Je sais gré au Parlement de se mobiliser autour des réformes et du Brexit, et je remercie les organisateurs de cette réunion.
Paris Europlace est l'organisation chargée de développer et de promouvoir la place financière de Paris. Elle se caractérise par une particularité qui la différencie d'autres organisations comparables, notamment la City de Londres : elle rassemble en son sein l'ensemble des acteurs, au premier rang desquels les grandes entreprises industrielles cotées et, de plus en plus, les petites et moyennes entreprises, les établissements de taille intermédiaire et les très petites entreprises qui participent à nos travaux, notamment en matière d'innovation et de développement des start-ups, ainsi que les grandes banques de la place, les investisseurs et les pouvoirs publics – qu'il s'agisse des autorités de régulation comme l'Autorité des marchés financiers, la Banque de France et la direction générale du Trésor, ou des collectivités locales incarnées par la maire de Paris et la présidente de la région Île-de-France, qui siègent au conseil d'administration de Paris Europlace, lequel est présidé par un chef d'entreprise, actuellement Gérard Mestrallet, président d'Engie. Je rappelle systématiquement cette caractéristique tenant à la présence de grandes entreprises industrielles au sein de Paris Europlace car elle constitue un facteur différenciant le projet de Paris comme place financière par rapport à d'autres, Londres notamment. D'emblée, nous avons refusé d'être un club de banquiers – malgré toute l'admiration que j'ai pour le secteur bancaire – et préféré rassembler les acteurs de l'économie réelle et montrer que la place financière, c'est-à-dire les banques et les investisseurs, servent les intérêts de leurs clients dans cette économie réelle. Depuis la crise financière, cette approche nous a permis de signer des accords de coopération dans le monde entier avec les places financières émergentes pour contribuer au développement d'un modèle de place financière plus résistante face aux crises et capable de justifier son rôle.
J'en viens brièvement aux questions que vous nous avez posées en commençant par l'impact du Brexit sur les marchés financiers européens, l'incertitude qu'il suscite et la difficulté de prévoir l'évolution subséquente des marchés financiers. La réaction des établissements financiers de Londres s'est déroulée en trois étapes. Juste après le référendum, tout d'abord, nos interlocuteurs étaient d'avis qu'un retour en arrière était possible : business as usual, donc. Le meilleur scénario, selon eux, consistait à ce que rien ne bouge, car il est tout à la fois lourd et coûteux de déplacer des personnes.
Cette étape n'a guère duré : dès les annonces, en octobre 2016, de Mme Theresa May sur l'hypothèse d'un hard Brexit, les choses se sont accélérées. Poussés par les autorités de régulation, les établissements financiers ont dû envisager la réorganisation des legal entities, leurs entités juridiques, pour au moins couvrir le territoire européen continental au cas où les difficultés se préciseraient. Depuis le mois d'août 2017, un certain nombre d'annonces ont donc été faites dont bon nombre, reconnaissons-le, en faveur d'Amsterdam et de Francfort, compte tenu de la proximité de la Banque centrale européenne, mais aussi en faveur de Paris où de nombreuses entreprises disposaient déjà d'entités juridiques.
Nous entamons désormais une troisième étape – j'ai peut-être sur ce point une légère divergence avec les intervenants précédents – d'accélération des plans. Pour revenir de Londres et y retourner lundi prochain avec Valérie Pécresse, je crois que le sentiment général qui y prévaut est celui d'une grande fragilité politique, ce que la City de Londres a elle-même affirmé publiquement il y a quelques jours. Dans ce contexte, les grandes entreprises internationales accélèrent leurs réflexions voire leurs décisions. Depuis octobre ont donc fleuri les déclarations de grandes banques internationales, notamment américaines, au-delà du seul cas de HSBC qui a annoncé il y a un an créer mille emplois à Paris, cette banque étant déjà fortement implantée avec le Crédit commercial de France (CCF) : Bank of America installera 400 traders et a réservé un immeuble pouvant accueillir mille personnes dans la rue La Boétie ; JP Morgan augmente ses effectifs de 25 % et projette d'aller beaucoup plus loin ; Citigroup a décidé d'implanter son unité de courtage en services bancaires – broker-dealer – à Francfort mais installera ses équipes de service de clientèle – front – à Paris, soit deux cents à deux cent cinquante personnes. En tout, nous évaluons à quelque trois à quatre mille les premiers emplois annoncés ; ce niveau n'est pas encore significatif et est à peu près équivalent au niveau annoncé à Francfort, mais supérieur à celui des autres capitales – Dublin et Luxembourg. Le nombre total de ces emplois déplacés, de l'ordre de dix à douze mille, est encore assez modeste, bien loin des trente voire soixante-dix mille emplois prédits, qui pourraient venir.
