Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, mes chers collègues, il n'y aura dans mon propos ni posture ni procès d'intention. Vous avez maintes fois répété rechercher un équilibre entre, d'un côté, la juste protection des secrets de fabrication de nos industriels et, de l'autre, la transparence et la liberté, principes démocratiques qui nous réunissent ; je vous fais crédit de cette volonté.
Je suis animé d'une conviction profonde, inébranlable : le grand enjeu de notre siècle, c'est le rééquilibrage entre la puissance publique et la puissance privée. De grandes sociétés transnationales peuvent aujourd'hui allouer des ressources et fixer des normes comme jamais. Cette puissance s'exerce au-delà de la raison, souvent dans la démesure. L'un des grands enjeux contemporains de la démocratie est de fixer des limites, de permettre la délibération, de garantir l'exercice des droits, d'assurer cet équilibre des pouvoirs dans un monde où la financiarisation et la globalisation ont confiné à la démesure la capacité des uns et la fragilité des autres. Nous devons rééquilibrer la puissance publique et la puissance privée.
On a souvent critiqué le dernier mandat – je l'ai fait moi-même, parfois – , mais nous pouvons être fiers de certains combats, en particulier de ceux qui nous ont portés au bon niveau des standards européens. Grâce à la volonté des parlementaires, souvent plus que sur l'initiative du Gouvernement, nous sommes parvenus à résorber le retard que notre pays a connu à la fin de l'époque Sarkozy.
Je pense à un amendement pirate visant à exiger une transparence des banques pour lutter contre les paradis fiscaux, que nous avons réussi à faire adopter au cours de l'examen du projet de loi de régulation et de séparation des activités bancaires. Je pense à une mesure innovante que nous avons réussi à inscrire dans la loi Sapin 2, mais qui est passée inaperçue, pour lutter contre les « fonds vautours ».
Grâce à ces dispositions, notre législation est aujourd'hui la plus avancée d'Europe sur ce sujet. Ce n'est pas un sujet mineur, vu des pays du Sud.
De même, notre législation est réputée la plus conforme aux standards européens concernant les lanceurs d'alerte. Quant à la lutte contre la corruption, nous nous sommes mis à niveau.
Mais il y a un domaine, madame la garde des sceaux, dont je suis particulièrement fier et sur lequel je voudrais appeler votre attention, car nous sommes un jour anniversaire. Il y a exactement un an, le 27 mars 2017, non seulement nous avons atteint le niveau des standards européens, mais nous avons inventé une manière de fixer le droit dans les multinationales, qui inspire aujourd'hui une partie du monde. La loi sur le devoir de vigilance a été promulguée il y a exactement un an. Cette loi qui permet, par un plan de vigilance, de prévenir les atteintes graves à l'environnement, de protéger les droits humains, de lutter contre le travail des enfants dans les chaînes de production, par exemple, est due à une formidable cordée de la réussite, qui a réuni des organisations non gouvernementales – Sherpa, Amnesty International, le Comité catholique contre la faim et pour le développement, les collectifs RSE – responsabilité sociétale de l'entreprise – et j'en passe.
Je voudrais saluer, à cet égard, Danielle Auroi et Philippe Noguès, les deux parlementaires avec qui nous avons formé une équipe pour mener ce combat pendant quatre ans, contre un Gouvernement qui n'en voulait pas, et des multinationales qui faisaient le siège de l'État.
Je voudrais citer également le monde intellectuel, notamment le Collège des Bernardins qui, à l'issue d'un cycle de neuf ans, a obtenu au travers du rapport Senard-Notat, que s'opère une véritable révolution culturelle dans la conception de l'entreprise au XXIe siècle, laquelle a inspiré le devoir de vigilance.
Je voudrais citer encore les syndicats qui ont mené tous ces combats. Imaginer qu'ils soient aujourd'hui fragilisés par ce texte – involontairement, je veux bien le croire – est difficilement concevable. Nous ferons tout ce soir pour vérifier, avec la plus extrême attention, que les ONG, les lanceurs d'alerte, toutes les parties prenantes qui peuvent ouvrir les portes et les fenêtres des entreprises, soient autorisées à poursuivre leur oeuvre, à introduire ces principes de démocratie, de délibération, à faire émerger la vérité et à établir de nouveaux droits en dénonçant les scandales, même quand ils n'en sont encore qu'au stade de la légalité.
Ce mouvement est irréversible. C'est le grand mouvement contemporain, celui du rééquilibrage de la puissance publique et de la puissance privée. Puisque nous semblons partager la même philosophie, acceptez la poignée d'amendements qui feront toute la différence et lèveront toute ambiguïté. C'est la demande insistante que je formule, au nom des combats que nous avons menés, au nom de ceux qui sont les plus fragiles aujourd'hui et dont nous voulons réaffirmer les droits. Nous devons redonner des pouvoirs aux citoyens, rééquilibrer notre démocratie, préparer des voies d'espérance pour le siècle à venir.
Ne fermez pas la boîte noire de la mauvaise face des entreprises, dont nous voulons tourner la page. Il ne s'agit pas, pour reprendre les propos de François Ruffin, de considérer que les empires ou les seigneurs sont bons ou mauvais par nature, il s'agit simplement de dépasser ces systèmes et d'inventer des démocraties modernes.