées (SSA). Cela était essentiel, tant ces derniers sont exsangues. Le SSA ont en effet perdu en une dizaine d'années 1 600 personnes, soit 8 % de leurs effectifs.
Troisièmement, si on peut accueillir favorablement le fait que les matériels soient rénovés et modernisés, plusieurs craintes et remarques subsistent, tant on ne sent pas que ce soit une forte priorité de la LPM. Ainsi, le programme Scorpion, qui a déjà pris du retard, ne sera réalisé qu'à la moitié à la fin de cette LPM.
En parallèle, si le texte précise bien que l'enjeu est de fournir l'ensemble des équipements de base aux militaires – habillement adapté, moyens de communication, munitions de petit calibre, système de visée à vision nocturne, véhicules blindés, zones de repos, zones d'entraînement, protections individuelles – , le retard pris est purement scandaleux pour un pays comme la France.
Donc, concrètement, les mesures annoncées vont dans le bon sens, mais le retard pris est tellement grand qu'il n'est pas acquis que cette LPM soit suffisante.
Quatrièmement, j'en viens à l'immobilier. Une nouvelle fois, ce point de la LPM est un des plus décevants, en cela qu'il continue à opérer la vente de structures patrimoniales de défense alors même que les bâtiments actuels sont insuffisants – et le seront d'autant plus si un service national se met en place. Faudra-t-il alors réquisitionner les logements d'internat ou les logements d'étudiant ?
Pour rappel, le parc immobilier de la défense a déjà fondu de 17 % en une décennie. Si le patrimoine immobilier des armées s'étend sur près de 275 000 hectares et représente 27 % de la valeur totale du parc immobilier de l'État, le traitement budgétaire de ces surfaces est très inégalitaire. Ainsi, si on a assisté à une augmentation des budgets d'entretien et de maintenance des infrastructures majeures et exceptionnelles, les dépenses de structures non opérationnelles, telles que les dépenses d'hébergement et de restauration, ont fortement diminué.
Cinquièmement, la dissuasion nucléaire. Point préalable, on peut s'étonner de ce que le plan de modernisation du nucléaire « purement défensif » français consiste à la conception d'engins plus autonomes et de plus longue portée. N'y a-t-il pas là une contradiction ? On peut difficilement parler de puissance supérieure, car les dernières entreprises de production de matière fissiles ont fermé en 1997 à Pierrelatte et Marcoule. Aujourd'hui, il reste surtout quatre sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE), dont l'un reste en veille permanente.
Comme je vous l'ai déjà dit, Madame la ministre, la position française n'est pas étonnante au vu des agissements diplomatiques de Paris depuis plusieurs décennies et de son refus de toute réduction de l'arsenal nucléaire français : tentative de blocage, puis refus, de discussion et de signature du traité négocié à l'ONU l'an dernier, signature tardive du traité de non-prolifération (TNP), refus de signer les traités créant des zones exemptes d'armes nucléaires.
Il faut quand même rappeler que la France est engagée, par sa signature du TNP en 1992, à aller vers un démantèlement de son arsenal et la participation à un traitement de désarmement multilatéral. Le Gouvernement et le corps diplomatique ont justifié le vote et le boycott français du traité de l'an dernier par un devoir de pragmatisme et de crédibilité en ce qui concerne toute initiative de désarmement multilatéral, au motif que la dissuasion nucléaire serait nécessaire en période de fortes tensions internationales…
Sur ce point, je reprendrai quant à moi les termes d'une déclaration du Haut représentant des Nations unies pour les affaires de désarmement : « la course aux armements attise les tensions ». Je crois qu'on peut réfléchir sur cette question.
Sixièmement, j'en viens aux relations internationales de la défense. Vous savez ma position sur une intégration toujours plus poussée dans l'OTAN. C'est une question de maintien de l'indépendance française en matière de défense. En témoigne la question des 2 % ou le maintien d'un arsenal nucléaire directement exigé par l'OTAN. Il faut par ailleurs rappeler que, si l'article 5 du traité de l'Atlantique nord est censé assurer la solidarité entre les États, ses derniers faits d'armes sont peu glorieux : intervention illégale en Irak, détournement du mandat onusien en Libye…
Quant à l'émergence d'une Europe de la défense, on voit bien qu'elle a lieu sous le regard des États-Unis, très offensif sur leur présence et sur la défense de leurs intérêts.
Septièmement, j'en termine par la fabrication et le commerce des armes. Je suis très attaché au fait qu'on demeure attentif à la souveraineté des industries de l'armement. Il y a un risque réel. Je pense en particulier aux ateliers industriels de l'aéronautique (AIA), sur lesquels le rapport Chabbert a ouvert des pistes, comme je pense à la nécessité d'avoir un statut d'ouvrier de l'État et de le maintenir. Il faut en effet de la pérennité et de la durabilité, c'est-à-dire du personnel qui ne parte pas du jour au lendemain dans le secteur privé parce qu'il y serait mieux payé. Nous devons maintenir cette grande puissance que nous possédons, celle d'un personnel formé dans notre pays.
Je termine par la vente des armes. Comment ne pas s'interroger sur leur destination ? La France exporte en effet vers l'Arabie saoudite des obus incendiaires vendus par Nexter, d'autres armes vers le Qatar, dont l'intervention au Yémen fait l'objet d'accusations de crimes de guerre, d'autres encore vers l'Égypte, régulièrement pointée du doigt en matière de respect des droits de l'homme.
Sur ce point – et c'est insuffisant dit dans la LPM –, il faut davantage de contrôle parlementaire. Nous devons nous attacher à ce qu'il y ait un contrôle parlementaire sur le trafic des armes.