La situation pourrait cependant s'accélérer, surtout si les négociations restent difficiles. Dans le secteur bancaire, des décisions et des schémas sont déjà très avancés et pourraient prendre encore plus d'ampleur dans les semaines et les mois à venir, avec une possible relocalisation de pans entiers d'activité. Il faudra alors être prêt à présenter une offre compétitive. Les acteurs d'autres secteurs où nous avons des atouts à faire valoir comme la gestion d'actifs, le capital-investissement, l'assurance, où les mouvements ont déjà commencé, mais aussi la fintech et la finance environnementale pourraient être intéressés par une relocalisation vers l'Europe en raison de la perte du passeport et de l'incertitude qui en découle.
Derrière tout cela se pose la question du rééquilibrage des activités financières de la City qui, finalement, était une bulle, en quelque sorte, car son rôle en Europe était totalement surpondéré par rapport aux capitales européennes. Cet objectif de rééquilibrage est souhaitable. Contrairement au raisonnement trop souvent tenu sur la fragmentation et la masse critique, je crois qu'une répartition plus équilibrée des activités financières entre les places européennes – Paris, Francfort et d'autres – est souhaitable tant il est important que les banques, les établissements financiers et les investisseurs se trouvent près de leurs clients, et que les différents pays participent à cette industrie, y compris pour en surveiller les modes de fonctionnement et la régulation. Il est donc essentiel que nous y participions pour faire valoir les priorités et les axes stratégiques de la place de Paris, notamment le développement des start-ups, le financement des petites entreprises et le développement de la finance durable, qui intéresse plusieurs personnes dans cette salle.
Cet objectif de rééquilibrage passe par la création de l'Union des marchés de capitaux. Sur ce point, concrètement, lors de la dernière rencontre annuelle entre les chefs d'entreprise français et allemands voici quelques semaines à Évian, le sujet de la finance et des marchés financiers a été abordé pour la première fois : si le Royaume-Uni quitte l'Union, ont estimé ces patrons, il se produira un effet de rétrécissement de la place européenne. Pour l'éviter, il faut accélérer la création de l'union des marchés de capitaux, c'est-à-dire donner la possibilité aux entreprises, y compris les PME, d'accéder à des canaux de financement diversifiés. Nous travaillons actuellement à formuler des positions communes avec nos partenaires européens à ce sujet.
Nous présentons habituellement les atouts de la place de Paris en quatre chapitres. Rappelons tout d'abord que la place de Paris et la région Île-de-France sont la seule ville globale d'Europe comparable à Londres. C'est un élément central pour les investisseurs internationaux. Le projet de Grand Paris renforce naturellement cette caractéristique. La place de Paris s'appuie sur la cinquième économie mondiale et constitue une région économique au sens fort, comme l'est la région du Grand Londres. C'est un facteur d'attractivité qui attire beaucoup les investisseurs mondiaux.
Deuxième atout : Paris est la première place financière d'Europe continentale, à parité avec Francfort ou presque, mais elle est beaucoup plus diversifiée en matière de canaux de financement et d'activités de marchés. Tout d'abord, les Français sont performants dans ce secteur – ce qui explique leur nombre important à Londres et à New York. Ensuite, la place de Paris compte parmi ses principaux clients soixante-dix à quatre-vingts grandes entreprises très actives sur les marchés. Le patron de HSBC justifie d'emblée son choix de s'implanter à Paris par la priorité que constitue pour une grande banque internationale la présence des clients ; or, en Europe, les clients sont à Paris – ce sont les grandes entreprises françaises et internationales. Autre argument : la force des banques françaises, qu'il faut saluer, car c'est un facteur qui pèse dans les choix des grandes entreprises internationales. En outre, la place de Paris est en pointe dans le secteur de la gestion d'actifs, dans le domaine de l'assurance et dans celui de la fintech.
