L'audition débute à 13 heures.
Madame, monsieur, merci de votre présence. Pourriez-vous nous présenter le laboratoire de l'Université de La Rochelle et l'Institut du développement durable et des relations internationales – IDDRI –, et les recherches que vous y menez sur l'impact des événements climatiques sur les zones littorales ?
Nous vous serons reconnaissants de nous faire part de vos connaissances sur les événements climatiques majeurs qui peuvent affecter les zones littorales hexagonales et outre-mer et sur leurs conséquences – érosion, submersion, salinisation des sols. Vous nous direz quelles sont les zones littorales les plus vulnérables, les stratégies d'action et d'adaptation possibles pour renforcer leur protection. Vous nous expliquerez quels peuvent être la stratégie française d'adaptation aux changements climatiques et les leviers à actionner. Vous nous exposerez les conséquences des retards pris dans les stratégies d'atténuation et d'adaptation pour les générations futures et nous ferez part des recommandations que l'on peut tirer de ces connaissances pour les décennies à venir.
Quelles sont les orientations qui vous semblent prioritaires pour la recherche ? Comment aller plus loin pour faire de l'océan et des zones littorales une priorité dans le champ problématique traité par les négociations climatiques ?
Merci de nous recevoir. Nous vous présenterons très rapidement nos institutions et les recherches qu'elles mènent, avant de nous concentrer sur les travaux du groupe de travail n° 2 du GIEC. Nous aborderons les questions d'impact, de vulnérabilité et d'adaptation, en enrichissant les conclusions du cinquième rapport d'évaluation du GIEC par les résultats des travaux menés depuis 2014.
Nous vous apporterons un éclairage plus particulier sur la situation des outre-mer. A l'issue de cette audition, nous nous tiendrons à votre disposition pour vous fournir des données complémentaires, des exemples particuliers, des notes de synthèses sur des faits précis pour lesquels nos connaissances et nos compétences pourraient, dans le cadre de cette mission, vous aider.
J'appartiens au laboratoire de recherche LIENSs – pour littoral, environnement et sociétés –, qui est soutenu par deux tutelles, l'Université de La Rochelle et le CNRS.
Les recherches y sont transdisciplinaires et exclusivement concentrées sur les questions relatives aux mutations physiques et humaines qui opèrent sur les littoraux. L'approche permet de croiser les travaux de spécialistes de géosciences, d'écologie et d'écotoxicologie, d'histoire, de géographie ou de la santé. Un certain nombre de programmes de recherche portent sur les événements climatiques majeurs.
La Rochelle ayant subi la tempête Xynthia, de nombreux travaux ont été menés sur cet événement. Nous conduisons par ailleurs des travaux sur l'outre-mer, pour ma part depuis vingt ans, et sommes actifs sur les trois bassins océaniques tropicaux – Caraïbes, océans indien et pacifique.
L'Institut du développement durable et des relations internationales – IDDRI –, est une fondation de recherche privée reconnue d'utilité publique, créée en 2001 et associée à Sciences-po Paris. Son objet principal est l'interface entre les sciences et la décision, à l'échelle internationale, et la question de la gouvernance globale du développement durable, avec les sujets structurants que sont le climat, la biodiversité ou les océans.
Nous nous intéressons depuis 2007 aux questions de la vulnérabilité, de l'adaptation aux changements climatiques et aux événements extrêmes qui y sont liés, sous l'angle humain. Nous étudions notamment les facteurs d'influence qui expliquent cette vulnérabilité, les enjeux et les formes d'adaptation, avec deux thèmes centraux : l'analyse du risque de mal adaptation et la question des trajectoires d'adaptation.
Nos champs sont exclusivement les littoraux, en particulier tropicaux et insulaires, dans les outre-mer français des océans pacifique et indien – à la Réunion et en Polynésie française principalement.
Je suis aussi membre du GIEC, dans le cadre du rapport spécial sur le changement climatique, les océans et la cryosphère.
