Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je suis très honoré de vous présenter l'état des réflexions et actions menées par l'ACPR en lien avec le reste de la Banque de France, avec tous nos partenaires européens et toutes les structures auxquelles nous participons – la Banque centrale européenne (BCE), l'Autorité bancaire européenne, l'Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP ; en anglais, European Insurance and Occupational Pensions Authority, EIOPA). Notre objectif spécifique est d'essayer de gérer les conséquences sur la stabilité financière de cette décision tout à fait unique en son genre du Royaume-Uni de quitter l'Union européenne.
C'est un dossier aux multiples facettes, mais nous avons deux préoccupations. À court terme, nous voulons que la stabilité financière soit préservée de ce que l'on appelle souvent un effet de falaise, c'est-à-dire une coupure brusque aux effets imprévus qui provoquent des dysfonctionnements soudains du système financier. À moyen et long terme, nous voulons faire en sorte que cette évolution permette un renforcement de la résilience globale du marché unique et de sa capacité à financer les économies de l'Union.
Nous entreprenons des actions qui visent ces deux objectifs.
À court terme, dans nos domaines de compétences – banque, assurance, fintech –, nous essayons de pousser l'ensemble des intermédiaires financiers à se préparer aux conséquences de la perte du passeport, plus précisément la perte du droit à l'établissement et à la libre prestation de services (LPS). Cette perte nous affecte dans les deux sens. Au Royaume-Uni, l'activité de banques françaises, notamment BNP Paribas et la Société Générale, est très importante. Cependant, les effets sont assez asymétriques. Il y a beaucoup plus de libre prestation de services entrante, du Royaume-Uni vers la France, que de libre prestation de services sortante, de la France vers le Royaume-Uni. Nous avons ainsi reçu plus de 5 000 notifications de LPS entrante, alors que nous n'avons pas tout à fait 1 000 notifications de LPS sortante ; le rapport, dans notre secteur, est de un à cinq. Le choc de falaise sera donc asymétrique, plus important pour le Royaume-Uni que pour nous. Cependant, comme les intermédiaires concernés ont des clients en France, nous devons nous en occuper. Il faut éviter que des assurés français soient indirectement affectés par le choc subi par les intermédiaires britanniques. Nous avons aussi la responsabilité de préparer les Français au changement de leurs conditions d'activité au Royaume-Uni, mais je pense qu'ils sont mieux préparés que les Britanniques.
Aujourd'hui, je crains un peu que l'annonce d'une probable période de transition ne conduise à ralentir les préparatifs. Pour notre part, nous considérons qu'il est certains domaines dans lesquels il ne faut absolument pas ralentir le tempo. S'il y a une période de transition, tant mieux, mais nous devons nous préparer à la possibilité d'un effet de falaise dans un an. Si les clients français doivent être affectés par la perte du passeport, ce n'est pas à la dernière minute qu'il faut les prévenir : il faut leur donner le temps de prendre des dispositions. Quel que soit le résultat des négociations, qui échappe très largement à l'action de l'autorité de contrôle, nous incitons fortement les intermédiaires, en particulier les intermédiaires anglais ayant une présence en France, à bien préparer la transition au profit des clients français.
Quant à la stabilité financière à moyen et long terme, question plus structurelle, nous avons trois considérations essentielles.
Premièrement, nous sommes vraiment convaincus qu'il faut assurer la présence au sein de l'Union de ce qui est nécessaire pour bien gérer les risques potentiellement systémiques. C'est ainsi que nous abordons la question de la localisation des chambres de compensation. Nous tenons très fermement à ce que les conditions de gestion du risque systémique soient bonnes ; à cet égard, la Commission envisagerait une relocalisation des chambres de compensation dans le territoire de l'Union européenne. À un niveau plus « micro », nous refusons l'implantation dans l'Union de pures « coquilles vides », qui seraient destinées à recevoir un agrément pour des activités qui demeureraient, pour l'essentiel, effectuées au Royaume-Uni. Nous estimons pour notre part que des établissements agréés en Europe doivent disposer de tous les instruments et moyens de gestion de risques là où ils sont agréés.
Deuxièmement, il faut, bien sûr, assurer un bon niveau de coopération avec le Royaume-Uni, qui restera, quelle que soit la nature précise des arrangements qui seront conclus par l'Union européenne et le Royaume-Uni, un partenaire très important dans le secteur financier. Cela suppose en particulier que nous nous donnions les moyens d'un suivi attentif des questions, qui se poseront nécessairement, d'équivalence de la réglementation mais aussi de la supervision effective telle qu'elle sera pratiquée par le Royaume-Uni, une fois celui-ci sorti de l'Union européenne.
Troisièmement, il faut vraiment se saisir de l'occasion pour approfondir le marché unique dans le secteur financier. C'est une démarche plus générale, que nous relayons très fortement. Il faut renforcer l'intégration de l'Union européenne après la sortie du Royaume-Uni, non seulement parce qu'il sera peut-être plus facile de trouver des points communs entre ceux qui seront restés mais surtout parce qu'il faut renforcer et créer un écosystème dont l'unification sera l'un des atouts pour que la principale place financière de l'Union européenne ne soit pas en dehors de l'Union. L'approfondissement de l'unification dans le domaine financier est donc, pour nous, un enjeu absolument essentiel.
Vous avez évoqué, madame la présidente, la possibilité d'une structure polycentrique. Telle sera effectivement la réalité des relocalisations. Notre participation à la BCE nous donne une bonne vue de ce qui se passe dans l'ensemble des pays de la zone euro, où auront lieu l'essentiel des relocalisations. Comme il s'agit de s'adapter dans l'urgence, les relocalisations ont lieu là où les entreprises avaient des filiales. Ainsi, de nombreuses activités britanniques avaient des filiales en Irlande. C'est donc là qu'elles se relocalisent. D'autres vont à Francfort, à Amsterdam, en France… La relocalisation des sièges sera donc polycentrique, mais cela ne préjuge pas de l'évolution à moyen terme de l'activité économique, qui peut très bien se dérouler ailleurs que là où est établi le siège. C'est d'ailleurs le cas actuellement : BNP Paribas et la Société Générale ont une très forte activité à Londres, tout en ayant leur siège à Paris. De même, ce n'est pas parce qu'un siège est à Dublin que les activités de marché ne sont pas à Paris. L'effet de coalescence et les économies d'échelle seront très importants, mais la situation de départ sera polycentrique. Quelle direction suivrons-nous ? C'est une histoire qui reste à écrire, et la meilleure plume pour le faire est celle de l'unification du marché européen.