Le troisième atout a précisément trait au développement de l'innovation et des fintechs qui sont dans une spirale de développement très vigoureuse dans tous les domaines de l'innovation financière et des technologies, depuis le crowdfunding et le blockchain jusqu'à la finance durable. Dès le début des années 2000, la place de Paris s'est fortement engagée dans le domaine de la finance environnementale : vous aurez constaté l'effort que nous avons consenti en la matière à l'occasion de la COP21 avec tous les acteurs concernés et avec l'appui des pouvoirs publics, de même qu'en matière de développement des start-ups de haute technologie.
J'en viens enfin à notre atout le plus important pour vous : l'environnement réglementaire et fiscal s'est nettement amélioré, les premières initiatives en ce sens ayant été prises avant même l'élection de M. Macron. M. Valls, notamment, avait participé à nos rencontres financières, entouré d'Anne Hidalgo et Valérie Pécresse, pour annoncer les premiers signaux dans le contexte du Brexit : c'était essentiel pour commencer à changer la perception de la France. Les réformes concernant le droit du travail et la fiscalité – qui sont les deux éléments principaux de la comparaison avec nos concurrents – s'accélèrent. Je tiens néanmoins à souligner qu'il reste beaucoup à faire en la matière, car le coût du travail demeure problématique par rapport à nos concurrents européens. Nous sommes à votre disposition pour en reparler. De même, nous participons activement aux travaux relatifs au plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) afin de favoriser le développement de l'épargne longue orientée vers le financement des entreprises ainsi que la diversification des canaux de financement et le développement de nouveaux outils de financement de l'innovation.
Ce matin même, je rencontrais la patronne d'une très grande banque internationale qui me tenait le discours suivant : la place de Paris possède déjà les atouts nécessaires, mais pourquoi n'insistez-vous pas davantage sur le message à faire passer ? La France est la deuxième économie européenne, le pays le plus jeune d'Europe après l'Irlande et le pays le plus éduqué ; en outre, elle dispose du panel le plus large de grandes entreprises qui sont les clients de l'industrie financière. Tels sont nos atouts vus par la cheffe d'une grande entreprise étrangère implantée à Paris.
Un dernier point sur la négociation : je partage les propos qui ont été tenus et, en tout état de cause, nous n'intervenons pas en première ligne. Comme chacun, cependant, nous sommes préoccupés par la période de transition qui, selon nous, ne devrait pas dépasser le calendrier prévu par la Commission, c'est-à-dire fin 2020. En effet, toute prolongation de l'incertitude présenterait un problème pour le monde des entreprises. Autre question importante : la notion de substance – je salue à cet égard les travaux effectués par l'ESMA –, car l'implantation et la relocalisation des activités est un sujet majeur et il faut éviter de créer un effet de contournement de la perte du passeport. De même, comme l'a rappelé le ministre, pour les professionnels des services financiers de la place de Paris, y compris les représentants d'entreprises internationales, le régime d'équivalence constitue à nos yeux la seule solution valable. Il conviendra que ce régime ne soit ni global, ni permanent, ni fondé uniquement sur les principes, car cela équivaudrait là encore à la perte du passeport. Il ne s'agit pas de punir la City de Londres mais de préserver l'avenir de l'Europe et de veiller à ce qu'un pays qui décide d'en sortir ne puisse pas être traité de la même manière que les pays qui continuent de prendre le risque du projet européen – et de bénéficier de ses avantages.
Je suis naturellement à votre disposition pour évoquer la stratégie de la place de Paris car notre projet est devant nous. Avec le ministre de l'économie et des finances, nous avons relancé le comité Place de Paris 2020 en fixant des priorités claires en matière de stratégie industrielle. Notre projet est de faire de Paris la place du futur en Europe.