La question de la vulnérabilité et de l'adaptation aux événements climatiques majeurs et celle de leur impact doivent être abordées dans le contexte tout à fait spécifique d'une accélération de l'élévation du niveau de la mer, ce facteur devant être particulièrement pris en compte dans l'étude de l'impact de ces phénomènes. Cependant, les valeurs d'élévation du niveau de la mer observées dans les différents bassins océaniques sont très variables. Les territoires français se situent globalement autour de la moyenne, voire en dessous de celle-ci pour un certain nombre d'îles de la Caraïbe. Mais, dans son cinquième rapport, le GIEC prévoit des valeurs d'élévation comprises entre 50 et 80 cm environ à l'horizon 2100, selon le scénario de réchauffement climatique retenu. Or, le réchauffement climatique global et l'élévation du niveau de la mer vont renforcer l'impact de trois types d'événements climatiques majeurs : les cyclones tropicaux, les tempêtes tempérées et polaires – ces dernières pouvant affecter les territoires français – et, enfin, le phénomène El Niño.
Les cyclones tropicaux s'intensifient et ont un impact majeur outre-mer, tels ceux qui ont frappé les îles françaises de la Caraïbe en septembre dernier, mais ceux qui se forment dans l'Atlantique peuvent également toucher, de manière plus ponctuelle et avec un moindre impact, la façade océanique française de la métropole.
Les tempêtes tempérées, telle Xynthia en 2010, et polaires affectent, quant à elles, directement et principalement les littoraux de la métropole. Toutefois, selon le dernier rapport du GIEC, les recherches récentes ont mis en évidence qu'elles pouvaient également avoir un impact majeur sur nos îles tropicales, et ce pour une raison simple : les houles qu'elles produisent se propagent sur des milliers de kilomètres à travers la masse océanique et peuvent provoquer, sur ces îles, non seulement des pics d'érosion côtière, mais, aussi et surtout, des submersions marines majeures, y compris en situation de beau temps, ce qui les rend difficilement compréhensibles par la population. Je ne citerai qu'un exemple : en décembre 2008, ce phénomène a provoqué le déplacement de 100 000 personnes dans les îles du Pacifique nord. C'est un point qu'il convient de souligner, car on s'attend à une intensification de ces tempêtes d'origine distante. La spécificité des îles tropicales c'est donc qu'elles sont touchées à la fois par ces tempêtes et par leurs propres cyclones.
Enfin, réchauffement climatique et élévation du niveau de la mer vont accroître l'impact du phénomène ENSO ou El Niño, qui affecte exclusivement la zone intertropicale et se traduit, pour prendre l'exemple du Pacifique central, par une hausse de la cyclogenèse et des températures océaniques susceptibles de provoquer érosion côtière, submersion marine, salinisation des sols et des aquifères, dégradation des écosystèmes terrestres et marins, avec des effets en cascade sur les ressources vitales disponibles, les activités de subsistance et économiques ainsi que sur la santé humaine, sans oublier les dommages causés aux bâtiments et aux infrastructures.
Au-delà de l'augmentation de l'intensité de ces trois types d'événements climatiques majeurs et de la fréquence de certains d'entre eux – je pense notamment aux cyclones dans le bassin atlantique –, il faut redouter le cumul, c'est-à-dire la succession sur une période brève, de plusieurs événements, que ceux-ci soient de même nature – comme cela a été le cas des trois cyclones qui ont affecté les petites Antilles du Nord en septembre 2017 –, ou de nature différente, comme c'est régulièrement le cas dans le Pacifique central, notamment en Polynésie française, où la succession d'une houle d'origine distante, de cyclones et de pics thermiques associés au phénomène El Niño provoque un effondrement des systèmes de ressources et des activités économiques. Un tel phénomène réduit bien entendu le temps de résilience dont disposent les écosystèmes et les sociétés, ce qui peut, à terme, condamner les premiers et ce qui provoque toujours des situations extrêmement difficiles à gérer pour les secondes.
