Je vous remercie de m'avoir convié à votre table ronde, à ce moment crucial de la préparation du prochain CFP, qui doit prendre en compte les conséquences du retrait britannique.
Permettez-moi un rappel du processus de discussion et de réflexion lancé à ce sujet par la Commission européenne. Il a commencé avec le Livre blanc : en juin 2017, dans un document de réflexion sur l'avenir des finances de l'Union, la Commission a présenté quelques orientations de principe.
Premièrement, l'Union doit se concentrer sur la valeur ajoutée européenne par rapport à des investissements nationaux. Deuxièmement, il faut réorienter les dépenses et, partant, la structure du budget européen. Troisièmement, une flexibilité budgétaire accrue doit permettre de mieux répondre aux crises éventuelles, point évoqué par le président Arthuis et sur lequel nous avons dû jusqu'ici faire preuve de beaucoup d'imagination. Quatrièmement, la gouvernance économique et la cohésion de l'Union doivent être renforcées, en articulant les investissements financés par le budget européen avec le processus du semestre européen relatif à la gouvernance macro-économique ; à cet égard, de nouveaux outils doivent être créés pour donner aux États membres des incitations à réformer. Cinquièmement, il faut simplifier davantage la mise en oeuvre des politiques européennes en regroupant les instruments de dépenses et d'intervention.
Au total, il faudra trouver un équilibre entre les différentes politiques, pour que le nouveau CFP reçoive l'aval de tous les États membres, qui se prononcent en effet à l'unanimité, ainsi que du Parlement européen.
S'agissant du calendrier, le commissaire Oettinger, en charge du budget, pousse pour qu'un accord intervienne avant les prochaines élections européennes, qui coïncide plus ou moins avec le retrait du Royaume-Uni. Cela montrerait que l'Union européenne est capable d'agir à 27, tout comme cela laisserait le temps nécessaire pour préparer de nouveaux programmes, comme ceux du fonds social européen ou des fonds de cohésion de la politique régionale européenne.
Car nous payons encore aujourd'hui, dans la mise en oeuvre de ces programmes, le retard avec lequel l'actuel CFP fut approuvé, à la fin de 2013. En 2018, nous ne sommes même pas encore en régime de croisière, alors que les besoins sont criants.
Je préciserai maintenant en quelques mots les termes de l'accord provisoire avec le Royaume-Uni, qui pourrait avoir des conséquences sur le futur CFP. Devons-nous prendre comme hypothèse de travail l'accord de décembre ? Il contient en tout cas cinq éléments du point de vue financier.
Premier élément, pour la période qui s'étend de fin mars 2019 à fin décembre 2020, le Royaume-Uni participera aux dépenses et aux bénéfices du CFP actuel comme s'il était encore membre de l'Union européenne, c'est-à-dire en respectant les procédures communautaires sous le contrôle de la Cour des comptes de l'Union.
Deuxième élément, il contribuera aux prêts à long terme de la Banque européenne d'investissement (BEI) et du Fonds européen pour les investissements stratégiques, encore appelé « Fonds Juncker », jusqu'à la date d'entrée en vigueur du retrait, soit le 30 mars 2019, date qui servira de base pour calculer et définir les droits et obligations du Royaume Uni, à savoir sa participation aux garanties de prêts et au passif éventuel de toutes les opérations engagées jusqu'à sa sortie, mais aussi aux éventuels retours et profits de ces opérations jusqu'à leur amortissement ; ensuite, sur une période de douze ans, le capital versé par le Royaume-Uni à la BEI lui sera rendu.
Troisièmement, le Royaume-Uni, qui contribuera au budget en 2019 et en 2020, restera aussi redevable de sa part du reste à liquider accumulé jusqu'à sa date de sortie de l'Union européenne : les paiements seront effectués au fur et à mesure des dépenses effectivement encourues.
Quatrième élément, pendant la période transitoire, le Royaume-Uni continuera de payer sa quote-part des engagements comme s'il était encore État membre. Cette quote-part sera calculée en fonction de la quote-part des ressources propres versées par les autres États membres. C'est la moyenne de ces quotes-parts sur la période 2014-2020 qui sera utilisée.
Enfin, le Royaume-Uni continuera de participer à des instruments hors budget, comme le Fonds européen de développement (FED), qui existe sous la forme d'un accord intergouvernemental depuis des décennies. Le Royaume-Uni restera redevable de sa quote-part à ce fonds. Il en ira de même pour la facilité financière accordée en faveur des réfugiés en Turquie, constituée par une contribution de l'Union européenne et des États membres. Il en ira aussi de même de sa participation à l'Agence européenne de défense.
