La question de la vulnérabilité et de l'adaptation aux événements climatiques majeurs et celle de leur impact doivent être abordées dans le contexte tout à fait spécifique d'une accélération de l'élévation du niveau de la mer, ce facteur devant être particulièrement pris en compte dans l'étude de l'impact de ces phénomènes. Cependant, les valeurs d'élévation du niveau de la mer observées dans les différents bassins océaniques sont très variables. Les territoires français se situent globalement autour de la moyenne, voire en dessous de celle-ci pour un certain nombre d'îles de la Caraïbe. Mais, dans son cinquième rapport, le GIEC prévoit des valeurs d'élévation comprises entre 50 et 80 cm environ à l'horizon 2100, selon le scénario de réchauffement climatique retenu. Or, le réchauffement climatique global et l'élévation du niveau de la mer vont renforcer l'impact de trois types d'événements climatiques majeurs : les cyclones tropicaux, les tempêtes tempérées et polaires – ces dernières pouvant affecter les territoires français – et, enfin, le phénomène El Niño.
Les cyclones tropicaux s'intensifient et ont un impact majeur outre-mer, tels ceux qui ont frappé les îles françaises de la Caraïbe en septembre dernier, mais ceux qui se forment dans l'Atlantique peuvent également toucher, de manière plus ponctuelle et avec un moindre impact, la façade océanique française de la métropole.
Les tempêtes tempérées, telle Xynthia en 2010, et polaires affectent, quant à elles, directement et principalement les littoraux de la métropole. Toutefois, selon le dernier rapport du GIEC, les recherches récentes ont mis en évidence qu'elles pouvaient également avoir un impact majeur sur nos îles tropicales, et ce pour une raison simple : les houles qu'elles produisent se propagent sur des milliers de kilomètres à travers la masse océanique et peuvent provoquer, sur ces îles, non seulement des pics d'érosion côtière, mais, aussi et surtout, des submersions marines majeures, y compris en situation de beau temps, ce qui les rend difficilement compréhensibles par la population. Je ne citerai qu'un exemple : en décembre 2008, ce phénomène a provoqué le déplacement de 100 000 personnes dans les îles du Pacifique nord. C'est un point qu'il convient de souligner, car on s'attend à une intensification de ces tempêtes d'origine distante. La spécificité des îles tropicales c'est donc qu'elles sont touchées à la fois par ces tempêtes et par leurs propres cyclones.
Enfin, réchauffement climatique et élévation du niveau de la mer vont accroître l'impact du phénomène ENSO ou El Niño, qui affecte exclusivement la zone intertropicale et se traduit, pour prendre l'exemple du Pacifique central, par une hausse de la cyclogenèse et des températures océaniques susceptibles de provoquer érosion côtière, submersion marine, salinisation des sols et des aquifères, dégradation des écosystèmes terrestres et marins, avec des effets en cascade sur les ressources vitales disponibles, les activités de subsistance et économiques ainsi que sur la santé humaine, sans oublier les dommages causés aux bâtiments et aux infrastructures.
Au-delà de l'augmentation de l'intensité de ces trois types d'événements climatiques majeurs et de la fréquence de certains d'entre eux – je pense notamment aux cyclones dans le bassin atlantique –, il faut redouter le cumul, c'est-à-dire la succession sur une période brève, de plusieurs événements, que ceux-ci soient de même nature – comme cela a été le cas des trois cyclones qui ont affecté les petites Antilles du Nord en septembre 2017 –, ou de nature différente, comme c'est régulièrement le cas dans le Pacifique central, notamment en Polynésie française, où la succession d'une houle d'origine distante, de cyclones et de pics thermiques associés au phénomène El Niño provoque un effondrement des systèmes de ressources et des activités économiques. Un tel phénomène réduit bien entendu le temps de résilience dont disposent les écosystèmes et les sociétés, ce qui peut, à terme, condamner les premiers et ce qui provoque toujours des situations extrêmement difficiles à gérer pour les secondes.
Ces trois types d'événements ont trois types d'impact différents.
Le premier est la submersion marine, qui concernera des zones toujours plus étendues et se caractérisera par des hauteurs d'eau toujours croissantes, de sorte que les systèmes côtiers naturels ou équipés de digues connaîtront des phénomènes de franchissement, de débordement ou de rupture. Les côtes françaises les plus exposées à ce risque sont les côtes basses, à marais maritimes et lagunes, des façades méditerranéenne et atlantique de la métropole ainsi que les côtes et les îles basses des Petites Antilles et des atolls des Tuamotu en Polynésie. Il va de soi que les côtes très aménagées de La Réunion, de Mayotte ou de la Guyane sont également, du fait de cet important degré d'aménagement, des espaces vulnérables à prendre en considération.
