Intervention de Jean Arthuis

Réunion du jeudi 15 mars 2018 à 14h30
Mission d'information sur le suivi des négociations liées au brexit et l'avenir des relations de l'union européenne et de la france avec le royaume-uni

Jean Arthuis, président de la commission des budgets au Parlement européen :

Je vous remercie de nous accueillir. C'est un privilège pour un parlementaire européen élu en France de pouvoir ainsi rencontrer les députés français, hors du cadre de la semaine interparlementaire, qui garde un caractère, avouons-le, assez formel. Je peux seulement souhaiter que nous ayons des relations plus permanentes.

Le Parlement européen a adopté hier matin en séance plénière une résolution relative au Brexit. Cette résolution constate que la Commission a mis au point un projet de convention relatif au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, où sont prises en compte les conséquences financières, les préoccupations des citoyens européens présents au Royaume-Uni et des citoyens britanniques présents dans l'Union européenne et la question de la frontière entre la République d'Irlande et l'Ulster – de façon à ne pas mettre en cause, dans cette dernière région, la mise en oeuvre des accords dits du Vendredi saint.

M. Michel Barnier a présenté un projet d'accord de retrait le 28 février 2018 approuvé par le Parlement européen. La résolution contient des réflexions sur le type de partenariat qui pourrait s'établir entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Ce n'est pas simple, car l'interlocuteur a des positions qui ne sont pas claires : sur les conditions du retrait, il n'a pas encore pris position.

Fin 2017, on a néanmoins estimé qu'on avait suffisamment avancé sur ce point pour commencer à parler des conventions réglant les relations postérieures. Le Royaume-Uni pourrait-il être maintenu dans le marché unique ? Pourrait-il bénéficier de conventions du type de celles qui ont été nouées avec la Norvège, la Suisse, l'Islande ou le Liechtenstein ? Dans toutes ces conventions, qui permettent aux partenaires de bénéficier du marché intérieur, il y a des contreparties financières.

Le retrait du Royaume-Uni privera l'Union européenne de la contribution nette de ce pays, car il fait partie des contributeurs nets. Il existe en effet deux types de pays en Europe : ceux qui contribuent plus au budget de l'Union européenne qu'ils ne reçoivent et ceux qui reçoivent plus qu'ils n'y contribuent. Alors que les premiers sont plutôt mesurés s'agissant de l'évolution du budget, les seconds sont plus allants quand il est question de relever les plafonds de dépenses.

Par ailleurs, il y a une différence entre le Parlement européen et les parlements nationaux, sur le plan budgétaire. Le Parlement européen ne vote en effet que les dépenses, non l'impôt, car il n'a pas de prérogatives en matière de recettes. Il est donc dans la main du Conseil, s'agissant des ressources. Pensant sans doute que le Parlement européen est peuplé d'hystériques de la dépense publique, chaque Conseil a enfermé le budget dans un cadre pluriannuel de sept ans qui comporte des plafonds annuels très rigides et n'autorise qu'une flexibilité très marginale. Lorsqu'une crise se produit, on est donc incapable de trouver dans le budget européen les ressources nécessaires pour y faire face. Cela oblige à créer des instruments financiers, des trust funds, des « satellites budgétaires ». Difficilement lisible, le budget prend ainsi une allure de galaxie.

Le Royaume-Uni participe à tous ces financements. Nous avons vécu un moment d'incertitude, puisqu'il doit sortir de l'Union européenne le 29 mars 2019. Cette perspective mettait en péril le budget 2019 avant même qu'on évoque le prochain CFP qui commencera le 1er janvier 2021. Mais, dans les esquisses d'accord en cours, le Royaume-Uni accepterait de contribuer au budget, à titre transitoire, sur la base de ses engagements actuels en 2019 et en 2020. Ces deux budgets annuels ne seront donc pas remis en cause.

