Monsieur le président, mes chers collègues, M. Jean-Luc Mélenchon, M. Ugo Bernalicis et les membres du groupe La France insoumise ont déposé, le 21 février 2018, une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l'émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance (n° 716) – je dois dire que je suis étonnée de constater qu'aucun membre du groupe de La France insoumise n'est présent à l'ouverture de cette réunion.
En application de l'article 140 du Règlement de l'Assemblée nationale, « les propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sont renvoyées à la commission permanente compétente ». Il appartient donc à la commission des affaires économiques de se prononcer sur cette proposition.
M. Jean-Luc Mélenchon, président du groupe La France insoumise, a choisi d'utiliser le pouvoir confié à certains présidents de groupe par l'article 141 du Règlement, qui prévoit que, « chaque président de groupe d'opposition ou de groupe minoritaire obtient, de droit, une fois par session ordinaire, à l'exception de celle précédant le renouvellement de l'Assemblée, la création d'une commission d'enquête ».
Dans le cadre de ce « droit de tirage », comme le prévoit l'article 140 du Règlement, la commission compétente doit uniquement vérifier si les conditions requises pour la création de la commission d'enquête sont réunies, sans se prononcer sur l'opportunité de celle-ci. Aucun amendement au texte de la proposition de résolution n'est recevable.
Par la suite, si la commission estime que les conditions requises pour cette création sont réunies, la conférence des présidents prendra acte de la création de la commission d'enquête.
Les conditions à réunir sont au nombre de trois.
Tout d'abord, l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires dispose, en son I, que « les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales ». Cette condition est réitérée à l'article 137 du Règlement, qui prévoit que les commissions d'enquête « doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ».
Dans le cas présent, l'article unique de la proposition de résolution vise à créer une commission d'enquête « chargée d'étudier la qualité nutritionnelle, le rôle dans l'émergence de pathologies chroniques, et les impacts sociaux et environnementaux de la provenance de l'alimentation industrielle ».
La formulation de l'article unique, qui n'est ni explicite, ni clair, ne permet pas de savoir précisément quels sont les objectifs de ses auteurs ; pour savoir quels sont les faits en cause, il faut se référer à l'exposé des motifs de la proposition de résolution. Celui-ci évoque l'augmentation de la consommation de produits alimentaires industriels. Il interroge les conséquences sanitaires de cette consommation et la difficulté à évaluer les effets récents des campagnes publiques de prévention sur la consommation alimentaire des ménages. Il met également l'accent sur les conséquences sociales et environnementales des conditions de production et de transport de ces produits. Le dernier paragraphe précise que les objectifs de la commission d'enquête sont d'établir « un état des lieux des différentes connaissances scientifiques relatives à l'alimentation industrielle et ses impacts » ainsi qu'« une liste de propositions pour refondre le système agroalimentaire et nos pratiques, en vue d'une transition écologique ».
Les objectifs que la commission entend poursuivre apparaissent donc décrits avec une précision suffisante, s'agissant tant du champ de ses investigations que des propositions qu'elle pourrait être amenée à formuler.
En deuxième lieu, l'article 138 du Règlement prévoit l'irrecevabilité de « toute proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête ayant le même objet qu'une mission effectuée dans les conditions prévues à l'article 145-1 ou qu'une commission d'enquête antérieure, avant l'expiration d'un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l'une ou de l'autre ».
Une commission d'enquête chargée de tirer les enseignements de l'affaire Lactalis et d'étudier à cet effet les dysfonctionnements des systèmes de contrôle et d'information, de la production à la distribution, et l'effectivité des décisions publiques, a été créée le 20 février 2018. Selon le rapport de la commission des affaires économiques sur la proposition de résolution ayant proposé la création de cette commission d'enquête, les travaux de la commission d'enquête se centreront sur les aspects industriels et logistiques de l'affaire Lactalis. Les conséquences sanitaires de l'alimentation industrielle ne devraient pas être examinées. Le champ des deux commissions est donc bien distinct.
La présente proposition de résolution remplit ce critère de recevabilité, puisqu'aucune commission d'enquête ni aucune mission d'information effectuée dans les conditions prévues à l'article 145-1 – c'est-à-dire s'étant vue attribuer les prérogatives d'une commission d'enquête – ayant achevé ses travaux depuis moins de douze mois, n'a eu précisément le même objet.
Enfin, le I de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 précitée dispose qu'« il ne peut être créé de commission d'enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours ».
L'application de cette disposition est précisée de la manière suivante par l'article 139 de notre Règlement :
« Le dépôt d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête est notifié par le Président de l'Assemblée au garde des sceaux, ministre de la justice.
« Si le garde des sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, celle-ci ne peut être mise en discussion ».
Interrogée par le Président de l'Assemblée nationale, Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, lui a fait savoir, par lettre du 20 mars 2018, que deux procédures judiciaires étaient en cours sur la problématique générale ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution.
La procédure judiciaire la plus ancienne est relative aux faits de substitution de viande bovine par de la viande chevaline dans des préparations culinaires mettant notamment en cause la société Spanghero. Il s'agit d'une information judiciaire ouverte le 22 mars 2013 par le parquet du Pôle de santé publique de Paris des chefs de tromperie aggravée sur une marchandise, tromperie sur l'origine française ou étrangère d'un produit, faux et usage de faux et escroquerie en bande organisée.
La seconde procédure judiciaire, ouverte il y a quelques mois, est relative aux faits de contamination par des salmonelles des produits destinés à l'alimentation infantile fabriqués par l'usine Lactalis située en Mayenne. Il s'agit d'une enquête préliminaire ouverte par le parquet du Pôle de santé publique de Paris des chefs de tromperie aggravée par le danger pour la santé humaine, blessures involontaires avec incapacité temporaire totale (ITT) inférieure ou égale à trois mois par violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, mise en danger d'autrui, et inexécution d'une procédure de retrait ou de rappel d'un produit d'origine animale préjudiciable à la santé.
En conséquence, la commission d'enquête devra veiller à ne pas empiéter sur ces procédures judiciaires, en se gardant de faire porter son enquête sur les faits concernés par celles-ci.
En conclusion, selon votre rapporteure, la création d'une commission d'enquête sur l'alimentation industrielle – qualité nutritionnelle, rôle dans l'émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance – est, d'un point de vue juridique, recevable.
Je conclus en regrettant à nouveau l'absence de M. François Ruffin qui – une fois n'est pas coutume – aurait sans doute été satisfait par l'accueil fait par notre commission à la proposition de résolution présentée par son groupe.