En matière de submersion marine, les recherches récentes ont mis en évidence deux points cruciaux. Premièrement, des cyclones peu intenses mais rapides et à trajectoire constante peuvent avoir des impacts importants. Ce fut le cas notamment aux Tuamotu, où un cyclone de catégorie 1, c'est-à-dire la plus faible, a provoqué une submersion équivalente à celle des cyclones de catégorie 3 qui avaient touché le même atoll, avec des hauteurs d'eau de plus de deux mètres dans les zones habitées. Deuxièmement, dans les outre-mer, les houles d'origine distante, issues notamment de dépressions tempérées, peuvent avoir des impacts tout aussi importants que des cyclones. Dans les Tuamotu, un tel épisode a entraîné, en 1996, la submersion totale des îles basses et il a été, à l'échelle du siècle dernier, l'événement qui a le plus affecté ce territoire. Les événements d'origine lointaine ou d'intensité modérée doivent donc, eux aussi, faire l'objet d'une attention particulière afin d'anticiper au mieux leur impact potentiellement destructeur – il ne faut pas les sous-estimer.
Le deuxième impact de ces événements climatiques majeurs est l'érosion côtière, qui affecte à des degrés divers les façades littorales de la métropole et les outre-mer. À ce sujet, il convient d'insister sur la complexité des impacts morpho-sédimentaires des cyclones dans les outre-mer. Si, en métropole, les tempêtes causent pratiquement toujours un recul de la position du trait de côte, la situation est beaucoup plus complexe dans les outre-mer. En effet, si les tempêtes y provoquent un recul important du trait de côte dans certains secteurs – ce fut le cas notamment à Saint-Martin en septembre dernier –, elles ont également un impact constructeur en apportant d'importants volumes de sédiments à la côte. A Saint-Martin, par exemple, nous avons relevé, après le passage des cyclones de septembre 2017, la formation de nouvelles plages et l'exhaussement de plages existantes, qui ont gagné jusqu'à plus d'1,60 m d'épaisseur sous l'effet de l'apport de blocs coralliens par les vagues cycloniques. Ces sédiments envahissent les zones aménagées et posent autant de problèmes que le recul du trait de côte qui peut affecter des secteurs voisins. Ces sédiments sont généralement enlevés le plus vite possible pour dégager les zones aménagées, ce qui annihile les effets positifs des cyclones qui, en apportant ces matériaux, permettent aux côtes de s'élever et de suivre l'élévation du niveau de la mer qui menace les sociétés humaines.
Enfin, certains systèmes côtiers, comme les mangroves, les marais maritimes et les systèmes cordon-lagune, en particulier méditerranéens et antillais, peuvent migrer vers la terre sous l'effet des cyclones et de l'élévation du niveau de la mer. Ces phénomènes de migration, qui peuvent également affecter les îles basses de l'archipel des Tuamotu, sont à prendre en compte, car ils illustrent bien la mobilité de ces espaces, qui est une contrainte majeure pour les sociétés humaines.
Parmi les zones les plus vulnérables du territoire français, on peut donc citer les Tuamotu. Cet archipel, dont les îles sont très basses, représente le plus grand groupe d'atolls au monde et abrite 17 000 personnes, soit une population bien plus importante que celle de Tuvalu, qui compte 12 000 habitants. On continue à dire que ces atolls, comme ceux des Maldives, de Tuvalu et de Kiri-Bas, sont en voie de disparition. Or, les données scientifiques actuelles démontrent qu'au cours des dernières décennies, ces îles basses n'ont pas montré de signes de contraction annonçant leur prochaine disparition. En effet, nous avons pu observer, pour la période allant des dernières décennies aux derniers siècles, sur la base d'un échantillon incluant 634 îles réparties dans 25 atolls, que 77 % de ces îles avaient conservé leur surface, que 17 % d'entre elles avaient connu une augmentation de surface et que seulement 8 % d'entre elles, souvent de très petites îles, très jeunes et très instables, ont subi une contraction. S'il est bien entendu très important de suivre le comportement de ces systèmes tout particulièrement vulnérables au cours des prochaines décennies, qui se caractériseront par un renforcement des pressions climatiques, il est cependant important de noter que la situation de ces territoires ne relève pas encore de l'extrême urgence et qu'ils doivent donc faire l'objet de stratégies d'adaptation.
L'augmentation des risques de submersion, de salinisation, d'érosion et de perturbation sédimentaire produit des effets en cascade complexes, multidimensionnels, sur les ressources naturelles et les écosystèmes, les activités de subsistance et économiques, les infrastructures et les services, le bâti, la santé humaine, et la démographie. Nous savons en effet que les événements climatiques majeurs peuvent déclencher des migrations. Ainsi, dans certains atolls des Tuamotu, les cyclones de 1983 ont provoqué le départ de 10 à 15 % de la population. Aux Antilles, on a pu constater que ces événements pouvaient également affecter l'ordre public, la sécurité individuelle et collective, ce qui souligne le lien étroit qui unit l'impact physique de ces phénomènes et la vulnérabilité des sociétés, que va maintenant évoquer Alexandre Magnan.