… et peu d'institutions démocratiques. En outre, les désaccords entre gouvernements, les disparités techniques entre États sont tels qu'aucune coopération militaire systématique ne saurait s'y développer, sinon au détriment d'une nation dupée. Et nous ne voulons pas que la France soit cette dupe ! Si le Gouvernement ne le veut pas non plus, ce qu'on peut espérer, alors c'est la pensée magique qui règne lorsqu'on évoque dans le rapport annexé une hausse de 36 % – quelle précision ! – des coopérations industrielles européennes dans le domaine de la défense.
En réalité, à l'origine de cet objectif délirant réside surtout le désir opportuniste de rassasier les grands groupes par d'illusoires financements européens. Car cette LPM est d'abord à leur service. La dissuasion leur fait la part belle. Et en vertu d'un préjugé technophile faux et dangereux, on y fait des choix qui servent les gros industriels plutôt que l'intérêt du pays. On privilégie un équipement interconnecté extrêmement cher, aux coûts de maintenance exorbitants et dont l'utilité n'est même pas avérée.
En effet, à mesure que croît la complexité technologique,croît également la vulnérabilité. Des avantages tactiques qu'elle donne, la technologie ne garantit pas pour autant qu'ils se mueront en avantages stratégiques décisifs. Dans les conflits asymétriques où nous sommes engagés, nos ennemis se battent, si je puis dire, avec des armes « de haute technologie de fortune ». Ils sont bien conscients de livrer une guerre économique. Nous devrions nous aussi en avoir conscience et pouvoir le dire à nos concitoyens sans les prendre pour des enfants. Si certaines puissances veulent s'engager dans la voie de la course aux armements, nous devons pouvoir assumer tranquillement que nous ne les suivrons pas, instruits de cette stratégie qui vise, pour garantir son hégémonie, à imprimer un rythme que les autres ne pourront pas suivre.
Nous n'engageons pas les transformations intellectuelles et organisationnelles indispensables. Alors qu'il faut travailler à améliorer les capacités de résilience de notre pays face aux nouvelles menaces, cette LPM reste obstinément tournée vers les opérations extérieures. Sans vous être jamais interrogés sur les bénéfices réellement tirés de la très suspecte intervention en Libye, des interventions au Sahel – ou même en Syrie où, pour finir, nous sommes en train de laisser périr nos alliés les plus fidèles, les Kurdes – , sans vous être jamais interrogés sur les effets stratégiques de ces interventions, et bien que la revue stratégique souligne que le taux d'engagement de ces dernières années a été exceptionnel, vous nous soumettez une LPM postulant que cet engagement demeurera le même au cours des prochaines années.
Eh bien, nous affirmons, nous, qu'il faut un moratoire sur les interventions extérieures qui ne sont pas vitales. Il faut cesser de voir la défense de la France partout ailleurs qu'en France. La régénération des forces ne sera pas possible à ce rythme alors que, je l'ai dit, la dissuasion nucléaire va grever toute hausse du budget. Il faut désormais faire une pause et concentrer les efforts dans quelques domaines qui garantiront notre souveraineté et nous prépareront réellement aux guerres à venir. C'est une condition nécessaire si nous ne voulons pas avoir à les livrer et, a fortiori, à les perdre. Ainsi, nous devrions nous assurer de notre supériorité dans le domaine aérospatial, pour éviter qu'il ne devienne une sorte de Far West. Nous devrions aussi mettre l'accent sur les moyens qui garantiront notre souveraineté sur notre domaine maritime – le premier du monde – , qui est particulièrement menacé par les conséquences de la crise écologique. Mais de cela, la LPM ne dit presque rien.
Elle évoque cependant les enjeux du renseignement et du cyber, et les présente comme des nouveautés. Mais quelle nouveauté ? Le précédent Livre blanc les évoquait déjà. Le précédent ministre de la défense en faisait déjà une priorité. Mais avec quel effet ? Il ne faut rien attendre de plus avec cette loi ! Au rythme des transformations prévues, dans huit ans, nous atteindrons à peine un effectif de 4 000 personnes affectées au domaine cyber, ce qui est très insuffisant. Il nous faut engager une profonde transformation des procédures, ce qui permettra de contourner le risque cyber, mais aussi mettre en place une véritable cyberarmée. L'Allemagne, qui est si souvent votre modèle, est en passe de rattraper son retard mais nous, nous préférons dormir à l'abri de notre ligne Maginot.