Le problème financier causé par le retrait britannique se pose ainsi à partir du 1er janvier 2021. Il manquera dans les caisses entre douze et quatorze milliards d'euros. Or, nous n'avons pas l'équivalent en recettes. Mais je fais l'hypothèse que le Royaume-Uni finira pas accepter des conventions s'inspirant au moins en partie de celles passées avec la Suisse ou la Norvège. En ce cas, des ressources de plusieurs milliards d'euros seront forcément disponibles. La Norvège et la Suisse versent en effet respectivement à l'Union européenne une contribution équivalant à 174 euros et à 77 euros par habitant. Si le Royaume-Uni versait 100 euros par habitant, sa contribution s'élèverait à six milliards. Cela atténuerait le choc de la perte…

Sur le CFP, le Parlement européen est à l'oeuvre. Vous l'avez rappelé, Jan Olbrycht, élu du parti populaire européen (PPE) en Pologne, et Isabelle Thomas ont présenté un rapport d'initiative, qui a été adopté en plénière. Il propose de relever à 1,3 % du produit intérieur brut (PIB) la contribution des États membres au budget de l'Union européenne, contre 1 % aujourd'hui. Cela permettrait de maintenir les crédits de la politique agricole commune (PAC) et des fonds de cohésion, tout en autorisant une augmentation d'autres programmes, notamment un triplement des crédits du programme Erasmus, pour lequel les demandes en partie insatisfaites sont aujourd'hui nombreuses. La Commission européenne fera connaître le 2 mai 2018 sa position, avant que le Conseil ne fasse de même.

Le processus aboutira-t-il avant les prochaines élections européennes ? Cela pose un problème démocratique. Les électeurs européens comprendront-ils qu'ils élisent des représentants alors que le budget européen est déjà fixé jusqu'en 2027 ? En outre, une progression jusqu'à 1,3 % du PIB est intéressante, mais, en 2027, je ne suis pas sûr qu'un budget de cette taille permette à l'Union européenne de faire face aux défis de la mondialisation et de s'affirmer comme la puissance que certains appellent de leurs voeux.

En tout état de cause, le CFP doit prendre en compte la moins-value résultant du départ du Royaume-Uni, soit un montant oscillant entre 10 et 14 milliards, mais également de nouveaux enjeux, tels que les migrations, une avancée dans la défense, une avancée dans l'économie numérique, les dispositions à prendre en faveur du climat, pour tirer les conséquences de la COP21, ou encore la prévention du terrorisme mondialisé.

L'Europe ne pourra pas rester en marge de ces enjeux. Or, il est manifeste que les États, à l'échelon national, n'ont plus tout à fait les moyens d'assumer seuls la plénitude de leurs prérogatives de souveraineté. C'est pourquoi je veux croire que les États membres mettront à disposition du budget européen des montants équivalents à ce qu'il leur en coûte d'exercer encore telle ou telle de ces compétences.

Nous ferions alors la démonstration que le budget de l'Union européenne relevé au-delà de 1,3 % n'est pas synonyme d'une hausse des dépenses publiques en Europe, car une baisse des dépenses adviendrait à due concurrence au niveau national. L'Europe montrerait ainsi qu'elle a une valeur ajoutée dans l'exercice de ces biens communs européens, biens communs qui ne peuvent plus être totalement assurés à l'échelon national.

J'en viens à la question de la dette du Royaume-Uni. Après plus de quarante ans de vie commune, un patrimoine commun s'est constitué. Il faut chiffrer les dettes et les engagements, y compris les engagements latents, le passif potentiel. Toutes ces questions sont actuellement étudiées.

J'appelle votre attention sur le fait qu'il y a toujours un décalage entre l'engagement des programmes et leur réalisation, c'est-à-dire la liquidation des dépenses correspondantes et leur paiement. En ce moment, il y a environ 200 milliards de restes à liquider, pour des opérations sur lesquelles l'Europe s'est engagée, sans que les bénéficiaires aient encore concrétisé. Au 31 décembre 2021, ce montant oscillera entre 200 et 250 milliards.

Je pense qu'un accord sera trouvé avec le Royaume-Uni pour étaler dans le temps, au fur et à mesure des décaissements, les factures correspondant à la contribution du Royaume-Uni. Au total, on peut considérer qu'il participera à hauteur de 40 ou 50 milliards. Il y a également le problème des retraites et pensions des fonctionnaires et parlementaires européens de nationalité britannique. Ces questions devront être réglées sur la base de données factuelles, sous l'autorité de la Cour des comptes européenne et des auditeurs que reconnaîtront les autorités britanniques.

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