Je vous remercie, monsieur le président, de m'accueillir dans votre commission, comme je remercie la majorité d'avoir accepté que je sois désigné rapporteur de ce texte qui a été adopté au Sénat dans le cadre de l'ordre du jour réservé au groupe de l'Union centriste. Pour qu'il soit examiné devant notre assemblée lors de la séance dont l'ordre du jour sera réservé à notre groupe, il aurait fallu attendre le mois de décembre. Vu l'importance du texte, je vous suis donc très reconnaissant, au nom du groupe UDI, Agir et Indépendants, de nous permettre d'aller plus vite et de poursuivre le travail engagé par nos collègues du Sénat : il est agréable de travailler dans ces conditions.
Cette proposition de loi a donc été adoptée par le Sénat le 21 février dernier, à l'initiative de Mme Françoise Gatel et plusieurs de ses collègues, Mme Annick Billon en étant la rapporteure. Elle vise à simplifier et encadrer le régime d'ouverture et de contrôle des établissements d'enseignement privés hors contrat et a été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée le mercredi 28 mars.
Cette initiative parlementaire est partie d'un constat largement partagé : issu de lois datant de plus d'un siècle (loi Falloux de 1850, loi Goblet de 1886 et loi Astier de 1919), le régime de déclaration des établissements d'enseignement privé est aujourd'hui obsolète et complexe, et il manque cruellement de cohérence.
Pour chaque catégorie d'établissement – premier degré, second degré, enseignement technique –, les conditions de déclaration, les pièces qui sont demandées et les procédures d'opposition des autorités sont différentes.
Ainsi, les délais dont disposent le maire, l'autorité académique, le préfet et le procureur pour s'opposer à l'ouverture d'un établissement varient entre 8 jours et deux mois, selon les cas – ce qui est court, en tout état de cause, et ne permet pas d'exercer un contrôle véritablement efficace. De plus, les motifs pouvant justifier une opposition sont restreints et étonnamment désuets : est uniquement évoqué l'intérêt « des bonnes moeurs ou de l'hygiène » – sauf pour les établissements d'enseignement technique, pour lesquels l'ordre public peut être soulevé.
Les conditions qui sont requises des chefs d'établissement et des enseignants, en termes d'âge, de diplôme et d'expérience professionnelle, sont également très variables, ce qui peut aboutir à des situations surprenantes : aucune condition – ni d'âge, ni de diplôme, ni de nationalité – n'est fixée pour les enseignants des établissements secondaires, à la différence des maternelles et des écoles, ou des établissements d'enseignement technique… Aucune expérience professionnelle n'est demandée pour ouvrir un établissement d'enseignement primaire.
Le régime déclaratif actuel manque donc de lisibilité et de pertinence, à la fois pour les personnes porteuses de projets d'établissements et pour les administrations destinataires de ces déclarations.
Par ailleurs, le caractère restreint des motifs d'opposition à l'ouverture aboutit à ce paradoxe qu'un maire ou un préfet ne peut pas s'opposer à l'ouverture d'un établissement alors que son directeur ne remplirait pas les conditions requises par la loi – par exemple parce qu'il aurait été frappé d'une interdiction définitive d'enseigner : c'est seulement une fois l'établissement ouvert que le procureur de la République peut être saisi, et que le tribunal correctionnel peut prononcer la fermeture de l'établissement ! Les maires et les autorités de l'État se trouvent donc désarmés et mis devant le fait accompli.
Les incohérences du dispositif actuel apparaissent avec d'autant plus d'acuité que la création d'établissements privés hors contrat est en pleine expansion depuis plusieurs années – je rappelle qu'un nouvel établissement privé est nécessairement hors contrat dans un premier temps, puisqu'en principe, il ne peut passer contrat avec l'État qu'au bout de cinq années.