Ces trois types d'événements ont trois types d'impact différents.
Le premier est la submersion marine, qui concernera des zones toujours plus étendues et se caractérisera par des hauteurs d'eau toujours croissantes, de sorte que les systèmes côtiers naturels ou équipés de digues connaîtront des phénomènes de franchissement, de débordement ou de rupture. Les côtes françaises les plus exposées à ce risque sont les côtes basses, à marais maritimes et lagunes, des façades méditerranéenne et atlantique de la métropole ainsi que les côtes et les îles basses des Petites Antilles et des atolls des Tuamotu en Polynésie. Il va de soi que les côtes très aménagées de La Réunion, de Mayotte ou de la Guyane sont également, du fait de cet important degré d'aménagement, des espaces vulnérables à prendre en considération.
En matière de submersion marine, les recherches récentes ont mis en évidence deux points cruciaux. Premièrement, des cyclones peu intenses mais rapides et à trajectoire constante peuvent avoir des impacts importants. Ce fut le cas notamment aux Tuamotu, où un cyclone de catégorie 1, c'est-à-dire la plus faible, a provoqué une submersion équivalente à celle des cyclones de catégorie 3 qui avaient touché le même atoll, avec des hauteurs d'eau de plus de deux mètres dans les zones habitées. Deuxièmement, dans les outre-mer, les houles d'origine distante, issues notamment de dépressions tempérées, peuvent avoir des impacts tout aussi importants que des cyclones. Dans les Tuamotu, un tel épisode a entraîné, en 1996, la submersion totale des îles basses et il a été, à l'échelle du siècle dernier, l'événement qui a le plus affecté ce territoire. Les événements d'origine lointaine ou d'intensité modérée doivent donc, eux aussi, faire l'objet d'une attention particulière afin d'anticiper au mieux leur impact potentiellement destructeur – il ne faut pas les sous-estimer.
Le deuxième impact de ces événements climatiques majeurs est l'érosion côtière, qui affecte à des degrés divers les façades littorales de la métropole et les outre-mer. À ce sujet, il convient d'insister sur la complexité des impacts morpho-sédimentaires des cyclones dans les outre-mer. Si, en métropole, les tempêtes causent pratiquement toujours un recul de la position du trait de côte, la situation est beaucoup plus complexe dans les outre-mer. En effet, si les tempêtes y provoquent un recul important du trait de côte dans certains secteurs – ce fut le cas notamment à Saint-Martin en septembre dernier –, elles ont également un impact constructeur en apportant d'importants volumes de sédiments à la côte. A Saint-Martin, par exemple, nous avons relevé, après le passage des cyclones de septembre 2017, la formation de nouvelles plages et l'exhaussement de plages existantes, qui ont gagné jusqu'à plus d'1,60 m d'épaisseur sous l'effet de l'apport de blocs coralliens par les vagues cycloniques. Ces sédiments envahissent les zones aménagées et posent autant de problèmes que le recul du trait de côte qui peut affecter des secteurs voisins. Ces sédiments sont généralement enlevés le plus vite possible pour dégager les zones aménagées, ce qui annihile les effets positifs des cyclones qui, en apportant ces matériaux, permettent aux côtes de s'élever et de suivre l'élévation du niveau de la mer qui menace les sociétés humaines.
Enfin, certains systèmes côtiers, comme les mangroves, les marais maritimes et les systèmes cordon-lagune, en particulier méditerranéens et antillais, peuvent migrer vers la terre sous l'effet des cyclones et de l'élévation du niveau de la mer. Ces phénomènes de migration, qui peuvent également affecter les îles basses de l'archipel des Tuamotu, sont à prendre en compte, car ils illustrent bien la mobilité de ces espaces, qui est une contrainte majeure pour les sociétés humaines.
