Au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, je ferai d'abord des remarques sur la forme. Il est rare et même inédit qu'une directive européenne soit transposée par le biais d'une proposition de loi et non pas d'un projet de loi. La différence n'est pas mineure puisque le recours à une proposition de loi permet, comme c'est le cas ici, de se passer d'étude d'impact.
À l'absence d'étude d'impact s'ajoute une procédure accélérée qui va nous faire légiférer en huit jours et ne laissera donc guère de place au débat, donc à la transparence, alors que le sujet le mériterait.
L'absence d'étude d'impact montre que le texte est extrêmement bancal, au point que le rapporteur a lui-même déposé quelque trente-cinq amendements. La méthode retenue ne témoigne pas vraiment d'une recherche de débats apaisés, sereins et construits à la faveur de cette proposition de loi. Je signale au passage que, il y a quinze jours, dans le cadre de notre journée réservée, nous avions déposé cinq propositions de loi sur des thématiques consensuelles et qu'à chaque fois, on nous a reproché de ne pas avoir d'étude d'impact…
J'en viens au fond. Selon nous, cette proposition de loi est brutale, injuste et injustifiée. Elle est fidèle à une directive européenne qui, comme l'a rappelé François Ruffin, a été élaborée à la suite d'un intense travail de lobbying effectué par de grandes multinationales.
Contrairement à ce que disent certains, ce n'est pas une proposition de loi au service des petites et moyennes entreprises : ce texte transpose – voire surtranspose – une directive, au service des multinationales. Il érige l'opacité des affaires en principe et la transparence en exception. Il met le droit des affaires à un niveau supérieur à celui des droits fondamentaux, notamment du droit à l'information, dans le droit français.
Ce n'est pas par hasard – et cela devrait intéresser notre assemblée – que la directive et cette proposition de loi voient se dresser contre elles des journalistes d'investigation de médias très différents, des lanceurs d'alerte, nombre d'associations, d'ONG et de syndicats : la définition extrêmement large du secret des affaires retenue dans ce texte est une arme de dissuasion contre la liberté d'informer.
Or, notre pays doit beaucoup aux lanceurs d'alerte, à la transparence et à l'investigation. Il n'y aurait pas eu l'affaire du Mediator sans les lanceurs d'alerte dont on peut mesurer le caractère salutaire. Après le vote de ce texte, des affaires comme celles du Mediator ou du Bisphénol A pourront-elles émerger ? Je n'en suis pas certain. Le week-end dernier, un grand journal américain a révélé, grâce à un lanceur d'alerte, que 50 millions de titulaires américains de compte Facebook avaient été utilisés à leur insu pour fabriquer des profils pour la campagne électorale de Donald Trump. Après le vote de cette loi, de telles investigations seraient-elles encore possibles ?
À l'inverse, une société a fait tristement parler d'elle ces derniers temps : Lactalis, qui avait érigé le secret des affaires en principe absolu. Il n'y avait pas société plus mystérieuse et plus secrète. Ne peut-on pas regretter qu'aucun salarié n'ait pu alerter sur la non-conformité des procédures de cette entreprise, avant la survenue des dégâts sanitaires ?
Rappelons qu'une pétition contre cette directive européenne, lancée par Élise Lucet, a rassemblé 500 000 signatures. Elle insiste sur les dangers qu'elle fait peser sur les lanceurs d'alerte et sur la transparence de l'information.
Nous allons déposer des amendements mais, en l'état, notre groupe s'opposera de manière assez déterminée à cette proposition de loi.