Voilà les éléments factuels sur la base desquels sera réglé le volet financier du règlement de la sortie du Royaume-Uni.
M. Thomas Ossowski, représentant spécial du ministère des affaires étrangères allemand pour le cadre financier pluriannuel de l'Union européenne et directeur pour les politiques de l'Union européenne. Je vous remercie de me permettre de vous présenter aujourd'hui le point de vue de Berlin sur cette situation cruciale pour l'Europe. Comme cela a été dit, le départ du Royaume-Uni est en effet le départ d'un important contributeur net de l'Union européenne.
En parallèle, les mouvements migratoires, les relations entre l'Union européenne et la crise économique et financière posent autant de défis à l'Europe. Cette situation réclame de l'Union européenne une réponse crédible.
Pour l'Allemagne, l'intégration européenne relève de la raison d'État. Elle constitue l'un des piliers de notre politique étrangère. Depuis hier, l'Allemagne a un nouveau gouvernement, dont l'existence repose sur un accord de coalition contenant des positions pro-européennes. Vous pouvez donc compter sur elle pour relever les défis qui se posent à l'Europe.
Elle est l'un des plus importants contributeurs au budget de l'Union européenne. En termes absolus, elle est même le plus important puisque sa contribution nette au budget de l'Union s'élève, en 2018, à 31 milliards d'euros. Avec le départ du Royaume-Uni, sa part de financement de l'Union passera mécaniquement de 21 % à 25 %, soit, en prix courants, de 31 à 40 milliards en 2021, dans l'hypothèse où les contributions des États membres continuent de représenter 1 % du produit intérieur brut.
C'est donc une question qui fait partie du débat public comme du débat politique en Allemagne. Il ressort de l'un comme de l'autre que tant l'opinion publique que le monde politique sont disposés à ce que l'Allemagne assume sa part du budget européen à l'avenir.
À la lumière du départ du Royaume-Uni, il apparaît nécessaire de moderniser le budget européen. C'est même, à notre sens, une nécessité très urgente. On ne peut continuer avec des discussions de marchands de tapis ; il faut réfléchir à une modernisation, à une flexibilisation et, dans une certaine mesure, à une conditionnalisation du budget européen, pour qu'il soit en mesure de garantir l'avenir de l'Union.
Le budget européen doit donc faire ressortir la valeur ajoutée que l'Union apporte en termes de biens publics européens. Car la protection de la frontière extérieure en Grèce, en Bulgarie et en Italie est un bien public de tous les Européens, puisqu'elle profite aussi aux États nordiques, à l'Allemagne ou à la France. Nous devons donc réfléchir aux moyens de financer les biens publics européens.
S'agissant des objectifs généraux, la déclaration de Rome de 2017 nous montre le chemin vers l'avenir : l'Europe aura une valeur ajoutée si elle est une Europe qui protège – comme l'a dit votre président –, qui a une dimension sociale, et qui joue un certain rôle dans le monde.
Que devons-nous faire pour donner à l'Union européenne les outils pour remplir ces missions ? Les dépenses traditionnelles de l'Union européenne se concentrent sur la PAC et les fonds de cohésion. Il convient de mener une réflexion sérieuse sur la modernisation de ces différentes politiques. Par exemple, la PAC doit répondre aux défis du changement climatique et de la protection de l'environnement.
Les fonds de cohésion doivent servir à égaliser les conditions de vie, mais aussi à fournir aux collectivités territoriales le moyen de faire ressortir la valeur ajoutée de l'Union européenne. Par exemple, beaucoup de collectivités se sont engagées pour gérer les conséquences des flux migratoires. Les fonds européens devraient pouvoir les soutenir dans cette entreprise, en finançant un recours accru à leurs hôpitaux et à leurs systèmes d'enseignement.
En même temps, les fonds structurels devraient être utilisés de manière plus ciblée que par le passé. Tous les États membres sont confrontés aux changements démographique et numérique, comme au défi climatique. L'Union européenne doit accompagner ces changements que nos sociétés connaissent. Nous y voyons sa valeur ajoutée.
La question de la solidarité au sein de l'Union est souvent soulevée au niveau politique, en particulier en lien avec les flux migratoires. Nous considérons pour notre part que la solidarité est une voie à double sens et que l'Europe doit être un cadre de solidarité mutuelle.
Le futur CFP doit enfin permettre à l'Union européenne de renforcer sa place dans le monde, en lui donnant les moyens de gérer les missions qu'il lui incombe.
Voilà les quelques principes et axes d'action qui guideront Berlin dans son approche du prochain CFP. Nous attendons le projet de la Commission, qui doit paraître à la mi-mai. Puisse-t-il être à la hauteur des défis qui se présentent à nous.