Parmi les zones les plus vulnérables du territoire français, on peut donc citer les Tuamotu. Cet archipel, dont les îles sont très basses, représente le plus grand groupe d'atolls au monde et abrite 17 000 personnes, soit une population bien plus importante que celle de Tuvalu, qui compte 12 000 habitants. On continue à dire que ces atolls, comme ceux des Maldives, de Tuvalu et de Kiri-Bas, sont en voie de disparition. Or, les données scientifiques actuelles démontrent qu'au cours des dernières décennies, ces îles basses n'ont pas montré de signes de contraction annonçant leur prochaine disparition. En effet, nous avons pu observer, pour la période allant des dernières décennies aux derniers siècles, sur la base d'un échantillon incluant 634 îles réparties dans 25 atolls, que 77 % de ces îles avaient conservé leur surface, que 17 % d'entre elles avaient connu une augmentation de surface et que seulement 8 % d'entre elles, souvent de très petites îles, très jeunes et très instables, ont subi une contraction. S'il est bien entendu très important de suivre le comportement de ces systèmes tout particulièrement vulnérables au cours des prochaines décennies, qui se caractériseront par un renforcement des pressions climatiques, il est cependant important de noter que la situation de ces territoires ne relève pas encore de l'extrême urgence et qu'ils doivent donc faire l'objet de stratégies d'adaptation.
L'augmentation des risques de submersion, de salinisation, d'érosion et de perturbation sédimentaire produit des effets en cascade complexes, multidimensionnels, sur les ressources naturelles et les écosystèmes, les activités de subsistance et économiques, les infrastructures et les services, le bâti, la santé humaine, et la démographie. Nous savons en effet que les événements climatiques majeurs peuvent déclencher des migrations. Ainsi, dans certains atolls des Tuamotu, les cyclones de 1983 ont provoqué le départ de 10 à 15 % de la population. Aux Antilles, on a pu constater que ces événements pouvaient également affecter l'ordre public, la sécurité individuelle et collective, ce qui souligne le lien étroit qui unit l'impact physique de ces phénomènes et la vulnérabilité des sociétés, que va maintenant évoquer Alexandre Magnan.
La plus ou moins grande vulnérabilité aux événements climatiques extrêmes est déterminée par l'agrégation de différents éléments qui peuvent être classés en trois familles. La première regroupe les éléments constituant une forte exposition aux événements climatiques – littoraux de basse altitude, côtes meubles et systèmes mobiles ou instables naturellement – ; la deuxième concerne la présence d'enjeux humains très proches du trait de côte – bâtiments, infrastructures et activités économiques – et dégradant, de ce fait, les écosystèmes naturels, qui jouent un rôle de tampon face aux vagues ; la troisième réunit les éléments qui contribuent à la sensibilité des systèmes territoriaux aux impacts de ces événements : écosystèmes sensibles aux vagues ou à l'élévation de la température des océans par exemple, inadaptation des normes de construction des bâtiments à l'intensité des aléas, absence de diversification économique et donc dépendance à un secteur lui-même très sensible aux événements climatiques, faiblesse des politiques de gestion du risque et absence de culture du risque dans les populations locales.
C'est la somme de ces éléments qui détermine une vulnérabilité systématique aux événements climatiques majeurs. Sont vulnérables les littoraux français de métropole – Gironde et Charente-Maritime, par exemple – et d'outre-mer, en Polynésie Française, à la Réunion et à Saint-Martin. Il est cependant difficile de déterminer les zones les plus vulnérables, car elles le sont souvent pour des raisons différentes.
