Intervention de Jean Arthuis

Réunion du jeudi 15 mars 2018 à 14h30
Mission d'information sur le suivi des négociations liées au brexit et l'avenir des relations de l'union européenne et de la france avec le royaume-uni

Jean Arthuis, président de la commission des budgets au Parlement européen :

Il y a un paradoxe avec le Brexit. On a l'impression que l'Europe a été façonnée par les Britanniques – le dernier cadre financier pluriannuel a ainsi été raboté par eux. Je fais partie de ceux qui pensaient que la présence du Royaume-Uni exerçait un freinage et que les Vingt-Sept allaient trouver l'embrayage immédiatement après. Il faut reconnaître qu'il y a encore un peu d'inertie dans les mécanismes…

À titre personnel – je suis minoritaire au sein de la commission des budgets, et je me suis d'ailleurs abstenu hier, ce qui est un vrai déchirement pour un président de commission –, je veux souligner que l'on prépare un cadre financier nous engageant jusqu'en 2027 sans avoir déterminé de quelle Europe on parle et ce que nous en attendons. On voit bien que la mondialisation fait naître des menaces que les États nationaux n'ont plus les moyens de prévenir : ils ne pourront retrouver leur souveraineté qu'en assumant certaines prérogatives collectivement, au plan européen. Le vrai travail qui nous attend consiste à identifier les biens communs qui peuvent être efficacement gérés au plan national et ceux qui sont désormais européens.

Vous allez voir la montée en puissance de la question des migrations dans la campagne pour les élections européennes. On installe ici ou là des garde-côtes et des gardes-frontières européens, mais ils conservent leurs uniformes nationaux : il n'y a pas d'uniforme européen. L'Union n'est pas visible dans les contrôles aux frontières extérieures. Il faudrait peut-être prévoir des crédits pour des uniformes européens (Sourires.), mais la question est en réalité politique. L'élection qui aura lieu l'année prochaine doit être le moment d'en parler.

La mondialisation n'avait jamais eu un tel impact jusqu'à présent. On ne peut pas faire un budget business as usual, comme en 2013. C'est pourquoi je me suis abstenu hier : un budget représentant 1,3 % du PIB représente un progrès extraordinaire par rapport à 1 %, mais cela ne permettra pas de progresser beaucoup, car il faut compenser ce qui était versé par les Britanniques. Avec un tel budget, je ne vois pas comment l'Europe contrôlera effectivement ses frontières. Voilà ma préoccupation.

En réponse à Mme Hennion, je dois dire que je n'ai pas d'étude d'impact. Je me place dans la logique qui a prévalu au moment de la décentralisation : quand on a transféré les responsabilités aux départements en matière sociale et aux régions en matière économique, on a cessé d'engager des dépenses dans ces domaines au plan national et on a mis, en principe, les crédits correspondants à la disposition des départements et des régions. On pourrait peut-être s'en inspirer en matière de défense, par exemple. Quand la France adopte une loi de programmation militaire – exercice qui procure toujours beaucoup de bonheur au Parlement, mais qui n'est jamais respecté, en tout cas jusqu'à maintenant –, ne pourrait-on pas prévoir qu'une partie des crédits votés soit gérée au plan européen, en vue d'une plus grande efficacité ? Doit-on continuer à avoir 16 chars différents en Europe ? Je pense qu'il va falloir se poser assez rapidement des questions de ce genre. La logique voudrait que l'on ne dépense pas davantage de crédits publics en Europe, mais qu'une partie de ceux qui sont gérés au plan national le soient désormais au plan européen. C'est un vrai débat qu'il faudrait ouvrir.

Que se passe-t-il quand on adopte tardivement le cadre financier pluriannuel, comme en 2013 ? On doit établir à la fois le volume des crédits et les bases légales, c'est-à-dire les textes nécessaires à l'application des programmes : pour tout nouveau cadre financier pluriannuel, il faut revoir chacun d'entre eux. Leurs destinataires – les régions et les collectivités territoriales, le Fonds social européen (FSE), mais aussi les associations ou les entreprises pour les crédits du programme COSME (Competitiveness of enterprises and small and medium-sized entreprises, soit Compétitivité des entreprises et des PME) – doivent alors se familiariser avec les nouveaux textes. La dernière fois, le vote a eu lieu à l'automne 2013 pour un démarrage au 1er janvier 2014, mais il ne s'est rien passé la première année. Le président de la nouvelle Commission avait beau déclarer que l'Europe souffrait d'un déficit d'investissement, l'instrument correspondant n'a pas été utilisé dans un premier temps. D'ailleurs, cela arrangeait bien la Commission, car il y avait de très nombreuses factures impayées datant de la période précédente. Pendant les deux ou trois premières années, on n'a rien engagé et on a pu éponger les dettes. Cela signifie que si l'on démarre sur les chapeaux de roue au 1er janvier 2021, ce qui est souhaitable, je ne sais pas comment on fera pour payer : tout va arriver massivement en 2019 et 2020. Pour éviter l'inertie, néanmoins, il faudrait se prononcer suffisamment tôt.

Il faudra du temps au nouveau Parlement et à la nouvelle Commission pour s'installer : les commissaires ne seront pas opérationnels dès le deuxième semestre 2019. Il ne restera alors qu'une année avant le 1er janvier 2021. On pourrait peut-être convenir qu'un certain nombre de programmes nécessitent de la prévisibilité, comme la politique agricole commune, les fonds de cohésion et plus particulièrement encore l'accueil des réfugiés, la formation professionnelle et l'apprentissage, ce qui implique de se décider suffisamment tôt. Mais on pourrait aussi prévoir une marge de manoeuvre, sous la forme d'une révision au lendemain des élections. Imaginez qu'il y ait une poussée électorale en faveur de prérogatives nouvelles pour l'Europe, lui permettant enfin d'assumer ses responsabilités, ne serait-ce que sur la question des migrations : une révision devrait alors être possible. Va-t-on expliquer aux électeurs que le budget a déjà été voté, il y a quelques mois, et que l'on aura pour seule mission de vérifier qu'il est bien respecté ? On voit bien que cela n'est pas satisfaisant. Il y a un manque de flexibilité et de légitimité démocratique.

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