Ainsi, alors que l'on comptait environ 800 établissements hors contrat à la rentrée 2010, ce nombre s'est élevé à 1 300 à la rentrée 2017, pour 73 000 élèves scolarisés. C'est un chiffre important, mais qu'il faut relativiser, puisqu'il représente environ 0,5 % de la totalité des élèves scolarisés. Le secteur hors contrat se caractérise par sa diversité, puisqu'il inclut aussi bien des établissements confessionnels – entre 40 et 45 % des élèves –, que des établissements proposant des pédagogies alternatives, telles que Montessori ou Freinet, ou des enseignements en langue régionale.
Face à ce double constat, il est important d'apporter des réponses. C'est l'ambition de la présente proposition de loi, qui a été déposée en juin 2017 et adoptée par le Sénat voilà un mois. Ce texte propose une vraie cohérence.
En premier lieu, il conserve le principe d'un régime de déclaration mais il l'harmonise et le simplifie : les distinctions entre catégories d'établissements sont effacées, une même procédure s'applique puisque l'autorité académique constitue l'interlocuteur unique des porteurs de projets et c'est elle qui transmet le dossier de déclaration aux autres autorités, soit le maire, le préfet et le procureur.
La liste des pièces à fournir est elle aussi unifiée, et elle est précisée et complétée, pour assurer que les autorités disposent de tous les éléments nécessaires pour exercer un contrôle efficace.
Toujours pour permettre l'efficacité du contrôle, le délai d'opposition est porté à trois mois dans tous les cas, au lieu de huit jours aujourd'hui pour le maire, et un mois le plus souvent pour le préfet et l'autorité académique, tandis que les motifs d'opposition sont modernisés et étoffés : la notion d'ordre public est introduite, ainsi que la nécessité de respecter les conditions requises de la part de la personne qui déclare l'ouverture mais aussi, si ce n'est pas la même, de la personne qui dirigera l'établissement. La protection de l'enfance et de la jeunesse vient remplacer l'hygiène et les bonnes moeurs. L'on devrait ainsi éviter la situation paradoxale que j'ai évoquée tout à l'heure, à savoir la nécessité d'attendre qu'un établissement ouvre pour pouvoir saisir le juge pénal et obtenir sa fermeture.
Le Sénat a également prévu l'obligation d'informer l'autorité académique en cas de changement d'identité du directeur, pour éviter notamment les pratiques de prête-nom à l'ouverture des établissements.
Les conditions exigées des directeurs d'établissement et des enseignants sont harmonisées, sachant que les conditions de diplômes, de pratiques professionnelles et d'âge seront définies par décret en Conseil d'État, et que des possibilités de dérogations seront ouvertes.
Enfin, au-delà du contrôle « sur pièces » qui peut être exercé au moment de l'ouverture, il importe de garantir que les établissements d'enseignement puissent être efficacement inspectés lorsqu'ils sont en activité et accueillent leurs élèves. Comme le montrent les travaux de notre collègue Annick Billon, ces contrôles sont aujourd'hui insuffisants, à la fois du fait des contraintes qui pèsent sur les moyens d'inspection, et parce que, jusqu'à récemment, le contrôle des établissements hors contrat n'avait pas été identifié comme une priorité. Pour l'année scolaire 2016-2017, seulement la moitié des nouveaux établissements ont été contrôlés durant leur première année d'exercice – cette proportion devrait frôler 75 % pour l'année 2017-2018.
Le texte qui vous est proposé pose le principe d'un contrôle dès la première année d'exercice de l'établissement ; le ministre s'est engagé en séance, au Sénat, à ce que les moyens nécessaires soient mobilisés pour atteindre cet objectif. Le texte prévoit aussi que les noms et les titres des enseignants seront transmis chaque année à l'autorité académique, pour procéder aux vérifications nécessaires.
J'ai présenté les grandes lignes du texte qui nous est proposé, et qui aboutit à mon sens à un bon équilibre : il permet d'améliorer et de simplifier le régime actuel de déclaration, ce qui est souhaitable aussi bien pour les porteurs de projets que pour les administrations, tout en renforçant l'efficacité des contrôles qui peuvent être exercés, tant à l'ouverture que pendant l'activité des établissements.