Quelles actions et stratégies d'adaptation peut-on mettre en oeuvre pour mieux protéger les zones littorales ? Nous avons à notre disposition un panel d'actions assez étendu qui va de la transformation de l'environnement sans modifier le schéma de développement à la transformation complète du système humain d'occupation du littoral. Entre ces deux extrêmes, il existe diverses options, dont il ressort des travaux du GIEC qu'elles peuvent être classées en trois grands groupes. Premièrement, on maintient ses positions sur le littoral et on construit des systèmes de protection qui vont des dispositifs de défense lourde – murs, enrochements ou épis – à des dispositifs plus souples ou à des solutions fondées sur la nature, telles que la replantation de mangroves, le revégétalisation des dunes ou la recharge artificielle en sable. Deuxièmement, on procède à des ajustements, qui comprennent la réhabilitation des environnements littoraux – comme le fait le Conservatoire du littoral, par exemple, qui s'efforce de restaurer les marais maritimes –, la modification des normes de construction – on peut construire davantage sur pilotis afin d'éviter les submersions – et la diversification des activités économiques. Troisièmement, on élabore des stratégies de relocalisation, ou de retrait, des habitants, des bâtiments, des infrastructures et des activités économiques.
La plupart du temps, il n'existe pas une solution unique, qui plus est sur le long terme ; il est donc nécessaire de combiner des actions différentes, sachant qu'elles doivent être adaptées aux spécificités contextuelles. Un mur ou un enrochement, qui peut être adapté à La Rochelle, par exemple, lorsque, les enjeux ne sont pas déplaçables, serait une erreur dramatique dans d'autres cas ou ils se révéleraient à terme, en raison de coûts d'entretien exponentiels, moins rentables qu'une relocalisation. À l'inverse, la replantation de mangroves, si elle peut être très efficace, n'est pas adaptée dans de nombreuses situations.
Qu'en est-il de la stratégie française ? Elle est en grande partie définie dans le Plan national d'adaptation au changement climatique (PNAC) 2, qui retient l'hypothèse d'un réchauffement de 1,5 à 2 degrés à l'échéance 2050. Ce plan comprend de nombreux éléments qui, sans être spécifiquement consacrés aux conséquences des événements climatiques extrêmes sur les littoraux, s'appliquent tout de même à ce type de contexte. En outre, il a fait l'objet d'un important travail de concertation. Il serait donc sans doute intéressant que vous entendiez des représentants de l'Office national des effets du réchauffement climatique (ONERC).
Pour faire face aux événements climatiques majeurs, il faut élaborer une triple stratégie qui doit consister à mieux protéger les zones à fort enjeu humain, où un déplacement est impossible, à limiter le risque de mauvaise adaptation en évitant de créer nous-mêmes les conditions de notre vulnérabilité future, et à développer autant que faire se peut, là où c'est possible, les solutions fondées sur la nature. Dans ce cadre, nous avons identifié cinq leviers d'action importants.
- Premièrement, la planification de l'urbanisation en zone littorale : il faut éviter de construire dans des zones littorales à risque. Cela va de soi, mais on y construit encore, de sorte qu'il faut sans doute renforcer les outils juridiques en matière de fiscalité et d'assurance.
- Deuxièmement, les politiques environnementales renforcées : il s'agit d'exploiter les solutions fondées sur la nature.
- Troisièmement, la coordination institutionnelle lorsque nous avons travaillé sur les conséquences du cyclone Béjisa à La Réunion en 2014, nous avons constaté qu'il existait des conflits institutionnels locaux sur le point de savoir qui gère quoi, si bien que les particuliers étaient démunis et contraints de trouver leurs propres solutions, ce qui complique en définitive le système du risque.
- Quatrièmement, la sensibilisation des populations : il est important que celles-ci comprennent pourquoi on veut leur imposer des contraintes administratives, juridiques ou en matière d'urbanisation, même si elles n'en voient pas le bénéfice immédiat, car, si elles ne les comprennent pas, elles ne les accepteront pas et cela ne fonctionnera pas.
- Cinquièmement, il faut développer la recherche scientifique appliquée, pour mieux comprendre les événements climatiques, leurs impacts, les facteurs qui influent sur la vulnérabilité, la combinaison de solutions adéquates, etc.
