Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous allons débattre aujourd'hui est un texte controversé, tant au regard de la méthode que du fond. Il suscite de sérieuses inquiétudes, notamment sur la définition très large du secret des affaires, exprimées très clairement dans une tribune publiée dans Le Monde, dont on a beaucoup parlé, rédigée par un collectif puissant par son nombre et sa diversité – journalistes, chercheurs, économistes, syndicats et associations. Tous dénoncent un texte reléguant l'intérêt général et le droit des citoyens à l'information derrière le droit des affaires.
Sur la méthode, l'urgence – faute d'anticipation, je le concède – commandait un texte, mais pas nécessairement une proposition de loi, examinée qui plus est en procédure accélérée et sans étude d'impact. Ce n'est pas, à notre sens, le véhicule approprié à un tel texte, né sous la pression du lobby des affaires et comportant un fort enjeu pour les libertés fondamentales de l'information et de la communication. La preuve en est que le rapporteur lui-même, dont je ne méconnais ni la compétence ni l'honnêteté intellectuelle, a été contraint de déposer de nombreux amendements à son propre texte, ce qui montre bien la difficulté de le maîtriser d'emblée.
La lecture de l'avis rendu par le Conseil d'État – qui ne peut remplacer, nous le savons tous, une étude d'impact – vous convaincra de la technicité juridique de ce texte et de son caractère inabouti. La définition unique du secret des affaires qu'implique cette transposition exigeait de nous, législateurs, de rapprocher ce texte des autres secrets protégés par la loi et d'utiliser de manière juridiquement incontestable les marges de manoeuvre que laisse cette directive aux États membres.
Cette méthode de travail finit par nous inquiéter vraiment. L'Assemblée nationale n'est plus le lieu de débat qu'elle devrait être. Elle est sacrifiée à la mécanique d'une efficacité dont nous percevons bien les limites. Ce sont des projets de loi en procédure accélérée, des propositions de loi sans étude d'impact et des ordonnances dont nous ne disposons même pas des textes les habilitant. Le départ, mercredi dernier, de toutes les forces d'opposition devrait finir par vous alerter sur le malaise que nous ressentons tous au sein de cette Assemblée nationale.