Par ailleurs, vous nous avez demandés d'évoquer les limites à l'adaptation liées aux efforts, ou à l'absence d'efforts, d'atténuation des émissions de gaz à effet de serre. À notre connaissance, il n'existe pas de travaux dans ce domaine précis sur les cas français, mais il nous paraît plus pertinent d'aborder la question sous l'angle de l'évaluation des risques d'impact qu'entraîneraient différents futurs possibles en matière d'émissions. Dans cette optique, on s'aperçoit que, même une trajectoire basse émission – celle qui a été définie dans l'accord de Paris – aura des effets sur les événements extrêmes et les changements graduels, donc sur leur impact. Si l'on retient un scénario à plus 2 degrés, le niveau de risque actuel est multiplié par 1,4, soit une augmentation de 40 %. De manière générale, plus la température est élevée, plus le risque d'impact s'intensifie. Les limites à l'adaptation sont donc probablement proportionnelles au niveau d'émission à l'échelle globale, mais cette approche reste encore très théorique. Elle est adoptée par certains économistes à une échelle globale, mais avec des estimations problématiques au plan scientifique car elles sont contestables, incomplètes, inadaptées à certains contextes. L'approche en termes de risques d'impact est donc plus intéressante et plus pragmatique.
En ce qui concerne les recommandations politiques, il existe trois grands types d'adaptations, le mieux étant de les utiliser simultanément : réduire l'exposition, réduire la sensibilité et renforcer la résilience. En tout état de cause, il est important d'élaborer une stratégie d'adaptation qui puisse être révisée régulièrement, parce que les conditions et les connaissances changent. Pour finir, cinq pistes de recherche nous paraissent fondamentales. La première est la compréhension des facteurs de la vulnérabilité de la résilience in situ, notamment à travers une approche par les trajectoires de vulnérabilité, c'est-à-dire une approche dynamique de cette vulnérabilité, pour poser une question : dans telle situation, quelle est la part de l'homme et celle de la nature dans le risque ? C'est la réponse à cette question qui nous apporte des éléments de solution à appliquer dans un territoire donné. L'agence nationale de la recherche (ANR) « Ouragan », créée en 2017, va bientôt débuter ses activités.
Deuxième grand pilier de recherche : comprendre ces fameuses « chaînes d'impact » évoquées tout à l'heure, car elles permettent d'identifier les points nodaux du risque, c'est-à-dire les moments où se produisent des effets de ramification sur de nombreuses dimensions, qui créent le risque final et la durée dans le temps du risque, et d'identifier les zones d'action prioritaire dans cette chaîne d'impact.
Troisièmement, l'analyse des risques d'impact dans le futur : je n'y reviens, pas mais c'est une manière d'anticiper les risques, tout en prenant en compte les problèmes d'incertitude.
Quatrièmement, la co-construction avec l'ensemble des parties prenantes de ces fameux « services climatiques », mais des services climatiques qui vont de l'impact à l'adaptation, alors qu'ils restent à ce jour très centrés sur les paramètres climatiques des événements. Les décideurs, aux échelles nationales et locales, ont besoin d'informations sur la traduction de ces événements en termes d'impact, de risque, de vulnérabilité et d'adaptation.
Enfin, nous sommes convaincus de l'importance de porter un effort particulier sur les outre-mer français. C'est d'ailleurs une recommandation très structurante du GIEC2. Ces outre-mer sont vulnérables et divers, ils peuvent nous apprendre beaucoup de choses, ils sont sous-étudiés et, dans le cadre des négociations climatiques, ils ont le sentiment, parce qu'ils sont pilotés par la France, d'être les oubliés de la diplomatie climatique.
Je vous fournirai des éléments sur les océans et littoraux. Dans les négociations climatiques, c'est un sujet qui mériterait une discussion à part entière.
Je voulais connaître les mesures prises en matière de protection des mangroves de Guyane, Guadeloupe, Martinique, Mayotte et Saint-Martin. Les mangroves jouent un rôle important dans la régulation du climat et sont aussi des ressources naturelles renouvelables menacées de toutes parts. Les équilibres écologiques et physiques qui ont permis l'installation des mangroves sont modifiés et elles peuvent être détruites par des travaux réalisés parfois très loin sur les bassins versants, et fragilisées par les incidents climatiques. Ce fut le cas à Saint-Martin avec le récent passage d'Irma. On peut aussi prendre en exemple le passage d'Hugo en 1989 en Guadeloupe : huit ans après, la forêt a seulement retrouvé deux tiers de sa surface initiale. Dans quelle mesure peut-on protéger les mangroves des pressions anthropiques et accélérer leur reconstitution suite aux incidents climatiques ?
Les mangroves jouent un rôle capital dans certains outre-mer que vous avez mentionnés. Nous avons la chance d'avoir une activité soutenue du Conservatoire du littoral sur la question de la protection des mangroves en vue de l'arrêt de la déforestation sous la pression de l'urbanisation. Mayotte en est un excellent exemple. Le Conservatoire mène des programmes extrêmement actifs d'éducation, d'information, de sensibilisation des populations, en associant les écoles. C'est un carrefour tout aussi important que le récif corallien. On sait à quel point ces deux grands écosystèmes remplissent des fonctions majeures. Je vous adresserai une note de synthèse sur l'état des connaissances. La résilience d'une mangrove est d'environ dix ans quand elle se trouve dans un environnement favorable à sa reprise. L'urgence est de réduire les pressions anthropiques pour permettre à la mangrove d'absorber au mieux les pressions liées au changement climatique.
Le principal problème des mangroves est le défrichement : si elles n'étaient pas défrichées, elles pourraient assez bien s'ajuster à l'élévation du niveau de la mer, au réchauffement et à l'acidification de l'océan.
Les mangroves ont une capacité de sédimentation verticale d'autant plus importante que les bassins versants et les pentes montagneuses ayant été défrichés, elles reçoivent, par le biais de l'érosion de surface et des cours d'eau, des quantités de sédiments extrêmement importantes qui, dans beaucoup de régions, leur permettraient de tenir les lignes face à l'élévation du niveau de la mer si les humains ne perturbaient pas leur fonctionnement par le défrichement. On casse là une barrière physique beaucoup moins sensible aux impacts du changement climatique que les récifs coralliens.
Cela appelle des actions pour favoriser l'accès de certaines populations à d'autres ressources, à d'autres matériaux de construction… La réponse au changement climatique et aux événements climatiques extrêmes touche à des choses qui n'ont parfois rien à voir avec le risque, parce que les événements climatiques sont en réalité des révélateurs de dysfonctionnements.
Présente en décembre, en Guadeloupe, en tant que référente du développement durable dans la délégation à l'outre-mer, j'ai été choquée par la quantité de restes enfouis des déchets du cyclone Hugo. J'espère qu'à l'avenir on pourra, après un cyclone, inciter à enlever le plus vite possible les déchets, car plus le temps passe, plus cela coûte cher.
Nous avons, avec des collègues montpelliérains et d'autres, réalisé une mission post-cyclone aux Antilles. Nous travaillons actuellement sur Saint-Martin, Saint-Barthélemy, la Guadeloupe, et nous allons réaliser des études comparatives avec les îles Vierges britanniques et Anguilla pour établir un retour d'expérience à l'échelle régionale. Des collègues travaillent spécifiquement sur la question des déchets : c'est l'un des principaux problèmes dans la phase post-crise. Ces déchets sont le reflet de vingt ans de « mal-développement » post-Luis. Entre deux cyclones, on produit ce qui va devenir du déchet, totalement ingérable. Les résultats quantifiés de ces travaux seront bientôt connus.
Nos auditions montrent la nécessité de croiser les approches scientifiques, dans une transversalité notamment avec les sciences humaines. J'ai assisté aux travaux de l'IDDRI lors du One Planet Summit pour voir comment la recherche locale pouvait être sollicitée dans les territoires. Comment percevez-vous le maillage de la recherche au niveau international ?
Ce maillage est naissant, en France. Il reste un problème avec l'anglais, notamment pour beaucoup de nos collègues en sciences humaines. La publication dans des revues anglo-saxonnes, qui est devenue le critère d'évaluation majeur pour les scientifiques, reste très difficile, cela prend du temps. Encore peu de collègues animent des réseaux internationaux, mais il y en a tout de même de plus en plus, dont des collègues des sciences humaines. Les géographes sont très actifs dans ces domaines, et les sciences dures font de plus en plus appel à nous car elles se rendent compte que leurs approches ne suffisent plus forcément à remporter des appels d'offre.
Nous essayons d'avoir des thématiques transversales mais nous avons encore parfois du mal à identifier des thématiques qui rassemblent les différentes disciplines scientifiques. Pour ce qui est des vulnérabilités et de leur évolution ces dernières décennies, on voit bien qu'il y a du juridique, de l'environnemental, du social, du culturel…, et les questions des risques d'impact appellent également une diversité de disciplines.
La recherche française commence à avoir des idées originales, justement – c'est sans doute un peu paradoxal – parce qu'elle est un peu en retard sur la pensée anglo-saxonne. Un leadership français peut selon moi être pris sur ces questions de vulnérabilité et d'adaptation.
Nous vivons dans un monde où l'on passe des frontières de plus en plus souvent. Nous sommes en train de répondre à l'appel à projet Ouragan : pour obtenir un financement sur ces catastrophes qui ont touché la Caraïbe, nous serons neuf ou dix équipes, de Météo France à la Caisse centrale de réassurance en passant par des partenariats avec l'ensemble des acteurs locaux concernés, l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), le Conservatoire du littoral… Les frontières explosent car on a besoin d'avancer, nous sommes tous conscients de l'urgence de la question climatique, les chercheurs au premier chef. Je ne vis plus ma recherche comme il y a vingt ans : nous ressentons un impératif d'être utile socialement, et pour cela il faut être transdisciplinaire. Nous y sommes de toute façon incités par les appels à projets : si on veut les obtenir, il faut être transdisciplinaires, savoir faire participer des acteurs, à toutes les échelles territoriales, à ce qu'on appelle des « jeux sérieux », c'est-à-dire des mises en situation pour déterminer les pistes d'adaptation…
Par ailleurs, nous avons de plus en plus de financements via des programmes européens, dédiés par exemple à la question du climat. Si l'on ne part pas de la vision, des préoccupations, des urgences des territoires concernés, on ne peut pas être alimenté par ces gros guichets de financement. C'est très positif : par le levier du financement, on fait évoluer de manière très vertueuse la façon dont les chercheurs produisent leur recherche. Et le niveau européen nous oblige, bien sûr, à travailler pour des projets où plusieurs pays sont représentés, ce qui crée des échanges d'expériences. Cette dynamique nous permettra de vous envoyer des fiches sur les retours d'expérience de tel ou tel pays.
Nous sommes bien sûr preneurs de tous compléments d'information. Notre mission se déroulera selon quatre phases : nous en sommes à l'état des lieux des connaissances scientifiques, puis nous passerons aux politiques de prévention, à la gestion des événements, enfin à la phase de reconstruction. Nous réaliserons quelques déplacements. L'idée est d'être au contact de tous les acteurs.
Je vous remercie très vivement.
L'audition s'achève à quatorze heures.
Membres présents ou excusés
Réunion du jeudi 18 janvier 2018 à 12 h 30
Présents. – Mme Justine Benin, M. Bertrand Bouyx, M. Lionel Causse, M. Stéphane Claireaux, Mme Claire Guion-Firmin, M. Yannick Haury, Mme Sandrine Josso, Mme Sophie Panonacle, M. Jean-Hugues Ratenon, M. Hugues Renson, Mme Maina Sage
Excusé. – M. Philippe Gomès
Assistait également à la réunion. – Mme Sophie Auconie